Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Date : 20061205

Dossier : T‑2108‑02

Référence : 2006 CF 1459

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

 

 

ENTRE :

INTERNATIONAL TAEKWON‑DO FEDERATION et

LA FÉDÉRATION CANADIENNE DE TAEKWON‑DO INTERNATIONAL /

CANADIAN TAEKWON‑DO FEDERATION INTERNATIONAL

demanderesses

et

 

JUNG HWA CHOI

et

HUNG HI CHOI et JUNG HWA CHOI, COENTREPRISE FAISANT AFFAIRE SOUS LA RAISON SOCIALE I.T.F. TAEKWON-DO, et

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demanderesses, International Taekwon-Do Federation (l'ITF) et son affiliée au Canada, la Fédération canadienne de taekwon‑do international (la FCTI), soutiennent que certaines marques de commerce déposées des défendeurs sont invalides et devraient être radiées du registre des marques de commerce. Les défendeurs sont M. Jung Hwa Choi, ancien cadre de l'ITF, et une coentreprise réunissant ce dernier et son père, M. Hung Hi Choi, fondateur et ancien président de l'ITF, maintenant décédé. Les demanderesses soutiennent que les défendeurs ont fait enregistrer des marques qu'elles-mêmes employaient depuis des décennies aussi bien au Canada que partout ailleurs dans le monde. Les défendeurs n'ont pas comparu à l'audience et n'ont pas déposé d'observations.

[2]               Je conviens avec les demanderesses que les marques de commerce sont invalides et j'accueillerai leur demande en radiation de ces marques du registre, en vertu de l'article 57 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (les dispositions pertinentes de la Loi sont reproduites à l'annexe A).

I.        Les questions en litige

[3]               Les demanderesses ont invoqué plusieurs moyens à l'appui de leurs prétentions. Plusieurs de ces moyens sont liés entre eux et peuvent être ramenés à la question suivante : les défendeurs avaient‑ils droit à l'enregistrement des marques?

 

II.     Analyse

 

a) Les faits

 

[4]               M. Hung Chi Choi (le général Choi) a créé l'art martial appelé « taekwon‑do » en Corée dans les années 1940. Il a fondé l'ITF en 1966 et en a assumé la présidence jusqu'à sa mort en 2002. M. Jung Hwa Choi (Maître Choi), le fils du général Choi, était destiné à devenir président de l'ITF après son père, mais il en a été exclu en 2002. Il occupait alors le poste de secrétaire général de l'ITF.

 

[5]               L'ITF est l'organisme international régissant la pratique du taekwon‑do. Pour s'identifier, elle utilise principalement deux emblèmes, tous deux créés par le général Choi : 1) un écusson sur lequel figurent le dessin d'un poing et les mots « International Taekwon‑Do Federation », ainsi que des caractères coréens; et 2) un dessin en forme d'arbre, dont le tronc est constitué de caractères coréens et dont le mot « Taekwon‑Do » forme le feuillage (les deux dessins sont reproduits à l'annexe B). L'ITF et la FCTI emploient ces dessins sur leurs uniformes d'entraînement, dans leurs documents et dans leur publicité depuis 1966.

 

[6]               La coentreprise défenderesse a fait enregistrer ces deux dessins, le dessin du poing et celui de l'arbre, comme marques de commerce canadiennes, d'abord en liaison avec des marchandises en 1998 (marques de commerce 500361 et 500055 respectivement), puis en liaison avec des services en 2000 (marques 522295 et 522294 respectivement). Maître Choi est actuellement propriétaire des marques déposées en 1998.

 

b) Le droit des défendeurs à l'enregistrement des marques

 

[7]               Il est clair que les demanderesses ont employé le dessin du poing et le dessin de l'arbre pendant un certain temps. Elles soutiennent que, par conséquent, les défendeurs n'avaient pas droit à l'enregistrement de ces dessins comme marques de commerce. La coentreprise n'a été créée qu'au milieu des années 1990, de sorte qu'elle n'aurait pas pu employer les marques avant ce moment. L'ITF, quant à elle, utilise le dessin du poing depuis 1966, et l'ITF comme la FCTI emploient le dessin de l'arbre depuis au moins 1986.

 

[8]               Les demanderesses font aussi valoir que Maître Choi et le général Choi n'avaient pas droit à l'enregistrement des marques pour leur propre compte, puisqu'ils étaient tous deux cadres de l'ITF au moment de l'enregistrement. En tant que tels, il leur incombait d'agir dans l'intérêt de cette organisation. En outre, leur lien avec l'ITF était comparable à la relation qui existe dans le cadre d'un mandat, dans laquelle les actions du mandataire doivent servir les intérêts du mandant. Autrement dit, les demanderesses soutiennent que les défendeurs auraient pu faire enregistrer les marques de commerce pour le compte de l'ITF, mais qu'ils ne pouvaient pas le faire indépendamment de celle‑ci.

 

[9]               Les demanderesses soutiennent de plus que les marques déposées ne remplissent pas le critère essentiel du caractère distinctif. En effet, comme l'ITF et la FCTI emploient exactement les mêmes marques, celles‑ci ne peuvent pas être tenues pour distinctives des marchandises et services des défendeurs.

 

[10]           Enfin, les demanderesses font valoir que les défendeurs ont fait de fausses déclarations dans le cadre de la procédure d'enregistrement des marques de commerce, notamment au sujet de leur usage passé ou à venir. Elles affirment que leur enregistrement est invalide pour ce motif également.

 

[11]           J'estime que les faits de la présente espèce sont analogues à ceux qui sont exposés dans la décision Citrus Growers Assn. Ltd. c. William D. Branson Ltd. (1990), 36 C.P.R. (3d) 434, dans laquelle il était question d'un mandataire et d'un mandant. Le juge Paul Rouleau y a dit, à la page 438, qu'« un importateur ou mandataire n'a pas le droit d'enregistrer une marque de commerce appartenant au mandant étranger sous son propre nom et à son propre avantage ». Il a ajouté (à la page 438) :

Les tribunaux sont parvenus à cette conclusion de diverses façons : avant l'emploi par le fournisseur étranger au Canada (al. 16(1)a)); aucun « emploi » par l'importateur-mandataire au Canada au sens des articles 4 et 16 parce que l'emploi était pour le compte du mandant; la marque ne distingue pas les marchandises de l'intimé (al. 18(1)b)); et, généralement, l'intimé n'est pas la personne qui a droit à l'enregistrement de la marque en raison des obligations de fiduciaire qui existent en un mandataire et son mandant.

 

[12]           En l'espèce, les observations des demanderesses vont dans le même sens : les défendeurs n'ont pas droit à l'enregistrement des marques de commerce parce que les dessins qui les constituent seraient confondus avec les marques antérieurement employées par les demanderesses (en contravention des alinéas 16(1)a) et 16(3)a) de la Loi). On devrait considérer que tout emploi des marques par les défendeurs est fait pour le compte des demanderesses, puisque le général Choi et Maître Choi étaient des cadres de l'ITF et avaient à l'égard de cette dernière une obligation de fiduciaire. De plus, les marques déposées ne peuvent pas être tenues pour distinctives des marchandises ou des services des défendeurs étant donné l'emploi antérieur par les demanderesses des mêmes marques en liaison avec des marchandises et services identiques (en contravention de l'alinéa 18(1)b)).

 

[13]           Ces arguments me convainquent que les marques déposées sont invalides. On constatera que je n'ai pas examiné l'autre argument des demanderesses concernant les fausses déclarations qu'auraient faites les défendeurs. Je refuse de le faire parce qu'aucune jurisprudence ou doctrine n'a été invoquée directement sur ce point précis.

 

[14]           Par conséquent, je déclarerai que les marques de commerce déposées (nos 500055, 500361, 522294 et 522295) sont invalides et devraient être radiées du registre, les dépens étant accordés aux demanderesses. Celles‑ci ont demandé que les dépens leur soient accordés sur une base avocat‑client étant donné que les défendeurs ont, en l'occurrence, manqué à une obligation fiduciaire. Cependant, je ne suis pas convaincu que les faits justifient une telle mesure extraordinaire quant aux dépens.

 

JUGEMENT

            LA COUR STATUE :

 

1.         Les marques déposées (nos 500055, 500361, 522294 et 522295) sont invalides et devraient être radiées du registre, les dépens étant accordés aux demanderesses.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


Annexe A

 

Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13

 

Enregistrement des marques employées ou révélées au Canada

 

16. (1) Tout requérant qui a produit une demande selon l’article 30 en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce qui est enregistrable et que le requérant ou son prédécesseur en titre a employée ou fait connaître au Canada en liaison avec des marchandises ou services, a droit, sous réserve de l’article 38, d’en obtenir l’enregistrement à l’égard de ces marchandises ou services, à moins que, à la date où le requérant ou son prédécesseur en titre l’a en premier lieu ainsi employée ou révélée, elle n’ait créé de la confusion :

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;

[…]

Marques projetées

(3) Tout requérant qui a produit une demande selon l’article 30 en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce projetée et enregistrable, a droit, sous réserve des articles 38 et 40, d’en obtenir l’enregistrement à l’égard des marchandises ou services spécifiés dans la demande, à moins que, à la date de production de la demande, elle n’ait créé de la confusion :

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;

 

 

 

 

 

Quand l’enregistrement est invalide

 

18. (1) L’enregistrement d’une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :

[…]

b) la marque de commerce n’est pas distinctive à l’époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l’enregistrement;

 

Juridiction exclusive de la Cour fédérale

 

57. (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu’une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l’inscription figurant au registre n’exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

 

Restriction

 

(2) Personne n’a le droit d’intenter, en vertu du présent article, des procédures mettant en question une décision rendue par le registraire, de laquelle cette personne avait reçu un avis formel et dont elle avait le droit d’interjeter appel.

Trade-marks Act, R.S.C. 1985, c. T-13

 

 

Registration of marks used or made known in Canada

 

16. (1) Any applicant who has filed an application in accordance with section 30 for registration of a trade-mark that is registrable and that he or his predecessor in title has used in Canada or made known in Canada in association with wares or services is entitled, subject to section 38, to secure its registration in respect of those wares or services, unless at the date on which he or his predecessor in title first so used it or made it known it was confusing with

(a) a trade-mark that had been previously used in Canada or made known in Canada by any other person;

 

 

Proposed marks

(3) Any applicant who has filed an application in accordance with section 30 for registration of a proposed trade-mark that is registrable is entitled, subject to sections 38 and 40, to secure its registration in respect of the wares or services specified in the application, unless at the date of filing of the application it was confusing with

(a) a trade-mark that had been previously used in Canada or made known in Canada by any other person;

 

 

 

When registration invalid

 

18. (1) The registration of a trade-mark is invalid if

…,

(b) the trade-mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced, or

 

 

Exclusive jurisdiction of Federal Court

 

57. (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the mark

 

 

Restriction

 

(2) No person is entitled to institute under this section any proceeding calling into question any decision given by the Registrar of which that person had express notice and from which he had a right to appeal.

 


Annexe B

 

 

The image “file:///M:/logos.jpg” cannot be displayed, because it contains errors.

                        Dessin du poing                                                Dessin de l'arbre

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑2108‑02

 

INTITULÉ :                                                   INTERNATIONAL TAEKWON-DO FEDERATION et al.

                                                                        c.

                                                                        CHOI et al.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 21 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O'REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 5 DÉCEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Warren Sprigings

 

POUR LES DEMANDERESSES

Sans objet

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hitchman & Sprigings

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

 

Sans objet

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.