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Date : 20061206

Dossier : T-272-06

Référence : 2006 CF 1462

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

CHOL ANGOU

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        M. Angou, qui est incarcéré à l'établissement de Millhaven, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par un président indépendant (le PI) du tribunal disciplinaire de l'établissement de Millhaven le 10 janvier 2006. Le PI a conclu que M. Angou était coupable d'une infraction visée à l'alinéa 40i) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (la LSCMLC), et plus précisément de possession de cocaïne.

 

[2]        M. Angou soutient que le PI a commis une erreur de droit en définissant la [traduction] « preuve hors de tout doute raisonnable » comme une preuve [traduction] « au‑delà de la certitude morale ». De plus, M. Angou affirme qu'il était déraisonnable pour le PI de conclure à la culpabilité hors de tout doute raisonnable, compte tenu de la preuve mise à sa disposition.

 

[3]        Je conclus, avec une certaine réserve, que la mention de la [traduction] « certitude morale » par le PI ne justifie pas en soi une intervention. Je tire cependant une conclusion contraire en ce qui concerne l'avant‑dernière conclusion de culpabilité hors de tout doute raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

Historique

[4]        Le 11 septembre 2005, la cellule de M. Angou a été fouillée par un agent du Service correctionnel du Canada (le SCC), qui a trouvé dans le pantalon de M. Angou un sac en cellophane contenant une substance poudreuse blanche. Le contenu du sac a par la suite fait l'objet de tests par une agente de renseignements de sécurité qui a utilisé la trousse d'identification de stupéfiants (NIK) pour identifier la substance comme étant de la cocaïne. M. Angou a été accusé de possession d'un objet interdit en vertu de l'alinéa 40i) de la LSCMLC.

 

[5]        Lors de l'audience disciplinaire tenue devant le PI, M. Angou a admis avoir eu en sa possession un sac en cellophane contenant de la poudre blanche, mais il n'a pas admis que la poudre était de la cocaïne. Selon M. Angou, il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve permettant de conclure que la substance en question était un objet interdit au sens de l'article 2 de la LSCMLC. M. Angou a maintenu que les résultats du test NIK ne suffisaient pas pour satisfaire à la charge de la preuve qui incombait au SCC, à savoir la preuve hors de tout doute raisonnable.

 

[6]        L'agente de renseignements de sécurité a témoigné à l'audience au sujet de ses qualifications et de la procédure NIK qu'elle utilisait pour identifier la cocaïne. Elle a procédé à plus de 50 tests NIK depuis 2001. Elle a déclaré que l'identification NIK comporte la prise d'un petit échantillon de la substance en question et son introduction dans des ampoules contenant une solution chimique claire. Si le mélange qui est dans l'ampoule devient d'une certaine couleur, comme l'indique la brochure NIK, il est présumé que la substance est la drogue mentionnée dans la brochure. Telle était la procédure que l'agente a suivie lorsqu'elle a identifié la substance poudreuse blanche comme étant de la cocaïne.

 

[7]        L'agente de renseignements de sécurité ne se rappelait pas le nombre de tests séquentiels qu'elle avait effectués (mais il semble y en avoir probablement eu deux) et elle ne se rappelait pas non plus la couleur du « second » échantillon. Elle a également témoigné ne pas être au courant de l'existence de données concernant la probabilité de faux résultats positifs obtenus par le test NIK. Lorsqu'elle a été interrogée au sujet de l'exactitude du test, l'agente a répondu [traduction] qu'« une indication positive est généralement acceptée dans notre système juridique comme une preuve par présomption lorsqu'il s'agit d'établir ou de renforcer la cause probable aux fins des décisions relatives à la détention ou à une arrestation ».

 

[8]        L'avocate du PI et l'avocat de M. Angou ont eu la possibilité d'examiner le manuel NIK afin de se renseigner davantage sur le test NIK et son taux de réussite. L'avocat de M. Angou a soutenu que l'identification de la substance comme cocaïne n'avait pas été établie hors de tout doute raisonnable. Il a énoncé un certain nombre de facteurs à l'appui de cet argument :

•           le manuel indique qu'une indication positive est [traduction] « présumée »;

•           une identification présomptive renforce la cause probable dans le contexte criminel;

•           un certificat d'analyse est requis pour l'identification positive de la substance en question;

•           le manuel indique que le test NIK donne des résultats ayant un [traduction] « degré élevé de certitude », mais il n'y a aucune explication du sens de cette expression;

•           le manuel mentionne également qu'il y a [traduction] « parfois des résultats de test invalides », mais il ne donne pas d'approximations sur ce point.

 

La décision

[9]        En concluant que M. Angou était coupable de possession d'un objet interdit, le PI a défini les points litigieux comme étant [traduction] « la question de l'identité de la substance poudreuse blanche et la question de savoir si la preuve relative à l'identité constituait une preuve hors de tout doute raisonnable ». Le PI a lu certains passages de la première page du manuel NIK (lesquels étaient apparemment repris ailleurs dans le manuel) qu'il estimait pertinents. Ce faisant, il a déclaré que [traduction] « certaines parties de la première page du manuel, tout en étant intéressantes, ne sont tout au plus qu'informatives et [qu']elles sont, en mettant les choses au pire, tout simplement intéressées et calculées ». Le PI a noté qu'aucune preuve n'avait été présentée pour le compte de M. Angou. Il a écarté et rejeté une décision du tribunal chargé des infractions graves sur laquelle s'appuyait M. Angou (la décision Garrison est mentionnée par le PI, mais elle n'a pas été versée au dossier et aucune observation n'a été présentée à son sujet). Le PI a fait des remarques au sujet des difficultés que comportait l'obtention de certificats d'analyse. Il a réitéré que M. Angou était clairement en possession d'une substance poudreuse qui se trouvait dans un sac en cellophane. Le PI a ensuite dit ce qui suit :

[traduction] Je conclus que le Service correctionnel du Canada s'est acquitté de la charge de la preuve que lui imposait la Loi en utilisant le test NIK ainsi que d'autres indices tels qu'ils ont été admis afin de prouver l'identité de la substance en question. Je conclus en outre que la substance en question était de fait de la cocaïne.

 

 

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

[10]      Les dispositions législatives pertinentes en l'espèce sont brèves; je les reproduirai donc ici :

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch.20

 

Corrections and Conditional Release Act,

S.C. 1992, c. 20

 

2. (1)  Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.                    […]

2. (1)  In this Part

[…]

« objets interdits »

“contraband” means

a) Substances intoxicantes;

(a) an intoxicant,

[…]

[…]

e) toutes autres choses possédées sans autorisation et susceptibles de mettre en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier.

 

(e) any item not described in paragraphs (a) to (d) that could jeopardize the security of a penitentiary or the safety of persons, when that item is possessed without prior authorization;

 

« substance intoxicante » Toute substance qui, une fois introduite dans le corps humain, peut altérer le comportement, le jugement, le sens de la réalité ou l’aptitude à faire face aux exigences normales de la vie. Sont exclus la caféine et la nicotine, ainsi que tous médicaments dont la consommation est autorisée conformément aux instructions d’un agent ou d’un professionnel de la santé agréé.

 

“intoxicant” means a substance that, if taken into the body, has the potential to impair or alter judgment, behaviour or the capacity to recognize reality or meet the ordinary demands of life, but does not include caffeine, nicotine or any authorized medication used in accordance with directions given by a staff member or a registered health care professional;

 

40. Est coupable d’une infraction disciplinaire le détenu qui :

40. An inmate commits a disciplinary offence who

[…]

[…]

i) est en possession d’un objet interdit ou en fait le trafic;

 

(i) is in possession of, or deals in, contraband;

 

43. (1) L’accusation d’infraction disciplinaire est instruite conformément à la procédure réglementaire et doit notamment faire l’objet d’une audition conforme aux règlements.

 

43. (1) A charge of a disciplinary offence shall be dealt with in accordance with the prescribed procedure, including a hearing conducted in the prescribed manner.

 

(3) La personne chargée de l’audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l’infraction reprochée.

(3) The person conducting the hearing shall not find the inmate guilty unless satisfied beyond a reasonable doubt, based on the evidence presented at the hearing, that the inmate committed the disciplinary offence in question.

 

La norme de contrôle

[11]      En se reportant à l'analyse pragmatique et fonctionnelle effectuée par le juge en chef dans la décision Dasilva c.  Canada (Procureur général) 2006 CF 508, A.C.F. no 636, les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Cette norme me satisfait et, conformément à la décision Dasilva, j'énonce la question comme suit : « Le président indépendant avait‑il " commis une erreur manifeste " de conclure à la culpabilité du demandeur [...] compte tenu du régime législatif et de la preuve présentée? »

 

Analyse

[12]      M. Angou soutient que la Cour, dans le contexte de procédures disciplinaires en milieu carcéral, a défini la culpabilité hors de tout doute raisonnable. La loi exige que, compte tenu des faits et des circonstances de l'affaire, il n'y ait pas d'autre inférence raisonnable qui puisse rationnellement être faite, mise à part la culpabilité. Une conclusion de culpabilité ne peut pas être fondée sur des spéculations, sur des conjectures ou sur une preuve ambiguë : McLarty c. Canada (1997), 133 F.T.R. 11 (1re inst.); Taylor c. Canada (Procureur général) 2004 CF 1536, A.C.F. no 1851. Le PI a confondu la définition de la culpabilité hors de tout doute raisonnable en l'assimilant à la certitude morale.

 

[13]      Le défendeur riposte qu'il ressort clairement de la transcription que le PI a compris le critère et qu'il l'a appliqué d'une façon appropriée et que les mentions que M. Angou a faites d'une définition ne constituent rien de plus que d'autres formes d'énoncés.

 

[14]      Dans l'arrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a fait une mise en garde à l'encontre de l'assimilation de la « certitude morale » à la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable :

 25      Il n'est pas utile non plus de décrire la preuve hors de tout doute raisonnable simplement comme étant la preuve correspondant à la « certitude morale ».  Je suis d'accord avec les propos du juge Wood dans Brydon, précité, et du juge Proulx dans R. c. Girard, [1996] R.J.Q. 1585 (C.A.), à la p. 1591, que même si, à une certaine époque, cette expression a peut-être été claire pour les jurés, de nos jours elle n'est ni descriptive ni utile.  Qui plus est, comme la Cour suprême des États-Unis l'a reconnu dans l'arrêt Victor, précité, aux pp. 596 et 597, l'argument selon lequel la « certitude morale » peut ne pas être assimilée par les jurés à la « certitude sur le plan de la preuve » est très solide et convaincant.  Par conséquent, si la norme de preuve est expliquée comme étant l'équivalent de la « certitude morale », sans plus, les jurés peuvent penser qu'ils sont habilités à conclure à la culpabilité s'ils se sentent « certains », même si le ministère public n'a pas réussi à prouver les accusations hors de tout doute raisonnable.  En d'autres mots, les jurés peuvent différer d'avis entre eux quant au degré de preuve requis pour être « moralement certain » de la culpabilité de l'accusé.  Tout comme la Cour suprême des États-Unis, je crois que, bien que cette expression ne soit pas nécessairement fatale à la validité d'un exposé sur le doute raisonnable, elle devrait être évitée.

 

 

[15]      En résumant sa position, la Cour suprême a dit ce qui suit :

 36      Il serait peut-être utile de résumer ce que la définition devrait et ne devrait pas contenir.  Les explications suivantes devraient être données :

·        la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable est inextricablement liée au principe fondamental de tous les procès pénaux, c'est-à-dire la présomption d'innocence;

·        le fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès et ne se déplace jamais sur les épaules de l'accusé;

·        un doute raisonnable ne peut être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé;

·         il repose plutôt sur la raison et le bon sens;

·        il a un lien logique avec la preuve ou l'absence de preuve;

·        la norme n'exige pas une preuve correspondant à la certitude absolue; il ne s'agit pas d'une preuve au-delà de n'importe quel doute; il ne peut s'agir non plus d'un doute imaginaire ou frivole;

·        il faut davantage que la preuve que l'accusé est probablement coupable – le jury qui conclut seulement que l'accusé est probablement coupable doit acquitter l'accusé.

 37      Par contre, certaines mentions concernant la norme de preuve requise doivent être évitées.  Par exemple:

·        le fait de décrire l'expression « doute raisonnable » comme étant une expression ordinaire, qui n'a pas de sens spécial dans le contexte du droit pénal;

·        le fait d'inviter les jurés à appliquer la même norme de preuve que celle qu'ils utilisent, dans leur propre vie, pour prendre des décisions importantes, voire les plus importantes de ces décisions;

·        le fait d'assimiler preuve « hors de tout doute raisonnable » à une preuve correspondant à la « certitude morale »;

·        le fait de qualifier le mot « doute » par d'autres adjectifs que « raisonnable », par exemple « sérieux », « substantiel » ou « obsédant », qui peuvent induire le jury en erreur;

·        le fait de dire aux jurés qu'ils peuvent déclarer l'accusé coupable s'ils sont « sûrs » de sa culpabilité, avant de leur avoir donné une définition appropriée du sens des mots « hors de tout doute raisonnable ».

 

 

[16]      Le PI s'est fondé sur l'arrêt R. c. Jenkins (1996), 29 O.R. (3d) 30 (C.A.), et en a tiré la thèse selon laquelle [traduction] « le doute raisonnable n'est pas une certitude mathématique, mais plutôt une " certitude quant à la culpabilité " ou, comme on l'appelle souvent, une " certitude morale " ». Le passage précité se trouve dans la décision, mais le PI semble avoir interprété d'une façon erronée le raisonnement de la cour dans son ensemble. La Cour d'appel de l'Ontario reconnaissait que l'expression « certitude morale » était employée depuis longtemps dans la jurisprudence canadienne, mais elle a expliqué que la province ne s'en porterait pas plus mal si l'expression n'était plus utilisée pour expliquer un doute raisonnable. Cette cour a également dit que, lorsque l'expression est employée d'une façon autonome afin d'expliquer la preuve hors de tout doute raisonnable, la norme est affaiblie, de sorte qu'elle peut comporter un vice fatal.

 

[17]      Cela dit, l'examen de l'affaire dans son ensemble, et notamment de la transcription des propos échangés entre l'avocat de M. Angou et le PI, semble selon moi montrer que le PI n'a pas assimilé la preuve hors de tout doute raisonnable uniquement à la « certitude morale », même si son énoncé se situe peut‑être à la limite.

 

[18]      De plus, M. Angou affirme que la décision du PI était déraisonnable puisqu'il s'est fondé sur des considérations non pertinentes, comme les difficultés associées aux autres procédures de dépistage, qu'il a admis que la preuve concernant la fréquence des faux résultats positifs était [traduction] « ambiguë » et qu'il a conclu que la certitude du test contrebalançait les faux résultats positifs sans faire quelque mention que ce soit de la preuve.

 

[19]      Le défendeur signale que M. Angou a omis de présenter une preuve montrant que le test NIK donnait un résultat inexact. En outre, le défendeur maintient que la preuve montrait que le test NIK identifie les drogues d'une façon « présomptive » et comporte un degré élevé de certitude. Ces facteurs et le fait que M. Angou a avoué avoir en sa possession une poudre blanche dans un sac en cellophane, ainsi que les résultats du test NIK, étaient suffisants pour satisfaire à la preuve hors de tout doute raisonnable.

           

[20]      On a longuement débattu la nature [traduction] « uniquement présomptive » du test NIK et la nécessité de certificats d'analyse dans les instances criminelles. Il ressort clairement de l'arrêt R. c. Sherman (2004), O.A.C. 198 (C.A. Ont.) qui traitait de la continuité de la preuve, mais qui comprenait un exposé portant sur la nature du test NIK que le test NIK est un mécanisme superficiel de dépistage sur lequel on ne peut pas s'appuyer pour établir que la poudre blanchâtre est (dans ce cas‑là) de l'héroïne. Il faut plutôt tenir compte des certificats d'analyse.

 

[21]      Le défendeur fait également valoir qu'il faut tenir compte du contexte. Les poursuites disciplinaires en milieu carcéral doivent être rapides et informelles. Il ne m'est pas difficile de retenir la thèse selon laquelle les poursuites disciplinaires en milieu carcéral doivent se dérouler d'une [traduction] « façon ordonnée et opportune, de façon à assurer l'administration efficace et appropriée de la justice disciplinaire dans un établissement de correction ». Néanmoins, la loi prescrit la norme de preuve à appliquer dans ces instances et la norme est celle de la preuve hors de tout doute raisonnable.

 

[22]      Eu égard au dossier mis à ma disposition, la preuve ne me permet pas de déterminer s'il faut exiger les certificats d'analyse. Les arguments ne mettaient pas l'accent sur la question. Ils étaient plutôt axés sur la nature du test NIK. À l'exception du commentaire gratuit du PI concernant les difficultés associées à l'obtention de certificats d'analyse, le dossier, à tous les autres égards, ne nous apprend rien à ce sujet. Le manuel NIK, que le PI et l'avocat de M. Angou ont tous deux examiné, n'a pas été versé au dossier. En l'absence de documentation et d'observations, il ne convient donc pas d'aborder la question des certificats d'analyse. Il est préférable de remettre la question à plus tard lorsque des arguments détaillés seront disponibles.

 

[23]      En l'espèce, il incombait au SCC d'établir hors de tout doute raisonnable que M. Angou avait commis l'infraction disciplinaire. Je ne suis pas d'accord avec le défendeur pour dire que l'omission de M. Angou de produire des éléments de preuve additionnels contribue au caractère raisonnable de la décision à laquelle le PI est arrivé au sujet de la culpabilité hors de tout doute raisonnable. L'obligation de M. Angou, si je puis la décrire ainsi, consistait simplement à susciter un doute raisonnable. M. Angou n'était pas tenu de prouver quoi que ce soit. Il appartenait au SCC de démontrer que les résultats du test NIK (combinés à d'autres éléments de preuve) étaient suffisants pour satisfaire à l'obligation qui lui incombait.

 

[24]      Le PI, qui avait qualifié [traduction] d'« ambiguës » et [traduction] d'« intéressées » certaines parties de la première page du manuel NIK, s'est ensuite fondé sur ces déclarations (ainsi que sur le fait que M. Angou avait avoué avoir en sa possession une substance poudreuse blanche, sans pour autant avouer qu'il s'agissait de cocaïne) afin de prouver l'identité de la substance, dont il a ensuite conclu qu’elle était de la cocaïne.

 

[25]      Il est utile de comparer à la preuve les passages du manuel NIK reproduits ci‑dessous et sur lesquels le PI s'est fondé :

[traduction] Le système NIK est basé sur une comparaison chimique colorimétrique permettant de déceler les stupéfiants et autres substances réglementées et de les identifier par présomption. Chaque trousse contenait une série de produits chimiques distincts déjà préparés réagissant d'une façon colorimétrique selon une séquence prévisible en présence des stupéfiants les plus courants. Si la réaction de coloration prévue se produit, lorsque la séquence recommandée de tests est suivie, une identification positive est présumée.

 

Un seul test peut donner un résultat valide ou il se peut qu'il n'en donne pas. Toutefois, les résultats séquentiels de plusieurs tests, s'ils indiquent tous une réaction positive pour une substance particulière, comportent un degré élevé de certitude que la substance suspecte est de fait ce qu'indique le système à tests multiples NIK. [Non souligné dans l'original.]

 

 

[26]      L'agente de renseignements de sécurité du SCC ne se rappelait pas le nombre de tests séquentiels qu'elle avait effectués et elle ne se rappelait pas non plus la couleur obtenue lors du second test. De même, l'agente ne savait pas jusqu'à quel point il y avait de faux résultats positifs et elle ne connaissait pas non plus de données à ce sujet.

 

[27]      Le PI a rejeté le raisonnement que le président indépendant, à l'établissement de Warkworth, avait fait dans l'affaire Garrison (qui n'a pas été versée au dossier), lequel, dans la mesure où les motifs du PI me permettent de le constater, exigeait que les tests soient effectués dans un milieu scientifique, technique ou spécialisé comme un laboratoire afin de prouver la présence de la substance intoxicante. Sur ce point, le PI a dit qu'il n'appartenait pas au président de déléguer la conclusion à un tiers.

 

[28]      Enfin, le PI a dit être convaincu que le [traduction] « dépistage en question, basé sur un degré élevé de certitude, contrebalanç[ait] d'une façon suffisante tout risque inhérent associé aux tests présomptifs et aux faux résultats positifs ». Avec égards, cette conclusion est en soi incohérente s'il est tenu compte des déclarations du PI selon lesquelles le manuel NIK était ambigu et intéressé. À mon avis, cette conclusion est également déraisonnable, s'il est tenu compte de la preuve dont disposait le PI.

 

[29]      Cette conclusion à savoir que le [traduction] « degré élevé de certitude [du test NIK] contrebalance tout risque inhérent associé aux tests présomptifs et aux faux résultats positifs » était cruciale pour ce qui est de la conclusion finale. Mis à part le fait qu'elle est déraisonnable eu égard à la preuve dont disposait le PI, cette conclusion est d'autant plus précaire lorsqu'il est tenu  compte de l'énoncé se situant « à la limite » que le PI a fait au sujet de la norme de preuve hors de tout doute raisonnable. Ces lacunes ont pour effet de vicier le processus au complet. En somme, l'analyse et les motifs du PI, eu égard à la preuve, ne résistent pas à un examen quelque peu poussé. En outre, pour les motifs susmentionnés, je conclus que la conclusion tirée par le PI comporte une erreur manifeste. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

[30]      Les deux parties ont demandé les dépens et elles ont toutes deux soutenu que le montant global de 1 600 $ était justifié. Les dépens suivent normalement l'issue de l'affaire et l'avocate du défendeur n'a pas soutenu qu'il devrait en être autrement. Toutefois, elle a révélé que le montant de 1 600 $ se situerait à la limite supérieure de la colonne 3 du tarif B. Aucune justification n'a été donnée en vue de s'écarter de la moyenne. J'exercerai donc le pouvoir discrétionnaire qui m'est conféré pour adjuger au demandeur un montant global de 1 200 $.


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée pour être tranchée par un président indépendant différent. Les dépens sont adjugés au demandeur, le défendeur devant payer un montant global de 1 200 $.

 

 

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-272-06

 

INTITULÉ :                                                   CHOL ANGOU

 

                                                                        c.

 

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 4 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONANNCE 

ET ORDONNANCE :                                   LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 6 DÉCEMBRE 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Philip Kenneth Casey

POUR LE DEMANDEUR

 

Elizabeth Kikuchi

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Philip Kenneth Casey

Avocat

Kingston (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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