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Date : 20061221

Dossier : T-274-06

Référence : 2006 CF 1541

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2006

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

PAUL OUELLET

demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Dans une décision rendue le 12 janvier 2006, la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a rejeté la plainte formulée par monsieur Paul Ouellet contre son employeur, le ministère du Développement social Canada. M. Ouellet alléguait avoir été victime de discrimination en raison de sa déficience, en violation de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H-6 (la Loi).

 

[2]               La Commission a décidé que la preuve découverte dans le cadre de son enquête n’appuyait pas les prétentions du demandeur selon lesquelles le ministère avait agi de façon discriminatoire à son égard en matière d’emploi. Ce faisant, la Commission entérinait la recommandation de son enquêtrice de rejeter la plainte, conformément à l’alinéa 44(3)b) de la Loi.

 

[3]               Dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, M. Ouellet demande l’annulation de la décision de la Commission au motif que l’enquête menée sur sa plainte manquait de rigueur. Il soutient plus particulièrement que l’enquêtrice n’a pas interrogé un témoin clé qu’il avait identifié, et qu’elle n’a fait aucune analyse du devoir d’accommodement de l’employeur. M. Ouellet demande en outre à cette Cour de renvoyer sa plainte à la Commission, avec la directive qu’elle soit traitée conformément aux motifs accompagnant la décision à être rendue.

 

[4]               Pour les motifs exposés ci-dessous, j’en arrive à la conclusion que cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Le demandeur ne m’a pas convaincu que la Commission ne s’était pas conformée aux exigences de l’équité procédurale dans le traitement de sa plainte.

 

LES FAITS

[5]               M. Ouellet est à l’emploi du gouvernement fédéral depuis le 13 septembre 1971. Il a œuvré au ministère du Développement des ressources humaines Canada jusqu’au 12 décembre 2003, date à laquelle son lien d’emploi a été transféré au ministère du Développement social Canada suite à la création de cette nouvelle entité administrative. Il est employé à durée indéterminée (permanent) au groupe de niveau PM-01.

 

[6]               Les faits ayant donné naissance à la présente demande de contrôle judiciaire sont complexes et font l’objet de versions quelque peu différentes. Étant donné que les allégations de M. Ouellet portent sur la façon dont l’enquête a été menée, je me contenterai de circonscrire l’étude de la présente demande à leur examen et d’ainsi exposer les éléments de fait les plus pertinents pour les fins de ce contrôle judiciaire.

 

[7]               Suite à un grief déposé par M. Ouellet en août 1996 dans lequel il prétendait avoir fait l’objet de harcèlement sexuel, les parties ont conclu une entente en 1998 par la voie de la médiation en vertu de laquelle M. Ouellet était affecté au Centre des ressources humaines Canada à Moncton dans un poste de niveau PM-01. Il était convenu que l’une ou l’autre des parties pouvait mettre un terme au contrat d’emploi au moyen d’un préavis. Ce dernier fut renouvelé à deux reprises.

 

[8]               En février 2001, la direction du Centre des ressources humaines Canada décidait de ne pas renouveler l’affectation de M. Ouellet « [(…)] en raison du fait que le plaignant n’était pas en mesure de fonctionner efficacement dans ce pose et ne l’a jamais été, et ce, en dépit du monitorat, des rétroactions répétées, des formations répétées et de l’encadrement direct dispensé » (Dossier du demandeur, p. 13).

 

[9]               Suite à ce non renouvellement de son affectation, M. Ouellet a été affecté à de nouvelles tâches à l’unité des services de locaux partagés. Bien que ces tâches équivalaient à un poste de niveau inférieur, CR-05, le demandeur continua d’être rémunéré au niveau de sa classification antérieure, soit au niveau PM-01. Ces nouvelles fonctions, au dire de M. Ouellet, étaient banales et consistaient à préparer des trousses d’information et à les placer dans des boîtes.

[10]           Le 28 janvier 2002, les deux superviseurs immédiats de M. Ouellet le rencontraient et l’avisaient qu’il devait travailler plus vite et doubler sa production journalière de trousses d’information. M. Ouellet se serait alors senti intimidé et humilié, et sa santé physique s’en est trouvée affectée; il a d’ailleurs dû s’absenter de son travail pour une semaine, sur la recommandation de son médecin.

 

[11]           Lors d’une deuxième rencontre tenue le 21 février 2002, le représentant syndical de M. Ouellet avisait les deux membres de la gestion présents que ce dernier avait besoin d’accommodement, soit de mesures d’adaptation, en raison du désordre chronique de stress post aigu dont il souffrait. Conséquemment, le 18 avril 2002, une troisième rencontre eut lieu. Pour mieux comprendre les limites et les besoins spéciaux du demandeur, le ministère lui demandait alors de se soumettre à une évaluation fonctionnelle et professionnelle. M. Ouellet et son représentant syndical acquiescèrent à cette demande à la condition que M. Ouellet puisse entreprendre des traitements de psychothérapie préalablement à l’évaluation afin d’améliorer ses chances de succès, ce à quoi le ministère ne s’objecta pas.

 

[12]           Compte tenu des difficultés éprouvées par M. Ouellet au travail, son employeur lui demanda de rester à la maison jusqu’à ce qu’il puisse se soumettre à l’évaluation fonctionnelle et professionnelle. Faut-il le préciser, M. Ouellet est en congé avec solde depuis ce temps, plus précisément depuis le 21 février 2002.

 

[13]           Le ministère a également accepté de défrayer les coûts du psychothérapeute choisi par le demandeur; le contrat avec le Dr. Frigault a été prolongé à deux reprises sur sa recommandation et à la demande de M. Ouellet. Comme le bureau de ce professionnel est situé à trois heures de route du domicile du demandeur, le ministère accepta d’assumer en outre les frais de déplacement et d’hébergement de ce dernier lorsqu’il devait s’y rendre pour recevoir ses traitements.

 

[14]           Les séances de psychothérapie dispensées par le Dr. Frigault se sont échelonnées du mois d’octobre 2002 au mois de septembre 2003 sur une base hebdomadaire et pour une durée approximative de quatre heures chacune. Suite à une évaluation préliminaire, le Dr. Frigault recommandait le 1er novembre 2002 que M. Ouellet suive une psychothérapie nécessitant de quinze à vingt rencontres. Puis, le 19 février 2003, le docteur Frigault indiquait au ministère que M. Ouellet était apte à revenir au travail mais soulignait l’importance de poursuivre la thérapie et d’établir un plan de réintégration au travail soigneusement conçu à son attention. Un plan sommaire de réintégration en six étapes était proposé par le Dr. Frigault dans un rapport daté du 27 mai 2003.

 

[15]            Le 27 août 2003, une rencontre eut lieu entre M. Ouellet, son représentant syndical, le Dr. Frigault et deux représentants de l’employeur afin de préparer la réintégration du demandeur. Déçu de la tournure de cette rencontre, le Dr. Frigault décida de quitter les lieux à la pause. Dans une lettre du 3 septembre 2003, adressée au directeur régional du ministère du Développement des ressources humaines Canada, il expliqua ainsi son geste :

[(…)]

 

J’ai été très déçu lors de cette rencontre que d’observer la nature paternaliste et maternalisme de vos employés envers M. Ouellet. Je note aussi le manque de représentation syndicale adéquat lors de cette rencontre. Non seulement que je suis déçu des attitudes mais surtout [(…)] de ce qu’ils ont fait subir à mon client après mon départ de la réunion.

 

D’après l’employé en question, ils auraient pendant une période d’environ deux heur[e]s assumés des rôles successifs d’acharnement thérapeutique affectif envers mon client afin de l’apaiser et de le rassurer ceci après l’avoir bouleversé par leurs interrogatoires.

 

À plusieurs reprises, j’ai répété lors de la rencontre, le fait que l’approche utilisé par vos employés n’était pas adéquate dans les circonstances de réintégration mais malheureusement, j’ai pressentis qu’il valait mieux que je me retire de cette rencontre.

 

D’abord il faut toujours se rappeler que la réintégration de M. Ouellet se doit d’être une de dignité et d’équité envers un employé ayant plus de 30 années de loyaux services. Qu’il a répondu à toutes les exigences du ministère en étant évalué par mes services et n’ayant aucune dysfonction de personnalité ou de cognition qui mérite l’approche utilisé.

 

Simplement qu’on lui redonne son poste aux pensions tel qui fut entendu par le médiateur antérieurement et que l’on travaille avec le personnel de cette division afin qu’il collabore à sa réintégration. Que tout harcèlement ou abus cesse afin que Paul Ouellet puisse poursuivre sa carrière normalement.

 

[(…)]

 

Dossier du demandeur, pp. 186-187.

 

 

[16]           Bien entendu, la version de l’employeur diffère sensiblement de celle du Dr. Frigault, comme en fait foi une note au dossier de l’un des représentants du ministère présent à la réunion (Dossier du demandeur, p. 328). Toutefois, il ne m’est pas nécessaire d’élaborer sur ces points de vue contradictoires pour les fins du présent contrôle judiciaire. En novembre 2003, le ministère est revenu à la charge et a offert un poste d’agent de paiement à la clientèle de niveau CR-05. En réponse, M. Ouellet explique, dans une lettre datée du 26 novembre 2003, « [(…)] que d’accepter cette position ne saurait aucunement conduire à une réintégration au travail réussie ou saine » (Dossier du demandeur, p. 226). S’il en va ainsi, de dire M. Ouellet, c’est parce qu’il devrait travailler sous la surveillance de quelqu’un qui a de lui une opinion biaisée et négative.

[17]           Le 24 août 2004, M. Ouellet a déposé une plainte à la Commission alléguant que Développement social Canada faisait preuve de discrimination en matière d’emploi à son égard en refusant d’accommoder sa déficience. Il appert de cette plainte que le principal reproche formulé par M. Ouellet à l’endroit du ministère est le refus de le réintégrer en dépit de la recommandation du Dr. Frigault. L’allégation est d’ailleurs ainsi formulée :

Human Resources Development Canada (HRDC), and/or its successor(s) HRSDC/SDC, contrary to section 7 of the Canadian Human Rights Act, have discriminated against me in an adverse differential manner by failing to accommodate my disability – perception of mental disability – by refusing to re-integrate me into the workforce contrary to the advice of the psychologist it hired.

 

Dossier du demandeur, p. 20.

 

 

[18]            Le 6 octobre 2004, la Commission a transmis la plainte de M. Ouellet aux représentants du ministère pour obtenir leur réponse. Cette réponse a été acheminée à l’enquêtrice nommée par la Commission le 11 janvier 2005. Entre temps, soit durant le mois de décembre 2004, la Commission a désigné Mme Sylvie McNicoll pour faire enquête sur la plainte de M. Ouellet. Néanmoins, c’est l’enquêtrice Anick Hébert qui a pris la relève au mois de juin 2005 et qui a rédigé le rapport d’enquête daté du 19 septembre 2005 après avoir complété la recherche et l’analyse de l’information.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[19]            La Commission ayant rejeté la plainte de M. Ouellet sans fournir de motifs, je dois m’en remettre au rapport d’enquête pour en connaître les tenants et aboutissants. En l’instance, une fois le rapport d’enquête complété, celui-ci a été acheminé aux deux parties afin que la Commission puisse obtenir de leur part les observations qu’ils jugeaient opportunes d’y apporter avant qu’elle ne procède à l’examen du dossier.

 

[20]           Après avoir acheminé à M. Ouellet le sommaire de la réponse du ministère à sa plainte et avoir reçu les commentaires additionnels de M. Ouellet, les enquêtrices ont interrogé trois représentants du ministère, ainsi que la représentante syndicale de M. Ouellet. Elles ont également pris connaissance des six rapports détaillés du Dr. Frigault que leur avaient acheminé M. Ouellet. Enfin, l’enquêtrice Anick Hébert a communiqué avec le ministère pour obtenir des précisions supplémentaires concernant les tentatives de réintégration de M. Ouellet comme en fait foi la lettre du 22 juin 2005 adressée à M. Serge Viens, conseiller ministériel en relations de travail (Dossier du demandeur, pp. 263-264 et pp. 273-351).

 

[21]           Après avoir longuement passé en revue les faits ayant donné naissance à la plainte et les prétentions des deux parties, l’enquêtrice Anick Hébert en arrive aux conclusions suivantes :

40. La preuve recueillie démontre que dès que le mis en cause a été informé de la déficience du plaignant, il lui a demandé de demeurer à la maison en congé payé jusqu’à ce qu’il se soumette à une évaluation fonctionnelle et professionnelle pour mesurer son aptitude au travail. Une entente est intervenue entre le plaignant et le mis en cause à l’effet que le plaignant entreprendrait des traitements de psychothérapie préalable à l’évaluation. Le mis en cause a accepté de payer les frais des traitements de psychothérapie du plaignant, ses frais de déplacements et d’hébergement. Suite à une demande du thérapeute du plaignant, le mis en cause a accepté de payer des sessions supplémentaires de psychothérapie.

 

41. La preuve recueillie démontre que suite aux traitements, le thérapeute du plaignant l’a déclaré apte à retourner au travail. Par conséquent, le mis en cause a préparé un plan de réintégration. Des rencontres ont eu lieu avec le plaignant et en août 2003 un poste de classification CR-04 a été offert au plaignant. Le mis en cause s’engageait à rémunérer le plaignant au niveau PM-01. Le plaignant a refusé ce poste.

 

42. La preuve recueillie démontre qu’en novembre 2003, le mis en cause a offert un poste de niveau CR-05 au plaignant, mais le plaignant a refusé ce poste. En 2004, de nouvelles tentatives de réintégrer le plaignant ont été effectuées par le mis en cause sans succès, le plaignant refusant de collaborer avec le mis en cause.

 

43. La preuve recueillie démontre que le plaignant est en arrêt de travail depuis le 21 février 2002 et est rémunéré au niveau PM-01 depuis cet arrêt de travail.

 

 

Sur la base de cette analyse, l’enquêtrice recommandait donc à la Commission de rejeter la plainte au motif que « [(…)] la preuve n’appuie pas l’allégation du plaignant à l’effet que le mis en cause a agi de façon discriminatoire à son égard en matière d’emploi en le traitant de façon différente et en refusant de l’accommoder en raison de sa déficience ». Faut-il le rappeler, ce rapport d’enquête a été remis aux parties de façon à ce qu’elles puissent présenter leurs observations écrites à la Commission avant que cette dernière ait eu à se prononcer sur la décision finale.

 

[22]           Dans ses observations, acheminées à la Commission le 4 novembre 2005, M. Ouellet a soulevé plusieurs lacunes du rapport d’enquête, notamment le manque d’information sur sa condition médicale et le manque d’analyse des mesures d’adaptations raisonnables pour favoriser sa réintégration au travail. Il a également constaté que plusieurs des témoins potentiels qu’il avait identifiés n’avaient pas été interrogés par l’enquêtrice. Au nombre de ceux-ci, il a tout particulièrement attiré l’attention sur le Dr. Frigault, qui était à ses yeux un témoin clé puisqu’il avait eu un rôle critique tant au niveau de l’évaluation et de la thérapie qu’au niveau du programme de réintégration de M. Ouellet. M. Ouellet notait également que l’analyse de l’enquêtrice était déficiente et démontrait une adhésion complète à la position du défendeur (Dossier du demandeur, pp. 21-30).  Enfin, M. Ouellet prétendait qu’une erreur s’était glissée en cours d’enquête, puisque sa représentante syndicale de l’époque avait reconnu avoir erronément affirmé qu’une offre concrète d’emploi avait fait l’objet de discussions le 27 août 2003.

 

[23]           Quant aux observations du ministère en date du 8 décembre 2005, ses représentants se disaient d’accord avec le rapport de l’enquêtrice et réitéraient qu’en aucun temps, ni Développement des ressources humaines Canada ni Développement social Canada n’avaient défavorisé le demandeur en se fondant sur un motif de distinction illicite. À l’inverse, ils estimaient que des tentatives réelles d’accommodement avaient été faites à plusieurs reprises dès lors que le diagnostic sur l’état de santé de M. Ouellet avait été connu du ministère (Dossier du demandeur, pp. 31-33).  Ce faisant, ils rejetaient les prétentions de M. Ouellet quant à l’objet des discussions lors de la réunion du 27 août 2003 et réaffirmaient que des pourparlers avaient bel et bien eu lieu afin d’offrir un poste au demandeur, poste qui lui avait effectivement été offert en novembre 2003.

 

[24]           Dans sa décision rendue le 12 janvier 2006, la Commission entérinait le rapport d’enquête et rejetait la plainte du demandeur en vertu de l’alinéa 44(3)b) de la Loi.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[25]           La présente demande de contrôle judiciaire ne soulève essentiellement qu’une seule question : la Commission a-t-elle respecté les exigences d’équité procédurale pertinentes en l’espèce? De façon plus spécifique, la Commission a-t-elle erré en ne procédant pas à une enquête approfondie et complète de la plainte du demandeur lors de sa réalisation en omettant d’interroger un témoin clé et en omettant d’examiner l’obligation d’accommodement liant le ministère?

L’ANALYSE

[26]           Il n’y a pas vraiment de désaccord entre les parties sur les principes de droit applicables. Dans le cadre du présent litige, c’est plutôt sur l’application qu’elles en font que leurs points de vue divergents. Je rappellerai donc brièvement les enseignements de la jurisprudence en semblable matière, avant d’examiner plus attentivement les prétentions de M. Ouellet et celles du Procureur général du Canada.

 

[27]           Rappelons dans un premier temps que la Commission n’est pas liée par les recommandations d’un enquêteur. Cependant, si elle adopte ces recommandations sans autre précision, le rapport d’enquêteur sera présumé constituer les motifs de la Commission pour les fins de la décision rendue conformément à l’alinéa 44(3)b) de la Loi : voir, entre autres, Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 au paragr. 37; Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 au paragr. 35; Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 au paragr. 30 (C.A.F.); Leila Paul c. Société Radio-Canada, 2001 CAF 93 au paragr. 93.

 

[28]           Par voie de conséquence, si l’enquête est jugée déficiente dans la façon dont elle a été menée ou dans ses conclusions, la décision de la Commission sera également jugée déficiente et ne pourra être confirmée parce que viciée : voir les décisions Kollar c. Banque canadienne impériale de commerce, 2002 CFPI 848; Singh c. Canada (Procureur Général), 2002 CAF 247; Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (C.F.), confirmée à (1996), 205 N.R. 380.

 

[29]           Il est également établi que la Commission doit agir équitablement dans le traitement des plaintes qu’elle reçoit. Cette obligation d’équité procédurale se traduit, dans le contexte de la réalisation des enquêtes, par le respect de deux exigences : la neutralité et la rigueur. Ces exigences ont été élaborées par le juge Marc Nadon, alors juge de cette Cour, dans la décision Slattery, précitée, et ont été maintes fois confirmées par la suite : voir, à titre d’exemple récent, la décision Gravelle c. Canada (Procureur général), 2006 CF 251, de mon collègue le juge Edmond Blanchard.

 

[30]           S’il faut faire preuve d’une certaine retenue dans l’examen d’une décision de ne pas déférer une plainte au Tribunal canadien des droits de la personne en vertu de l’alinéa 44(3)b) de la Loi et d’appliquer ainsi dans ces situations la norme de la décision raisonnable simpliciter, il n’en va pas de même lorsque la décision est contestée pour des motifs d’équité procédurale. Comme le rappelait la Cour suprême du Canada au paragraphe 100 dans l’arrêt S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, les questions d’équité procédurale sont des questions légales et par voie de conséquence, aucune déférence n’est requise lorsqu’une telle question est soulevée : voir aussi les décisions Sketchley au paragr. 53, précitée; Gravelle, précitée et Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113.

 

[31]           Ce que le demandeur reproche aux enquêtrices en l’occurrence, ce n’est pas leur manque de neutralité, c’est-à-dire leur partialité, mais plutôt leur manque de rigueur dans la réalisation de l’enquête qui se traduit par un rapport incomplet et superficiel. À cet égard, le demandeur cite dans son mémoire l’extrait suivant de la décision rendue par le juge Nadon dans l’arrêt Slattery aux pages 600 et 601:

Il faut faire montre de retenue judiciaire à l’égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n’est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné une preuve manifestement importante, qu’un contrôle judiciaire s’impose.

 

[(…)]

 

Dans des situations où les parties ont le droit de présenter des observations en réponse au rapport de l’enquêteur, comme c’est le cas en l’espèce, les parties peuvent compenser les omissions moins graves en les portant à l’attention du décideur. Par conséquent, ce ne serait que lorsque les plaignants ne sont pas en mesure de corriger de telles omissions que le contrôle judiciaire devrait se justifier. Même s’il ne s’agit pas d’une liste exhaustive, il me semble que les circonstances où des observations supplémentaires ne sauraient compenser les omissions de l’enquêteur devraient comprendre : (1) les cas où l’omission est de nature si fondamentale que le seul fait d’attirer l’attention du décideur sur l’omission ne suffit pas à y remédier; ou (2) le cas où le décideur n’a pas accès à la preuve de fond en raison de la nature protégée de l’information ou encore du rejet explicite qu’il en a fait.

 

Voir aussi au même effet la décision Sketchley au paragr. 38, précitée.

 

 

[32]           La jurisprudence fournit des exemples de situations où l’enquête a été jugée déficiente en raison de son manque de rigueur. Ainsi, l’omission d’interroger un ou des témoins clés qui auraient eu une incidence fondamentale sur la résolution de la plainte initiale et l’omission de traiter d’un aspect important de celle-ci ont été considérées par cette Cour et par la Cour d’appel fédérale comme étant des manquements à l’obligation d’équité procédurale : Kollar au paragr. 39, précitée; Thamourpour au paragr. 40, précitée et Grover c. Canada (Conseil national de recherches), 2001 CFPI 687.

 

[33]           Qu’en est-il ici? Le demandeur prétend que le fait de ne pas avoir interrogé le Dr. Frigault constitue une omission majeure viciant les résultats de l’enquête et par le fait même, la décision de la Commission aujourd’hui contestée. Non seulement avait-il procédé à une évaluation de M. Ouellet et lui avait-il fourni des traitements de psychothérapie, mais il avait également proposé un plan sommaire de réintégration et participé à la rencontre du 27 août 2003 ayant pour objet la réintégration au travail de M. Ouellet. Par conséquent, il était le mieux placé pour expliquer en quoi l’approche de l’employeur ne rencontrait pas les besoins de M. Ouellet, s’il faut en croire l’avocat de ce dernier.

 

[34]           Avec égards, je ne peux souscrire à cet argument. Ce que l’on exige d’une enquête , c’est que toute la preuve pertinente soit considérée. En l’occurrence, je crois que l’enquêtrice s’est conformée à cette exigence. Elle a pris connaissance de toutes les lettres du Dr. Frigault et elle en a repris la substance dans son rapport, allant même jusqu'à en reproduire de larges extraits. La Commission était donc bien au fait de la position du Dr. Frigault et dès lors, elle était en mesure de prendre une décision éclairée à cet effet.

 

[35]           Qui plus est, M. Ouellet a eu l’opportunité de réagir au rapport de l’enquêtrice et de faire état de ses préoccupations relativement au rapport d’enquête. Il s’est d’ailleurs prévalu de cette possibilité et a fait parvenir à la Commission ses observations, qui tiennent sur dix pages. À cette occasion, il réitère les constats du Dr. Frigault et soutient que les recommandations de ce dernier pour accommoder son incapacité et favoriser sa réintégration au travail n’ont pas été suivies. Par conséquent, la Commission avait en mains tous les éléments d’information lui permettant de prendre une décision éclairée et juste dans les circonstances.

 

[36]           M. Ouellet a soutenu que le Dr. Frigault aurait pu expliquer en quoi l’approche du ministère ne rencontrait pas ses besoins, et fournir un meilleur éclairage sur son désaccord avec l’employeur quant aux mesures de réintégration. Pourtant, je vois mal ce que le Dr. Frigault aurait pu ajouter à ce qui se trouvait déjà dans ses rapports. Il est clair à la lecture de sa lettre en date du 3 septembre 2003, dont j’ai déjà reproduit un extrait au paragraphe 14 des présents motifs, qu’il souhaitait, conformément à son plan de réintégration, pouvoir continuer à dispenser les traitements de psychothérapie à M. Ouellet et qu’il encourageait le ministère à redonner au demandeur un poste au niveau PM-01. Toutes ces informations faisaient déjà partie du rapport de l’enquêtrice auxquelles avaient été jointes les positions respectives de la représentante syndicale et du ministère.

 

[37]           Il ne faut pas perdre de vue que ce sur quoi l’enquêtrice, et ultimement la Commission, avaient à se prononcer, ce n’était pas de savoir comment devait être réintégré M. Ouellet et dans quel poste, mais plutôt s’il y avait matière à référer sa plainte au Tribunal au motif que la preuve appuyait l’allégation de discrimination et de refus d’accommodement. Vu sous cet angle, le rapport de l’enquêtrice était approfondi et complet, et fournissait toute l’information nécessaire à la prise de la décision de la Commission.

 

[38]           Le demandeur a également reproché à l’enquêtrice de ne pas s’être penchée sur la question centrale de sa plainte, soit la question de savoir si le ministère avait correctement accommodé le demandeur en élaborant un plan de réintégration qui répondait à ses besoins. À l’appui de son argument, il prétend que le dossier d’enquête ne comprend aucun document démontrant qu’il y ait eu un plan de réintégration proposé par le ministère et que l’enquêtrice n’a pas été rigoureuse en omettant d’interroger les témoins de l’employeur au sujet de leur plan de réintégration. De plus, le demandeur affirme que le rapport de l’enquêtrice ne contient aucune analyse du devoir d’accommodement de l’employeur, ni du plan de réintégration proposé par l’employeur.

 

[39]           Encore une fois, cet argument ne me convainc pas. La question n’était pas tant de savoir si le plan de réintégration du ministère était conforme aux recommandations du Dr. Frigault. En dernier ressort, c’est au ministère qu’il appartenait de déterminer la meilleure façon de réintégrer M. Ouellet en s’inspirant, bien entendu, des recommandations que lui avait faites le Dr. Frigault. Ici, ce que l’enquêtrice devait examiner, et ce que la Commission devait décider, c’était plutôt de savoir si l’employeur s’était acquitté de son obligation d’accommodement.

 

[40]           À ce chapitre, le rapport de l’enquêtrice m’apparaît complet. Elle a relaté toutes les mesures prises par l’employeur pour favoriser la réintégration de M. Ouellet : congé avec solde, paiement de l’évaluation et des traitements de psychothérapie ainsi que des frais de déplacement de M. Ouellet, extension du contrat du Dr. Frigault à deux reprises et offre d’emploi au demandeur pour assurer son retour au travail.

 

[41]           Il n’est d’ailleurs pas sans intérêt de noter que dans son rapport déposé auprès du ministère en février 2003, le Dr. Frigault se disait d’avis que M. Ouellet était apte à revenir au travail, en ajoutant qu’il devrait continuer à bénéficier de traitements psychologiques pour assurer le succès de sa réintégration. L’employeur semble avoir tenu compte de cette recommandation; c’est uniquement au niveau des moyens qu’il divergeait d’opinion avec le Dr. Frigault dans la mesure où il estimait que les traitements de psychothérapie requis par le demandeur devraient dorénavant être assumés par le régime de santé de la fonction publique ou le programme d’aide aux employés.

[42]           L’enquêtrice a également mentionné les préoccupations exprimées par M. Ouellet et son psychologue concernant le plan de retour au travail proposé par le défendeur. Elle a même communiqué avec le ministère pour obtenir plus d’information sur son plan de réintégration et sur les raisons pour lesquelles il ne se conformait pas aux recommandations du Dr. Frigault (lettre de l’enquêtrice Anick Hébert à M. Serge Viens en date du 22 juin 2005, Dossier du demandeur, pp. 263-264). Bref, elle a soigneusement traité de la plainte du demandeur sans éviter la question fondamentale de l’accommodement, et elle a relevé tous les faits pertinents dans son rapport.

 

[43]           À partir du moment où elle concluait que le demandeur refusait de collaborer avec l’employeur, il ne lui était pas nécessaire de pousser plus avant son analyse. Son rôle ne consistait pas à décider de la meilleure façon de réintégrer M. Ouellet, mais plutôt de déterminer si la preuve permettait d’établir que le ministère n’avait pas satisfait à son obligation d’accommodement. Considéré dans cette perspective, le rapport de l’enquêtrice était rigoureux et offrait à la Commission l’information pertinente pour qu’elle puisse se prononcer sur la plainte initiale de M. Ouellet dans le respect des principes d’équité procédurale que commandent les décisions prises sous l’autorité de l’alinéa 44(3)b) de la Loi. En entérinant un rapport d’enquête exempt d’irrégularités procédurales, la Commission rendait une décision à l’abri du contrôle judiciaire de cette Cour.

 

[44]           Pour tous ces motifs, je rejette donc la demande de contrôle judiciaire, avec dépens en faveur de la partie défenderesse selon la colonne médiane du Tarif B des Règles des Cours fédérales.

 

JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire, avec dépens en faveur de la partie défenderesse selon la colonne médiane du Tarif B des Règles des Cours fédérales.

 

 

 

« Yves de Montigny »

Juge 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-274-06

 

INTITULÉ :                                       Paul Ouellet c. Procureur Général du Canada

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :               4 décembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              de Montigny J.

 

DATE DES MOTIFS :                      le 21 décembre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me James Cameron

 

POUR LE DEMANDEUR

Marie Crowley

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP / s.r.l.

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, cr

Sous procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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