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Date : 20061212

Dossier : IMM-951-06

Référence : 2006 CF 1487

Toronto (Ontario), le 12 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

 

ENTRE :

TANIA ELISA SEGURA CORTES

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Tania Elisa Segura Cortes (la demanderesse), citoyenne du Mexique, a présenté une demande d'asile à titre de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger en invoquant sa crainte de Luis Antonio Castillo Flores (Luis), un ancien petit ami, et l'absence de protection adéquate de l’État au Mexique.

 

[2]               La demanderesse et Luis vivaient ensemble depuis septembre 2001. Leur relation s'est détériorée; Luis a commencé à maltraiter la demanderesse et il ne la laissait pas quitter la maison sans lui. La demanderesse s'est enfuie chez sa cousine le 3 novembre 2004. Sur les conseils d'un avocat, elle n'a pas porté d'accusations. Lorsque Luis a découvert la chose et lui a fait de nouvelles menaces, la demanderesse a décidé de demander l'asile au Canada. Elle est arrivée au Canada le 23 avril 2005 et elle a demandé l'asile le 12 mai 2005. Elle n'a jamais cherché à obtenir l'aide des autorités mexicaines.

 

[3]               Pendant que la demanderesse était au Canada, sa soeur a déposé une plainte à Mexico le 17 juillet 2005. D’après le rapport de police une enquête devait être menée, mais la demanderesse a déclaré que la police n'a pris aucune mesure.

 

[4]               La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé la demande d'asile en concluant que la demanderesse n'avait pas établi l'absence de protection de l'État au Mexique.

 

[5]               La demanderesse sollicite l'annulation de cette décision en soulevant deux points, à savoir :

a.                   la Commission n'a pas déterminé si elle était visée par l'exception (applicable aux personnes qui n'ont pas signalé aux autorités locales qu'elles étaient persécutées) énoncée dans l'arrêt P.G. du Canada c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689;

 

b.                  la Commission n'a pas examiné tous les éléments de preuve dont elle disposait.

 

[6]               À mon avis, la demande ne peut pas être accueillie parce que la demanderesse a mal compris la charge qui lui incombait. Le paragraphe pertinent de l'arrêt Ward, précité, est rédigé comme suit :

Il s'agit donc de savoir comment, en pratique, un demandeur arrive à prouver l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable de son refus de solliciter réellement cette protection. D'après les faits de l'espèce, il n'était pas nécessaire de prouver ce point car les représentants des autorités de l'État ont reconnu leur incapacité de protéger Ward. Toutefois, en l'absence de pareil aveu, il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cours desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée. En l'absence d'une preuve quelconque, la revendication devrait échouer, car il y a lieu de présumer que les nations sont capables de protéger leurs citoyens. La sécurité des ressortissants constitue, après tout, l'essence de la souveraineté. En l'absence d'un effondrement complet de l'appareil étatique, comme celui qui a été reconnu au Liban dans l'arrêt Zalzali, il y a lieu de présumer que l'État est capable de protéger le demandeur.

 

 

[7]               Il incombe à la demanderesse d'établir l'absence de protection de l'État. Dans des cas comme l'espèce, où elle n'a pas demandé l'aide des autorités locales, la demanderesse a également la charge d'établir qu'elle est visée par l'exception mentionnée dans l'arrêt Ward, telle qu'elle est énoncée ci‑dessus. La demanderesse soutient qu'il incombe à la Commission de déterminer si elle est visée par l'exception; elle s'appuie à cet égard sur la décision Tufino (alias M.L.R.T.) c. Canada (MCI), 2005 CF 1690, où le juge Campbell a dit ce qui suit :

La demanderesse est citoyenne du Mexique. Le dossier produit devant la Commission contient des preuves solides indiquant que, au Mexique, la police ne protège pas les femmes qui ont été victimes de violence dans le cadre d'une relation. Dans ses motifs, la Commission a correctement conclu que la demanderesse était tenue de solliciter la protection de l'État « à moins qu'il ne soit objectivement déraisonnable de le faire » (à la p. 5 de la décision). Cependant, en rejetant la demande d'asile présentée par la demanderesse en vertu de la LIPR, la Commission n'a pas appliqué le critère pertinent : elle devait analyser la réalité de la protection de l'État du Mexique, et décider si les raisons pour lesquelles la demanderesse s'est abstenue de la solliciter étaient raisonnables.

 

 

[8]               À mon avis, la décision Tufino ne peut pas étayer cette thèse étant donné que cela irait complètement à l'encontre d'une longue série de décisions portant sur la question de la charge de la preuve. Je peux uniquement supposer que les « preuves solides » dont il est question dans la décision Tufino répondent aux deux fardeaux qui incombent au demandeur en pareil cas.

 

[9]               En ce qui concerne l'allégation selon laquelle la Commission n'a pas examiné tous les éléments de preuve dont elle disposait, je souligne que la Commission a répété à deux reprises qu'elle avait examiné toute la preuve. En particulier, elle avait consulté les rapports les plus récents de la CISR et du Département d'État sur la situation du pays. De plus, elle a volontiers reconnu à l’audition que la protection des femmes contre la violence familiale constitue un problème au Mexique. Toutefois, la Commission a examiné tous ces éléments en tenant compte du fait que la demanderesse n'avait pas communiqué avec les autorités locales. Dans ces conditions, le passage suivant de l'ordonnance rendue par la juge Heneghan dans l'affaire Palomares c. M.C.I., dossier IMM‑5447‑05, est tout à fait pertinent :

[traduction] Dans ses arguments, la demanderesse principale met l'accent sur la façon dont la Commission a traité de la question de la protection de l'État et, en particulier, sur la façon dont elle a évalué la preuve documentaire.

 

Cette position suscite un problème : elle ne tient pas compte de la preuve non contredite selon laquelle la demanderesse principale n'a jamais demandé la protection de l'État pendant qu'elle habitait avec son conjoint au Mexique. La Commission a entendu le témoignage de la demanderesse. La Commission est tenue de soupeser la preuve. Il ne suffit pas pour la demanderesse principale de mentionner la preuve documentaire qui, à vrai dire, n'est pas claire en ce qui concerne la façon dont l'État répond à la violence familiale et d'affirmer que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle dans son cas.

 

Compte tenu de la preuve et notamment du témoignage personnel de la demanderesse principale, il était raisonnablement loisible à la Commission d'arriver aux conclusions qu'elle a tirées. En l'absence d'une preuve suffisante étayant les arguments de la demanderesse, rien ne permet une intervention judiciaire.

 

[10]           Pour tous ces motifs, je conclus que la décision de la Commission était raisonnable et la demande ne peut donc pas être accueillie.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

 

« Konrad W. von Finckenstein »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-951-06

 

INTITULÉ :                                                   TANIA ELISA SEGURA CORTES

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 12 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE von FINCKENSTEIN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 12 DÉCEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ron Shacter

POUR LA DEMANDERESSE

 

Bridget O'Leary

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Maureen Silcoff

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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