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Date : 20061212

Dossier : IMM-7724-05

Référence : 2006 CF 1477

 

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

YOLANDO HURTADO
MARIA JUVY HURTADO
CARLO HURTADO
VENSON HURTADO

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

(concernant l’ajournement de la demande visant à permettre aux parties

de déposer des observations supplémentaires)

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Section d’appel), en date du 13 décembre 2005, a été entendue par la Cour le 29 novembre 2006.

Contexte

[2]               Le demandeur Yolando Hurtado a parrainé la demande de résidence permanente de sa femme et de ses enfants. Un agent des visas a tout d’abord rejeté la demande, le 30 avril 2003, en vertu de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Dans sa lettre de refus, l’agent des visas a fait remarquer ce qui suit :

[traduction] Vous avez épousé votre répondant le 21 mai 1990 et votre fils Carlo est né le 22 mai 1991. Votre répondant a présenté une demande de résidence permanente, résidence qui lui fut accordée le 23 novembre 1992. Sa fiche relative au droit d’établissement indique « célibataire » comme état matrimonial, et il a déclaré ne pas avoir d’enfants à charge l’accompagnant. D’après ces renseignements, je conclus que vous n’avez pas fait l’objet d’un contrôle à l’égard de la demande de résidence permanente de votre répondant. De ce fait, je conclus, en vertu de l’alinéa 117(9)d) du Règlement, qu’aucun de vous n’est, à l’égard de votre répondant, membre de la catégorie du regroupement familial.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[3]               M. Hurtado a interjeté appel de ce premier refus devant la Section d’appel. L’avocate du ministre a écrit à la Section d’appel le 31 juillet 2003 afin de lui recommander d’accueillir l’appel parce qu’il y avait des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. La Section d’appel a rejeté la recommandation au motif qu’elle n’avait pas compétence pour accueillir l’appel parce que l’article 65 de la Loi ne lui permet de prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire que si elle a déterminé que l’étranger fait bien partie de la catégorie du regroupement familial.

[4]               Le 22 octobre 2003, les demandeurs ont retiré leur appel et ont demandé un réexamen pour des motifs d’ordre humanitaire. Le 18 mars 2005, la demande a été rejetée une deuxième fois. L’agent des visas a cité l’alinéa 117(9)d) et le paragraphe 117(10) du Règlement et il a dit ce qui suit :

[traduction] Nous n’avons aucun document indiquant que vous avez fait l’objet d’un contrôle à l’égard de la demande de résidence permanente de votre répondant. Vous avez été invité à nous donner plus de détails dans une lettre en date du 21 septembre 2004. Cependant, vous n’avez pu donner de réponse satisfaisante pour dissiper nos réserves. D’après les renseignements qui me sont présentés, j’en conclus que vous n’avez pas fait l’objet d’un contrôle à l’égard de la demande de résidence permanente de votre répondant. De ce fait, conformément à l’alinéa 117(9)d) du Règlement, vous n’êtes pas membre de la catégorie du regroupement familiale de votre répondant.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Quant aux motifs d’ordre humanitaire, voici ce que l’agent des visas a dit :

[traduction] Je ne trouve aucun motif d’ordre humanitaire dans votre dossier.

 

[5]               M. Hurtado a interjeté appel du deuxième refus devant la Section d’appel. Cette dernière a rejeté l’appel en concluant qu’elle était liée par l’alinéa 117(9)d) et par la décision de la Cour fédérale dans l’affaire De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.F. 162. La Section d’appel a conclu que le recours à exercer consistait à demander le contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue par l’agent des visas :

Dans Huang [2005 CF 1302], la Cour fédérale a pris en compte une deuxième demande refusée en vertu de l’alinéa 117(9)d). La Cour fédérale y a noté que le ministre avait un important pouvoir discrétionnaire lui permettant de régler les conflits à l’égard de la LIPR et du Règlement en vertu de l’article 25 de la LIPR. Il n’en tient donc qu’au Parlement de préciser à quel moment les motifs d’ordre humanitaire peuvent être pris en considération, et c’est ce qui a été fait dans l’article 65 de la LIPR. La solution appropriée à l’égard des motifs d’ordre humanitaire dont décide le ministre consiste à demander à la Cour fédérale un contrôle judiciaire de la décision. Dans une telle demande, la conclusion laconique de l’agent des visas selon laquelle il n’existait pas de motifs d’ordre humanitaire pourrait être contestée à la lumière de la recommandation du conseil du ministre de permettre l’appel sur des motifs d’ordre humanitaire. L’appel est rejeté.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

Question en litige

[6]               Une seule question est soulevée dans la présente demande : la Section d’appel a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour décider si l’agent des visas avait commis une erreur de droit et s’il y a eu manquement aux principes de la justice naturelle?

Législation pertinente

[7]               La législation pertinente pour la présente demande est la suivante :

1.                  Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi);

2.                  Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

Norme de contrôle

[8]               La présente demande concerne l’interprétation qu’il convient de donner de la Loi et, en particulier, de la compétence de la Section d’appel. Il s’agit d’une question de droit qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte.

Analyse

[9]               Le paragraphe 13(1) de la Loi confère un droit restreint de parrainer les membres de la famille :

Droit au parrainage : individus

13. (1) Tout citoyen canadien et tout résident permanent peuvent, sous réserve des règlements, parrainer l’étranger de la catégorie « regroupement familial ».

Right to sponsor family member

13. (1) A Canadian citizen or permanent resident may, subject to the regulations, sponsor a foreign national who is a member of the family class.

[10]           L’alinéa 117(9)d) du Règlement prévoit que l’étranger n’est pas considéré comme appartenant à la catégorie du regroupement familial si, à l’époque où le répondant a présenté une demande de résidence permanente, il était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

117. […]

Restrictions

(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes : […]

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

117. […]

Excluded relationships

(9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if […]

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

 

Ainsi que je l’ai indiqué au paragraphe 35 de la décision De Guzman, précitée, l’alinéa 117(9)d) a pour objet de prévenir la dissimulation frauduleuse de circonstances importantes dans le cadre du processus de demande de résidence permanente :

... [L’]alinéa 117(9)d) du Règlement a pour objet la bonne administration de la législation canadienne en matière d’immigration. Il est raisonnable que la législation en matière d’immigration exige qu’un demandeur de résidence permanente divulgue, dans sa demande, l’existence de tous les membres de sa famille. Autrement, la demande de résidence permanente ne pourrait pas être évaluée correctement aux fins de la législation en matière d’immigration. Par conséquent, l’alinéa 117(9)d) du Règlement existe à des fins pertinentes, à savoir aux fins de prévenir la dissimulation frauduleuse de circonstances importantes qui peuvent empêcher le demandeur d’être admis au Canada.

 

Motifs d’ordre humanitaire

 

[11]           Toutefois, l’exclusion prévue à l’alinéa 117(9)d) doit être interprétée avec l’article 25 de la Loi. Ainsi que je l’ai dit au paragraphe 21 de la décision De Guzman, précitée :

¶21 Le paragraphe 25(1) de la LIPR prévoit que le ministre peut lever tout ou partie des critères applicables s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire, compte tenu de l’intérêt supérieur des enfants, le justifient. Par conséquent, les deux fils de la demanderesse peuvent présenter une demande en vue d’être exemptés de l’application de l’alinéa 117(9)d), demande qui peut être appuyée par la demanderesse. Le législateur prévoit à l’article 25 une compétence en equity en vertu de laquelle les circonstances d’ordre humanitaire et l’intérieur supérieur de l’enfant doivent être appréciés.

 

[12]           La Cour d’appel fédérale a confirmé cet avis dans l’arrêt De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] 3 R.C.F. 655, aux paragraphes 49, 51 et 98.

[13]           Le paragraphe 25(1) de la Loi prévoit que le ministre peut lever les critères applicables s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire, compte tenu de l’intérêt supérieur des enfants, le justifient. Le paragraphe 25(1) prévoit ce qui suit :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

Humanitarian and compassionate considerations

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

[14]           Selon les demandeurs, l’appel initial a abouti à un désistement parce que le ministre s’était engagé à ce qu’un agent d’immigration examine le dossier des demandeurs afin de déterminer s’il existait des motifs d’ordre humanitaire en leur faveur. Les demandeurs ont soumis à l’agent des visas des observations dans lesquelles ils expliquaient quelles étaient les circonstances pertinentes d’ordre humanitaire. L’agent des visas a rendu ce que les demandeurs ont décrit comme [traduction] « un bref refus d’une ligne ». La Section d’appel a noté que l’examen effectué par l’agent des visas était bref, mais elle a refusé d’exercer sa compétence.

[15]           Le paragraphe 63(1) de la Loi prévoit que la personne qui présente une demande de parrainage au titre de la catégorie du regroupement familial peut interjeter appel d’une décision défavorable de la Section d’appel :

Droit d’appel : visa

63. (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

Right to appeal — visa refusal of family class

63. (1) A person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision not to issue the foreign national a permanent resident visa.

L’article 65 de la Loi limite la compétence de la Section d’appel en ce qui a trait aux motifs d’ordre humanitaire :

Motifs d’ordre humanitaire

65. Dans le cas de l’appel visé aux paragraphes 63(1) ou (2) d’une décision portant sur une demande au titre du regroupement familial, les motifs d’ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire.

 

Humanitarian and compassionate considerations

65. In an appeal under subsection 63(1) or (2) respecting an application based on membership in the family class, the Immigration Appeal Division may not consider humanitarian and compassionate considerations unless it has decided that the foreign national is a member of the family class and that their sponsor is a sponsor within the meaning of the regulations.

 

[16]           Les demandeurs font valoir que, malgré la restriction apportée par l’article 65, lorsqu’il est déterminé que le demandeur n’appartient pas à la catégorie du regroupement familial, la Section d’appel conserve sa compétence pour décider s’il y a eu manquement à la justice naturelle ou erreur de droit.

[17]           Le défendeur soutient que l’allégation de manquement à la justice naturelle est dénuée de fondement et que la contestation par les demandeurs de la décision de l’agent des visas vise les conclusions que celui‑ci a tirées sur le fond. Selon le défendeur, le recours qu’il convient d’exercer pour contester l’examen des motifs d’ordre humanitaire effectué par l’agent des visas est une demande de contrôle judiciaire présentée devant la Cour fédérale.

Motifs de l’ajournement

[18]           À l’audience, la Cour et les parties ont clairement constaté que, pour arriver à un règlement juste et équitable de l’affaire, les parties doivent traiter du refus de lever, pour des motifs d’ordre humanitaire, les critères applicables aux termes de l’alinéa 117(9)d) du Règlement. À l’audience, il est devenu évident que la lettre par laquelle l’agent des visas a dit simplement :

[traduction] Je ne trouve aucun motif d’ordre humanitaire dans votre dossier,

n’était pas en fait la décision elle‑même. L’agent des visas n’avait pas compétence pour rendre la décision véritable concernant les motifs d’ordre humanitaire aux termes de l’article 25. Les notes du STIDI montrent que la décision concernant les motifs d’ordre humanitaire a été renvoyée au « gestionnaire de programme » pour que celui‑ci rende une décision, ce qui a été fait le 19 janvier 2005. Cette décision n’a jamais été mentionnée par les parties ou par la Section d’appel. Le contrôle judiciaire devrait porter sur cette dernière décision. Les parties devraient traiter de cette décision en soumettant des observations et des éléments de preuve additionnels au besoin. Par conséquent, la Cour a décidé, et les parties ont convenu, que la présente demande sera ajournée et la Cour demande aux parties de soumettre des observations et des éléments additionnels au sujet de la décision concernant les motifs d’ordre humanitaire. La Cour reprendra ensuite l’audience sur la demande de contrôle judiciaire.

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est ajournée sine die.

2.                  Les parties déposeront des observations et des éléments additionnels au sujet de la décision concernant les motifs d’ordre humanitaire par laquelle le gestionnaire de programme a refusé, le 19 janvier 2005, de lever les critères applicables conformément à l’article 25.

3.                  Les demandeurs signifieront et déposeront leurs observations et tout autre élément de preuve au plus tard le 22 janvier 2007; le défendeur signifiera et déposera ses observations et tout autre élément de preuve au plus tard le 12 février 2007; les demandeurs pourront signifier et déposer une réponse au plus tard le 19 février 2007.

4.                  Après le dépôt des observations, la Cour fixera la date de reprise de l’audience.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-7724-05

 

INTITULÉ :                                                   YOLANDO HURTADO et al.

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 29 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 12 DÉCEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

POUR LES DEMANDEURS

 

Aviva Basman

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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