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Date : 20061208

Dossier : T-1767-05

Référence : 2006 CF 1466

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

 

SHELLEY D. MARSH

 

demanderesse

 

et

 

 

GIULIANO ZACCARDELLI, COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE

ROYALE DU CANADA, LA GENDARMERIE ROYALE

DU CANADA et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Mme Marsh est un membre à la retraite de la Gendarmerie royale du Canada (la Gendarmerie ou la GRC); elle a présenté un grief à l’égard de ce qu’elle considère comme une mise à la retraite forcée. Plus précisément, elle affirme avoir été forcée de prendre sa retraite et d’accepter la réinstallation au moment du départ à la retraite sans que l’on ait étudié la possibilité de lui permettre de déménager et de continuer de faire partie de la Gendarmerie pendant une période de deux ans après le déménagement. Le comité consultatif sur les griefs (le CCG) établi en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C., 1985, ch. R‑10 (la Loi), a examiné le grief et a recommandé son rejet. Par la suite, le grief a été rejeté par un arbitre au niveau I et par un arbitre au niveau II (l’arbitre). La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision de l’arbitre de rejeter le grief au fond.

 

[2]        Mme Marsh affirme qu’à cause du retard déraisonnable à traiter son grief, l’arbitre a cessé d’avoir compétence ou qu’il a omis d’observer un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale. Mme Marsh soutient également que l’arbitre a commis une erreur de droit en concluant qu’elle devait démontrer que d’autres membres de la Gendarmerie avaient bénéficié de la réinstallation au moment du départ à la retraite tout en continuant de faire partie de la Gendarmerie. Enfin, Mme Marsh soutient que l’arbitre a en outre commis une erreur en fondant sa décision sur une conclusion de fait déraisonnable ou en omettant de tenir raisonnablement compte des éléments dont il disposait.

 

[3]        Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’arbitre n’a pas cessé d’avoir compétence et n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle.

 

FAITS PERTINENTS

[4]        Mme Marsh déclare que les faits pertinents sont les suivants. Pendant la période en cause, elle était mariée à un autre membre de la Gendarmerie. Ils étaient tous deux stationnés à la division « E », mais ils voulaient tous deux être réinstallés à la division « K » afin d’être près de leurs parents âgés.

 

[5]        Après avoir examiné l’article VI.2.P.1.b. du Manuel d’administration de la GRC (la disposition), Mme Marsh a conclu qu’elle pouvait vendre sa résidence principale, se réinstaller, acheter une nouvelle résidence dans les deux années précédant sa retraite, continuer de travailler au lieu de réinstallation pendant deux ans jusqu’à sa retraite et être admissible au remboursement des frais immobiliers et juridiques engagés dans le cadre de la vente et de l’achat des résidences.

 

[6]        Un sergent de la division « E », Affectations, a confirmé l’interprétation de Mme Marsh et lui a dit que si elle voulait agir ainsi, cela ne posait pas de problème et que des déménagements pré‑retraite de ce genre étaient effectués.

 

[7]        L’article VI.2.P.1.b du Manuel d’administration de la GRC prévoyait ce qui suit :

Le membre qui a l’intention de prendre sa retraite peut, dans les deux ans qui précèdent la date prévue du renvoi, se défaire de sa résidence principale à son lieu de renvoi et acheter une nouvelle résidence principale à son lieu de retraite, et avoir droit au remboursement des frais juridiques et des honoraires de vente d’immeuble.

 

[8]        Dans l’intervalle, on avait confirmé au mari de Mme Marsh que le déménagement lors du départ à la retraite de sa femme pouvait être utilisé pour qu’il puisse être muté à la division « K ». Le 7 juin 1999, Mme Marsh a soumis un formulaire de demande de renvoi. Le même jour, son mari a soumis une note dans laquelle il demandait à être désigné pour un poste vacant au sein de la division « K ». Le 8 juin 1999, Mme Marsh a envoyé un courriel à l’officier responsable des affectations au sein de la division « E ». Le courriel énonçait la disposition en question et disait que Mme Marsh savait que d’autres membres de la Gendarmerie avaient été autorisés à déménager avant la retraite tout en continuant ensuite de travailler pendant une période additionnelle de deux ans. Mme Marsh a reçu la réponse suivante :

[traduction] Shelly, en ce moment, à cause de problèmes financiers et de problèmes de répartition des ressources, nous n’envoyons pas de membres à une autre division à moins que cette division n’indique un besoin et qu’elle soit prête à payer le déménagement au départ et à l’arrivée. Pour l’instant, la division « K » n’a pas indiqué pareil besoin.

 

Au moment de votre départ à la retraite, vous aurez droit à un remboursement des frais immobiliers et juridiques et serez admissible. Vous n’avez pas droit à un déménagement pré‑retraite et à un nouvel emploi pour une période de deux ans.

 

[9]        Malgré l’avis qui lui a été donné au sujet de son déménagement pré‑retraite, Mme Marsh a néanmoins soumis les documents visant à lui permettre de déménager, la date à laquelle elle prendrait sa retraite étant le 1er décembre 1999. Elle affirme que la seule autre solution aurait été de rester à la division « E », loin des membres âgés ou malades de sa famille, et qu’il ne s’agissait pas d’une solution réaliste. Par conséquent, Mme Marsh a pris sa retraite à ce moment‑là, de sorte qu’elle a perdu deux années de revenu et qu’une pénalité lui a été imposée sur sa pension.

 

[10]      Le 7 juillet 1999, Mme Marsh a présenté son grief. Le CCG s’est réuni le 30 octobre 2001 et, le 4 juillet 2002, il a recommandé à l’unanimité le rejet du grief. Mme Marsh a répondu au rapport du CCG le 9 septembre 2002. Le 13 avril 2004, l’arbitre au niveau I a rejeté le grief. Le 8 juin 2004, Mme Marsh a demandé que le grief soit transmis au niveau II d’arbitrage. L’arbitre a fait connaître sa décision le 9 septembre 2005.

 

LA DÉCISION DE L’ARBITRE

[11]      L’arbitre a souscrit à la conclusion tirée par l’arbitre au niveau I, à savoir que [traduction] « tous les renseignements pertinents applicables ont été pris en considération et la plaignante n’a pas établi que les politiques et procédures de la GRC ont été appliquées d’une façon irrégulière ».

 

[12]      Quant à la question de savoir si Mme Marsh avait été traitée d’une façon juste et équitable, l’arbitre a écrit ce qui suit :

[traduction] La plaignante croit qu’il incombe à la division « E », Affectations et Personnel, de trouver, ou de l’aider à trouver, un emploi au lieu de renvoi (Edmonton). Le service des affectations et du personnel affirme avec insistance que la politique en question vise avant tout la vente d’une résidence principale et l’achat d’une nouvelle résidence principale au lieu de retraite. Toute mutation d’un membre, en ce qui concerne les dispositions de cet article, est au mieux une application inférée, et non un droit ou une obligation de la part de la GRC. Habituellement, le service des affectations et du personnel ne cherche pas d’emplois pour les membres qui prennent leur retraite. S’il existe au sein de la GRC un besoin qui coïncide avec ceux du membre qui veut prendre sa retraite, et si la chose est avantageuse pour les deux parties, le cas est pris en considération. Normalement, c’est le membre, et non le service des affectations et du personnel, qui engage ce processus.

 

Certains cas isolés ont sans doute été traités de façons différentes, mais je ne crois pas que la politique en question visait à s’appliquer au cas où le membre cherche à se réinstaller et à occuper un nouveau poste pendant une période de deux ans avant de prendre sa retraite. Il est clair selon moi que le renvoi du membre doit être effectué au lieu où il était initialement affecté lorsqu’une demande en ce sens est faite, mais non plusieurs années plus tard, au lieu de retraite.

 

La plaignante a affirmé que plusieurs autres membres ont bénéficié de ce qu’elle appelle un « déménagement pré‑retraite »; pourtant, elle n’a pas donné d’exemples précis. Étant donné la façon dont j’interprète la politique et puisque la plaignante n’a pas fourni de détails, je dois conclure, compte tenu de la documentation dont je dispose, que le membre a été traité d’une façon juste et équitable.

 

Enfin, je ne dispose d’aucun élément de preuve montrant que la plaignante a été forcée de prendre sa retraite. C’est plutôt le contraire. On lui a dit qu’il n’y aurait pas d’emploi pour elle à son lieu de retraite avant même que les documents de renvoi aient été présentés. Même après cette date, la plaignante aurait pu retirer sa demande. Or, elle ne l’a pas fait.

 

 

[13]      L’arbitre n’a pas traité de la plainte de Mme Marsh concernant [traduction] « le fait que la GRC a tardé à s’occuper de l’affaire et à y répondre ». Selon Mme Marsh, le retard constituait une [traduction] « négligence administrative ».

 

QUESTIONS EN LITIGE

[14]      Dans la présente demande de contrôle judiciaire, Mme Marsh soulève les trois questions suivantes :

1.         L’arbitre a‑t‑il cessé d’avoir compétence, a‑t‑il omis d’observer un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou une autre procédure qu’il était tenu d’observer, par suite du délai déraisonnable dans le traitement du grief?

 

2.         L’arbitre a-t-il commis une erreur de droit en concluant qu’il incombait à Mme Marsh de démontrer que d’autres membres de la GRC avaient bénéficié d’un déménagement pré‑retraite?

 

3.         L’arbitre a‑t‑il fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont il disposait?

 

[15]      Une quatrième question soulevée dans l’argumentation écrite de Mme Marsh n’a pas été poursuivie lors de l’argumentation orale. Il s’agissait de savoir si l’arbitre avait commis une erreur de droit en ne donnant pas à Mme Marsh la possibilité de prouver que d’autres membres de la GRC avaient bénéficié d’un déménagement pré‑retraite.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[16]      Mme Marsh soutient, avec raison, que des normes de contrôle différentes peuvent s’appliquer à diverses questions tranchées par l’arbitre. Elle affirme qu’une analyse pragmatique et fonctionnelle mène au résultat suivant : les questions de droit sont examinées selon la norme de la décision correcte, les questions de fait sont examinées selon la norme de la décision manifestement déraisonnable et les questions mixtes de fait et de droit sont examinées selon la norme de la décision raisonnable simpliciter.

 

[17]      Les défendeurs soutiennent que tous les éléments de l’analyse pragmatique et fonctionnelle militent en faveur d’une grande retenue à l’égard de la décision de l’arbitre, de sorte que cette décision devrait être examinée selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[18]      Étant donné que différentes normes de contrôle s’appliqueront aux questions soulevées par Mme Marsh, la norme de contrôle pour chaque erreur alléguée sera examinée ci‑dessous dans le contexte de l’analyse de chaque question.

 

[19]      Je vais maintenant examiner chacune des questions soulevées par Mme Marsh.

 

L’arbitre a‑t‑il cessé d’avoir compétence, a‑t‑il omis d’observer un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou une autre procédure qu’il était tenu d’observer, par suite du délai déraisonnable dans le traitement du grief?

[20]      S’appuyant sur les décisions NLK Consultants Inc c. British Columbia (Human Rights Commission) (1999), 17 Admin. L.R. (3d) 46 (C.S.C.‑B.), et Misra c. College of Physicians & Surgeons (Saskatchewan), [1988] 5 W.W.R. 333 (C.A. Sask.), Mme Marsh affirme qu’un délai déraisonnable peut constituer un manquement à la justice naturelle, un manquement à l’équité procédurale, un abus de pouvoir ou un abus de procédure. Elle qualifie de déraisonnable le délai qui s’est écoulé avent que son grief soit entendu et elle affirme qu’il a entraîné une perte de compétence ou un manquement à la justice naturelle et à l’équité procédurale. Il s’ensuit, selon elle, que la décision de l’arbitre devrait être annulée et que la Cour devrait ordonner :

1.         qu’elle soit réintégrée à titre de membre régulier de la GRC du 1er décembre 1999 au 1er décembre 2001;

 

2.         qu’elle touche une rémunération rétroactive du 1er décembre 1999 au 1er décembre 2001;

 

3.         que le service ouvrant droit à pension lui soit crédité pour la période du 1er décembre 1999 au 1er décembre 2001;

 

4.         qu’elle obtienne le remboursement des frais immobiliers et juridiques engagés pour s’installer à Edmonton;

 

5.         qu’elle ait droit aux dépens de la présente demande.

 

[21]      En réponse, les défendeurs soutiennent qu’il n’y a pas eu de manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale par suite de quelque délai, que Mme Marsh n’a pas subi de préjudice et que l’arbitre a expressément traité de la question du délai.

 

[22]      En ce qui concerne en premier lieu la norme de contrôle pertinente, l’analyse pragmatique et fonctionnelle ne s’applique pas à une demande de contrôle judiciaire fondée sur un manquement à l’équité procédurale. Il appartient à la cour saisie de la demande de contrôle de trancher les questions d’équité procédurale. Voir : Syndicat canadien de la fonction publique c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 100.

 

[23]      Quant à la longueur du délai, la chronologie de la procédure de présentation des griefs est la suivante :

 

•           7 juillet 1999 Mme Marsh a présenté un grief au « niveau I » en alléguant qu’elle avait droit à un déménagement pré‑retraite et qu’elle avait le droit de travailler à la division « K » pendant une période de deux ans parce que ce genre d’arrangement avait été pris avec d’autres agents de la GRC.

 

•           26 octobre 1999 – Mme Marsh a reçu une lettre rejetant (pour des raisons de protection de renseignements personnels) la demande qu’elle avait faite en vue d’obtenir des renseignements au sujet de cinq autres employés de la GRC qui avaient pris leur retraite et qui auraient utilisé leur indemnité de réinstallation en prévision de la retraite afin de déménager, tout en étant autorisés à continuer de travailler dans une autre division.

 

•           28 octobre 1999 Mme Marsh a demandé des notes, des courriels et des lettres concernant son dossier au sergent Demerath et au sergent Deevy, Affectations.

 

•           1er décembre 1999 Mme Marsh a pris sa retraite et s’est installée à Edmonton.

 

•           7 juin 2000 Mme Marsh a reçu tous les renseignements disponibles en réponse à sa demande du 28 octobre 1999. La réponse reçue précisait que certains renseignements n’existaient peut‑être plus.

 

•           27 mai 2001 Mme Marsh a donné à la GRC un aperçu des motifs du grief qu’elle avait présenté.

 

•           29 mai 2001 Une lettre interne de la GRC, de l’administration au commandant divisionnaire, indiquait que le processus de sélection des personnes qui seraient nommées pour présider l’audience relative au grief était en cours.

 

•           1er juin 2001 On a envoyé à Mme Marsh une lettre lui indiquant qui ferait partie du CCG pour entendre son grief. Mme Marsh ne s’est pas opposée aux membres proposés.

 

•           30 octobre 2001 Le CCG s’est réuni pour régler le grief de Mme Marsh.

 

•           4 juillet 2002 Le CCG a conclu que Mme Marsh n’avait pas droit à un déménagement pré‑retraite tout en continuant de travailler pour la nouvelle division. Il a également conclu que, même si certains renseignements erronés ont été donnés à Mme Marsh, les erreurs avaient été clarifiées et Mme Marsh avait décidé de prendre sa retraite après mûre réflexion.

 

•           9 septembre 2002 Mme Marsh a demandé l’examen de la décision du CCG dans le cadre de la procédure interne d’examen de la GRC, à savoir l’examen « de niveau I ».

 

•           13 avril 2004 Le sous‑commissaire Busson a refusé l’examen du grief de niveau I en concluant que Mme Marsh n’avait pas été forcée de prendre sa retraite.

 

•           8 juin 2004 Mme Marsh a demandé l’examen du grief de niveau II.

 

•           9 septembre 2005 L’examen du grief de niveau II a confirmé la décision de l’arbitre au niveau I. Mme Marsh a reçu une copie de cette décision le 13 septembre 2005.

 

•           11 octobre 2005 Mme Marsh a déposé la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[24]      Aucune preuve n’a été fournie au sujet du temps qu’il faut habituellement pour mener à bonne fin la procédure applicable aux griefs ou pour expliquer la cause de tout délai.

 

[25]      Le paragraphe 31(6) de la Loi prévoit ce qui suit :

Le membre qui constitue un niveau de la procédure applicable aux griefs rend une décision écrite et motivée dans les meilleurs délais possible après la présentation et l’étude du grief, et en signifie copie au membre intéressé, ainsi qu’au président du Comité en cas de renvoi devant le Comité en vertu de l’article 33.

As soon as possible after the presentation and consideration of a grievance at any level in the grievance process, the member constituting the level shall render a decision in writing as to the disposition of the grievance, including reasons for the decision, and serve the member presenting the grievance and, if the grievance has been referred to the Committee pursuant to section 33, the Committee Chairman with a copy of the decision.

 

 

[26]      Étant donné cette directive et le temps qu’il a fallu pour procéder à l’examen du grief au niveau I (environ 19 mois) et au niveau II (environ 15 mois), je suis prête à supposer, pour les besoins de l’analyse, que la procédure applicable aux griefs a duré longtemps et a pris plus de temps que ce que le législateur envisageait. Il s’agit ensuite de savoir si le délai a entraîné une perte de compétence ou un manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale, comme l’allègue Mme Marsh.

 

[27]      Ainsi qu’il est indiqué dans l’ouvrage intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada, Brown & Evans, (feuilles mobiles) (Toronto: Canvasback Publishing 2000), paragraphe 9:8100, un délai administratif peut être invoqué comme motif de contestation d’une mesure administrative. Toutefois, le délai en soi constitue rarement un motif de contrôle. En général, afin d’établir que le délai devient un manquement à l’obligation d’équité, le demandeur doit démontrer qu’il a subi un préjudice réel lorsqu’il s’est agi de présenter une réponse ou une défense complète (Brown et Evans, paragraphe 9:8230).

 

[28]      En l’espèce, il n’est nullement question, dans l’affidavit que Mme Marsh a déposé à l’appui de sa demande, de l’existence d’un préjudice réel. Dans son argumentation écrite, Mme Marsh décrit comme suit le préjudice qu’elle a subi :

[traduction

 

53.                   En l’espèce, il s’est écoulé près de cinq ans avant que la demanderesse sollicite l’examen de niveau II de la décision rendue par l’arbitre au niveau I. Une question cruciale, quant aux décisions rendues au niveau I et au niveau II, était que la demanderesse n’avait pas produit la preuve que certains membres avaient bénéficié d’un « déménagement pré‑retraite ». Toutefois, lors du dépôt du grief initial, il existait des éléments de preuve montrant que la demanderesse savait que certains membres avaient bénéficié d’un « déménagement pré‑retraite » en vertu de la politique. En outre, la demanderesse savait également que le sergent Deevey connaissait des membres qui avaient obtenu cet avantage.

 

54.       La demanderesse soutient que si elle avait reçu la décision de niveau I de l’arbitre « dans les meilleurs délais possibles » comme le prévoit le paragraphe 31(6) de la Loi sur la GRC, elle aurait été en mesure de soumettre d’autres éléments de preuve montrant que des membres avaient eu droit au « déménagement pré‑retraite ». Toutefois, à cause du délai de cinq ans, la demanderesse a subi un préjudice, en ce sens qu’elle a quitté Burnaby et que des témoins peuvent avoir déménagé et des documents pertinents avoir été perdus. En outre, même si les témoins pouvaient être trouvés, il n’est pas certain qu’ils pourraient maintenant fournir la preuve qui existait lors de la présentation du grief. Comme l’a dit le juge Lawton dans la décision Douglas c. Saskatchewan (Human Rights Commission) :

 

Dans notre société qui est caractérisée par la mobilité, il est raisonnable de supposer qu’il peut être difficile de trouver les témoins. Je crois que la mémoire s’efface, et ce, pas seulement chez les gens âgés [...]

 

            Douglas c. Saskatchewan (Human Rights Commission), (1989), 79 Sask. R. 44 (B.R. Sask.), paragraphe 25.

 

            Loi sur la GRC, précitée, paragraphe 1.

 

55.     À cause du délai qui s’est écoulé avant qu’elle reçoive la décision de l’arbitre au niveau I, la demanderesse n’a pas pu avoir accès à des témoins qui auraient été autrement disponibles. Par conséquent, la demanderesse a subi un préjudice réel lorsqu’il s’est agi de présenter une preuve à l’appui de sa prétention selon laquelle d’autres membres avaient bénéficié du « déménagement pré‑retraite ».

 

[29]      Il est exact, comme l’affirme Mme Marsh, qu’au moment où elle a initialement présenté son grief, elle croyait que certains membres avaient bénéficié d’un « déménagement pré‑retraite ». Cette question a été soulevée dans sa lettre du 15 septembre 2000, qui faisait partie des documents destinés au CCG. Dans cette lettre, Mme Marsh a fait remarquer que, dans le cadre de la présentation de son grief, elle avait cherché à obtenir les noms et numéros matricules des membres qui avaient bénéficié d’un déménagement pré‑retraite tout en continuant de travailler pendant deux ans. Elle a été informée qu’au sein de la division « E », cinq membres avaient bénéficié de cet avantage, mais que leurs noms étaient protégés parce qu’il s’agit de renseignements confidentiels.

 

[30]      Étant donné que, dans le cadre de la procédure de présentation du grief, Mme Marsh avait demandé et obtenu certains renseignements au sujet de membres qui avaient bénéficié d’un déménagement pré‑retraite et qu’elle avait soumis ces renseignements au CCG, je conclus que la preuve n’étaye pas l’argument qu’elle invoque, à savoir que si ce n’avait été du délai, elle aurait été en mesure de soumettre d’autres éléments de preuve au sujet de membres qui avaient bénéficié d’un déménagement pré‑retraite. On ne sait pas quels autres éléments de preuve Mme Marsh aurait pu, le cas échéant, obtenir. En présentant son grief, Mme Marsh s’était déjà prévalue du droit qui lui était conféré par le paragraphe 31(4) de la Loi de « consulter la documentation pertinente placée sous la responsabilité de la Gendarmerie et dont [elle avait] besoin pour bien présenter son grief ».

 

[31]      De même, je conclus que les arguments de Mme Marsh, à savoir que des témoins peuvent avoir déménagé, des documents avoir été perdus et les souvenirs des témoins s’être estompés, sont des affirmations non spécifiques qui n’établissent pas l’incapacité de prouver des faits essentiels à cause de l’écoulement du temps.

 

[32]      Je conclus donc que Mme Marsh n’a pas réussi à établir, dans la présente demande, qu’elle a subi un préjudice par suite du délai.

 

[33]      Mme Marsh soutient aussi qu’il n’est pas nécessaire qu’elle démontre l’existence d’un préjudice réel parce que le préjudice peut, dans certains cas, être inféré. Elle appuie sa thèse sur les décisions rendues dans NLK Consultants, précitée, et dans MacPhee c. Barristers’ Society of New Brunswick (1983), 5 Admin. L.R. 240 (B.R.N.‑B.).

 

[34]      Ces décisions sont toutefois antérieures à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Blencoe c. Colombie‑Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, un arrêt auquel la Cour a référé les parties pendant les plaidoiries. Dans l’arrêt Blencoe, la Cour a examiné s’il existait une réparation en vertu des principes du droit administratif lorsque le délai survenait dans le contexte de procédures en matière de droits de la personne. Compte tenu de la conclusion de fait tirée en première instance, à savoir que le préjudice résultant du délai n’avait pas été établi, les juges de la majorité ont examiné si le délai pouvait constituer un déni de justice naturelle ou un abus de procédure même si le plaignant n’avait pas subi aucun préjudice sur le plan de la preuve.

 

[35]      Au paragraphe 121, les juges de la majorité ont conclu ce qui suit :

Pour qu’il y ait manquement à l’obligation d’agir équitablement, le délai doit être déraisonnable ou excessif (Brown et Evans, op. cit., à la p. 9‑68). Le délai ne constitue pas en soi un abus de procédure. La personne visée par des procédures doit établir que le délai était inacceptable au point d’être oppressif et de vicier les procédures en cause.

 

[36]      En l’espèce, j’estime que la preuve n’établit pas un délai suffisant pour vicier les procédures. Il s’ensuit que le motif de contrôle fondé sur le délai doit être rejeté.

 

[37]      À mon avis, il y a deux autres raisons pour lesquelles ce motif de contrôle doit être rejeté. L’une découle de considérations de principe et l’autre de la nature de la réparation demandée.

 

[38]      En ce qui concerne les considérations de principe, c’est uniquement devant l’arbitre que Mme Marsh a exprimé ses inquiétudes au sujet du délai. Elle les a expliquées de la manière suivante :

[traduction] Étant donné que j’ai respecté tous les délais de réponse fixés par la politique de la GRC concernant la procédure de présentation des griefs, je suis également lésée compte tenu du temps que la GRC a mis pour traiter mon grief et y répondre. Il y a maintenant cinq ans que le grief a été présenté, ce qui démontre la négligence administrative de la GRC lorsqu’il s’est agi de régler l’affaire avec célérité.

 

[39]      Les observations de Mme Marsh ne comportent aucune allégation de préjudice. En outre, rien ne montre que Mme Marsh a cherché à accélérer le processus ou à exiger une décision.

 

[40]      Il faut se rappeler que la réparation habituelle pour une personne qui est lésée par suite du temps qui est mis pour arriver à une décision est un mandamus ou la suspension des procédures (selon que la personne en cause est la partie requérante ou la partie intimée). Ce qui me préoccupe, c’est que Mme Marsh n’a pris aucune mesure pour accélérer le cours des choses ou pour exiger la décision en question, mais qu’elle a simplement attendu que cette décision soit rendue. Après avoir appris qu’une décision défavorable avait été rendue, Mme Marsh affirme maintenant que l’arbitre a cessé d’avoir compétence à cause du délai.

 

[41]      À mon avis, de la même façon qu’une objection fondée sur la partialité doit être soulevée en temps opportun, les considérations de principe exigent que toute plainte fondée sur le délai soit présentée et qu’il y soit donné suite avant que la décision finale soit rendue.

 

[42]      Cet avis cadre bien avec les remarques de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Gill c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1984] 2 C.F. 1025. En effet, dans le contexte de ce qui a été qualifié de « retard extraordinaire mis par les bureaucrates », la Cour a dit :

Ce qui ne veut cependant pas dire qu’à mon avis, l’administration peut, par sa simple inaction, anéantir des droits qu’on a, de toute évidence, voulu conférer. Il se peut que l’obligation d’agir équitablement récemment dégagée, et imposée maintenant à l’administration, comporte celle de ne pas tarder déraisonnablement; ou, vu sous un angle plus positif, il se peut que l’obligation procédurale d’agir équitablement comporte celle d’agir dans un délai raisonnable. Il ne s’ensuit nullement toutefois que l’inexécution de cette obligation justifie l’annulation de l’acte tardif lorsqu’enfin il a lieu. Sûrement le recours approprié doit consister à obliger à agir avec diligence plutôt qu’à annuler l’acte qui, bien que tardif, peut néanmoins être fondé.

[Non souligné dans l’original.]

 

[43]      Quant à la seconde raison, qui se rapporte à la nature de la réparation demandée, dans le contexte du délai et du préjudice invoqués par Mme Marsh, il serait illogique de simplement annuler la décision de l’arbitre et de renvoyer l’affaire pour qu’un autre décideur reprenne celle‑ci depuis le début. De fait, c’est la raison pour laquelle Mme Marsh demande plutôt à la Cour d’accorder la réparation qu’elle a sollicitée devant l’arbitre, telle qu’elle est plus particulièrement énoncée ci‑dessus au paragraphe 18.

 

[44]      Cette réparation est demandée en vertu de la compétence conférée à la Cour par l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, qui prévoit ce qui suit :

Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

[...]

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

 

On an application for judicial review, the Federal Court may

 

[...]

 

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

 

 

[45]      Je reconnais que, conformément à la compétence qui lui est conférée, il y a des circonstances dans lesquelles la Cour donnera, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, des directives qui sont si précises qu’elles obligeront l’office fédéral à arriver à une conclusion précise. Voir, par exemple, Turanskaya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 145 D.L.R. (4th) 259 (C.A.F.). Dans la décision Ali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 3 C.F. 73, la Cour a examiné dans quelles circonstances une telle directive devrait être donnée. Au paragraphe 18, elle a énoncé les facteurs pertinents :

 

·        Les preuves versées au dossier sont‑elles si nettement concluantes qu’il s’agit de la seule conclusion possible?

·        La seule question à trancher est‑elle une pure question de droit, concluante aux fins de la cause?

·        La question de droit est‑elle fondée sur des preuves incontestées et sur des faits qui sont admis?

·        L’affaire dépend‑elle d’une question de fait sur laquelle la preuve est partagée?

 

[46]      À mon avis, pour les motifs énoncés ci‑après, la présente espèce n’est pas visée par les critères susmentionnés qui s’appliquent lorsqu’il s’agit de donner des directives précises.

 

[47]      Premièrement, il n’est pas tout à fait évident selon moi que la disposition doive être interprétée comme Mme Marsh l’affirme. À première vue, cette disposition ne fait aucune mention du droit d’un membre d’être muté à une autre division dans le cas d’un déménagement pré‑retraite. Elle traite uniquement du remboursement des frais immobiliers et juridiques lorsqu’une résidence principale est vendue au lieu du renvoi et qu’une nouvelle résidence est acquise au lieu de retraite. La disposition doit être interprétée dans le contexte de l’article D.3 du Manuel de la gestion des carrières de la GRC, qui précise ce qui suit :

Dans la planification des mutations latérales, on tiendra compte des circonstances et des ambitions du membre; mais les besoins de la GRC ont préséance.

 

[48]      Il n’est donc pas clair que Mme Marsh interprète la politique correctement.

 

[49]      Deuxièmement, la preuve n’établit pas que la disposition a été appliquée d’une façon inéquitable ou discriminatoire, et ce, parce que dans la réponse au grief de Mme Marsh, la personne devant répondre au grief, l’inspecteur Boland (le répondant), a fait remarquer que, s’il existe au sein de la GRC un besoin qui coïncide avec celui d’un membre qui veut prendre sa retraite et que la chose est avantageuse pour les deux parties, la question est étudiée en fonction de ces circonstances. Il a également fait remarquer que, dans le cas de Mme Marsh, ni la division « E » ni la division « K » ne voulaient financer la mutation d’un membre d’une division à l’autre. Cette preuve n’a pas été contredite par Mme Marsh et, par conséquent, il y a au moins une preuve contradictoire au sujet de l’application de la disposition.

 

[50]      Par conséquent, je conclus que, même si une erreur susceptible de contrôle est établie, il ne convient pas ici de donner des directives précises. La réparation possible serait limitée à l’annulation de la décision et au renvoi de l’affaire pour nouvelle décision. Si aucune autre erreur susceptible de contrôle n’est constatée, il serait à mon avis futile de renvoyer l’affaire simplement à cause du délai.

 

L’arbitre a-t-il commis une erreur de droit en concluant qu’il incombait à Mme Marsh de démontrer que d’autres membres de la GRC avaient bénéficié d’un déménagement pré‑retraite?

[51]      L’arbitre a souscrit à la conclusion tirée par l’arbitre au niveau I, à savoir que Mme Marsh n’avait pas établi que, dans son cas, les politiques et procédures de la GRC avaient été appliquées d’une façon inappropriée. Dans le passage de sa décision qui a été reproduit plus haut au paragraphe 12, l’arbitre a ensuite examiné si Mme Marsh avait été traitée d’une façon équitable. Après avoir souligné que des cas isolés avaient été traités de façons différentes, l’arbitre a donné son interprétation de la disposition, c’est‑à‑dire qu’elle ne visait pas à traiter du cas où un membre demandait une réinstallation pour occuper un nouveau poste deux ans avant de prendre sa retraite. L’arbitre a ensuite conclu, en se fondant sur son interprétation de la politique et sur le fait que Mme Marsh n’avait produit aucun élément de preuve, que Mme Marsh avait été traitée d’une façon juste et équitable.

 

[52]      Mme Marsh soutient que l’arbitre a commis une erreur de droit en concluant qu’il lui incombait de prouver que d’autres membres de la Gendarmerie avaient été traités d’une façon plus favorable et qu’il s’agit d’une erreur de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte.

 

[53]      Je conviens que l’arbitre a conclu que Mme Marsh avait la charge de la preuve et qu’il s’agit d’une conclusion de droit susceptible d’être révisée selon la norme de la décision correcte.

 

[54]      Quant à la question de savoir si la conclusion est correcte, Mme Marsh fait valoir que la charge de la preuve peut passer à la partie adverse lorsqu’une partie a présenté une preuve prima facie de ce qu’elle avance ou lorsque seule la partie adverse a accès aux renseignements pertinents.

 

[55]      En ce qui concerne le premier scénario, Mme Marsh fait remarquer que les documents remis au CCG contenaient les renseignements suivants :

 

·        Le sergent Deevey lui avait dit que des membres avaient présenté des demandes de renvoi, avaient vendu leur résidence principale, s’étaient réinstallés, avaient acheté une nouvelle résidence moins de deux ans avant de prendre leur retraite et avaient continué de travailler pendant deux ans avant la date de leur retraite.

·        Mme Marsh était au courant de cette situation.

 

[56]      De plus, l’arbitre a reconnu que [traduction] « certains cas isolés [avaient] été traités de façons différentes ».

 

[57]      Je conviens qu’en droit, s’il s’agissait du seul élément de preuve dont disposait l’arbitre, la charge de la preuve serait passée au répondant, celui‑ci devant produire une preuve en réponse. Toutefois, le répondant a soumis les renseignements suivants au CCG (lesquels faisaient partie du dossier aux niveaux subséquents d’examen) :

[traduction] La politique en question vise avant tout la vente d’une résidence principale et l’achat d’une nouvelle résidence principale au lieu de retraite. Toute mutation d’un membre, en ce qui concerne les dispositions de cet article, est au mieux une application inférée, et non un droit ou une obligation de la part de la GRC. Habituellement, le service des affectations et du personnel ne cherche pas d’emplois pour les membres qui prennent leur retraite. S’il existe au sein de la GRC un besoin qui coïncide avec ceux du membre qui veut prendre sa retraite et si la chose est avantageuse pour les deux parties, le cas est pris en considération. Normalement, c’est le membre, et non le service des affectations et du personnel, qui engage ce processus.

 

[...]

 

Le 8 juin 1999, la gendarme Marsh a envoyé au surintendant Schlecker un courriel (A‑8) dans lequel elle mentionnait le Manuel d’administration VI.2.P.1.b et affirmait qu’elle savait que d’autres membres avaient été autorisés à effectuer un déménagement pré‑retraite tout en continuant de travailler pendant une période additionnelle de deux ans. Elle a demandé à la division « E », Affectations et Personnel, de communiquer avec la division « K », Affectations et Personnel, pour savoir s’il y avait un poste qu’elle pourrait occuper. Le surintendant Schlecker lui a répondu le même jour par courriel (A‑8) que la division « E » ne renvoyait pas ses membres pour qu’ils aillent travailler dans une autre division, à moins que cette division n’identifie un besoin et qu’elle soit prête à payer le déménagement au départ et à l’arrivée. Il a en outre déclaré que la division « K » n’avait pas indiqué qu’il existait un tel besoin. Le surintendant Schlecker a informé la gendarme Marsh qu’elle obtiendrait le remboursement des frais immobiliers et juridiques, mais qu’elle n’avait pas droit à un déménagement pré‑retraite et à un nouveau poste pendant une période de deux ans.

 

[...]

 

Dans certaines circonstances, les membres bénéficient d’un déménagement pré‑retraite, mais cela se produit surtout lorsqu’il existe un besoin opérationnel au sein d’une division et que cela correspond aux besoins du membre qui veut prendre sa retraite. Il ne serait pas sain pour le service des affectations et du personnel d’envisager des mutations pré‑retraite entre divisions et, à ma connaissance, cela ne se fait pas.

 

J’aimerais souligner que l’article 3.D.3.a du Manuel de la gestion des carrières prévoit ce qui suit : « Dans la planification des mutations latérales, on tiendra compte des circonstances et des ambitions du membre; mais les besoins de la GRC ont préséance. » (A-12)

 

La demande que la gendarme Marsh a faite pour obtenir un poste au sein de la division « K » lui permettant d’effectuer un déménagement pré‑retraite ne répondait pas aux besoins organisationnels de l’époque, en ce sens que ni la division « K » ni la division « E » ne voulaient financer une mutation de ce genre. Le surintendant Schlecker a immédiatement informé la gendarme Marsh de la position qui était prise, lorsqu’elle a posé une question ou qu’elle a fait une demande sur ce point. La division « E », Affectations et Personnel, n’a aucunement induit la gendarme Marsh en erreur. S’il arrive, dans certaines circonstances, que des mutations pré‑retraite sont envisagées, c’est habituellement dans des cas où la GRC paie pour la mutation (soit un cas qui n’est pas prévu par les dispositions du Manuel d’administration, VI.P.1.b., mais qui est visé par les conditions régulières applicables aux mutations) en vue de répondre à un besoin existant au sein de l’organisation. Or, dans le cas de la gendarme Marsh, ni la division « K » ni la division « E » n’envisageaient cette solution.

 

[58]      Dans ces conditions, je suis convaincue que le répondant a satisfait à toute obligation qui lui incombait sur le plan de la preuve et que l’arbitre n’a pas commis d’erreur de droit en concluant que Mme Marsh ne s’était pas acquittée de l’obligation qui lui incombait sur le plan de la preuve et au point de vue juridique. Mme Marsh n’a produit aucune preuve au sujet d’une personne qui aurait été autorisée à déménager pour occuper un nouveau poste à son lieu de retraite, dans un cas où la situation de cette personne était semblable à la sienne.

 

[59]      Mme Marsh a également raison de dire qu’en droit, dans certaines circonstances où la charge de la preuve dans son ensemble incombe au demandeur, cette charge peut passer au défendeur si lui seul a accès aux renseignements pertinents. Mme Marsh affirme que [traduction] « [l]orsqu’elle a constaté que la question de savoir si certains membres avaient droit à un "déménagement pré‑retraite" faisait problème, la GRC avait l’obligation soit de fournir des renseignements, sur lesquels elle exerçait un contrôle, établissant l’existence de ce type de déménagement soit de produire en contre‑preuve des renseignements établissant que ce type de déménagement n’existe pas ».

 

[60]      Les renseignements fournis par l’inspecteur Boland en réponse au grief sont énoncés en partie au paragraphe 57. L’inspecteur Boland était l’officier responsable de la politique, du recrutement, des affectations et du personnel. Les renseignements qu’il a fournis étaient notamment les suivants : [traduction] « Il ne serait pas sain, pour le service des affectations et du personnel, d’envisager des mutations pré‑retraite entre divisions et, à ma connaissance, cela ne se fait pas ». À mon avis, cela satisfait à l’obligation de produire une réponse aux renseignements que Mme Marsh a fournis dans son grief. L’arbitre n’a pas commis d’erreur en concluant que la charge de la preuve incombait encore à Mme Marsh. S’il avait tiré une conclusion contraire et s’il avait exigé plus du répondant, ce dernier aurait été obligé de prouver une proposition négative, c’est‑à‑dire de prouver que les déménagements du genre allégué par Mme Marsh n’avaient pas lieu dans les circonstances qu’elle alléguait.

 

L’arbitre a‑t‑il fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont il disposait?

[61]      À cet égard, Mme Marsh signale trois cas où une erreur susceptible de contrôle a selon elle été commise.

 

[62]      Premièrement, en ce qui concerne le passage des motifs de l’arbitre qui est reproduit au paragraphe 12, Mme Marsh affirme que l’arbitre a statué qu’elle n’avait pas fourni de preuve que d’autres membres avaient bénéficié d’un déménagement pré‑retraite. Cette conclusion ne tiendrait pas compte de la preuve selon laquelle Mme Marsh affirmait savoir que d’autres membres avaient soumis des demandes de renvoi, avaient vendu leur résidence et avaient ensuite acheté une nouvelle résidence au lieu de retraite au cours de la période de deux ans précédant leur retraite et avaient ensuite continué de travailler pendant deux ans; de plus, le sergent Deevey avait confirmé ces faits à Mme Marsh et l’arbitre a reconnu que certains « cas isolés » avaient été traités de façons différentes.

 

[63]      À mon humble avis, il n’est pas exact d’affirmer que l’arbitre n’a pas tenu compte de cette preuve et qu’il a plutôt statué qu’aucune preuve n’avait été produite. Comme l’a dit l’arbitre, Mme Marsh [traduction] « n’a pas donné d’exemples précis ». L’arbitre n’a pas dit que Mme Marsh n’avait pas produit de preuve et Mme Marsh n’a pas donné d’exemples précis montrant qu’elle en avait produit une.

 

[64]      Deuxièmement, Mme Marsh soutient que l’arbitre a conclu que la politique ne visait pas [traduction] « les cas où le membre cherche à se réinstaller et à occuper un nouveau poste pendant une période de deux ans avant de prendre sa retraite » sans tenir compte de la preuve indiquant que certains membres utilisaient la politique de cette façon. Selon Mme Marsh, cette preuve étayait l’argument que la politique visait expressément ou implicitement ce type de déménagement.

 

[65]      L’interprétation qu’a donnée l’arbitre de la politique était conforme au sens clair de cette politique et à l’article D.3 du Manuel de la gestion des carrières de la GRC, susmentionné. Elle était également conforme à la preuve dont l’arbitre disposait, à savoir qu’il pouvait y avoir des cas où des membres avaient bénéficié d’un déménagement pré‑retraite, mais que cela s’était principalement produit en raison d’un besoin opérationnel au sein d’une division et qu’à la connaissance de l’inspecteur Boland, les considérations liées à une mutation pré‑retraite d’une division à l’autre n’étaient généralement pas prises en considération.

 

[66]      Étant donné que l’interprétation de l’arbitre était étayée par la preuve et que la preuve présentée par Mme Marsh n’était pas incompatible avec cette preuve, je ne suis pas convaincue que l’arbitre a interprété la disposition en question sans tenir compte de la preuve dont il disposait. L’arbitre ne disposait daucun élément qui établissait que la disposition en question avait déjà été utilisée de la façon expressément alléguée par Mme Marsh.

 

[67]      Enfin, Mme Marsh affirme que l’arbitre n’a pas tenu compte du fait que cinq années s’étaient écoulées depuis qu’elle avait présenté son grief et qu’il n’a pas pris en considération ou apprécié le délai ni l’effet préjudiciable qu’il a eu sur sa capacité de recueillir des éléments de preuve à l’appui de son grief.

 

[68]      J’ai déjà exposé au paragraphe 38 ci‑dessus, toutes les observations présentées par Mme Marsh au sujet du délai. Mme Marsh n’a soumis aucune observation indiquant qu’elle voulait obtenir ou qu’elle avait essayé d’obtenir d’autres renseignements, mais que ses efforts avaient été vains par suite du délai. En fin de compte, j’estime que l’arbitre n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en n’examinant pas une question qui n’avait pas été soulevée devant lui.

 

[69]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[70]      Les défendeurs sollicitent les dépens. Or, en droit, les dépens suivent généralement l’issue de la cause. Toutefois, en l’espèce, l’avocat des défendeurs a été incapable d’indiquer quelque élément que ce soit qui explique ou justifie le temps qu’il a fallu pour mener à bonne fin la procédure de présentation des griefs. Même si j’estime qu’un tel délai ne justifie pas l’annulation de la décision, j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire en matière de dépens pour conclure qu’à cause de ce délai, il est justifié de priver les défendeurs de leurs dépens. Chaque partie devra assumer ses propres dépens.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

 

La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans que des dépens soient adjugés à l’une ou l’autre partie.

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1767-05

 

INTITULÉ :                                                   SHELLEY D. MARSH

                                                                        c.

                                                                        GIULIANO ZACCARDELLI, COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA,

                                                                        et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 20 JUIN 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT 

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 8 DÉCEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

J. Cameron Prowse, c.r.

POUR LA DEMANDERESSE

 

Robert Drummond

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Prowse Chowne LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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