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Date : 20061208

Dossier : T-189-06

Référence : 2006 CF 1472

Ottawa (Ontario) le 8 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

 

ENTRE :

Omega Engineering, Inc.

demanderesse

et

 

Omega SA (Omega AG) (Omega Ltd.)

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en vertu de l’article 57 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi), afin d’obtenir une ordonnance modifiant l’enregistrement numéro LMCDF05009 de la marque de commerce OMEGA & Design ou, subsidiairement, déclarant que la marque de commerce a été abandonnée.

 

LE CONTEXTE

[2]               La demanderesse est propriétaire de trois marques de commerce, numéros 849,631, 849,629 et 849,630, pour OMEGA et ΩE DESIGN, ΩE DESIGN et OMEGA, respectivement. Les trois marques de commerce sont employées en liaison avec des horloges et des chronomètres industriels, ainsi qu’avec d’autres instruments de mesure utilisés dans les domaines scientifique et industriel. La défenderesse est propriétaire de la marque de commerce numéro LMCDF05009 pour la marque OMEGA & Design. L’état déclaratif des marchandises relatif à cette marque est formulé ainsi :

1. Montres et boîtes pour montres;

 

2. Chaînes de montres, outils et accessoires ainsi que toutes fournitures et parties détachées employées dans l’horlogerie et la bijouterie y soient inclus;

 

3. Étuis et emballages, nommément : contenants sous forme de housses en tissus et boîtes; compteurs et chronographes qui servent au chronométrage sportif; et appareils techniques et scientifiques pour l’électricité, l’optique, la télégraphie, le cinéma, la radio, la téléphonie, la télégraphie, nommément: la (sic) cellules photo‑électriques, portails à contact, compteurs enregistreurs sur bande de papier, pistolets de start à contacts électriques.

 

 

[3]               La marque de commerce numéro LMCDF05009 de la défenderesse a été initialement enregistrée en 1895 et est à l’origine de trois procédures d’opposition distinctes contre les trois marques de commerce plus récentes de la demanderesse. Dans ces procédures, qui sont toujours en cours, il est allégué que les marques de commerce de la demanderesse ne sont pas enregistrables compte tenu de la marque de commerce numéro LMCDF05009 de la défenderesse.

 

[4]               Le 2 août 2001, l’avocat de la demanderesse a introduit une procédure en vertu de l’article 45 de la Loi qui permet au registraire de radier une marque de commerce pour non‑usage s’il est saisi d’une demande à cet effet. À la suite de cette procédure, une agente d’audience a supprimé une partie de l’état déclaratif de marchandises de la marque de commerce numéro LMCDF05009. En appel devant la Cour fédérale, la juge saisie de l’affaire a modifié encore une fois l’état déclaratif de marchandises, supprimant essentiellement la même partie de cet état déclaratif qui est en cause dans la présente demande.

 

[5]               En appel devant la Cour d’appel fédérale, la décision de l’agente d’audience a été rétablie. La Cour d’appel fédérale a estimé que la juge de première instance n’était pas habilitée à modifier elle-même l’état déclaratif de marchandises dans le cadre d’une procédure engagée en vertu de l’article 45. Elle a statué que, dans une procédure en radiation, la validité de l’enregistrement n’est pas en litige. Ce n’est qu’en vertu de l’article 57 que la validité d’un enregistrement peut être mise en question et que celui-ci peut être biffé ou modifié, s’il n’exprime pas ou ne définit pas exactement les droits existants du propriétaire de la marque (voir Ridout & Maybee LLP c. Omega SA et al., 2005 CAF 306, 43 C.P.R. (4th) 18).

 

[6]               Étant donné l’arrêt de la Cour d’appel fédérale, la demanderesse a introduit la présente procédure en vertu de l’article 57.

 

LES QUESTIONS À EXAMINER

[7]               Deux questions sont soumises à la Cour dans la présente demande :

a)      La description des marchandises « appareils techniques et scientifiques pour l’électricité, l’optique, la télégraphie, le cinéma, la radio, la téléphonie, la télégraphie » et des marchandises spécifiques « la (sic) cellules photo‑électriques, portails à contact, compteurs enregistreurs sur bande de papier, pistolets de start à contacts électriques » exprime-t-elle exactement les droits existants de la défenderesse en vertu de la marque de commerce numéro LMCDF05009?

 

b)      La défenderesse a-t-elle abandonné son emploi de la marque de commerce numéro LMCDF05009 en liaison avec des « appareils techniques et scientifiques pour l’électricité, l’optique, la télégraphie, le cinéma, la radio, la téléphonie, la télégraphie, nommément: la (sic) cellules photo-électriques, portails à contact, compteurs enregistreurs sur bande de papier, pistolets de start à contacts électriques »?

 

ANALYSE

La procédure prévue à l’article 57

[8]               L’article 57 de la Loi confère à la Cour fédérale la compétence exclusive pour biffer ou modifier une inscription dans le registre parce que l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque. Cette disposition prévoit une procédure sommaire par laquelle le registraire des marques de commerce ou toute autre personne intéressée peut demander à la Cour de clarifier la validité d’une marque de commerce inscrite au registre (Pitney Bowes Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce), [1993] A.C.F. no 476, 241 (C.F. 1re inst.)).

 

[9]               L’article 57 prévoit ce qui suit :

57. (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

 

57. (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the mark.

(2) Personne n’a le droit d’intenter, en vertu du présent article, des procédures mettant en question une décision rendue par le registraire, de laquelle cette personne avait reçu un avis formel et dont elle avait le droit d’interjeter appel.

(2) No person is entitled to institute under this section any proceeding calling into question any decision given by the Registrar of which that person had express notice and from which he had a right to appeal.

 

 

[10]           Il ressort clairement de l’article 57 que la procédure ne peut être introduite qu’à la demande d’une « personne intéressée ». Une « personne intéressée » est définie comme suit à l’article 2 de la Loi :

2. […]

 

« personne intéressée » Sont assimilés à une personne intéressée le procureur général du Canada et quiconque est atteint ou a des motifs valables d’appréhender qu’il sera atteint par une inscription dans le registre, ou par tout acte ou omission, ou tout acte ou omission projeté, sous le régime ou à l’encontre de la présente loi.

 

2. […]

 

“person interested” includes any person who is affected or reasonably apprehends that he may be affected by any entry in the register, or by any act or omission or contemplated act or omission under or contrary to this Act, and includes the Attorney General of Canada;

 

 

 

[11]           La jurisprudence confirme qu’il existe une condition minimale à laquelle doit satisfaire la demanderesse pour établir qu’elle est une personne intéressée (John Labatt Ltd. c. Carling Breweries Ltd.), [1974] A.C.F. no 1104, 18 C.P.R. (2d) 15 (C.F. 1re inst.)). En l’espèce, les deux parties sont propriétaires de marques similaires. De plus, la défenderesse a déjà engagé une procédure d’opposition contre la demanderesse relativement à la marque de commerce numéro LMCDF05009. Il est donc clair que la demanderesse en l’espèce est une personne intéressée capable de déposer la présente demande.

 

[12]           Dans une procédure engagée en vertu de l’article 57, il incombe au demandeur d’établir que l’enregistrement devrait être radié. Ainsi que l’a fait remarquer la défenderesse à juste titre, il y a toujours présomption qu’une marque de commerce est valide (Consorzio Del Prosciutto di Parma c. Maple Leafs Meats, [2001] 2 C.F. 536, 11 C.P.R. (4th) 48).

 

[13]           Dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée, [2006] 1 R.C.S. 824, au paragraphe 5, le juge Binnie a déclaré :

… Selon l’art. 19 de la Loi, l’enregistrement des marques des intimées est présumé valide et leur donne le droit de les employer de la façon susmentionnée.

 

Le juge Binnie a ajouté au paragraphe 15 :

… Cependant, le fardeau de démontrer l’existence d’une telle probabilité de dépréciation incombait lui aussi à l’appelante. Malgré l’indubitable renommée de la marque, il appartenait à l’appelante de prouver la probabilité de dépréciation, et non aux intimées de la réfuter ni au tribunal de la présumer.

 

[14]           En général, une demande en vue de modifier ou de biffer une inscription figurant au registre est présentée pour l’un des motifs énoncés au paragraphe 18(1) de la Loi. Toutefois, il est arrivé que la Cour modifie ou biffe une inscription figurant au registre pour d’autres motifs que ceux énoncés au paragraphe 18(1). Elle l’a fait dans des affaires où un agent avait manqué à ses obligations de fiduciaire en enregistrant la marque de commerce de son mandant à son propre nom, dans des affaires de fraude ou de fausses déclarations sur des faits importants ou dans des affaires dans lesquelles une marque a été invalidée lorsqu’elle était pour l’essentiel fonctionnelle (voir, par exemple, Ling Chi Medicine Co. (H.K.) Ltd. c. Persaud (1998), 81 C.P.R. (3d) 369 (C.A.F.), ou Andres Wines Ltd. c. E. & J. Gallo (1975), 25 C.P.R. (2d) 126 (C.A.F.)).

 

[15]           Bien que la Loi vise en partie à protéger le consommateur ainsi que le propriétaire légitime d’une marque de commerce contre la concurrence déloyale, l’article 57 a pour fonction particulière de protéger l’intérêt public en préservant l’intégrité du registre (voir Harold G. Fox, The Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3e éd. (Toronto: Carswell Co. Ltd., 1972)).

 

[16]           À la page 11-24, Fox examine aussi à quel moment il est justifié de modifier ou de biffer une inscription figurant au registre. Il écrit :

[traduction] L’article 57 de la Loi permet à la Cour de biffer ou de modifier toute inscription figurant au registre si elle n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque. Selon l’interprétation des tribunaux, ce pouvoir signifie que si l’enregistrement dans son ensemble est invalide, il sera biffé. Mais si l’enregistrement est invalide pour ce qui est de certaines marchandises seulement, l’enregistrement sera modifié en conséquence.

 

Modification d’une marque de commerce invalide

[17]           La demanderesse soutient que la Loi interdisait à l’agente d’audience, à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale de décider, dans le cadre de la procédure antérieure tenue en vertu de l’article 45, si les marchandises décrites dans l’enregistrement de la marque de commerce numéro LMCDF05009 étaient correctement associées à la catégorie générale des « appareils techniques et scientifiques pour l’électricité, l’optique, la télégraphie, le cinéma, la radio, la téléphonie, la télégraphie ».

 

[18]           Elle affirme par contre que, suivant l’article 57, la Cour peut examiner si la description des marchandises est compatible avec la catégorie des « appareils techniques et scientifiques ». Par conséquent, la Cour peut chercher à déterminer s’il y a lieu de modifier la description soit en biffant la catégorie générale au complet, soit en la remplaçant par celle que propose la demanderesse, nommément la catégorie « appareils sportifs ».

 

[19]           Sans contester le rôle de la Cour dans une procédure prévue à l’article 57, la défenderesse invoque de nombreuses raisons pour lesquelles la Cour devrait refuser de modifier le registre. Elle fait remarquer que plusieurs restrictions ont été apportées à la compétence de la Cour lorsqu’il s’agit d’intervenir au titre de l’article 57, et que la création d’une nouvelle catégorie « appareils sportifs » ne tiendrait pas compte des droits de tierces parties dont les propres marques pourraient être contrefaites si cette nouvelle catégorie était adoptée.

 

[20]           La défenderesse prétend aussi que la Cour ne peut modifier le registre que si la marque est susceptible de radiation. Par conséquent, l’article 57 permet seulement à la Cour de sauver une marque qui autrement serait invalide. La défenderesse soutient que, de toute façon, les marchandises entrent à juste titre dans la catégorie générale telle qu’elle est formulée.

 

[21]           Même si la Cour devait décider que la description des marchandises dans la catégorie générale n’est pas exacte, la défenderesse affirme que la modification proposée, « appareils sportifs », ne serait pas un remplacement satisfaisant. Le terme « sportif » est normalement associé à des produits qui sont directement utilisés par des athlètes dans leur discipline sportive. Or, la défenderesse allègue que ses produits sont destinés à mesurer la performance des athlètes.

 

[22]           Pour résumer, la demanderesse en l’espèce ne prétend pas que l’enregistrement de la marque de commerce de la défenderesse dans son ensemble est invalide. Elle soutient plutôt que la catégorie générale qui précède l’état déclaratif des marchandises ne décrit pas les marchandises qui suivent l’état déclaratif.

 

[23]           La demanderesse invoque essentiellement deux arguments à l’appui de sa requête. Premièrement, elle affirme qu’une entente mondiale conclue par les parties en 1994 (l’entente de coexistence) interdit à la défenderesse de vendre des produits qui sont visés par la description des marchandises telle qu’elle est actuellement formulée. Deuxièmement, la demanderesse s’appuie sur l’affidavit de Philip Lefebvre, directeur de Servtrotech Inc., qui démontrerait, selon elle, que même si la défenderesse a employé la marque de commerce en liaison avec les marchandises spécifiques, il n’y avait aucune preuve que ces marchandises pouvaient être décrites comme étant des appareils techniques ou scientifiques utilisés dans les domaines de l’électricité, de l’optique, de la télégraphie, du cinéma, de la radio et de la téléphonie.

 

[24]           En ce qui a trait au premier argument, je ne suis pas convaincu que l’entente de coexistence de 1994 prouve, comme le fait valoir la demanderesse, qu’il est interdit à la défenderesse d’employer la marque de commerce.

 

[25]           L’alinéa 4b) de l’entente de coexistence prévoit :

 

[traduction] OMEGA SA s’engage à ne pas employer, enregistrer ou demander que soit enregistrée une marque de commerce contenant le mot OMEGA ou la lettre grecque Ω, ou quelque élément ressemblant spécieusement à l’un ou l’autre de ces éléments, en liaison avec :

 

« Appareils industriels ou scientifiques employés pour mesurer ou contrôler des paramètres variables comme la température, la pression, la force, la charge, les vibrations, la conductivité électrique, les niveaux de liquide, l’acidité, l’humidité, la tension mécanique et le débit ». [Souligné dans l’original.]

 

[26]           À mon avis, les produits énumérés dans l’entente ne sont pas semblables aux marchandises décrites dans l’enregistrement. Alors que l’entente interdit l’emploi des produits à des fins scientifiques, elle le fait dans le contexte de la mesure ou du contrôle de paramètres variables comme la température, la pression, la force, la charge, les vibrations, la conductivité électrique, les niveaux de liquide, l’acidité, l’humidité, la tension mécanique et le débit. En l’espèce, la description des marchandises dans la présente demande vise des « appareils techniques et scientifiques pour l’électricité, l’optique, la télégraphie, le cinéma, la radio, la téléphonie, la télégraphie ». Par conséquent, les marchandises ne sont pas semblables à celles dont l’emploi est interdit aux termes de l’entente.

 

[27]           Toutefois, ainsi qu’il a été dit plus haut, la demanderesse s’appuie aussi sur l’affidavit de M. Lefebvre, souscrit aux fins de la procédure fondée sur l’article 45, comme deuxième argument à l’appui de sa demande. Plusieurs commandes pour des produits vendus sous la marque de commerce en litige sont jointes à l’affidavit de M. Lefebvre. Elles concernent la vente de différents appareils utilisés pour le chronométrage sportif, comme un portillon de départ, un pistolet de départ et un tableau indicateur numérique. D’autres produits vendus sous la marque de commerce comprennent des articles comme des appareils photo, des ordinateurs et leurs accessoires, ainsi que des trépieds. La défenderesse a allégué dans la procédure fondée sur l’article 45 que la vente de ces produits démontrait un emploi en liaison avec ces marchandises.

 

[28]           Dans la procédure fondée sur l’article 45, la juge de première instance a conclu que les produits vendus par la défenderesse n’étaient pas visés par une description aussi générale (voir Ridout & Maybee LLP c. Omega SA et al., 2004 CF 1703, 39 C.P.R. (4th) 261). Toutefois, ainsi qu’il a été souligné plus haut, cette décision a été infirmée par la Cour d’appel fédérale au motif que la validité d’un enregistrement n’est pas en litige dans une procédure fondée sur l’article 45 et qu’un juge de première instance n’a pas à analyser le libellé de l’enregistrement. Néanmoins, la Cour d’appel a déclaré dans Ridout & Maybee LLP c. Omega SA (2005), 43 C.P.R. (4th) 18, 2005 CAF 306, au paragraphe 3 :

 

… Or, la juge de la Cour fédérale, pour conclure à la radiation des marchandises et de la catégorie générale en cause, a entrepris ce genre d’analyse qui déborde le cadre de l’article 45 ainsi que la compétence de la registraire, alors qu’il y avait une preuve, reconnue et acceptée par la juge et par l’intimée, non seulement de la vente des marchandises en association avec la marque de commerce (sur lesquelles porte le monopole (art. 19 de la Loi)), mais également une preuve reliant ces marchandises à certains des domaines énumérés dans la catégorie générale.

 

[29]           À mon avis, il n’y a aucun doute que les appareils de la défenderesse sont des « appareils techniques et scientifiques » selon la définition normale qui est fournie. Il y a aussi des éléments de preuve indiquant qu’ils servent « pour l’électricité » et aussi « pour l’optique », selon les documents fournis par M. Lefebvre.

 

[30]           Ainsi qu’il a été dit plus haut, la défenderesse laisse également entendre qu’on ne peut pas invoquer une demande présentée en vertu de l’article 57 pour modifier un enregistrement de marque de commerce valide. La défenderesse cite les paragraphes 10 et 11 de la décision Patou (Jean) Inc. c. Luxo Laboratories Ltd., [1998] A.C.F. no 1910, 158 F.T.R. 16 :

La demande de radiation de la marque de commerce BOOSTER présentée par Patou soulève deux questions : a) la marque de commerce BOOSTER était-elle distinctive des marchandises de Luxo à l’époque où la présente procédure a été entamée, conformément à l’alinéa 18(1)b) de la Loi; et, le cas échéant, b), Luxo a-t-elle abandonné la marque de commerce en ne l’employant pas, ainsi que le prévoit l’alinéa 18(1)c) de la Loi?

Advenant que la marque de commerce soit jugée valide et qu’elle ne soit pas radiée, Patou demande à la Cour de rendre une ordonnance modifiant l’inscription dans le registre de telle sorte que l’emploi par Luxo de sa marque de commerce en liaison avec ses marchandises se limite au [traduction] « marché des salons de coiffure ». Cela soulève deux questions supplémentaires, l’une ayant trait à la compétence de la Cour pour accorder une telle mesure et l’autre au bien-fondé d’une telle mesure en l’espèce.

 

[31]           Au paragraphe 42 de la même décision, le juge Allan Lutfy, maintenant juge en chef, a statué :

À mon avis, le pouvoir de modifier le registre prévu au paragraphe 57(1) ne peut être exercé que lorsqu’une marque de commerce est par ailleurs susceptible d’être radiée. Le pouvoir de modifier le registre de cette façon permet à la Cour de sauvegarder une marque par ailleurs invalide et non de restreindre les droits existants du propriétaire inscrit d’une marque de commerce valide.

 

[32]           Ainsi que l’a laissé entendre la défenderesse, pour obtenir gain de cause en l’espèce, la demanderesse doit démontrer que l’enregistrement de la marque en question est invalide, mais qu’il peut quand même être préservé par une modification qui fasse état de l’emploi réel de la marque de commerce.

 

[33]           Ainsi qu’il a été mentionné au paragraphe 14, une demande en vue de modifier ou de biffer une inscription figurant au registre est normalement présentée pour l’un des motifs énoncés au paragraphe 18(1) de la Loi, dont voici le texte :

18. (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

 

a) la marque de commerce n’était pas enregistrable à la date de l’enregistrement;

 

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement;

 

c) la marque de commerce a été abandonnée.

 

Sous réserve de l’article 17, l’enregistrement est invalide si l’auteur de la demande n’était pas la personne ayant droit de l’obtenir.

 

18. (1) The registration of a trade-mark is invalid if

 

 

(a) the trade-mark was not registrable at the date of registration,

 

(b) the trade-mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced, or

 

(c) the trade-mark has been abandoned,

 

and subject to section 17, it is invalid if the applicant for registration was not the person entitled to secure the registration.

 

 

[34]           En fait, la demanderesse n’a pas plaidé le premier et le deuxième des motifs énumérés, soit le caractère enregistrable de la marque de commerce à la date de l’enregistrement et l’absence de caractère distinctif de la marque à l’époque où ont été entamées les procédures. Quant au troisième motif, à savoir que la marque de commerce a été abandonnée, il sera examiné dans la prochaine partie de notre analyse.

 

[35]           Ce que la demanderesse demande à la Cour de faire, ainsi qu’il est indiqué au paragraphe 18 de la présente décision, c’est de remplacer la catégorie générale actuelle des marchandises faisant partie de l’enregistrement valide de la défenderesse et de lui substituer une catégorie générale différente.

 

[36]           La défenderesse soutient pour sa part, et j’en conviens, que la solution proposée par la demanderesse – déclarer invalide la catégorie générale et la remplacer par une autre – n’est pas permise dans le cadre d’une demande fondée sur l’article 57, ainsi que le juge Barry L. Strayer l’a expliqué dans l’extrait suivant de la décision Royal Doulton Tableware Ltd. c. Cassidy’s Ltée, [1984] A.C.F. no 270 :

La demanderesse a également droit, comme elle le demande, à une ordonnance de radiation de l’enregistrement numéro 162829 au nom de Cassidy’s Ltd.--Cassidy’s Ltée du registre des marques de commerce. Une telle ordonnance ressort nettement de la compétence exclusive de la Cour qu’accorde le paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce.

Puis, au paragraphe 22, le juge Strayer ajoute :

L’avocat de la demanderesse a soumis, ce à quoi celui de la défenderesse s’est opposé, que je pouvais simplement substituer Paragon China Limited à Cassidy’s Ltée au titre de titulaire de l’enregistrement numéro 162829. L’avocat de la demanderesse a prétendu qu’on pourrait considérer qu’il s’agit d’une modification du registre que la Cour a le droit d’ordonner en vertu du paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce. Dans la décision Friendly Ice Cream Corp. c. Friendly Ice Cream Shops Ltd., [1972] C.F. 712; 7 C.P.R. (2d) 35 (1re inst.), le juge Heald a conclu, à la page 717 C.F.; à la page 40 C.P.R., que la Cour n’était pas compétente pour apporter une modification de cette sorte. Je souscris à cette affirmation. Si l’on examine l’esprit de la Loi sur les marques de commerce, et plus particulièrement la procédure visant l’obtention de l’enregistrement d’une marque de commerce, on constate que le Parlement envisageait l’examen de chaque déposant et, en l’espèce, Paragon China Limited ne s’est pas soumise à cette procédure. L’article 29 de la Loi, surtout, exige que le demandeur fournisse un grand nombre de renseignements au registraire, renseignements que n’a pas fournis Paragon China Limited en l’espèce. Mentionnons également l’annonce prévue à l’article 36 et la procédure d’opposition à l’enregistrement prévue à l’article 37, qui ne sont pas intervenues dans le cas présent. À mon avis, ces procédures doivent être suivies pour tout enregistrement projeté, peu importe qu’une autre demanderesse, Cassidy’s Ltée, se soit déjà conformée à ces procédures en ce qui concerne la même marque de commerce. Rien dans la Loi, ni dans la jurisprudence, ne justifie d’interpréter le pouvoir qu’a la Cour de modifier le registre comme comprenant le pouvoir d’ordonner la substitution involontaire, contrairement à un transfert d’un détenteur à un autre auquel consent le demandeur d’une marque de commerce.

 

[37]           À mon avis, la défenderesse a aussi raison lorsqu’elle fait valoir que l’article 37 de la Loi et l’alinéa 16f) du Règlement s’appliquent. En fait, comme une telle modification pourrait avoir des conséquences négatives pour les droits de tierces parties, il faudrait publier un avis afin de permettre à toute personne ayant des motifs de le faire de s’opposer à la nouvelle catégorie générale. Par conséquent, l’idée de simplement substituer une autre description correspondant davantage à ce que fait la défenderesse n’est tout simplement pas une solution acceptable.

 

[38]           En d’autres termes, l’objection de la demanderesse aurait pu à juste titre être soulevée comme moyen d’opposition, mais elle ne peut pas être acceptée dans le cadre d’une demande fondée sur l’article 57. Ainsi que nous l’avons déjà dit, la seule autre façon pour la demanderesse d’obtenir gain de cause serait de prouver l’abandon de la marque de commerce.

 

Abandon de la marque de commerce

[39]           La demanderesse a soutenu que, subsidiairement, la Cour devrait conclure que la défenderesse a abandonné sa marque de commerce en ne l’employant pas pendant une longue période de temps.

 

[40]           La Cour peut biffer ou modifier une inscription au registre lorsque l’emploi de la marque a été abandonné. Les motifs qui peuvent être invoqués à l’appui d’une telle demande sont énoncés à l’alinéa 18(1)c) de la Loi. Par souci de commodité, je répète la partie pertinente de l’article 18 :

18. (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

 

[…]

 

c) la marque de commerce a été abandonnée.

 

[…]

18. (1) The registration of a trade-mark is invalid if

 

 

[…]

 

(c) the trade-mark has been abandoned,

 

[…]

 

[41]           Il incombe à la demanderesse de prouver l’abandon visé par l’alinéa 18(1). Il est bien établi en droit que, dans une procédure fondée sur l’abandon, la demanderesse doit prouver à la fois le non‑usage de la marque et l’intention de la part du propriétaire de la marque de commerce d’abandonner la marque (Promafil Canada Ltée c. Munsingwear Inc. (1992), 44 C.P.R. (3d) 59 (C.A.F.)).

 

[42]           Autrement dit, le simple non‑usage d’une marque de commerce n’établit pas qu’elle a été abandonnée. Au non-usage doit s’ajouter l’intention d’abandonner la marque. Un défendeur peut s’opposer avec succès à une accusation d’avoir abandonné sa marque en démontrant un emploi de celle‑ci aussi minime soit-il. Une telle preuve contrera toute accusation d’abandon (Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1987), 17 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.)).

 

[43]           La demanderesse fait remarquer à juste titre que l’intention d’abandonner une marque de commerce peut être déduite d’une longue période de non-usage (Good Humor Corp. of America c. Good Humor Food Products Ltd., [1937] R.C.É. 61). Toutefois, chaque cas d’abandon est une question de fait qui doit être évaluée en fonction des circonstances. Il y d’autres facteurs dont il faut tenir compte, par exemple le fait pour le propriétaire de la marque de commerce d’avoir maintenu ou non son inscription au registre.

 

[44]           La demanderesse fait valoir que l’emploi de la catégorie générale a été abandonné. Toutefois, elle concède qu’à l’occasion de la procédure fondée sur l’article 45, l’agente d’audience et la Cour d’appel fédérale ont démontré qu’il y avait eu un emploi de la marque de commerce en liaison avec les marchandises spécifiques énumérées dans l’enregistrement, nommément « cellules photo‑électriques, portails à contact, compteurs enregistreurs sur bande de papier, pistolets de start à contacts électriques ». Il y a donc une preuve claire d’un emploi de la marque de commerce en liaison avec les marchandises spécifiques appartenant à la catégorie générale.

 

[45]           Même si la catégorie générale qui précède la description des marchandises n’est pas très précise, un demandeur a quand même le loisir de décrire en termes généraux les catégories de marchandises associées à sa marque (Kom Inc. c. Levitan, Kohl & Associates Ltd., [1991] C.O.M.C. no 19, (1991) 35 C.P.R. (3d) 121).

 

[46]           Enfin, on ne saurait examiner isolément l’état déclaratif des marchandises. Comme il y a une preuve de l’emploi de la marque de commerce en liaison avec les marchandises spécifiques énoncées à la suite de la catégorie générale, je ne crois pas que la demanderesse se soit acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver que l’emploi de la marque de commerce a été abandonné uniquement pour ce qui est de la catégorie générale.


JUGEMENT

 

  1. La demande présentée en vertu de l’article 57 est rejetée.
  2. Les dépens sont accordés à la défenderesse.

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                 T-189-06

 

INTITULÉ :                                                OMEGA ENGINEERING, INC. c. OMEGA SA      (OMEGA AG) (OMEGA LTD.)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          MONTRÉAL

 

DATE DE L’AUDIENCE :                        LE 20 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                       LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                               LE 8 DÉCEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mitchell Charness

 

POUR LA DEMANDERESSE

Barry Gamache

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ridout & Maybee

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Léger Robic Richard s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

 

 

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