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Date : 200601129

Dossier : IMM‑543‑06

Référence : 2006 CF 1444

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

ENTRE :

SORAYA HAGHIGHI NEJAD

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Mme Nejad, une Iranienne âgée de 27 ans, a été déboutée de sa demande d’examen des risques avant renvoi (la demande d’ERAR). L’agent d’ERAR n’a pas été persuadé que l’étendue du rôle de Mme Nejad dans des manifestations organisées au Canada pour protester contre les violations des droits de la personne en Iran l’exposerait à un risque plus grand que ce ne serait le cas pour un Iranien ordinaire retournant dans son pays.

 

[2]               Mme Nejad sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’ERAR et prétend que la procédure d’ERAR était viciée. Elle dit que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve documentaire qui accompagnait sa demande d’ERAR et qu’il a délibérément concentré son attention sur un Rapport périmé du Département d’État des États‑Unis. Elle dit aussi que l’agent n’a pas tenu compte du fait que la situation des droits de la personne en Iran s’est détériorée à la suite du changement de gouvernement en juin 2005. Elle fait aussi valoir qu’elle aurait dû bénéficier d’une audience.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, j’arrive à la conclusion que la décision de l’agent d’ERAR n’était pas déraisonnable et que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

 

Les faits

[4]               Les parents de Mme Nejad sont décédés. Elle a neuf frères et sœurs : deux vivent au Canada, deux au Koweït et cinq en Iran. Mme Nejad est arrivée au Canada le 11 août 2002 et a demandé l’asile le 29 octobre 2003, en faisant valoir son [traduction] « objection aux préceptes du droit islamique tels qu’ils étaient interprétés et appliqués en Iran ». La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile, en faisant observer que Mme Nejad n’exerçait qu’un « rôle passif » dans la résistance.

 

[5]               Depuis l’audience portant sur sa demande d’asile, Mme Nejad dit qu’elle est maintenant « beaucoup plus informée » et « plus encline à agir » en ce qui concerne le traitement des femmes en Iran. Elle dit qu’elle craignait au départ d’attirer l’attention en se mêlant de ces questions, mais que la victoire récente d’un « président ultra‑conservateur en Iran » a modifié sa vision des choses. Elle ne se limite plus à échanger des messages électronique avec d’autres activistes, elle assiste maintenant à des réunions publiques organisées au soutien de la cause qu’elle défend.

 

[6]               Au soutien de sa demande d’ERAR, Mme Nejad a produit neuf photographies non datées. Cinq d’entre elles la montrent aux côtés de femmes activistes très en vue, et les quatre autres la montrent dans une pièce contenant des écrits et des affiches qui portent sur la défense des droits civils en Iran. Les photographies ont été présentées pour attester son nouveau mode d’action.

 

[7]               Mme Nejad a prétendu qu’elle est connue de la police secrète et du service national du renseignement en Iran, qu’elle dit « actifs à Toronto ». Selon elle, elle sera arrêtée à l’aéroport de Téhéran à son retour. L’arrestation pourrait conduire à un emprisonnement et à des interrogatoires, ce qui pourrait déboucher sur le viol, la torture et peut‑être même la mort. Mme Nejad a soutenu qu’elle « se bat contre la charia depuis de très nombreuses années » et que cette cause n’était pas « quelque chose de nouveau » dont elle aurait cherché à tirer parti pour appuyer sa demande d’ERAR.

 

[8]               La demande d’ERAR a été rejetée le 29 décembre 2005. Mme Nejad a déposé, le 1er février 2006, une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Le 22 février, la Cour a décidé de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi, jusqu’à l’issue de la demande d’autorisation. L’autorisation a été accordée le 23 août 2006.

 

[9]               Mme Nejad a déposé un autre affidavit le 25 septembre 2006. Les renseignements qu’il contient et les documents y annexés n’ont pas été présentés à l’agent d’ERAR. L’affidavit contient une somme appréciable de faits « nouveaux ». Par exemple, Mme Nejad dit qu’elle a divorcé au Canada de son mari (qui vit en Iran), mais que le divorce n’est pas reconnu en Iran. Le paragraphe 20 de l’affidavit mentionne que [traduction] « en Iran, les maris sont les propriétaires de leurs épouses et peuvent même les faire emprisonner ». Son mari [traduction] « pourra prétendre [qu’elle a] commis l’adultère ici au Canada, et [qu’elle pourra] alors être condamnée à la détention, à la torture et à l’exécution évoquées plus haut et dans des documents précédents ». Au total, 14 documents sont annexés à l’affidavit; tous sont postérieurs à la décision de l’agent d’ERAR. Le premier est un article paru en première page du journal Toronto Star le 28 février 2006. On y voit une grande photographie de Mme Nejad, mais son visage est couvert, à l’exception des yeux, du front et des cheveux. Au paragraphe 18 de l’affidavit, on peut lire que l’ex‑mari de Mme Nejad a obtenu une copie de l’article. Plus loin dans les présents motifs, je parlerai de l’affidavit et des pièces y annexées.

 

La décision

[10]           L’agent d’ERAR n’a pas contesté que l’Iran porte gravement atteinte aux droits fondamentaux de certaines personnes, notamment aux droits fondamentaux des dissidents politiques actifs. Cependant, il a estimé que Mme Nejad n’a pas prouvé qu’elle pouvait être qualifiée de dissidente politique active. L’agent d’ERAR a aussi conclu que Mme Nejad n’a pas prouvé que les autorités iraniennes l’avaient étiquetée comme activiste politique. Par conséquent, le risque que courait Mme Nejad en cas de retour en Iran ne fut pas jugé différent de celui de n’importe quel Iranien qui retourne dans son pays.

 

[11]           L’agent d’ERAR a fait les observations pertinentes suivantes :

•           Mme Nejad n’était pas désignée par son nom (par exemple grâce à un insigne porte‑nom) sur aucune des photos où elle apparaît aux côtés d’activistes en vue dans la défense des droits des femmes;

•           rien ne permettait d’ajouter foi à l’affirmation de Mme Nejad selon laquelle la police secrète iranienne a connaissance de ses activités à Toronto. La recherche menée par l’agent d’ERAR sur cet aspect particulier ne lui a pas permis de découvrir des documents faisant expressément état d’un risque auquel Mme Nejad serait personnellement exposée;

•           il a été pris note de l’abondante preuve documentaire produite par Mme Nejad. L’agent d’ERAR a relevé que, même si les documents abordaient la question du respect des droits de la personne en Iran, aucun des documents produits ne parlait de Mme Nejad elle‑même. On y évoquait plutôt, et d’une manière générale, la situation des droits de la personne en Iran;

•           l’agent d’ERAR s’est expressément référé au Rapport de 2004 du Département d’État des États‑Unis pour l’Iran, où il était question, dans les termes suivants, de la liberté de circulation :

[traduction] Des nationaux revenant de l’étranger ont parfois été soumis à des fouilles et à des interrogatoires serrés de la part des autorités gouvernementales, en quête de preuves d’activités antigouvernementales menées à l’étranger. Des enregistrements et des imprimés, des lettres personnelles et des photographies ont été confisqués (dossier du tribunal, page 110).

 

 

 

[12]           L’agent d’ERAR a estimé que la preuve ne permettait pas de dire que Mme Nejad serait exposée à un risque en cas de retour en Iran. Autrement dit, Mme Nejad n’a pas réussi à prouver qu’elle serait personnellement exposée à un risque de persécution, à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités.

 

Les points litigieux

[13]           Les points litigieux peuvent être énumérés de la façon suivante :

a)         La preuve postérieure à la date de la décision d’ERAR est‑elle recevable dans une procédure de contrôle judiciaire?

b)         La procédure d’ERAR était‑elle viciée parce que l’agent d’ERAR ne s’est pas référé à la preuve documentaire produite par Mme Nejad, alors qu’il est incontestable que cette preuve [traduction] « intéresse la situation des droits de la personne en Iran et sa dégradation depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement »; et

c)         Mme Nejad avait‑elle droit à une audience?

 

La norme de contrôle

[14]           Dans la décision Nadarajah c. Canada (Solliciteur général) (2005), 48 Imm. L.R. (3d) 43, j’ai adopté l’analyse pragmatique et fonctionnelle faite par le juge Mosley dans la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 272 F.T.R. 62, à propos de la norme de contrôle qui est applicable aux décisions d’ERAR. La norme de contrôle applicable aux questions de fait est la norme de la décision manifestement déraisonnable, celle applicable aux questions mixtes de droit et de fait est la norme de la décision raisonnable, et celle applicable aux questions de droit est la norme de la décision correcte. Lorsque la décision d’ERAR contestée est examinée « dans sa totalité », comme l’écrivait le juge Martineau dans le jugement Figurado c. Canada (Solliciteur général), [2005] 4 R.C.F. 387 (C.F.), la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable.

 

L’analyse

La preuve postérieure à la décision d’ERAR

[15]           L’affidavit de Mme Nejad du 25 septembre 2006 montre qu’elle ne sait pas du tout ou qu’elle ne sait pas exactement quelle est l’étendue de la compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire. Les procédures de contrôle judiciaire ont une portée étroite. Elles ont pour utilité essentielle la révision des décisions administratives pour savoir si elles sont ou non conformes au droit. Le tribunal saisi du contrôle (sauf circonstances exceptionnelles, qui ne sont pas applicables ici) doit s’en tenir au dossier que l’office fédéral avait devant lui. L’équité envers les parties et envers le tribunal administratif dont la décision fait l’objet du contrôle commande une telle restriction : arrêt Bekker c. Canada (2004), 323 N.R. 195 (C.A.F.). Le tribunal saisi du contrôle doit prendre pour point de départ le dossier tel qu’il existe, sans aller au‑delà des critères fixés pour le contrôle judiciaire : Canada (Procureur général) c. McKenna, [1999] 1 C.F. 401 (C.A.).

 

[16]           Il est évident que les principes évoqués ont pour effet d’empêcher la Cour, saisie d’une procédure de contrôle judiciaire, de recevoir des éléments de preuve que le décideur n’avait pas devant lui, mais les observations faites par le juge MacKay dans le jugement Wood c. Canada (Procureur général) (2001), 199 F.T.R. 133, sont elles aussi éclairantes. Au paragraphe 34, il écrivait ce qui suit :

34  [...] Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, une cour peut uniquement tenir compte de la preuve mise à la disposition du décideur administratif dont la décision est examinée; elle ne peut pas tenir compte de nouveaux éléments de preuve (voir Brychka c. Canada (Procureur général), supra; Franz c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 80 F.T.R. 79; Via Rail Canada Inc. c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne (re Mills) (19 août 1997), dossier du greffe T‑1399‑96, [1997] A.C.F. no 1089; Lemiecha c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 72 F.T.R. 49, 24 Imm. L.R. (2d) 95; Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1995) 100 F.T.R. 139, 29 Imm. L.R. (2d) 1). [...]

 

 

[17]           Par conséquent, comme j’en ai informé les avocats au début de l’audience, la preuve qui est postérieure à la décision de l’agent d’ERAR n’est pas recevable. Je n’ignore pas l’inquiétude de Mme Nejad sur ce point étant donné le surcroît d’activisme qu’elle a manifesté depuis l’audience relative à sa demande d’asile. Il s’est accru progressivement et s’est semble‑t‑il encore intensifié depuis le dépôt de sa demande d’ERAR. Le niveau actuel de ses activités pourrait donner lieu à une nouvelle demande d’ERAR, mais il n’accroît pas la compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire.

 

Les éléments de preuve censément laissés de côté

[18]           Mme Nejad prétend que les documents qu’elle a produits au soutien de sa demande d’ERAR et qui concernent la situation ayant cours en Iran n’ont pas été pris en compte par l’agent. L’agent d’ERAR s’est plutôt fondé sur un unique document périmé, le Rapport de 2004 du Département d’État des États‑Unis. Elle fait aussi valoir qu’il n’a été tenu aucun compte de la dégradation des conditions ayant cours dans le pays à la suite du changement de gouvernement. Le Rapport du Département d’État est en effet antérieur au changement de gouvernement. Se fondant sur la décision Kaybaki c. Canada (Solliciteur général) 2004 CF 32, A.C.F. n° 27, elle dit que la présomption selon laquelle le décideur a tenu compte de l’ensemble de la preuve est une présomption réfutable. Lorsque l’élément de preuve en question est très pertinent, la Cour peut tirer une conclusion négative de l’absence de mention de cet élément de preuve. De plus, Mme Nejad dit que l’agent d’ERAR s’est livré à une lecture sélective du document qui a été pris en compte.

 

[19]           La chronologie des événements dans cette affaire mérite d’être mentionnée. La demande d’asile de Mme Nejad a été rejetée le 15 juillet 2004. Les élections en Iran ont eu lieu en juin 2005, et le changement de gouvernement s’est produit en août de la même année. La demande d’ERAR présentée par Mme Nejad a été remplie le 4 octobre 2005 et reçue le 6 octobre par l’Agence des Services frontaliers du Canada (l’ASFC), au Centre d’exécution de la région métropolitaine de Toronto. La décision d’ERAR porte la date du 29 décembre 2005. Le Rapport du Département d’État des États‑Unis, qui porte la date du 28 février 2005, fait le point sur la situation des droits de la personne en Iran pour l’année antérieure.

 

[20]           S’agissant de l’affirmation de Mme Nejad selon laquelle l’agent n’a pas tenu compte de la dégradation de la situation des droits de la personne après le changement de gouvernement, j’ai attentivement examiné le contenu du dossier du tribunal. Parmi les documents produits par Mme Nejad, trois seulement sont postérieurs au changement de gouvernement (les onglets H, I et J). Un seul des documents fait mention du nouveau gouvernement (l’onglet J). Ce dernier document est un communiqué de presse du ministère canadien des Affaires étrangères et du Commerce international daté du 5 août 2005, n° 141, dans lequel le ministre des Affaires étrangères de l’époque, M. Pierre Pettigrew, se disait préoccupé par la situation des droits de la personne en Iran et appelait le nouveau gouvernement de ce pays [traduction] « à passer des paroles aux actes et à honorer ses engagements à la fois envers son peuple et envers la communauté internationale ». L’agent d’ERAR n’a commis aucune erreur parce qu’il n’a pas évalué la preuve de Mme Nejad portant sur la dégradation de la situation des droits de la personne après le changement de gouvernement car aucune preuve du genre n’a été produite.

 

[21]           S’agissant de l’affirmation selon laquelle l’agent d’ERAR n’a tenu aucun compte des documents que Mme Nejad avait produits au soutien de sa demande d’ERAR, l’agent d’ERAR écrit ce qui suit, à la page 3 de sa décision :

[traduction] La demanderesse, assistée de son avocat, a présenté le 21 septembre 2005 sa demande d’examen des risques avant renvoi. Dans des observations additionnelles, la demanderesse précisait qu’elle s’est impliquée au Canada dans la défense des droits des femmes iraniennes et, puisque, selon elle, cette activité est étroitement surveillée par la police secrète iranienne au Canada, elle court le risque d’être arrêtée, détenue, violée, torturée et assassinée à son retour en Iran. Pour illustrer le rôle qu’elle joue au Canada dans la défense des droits de la personne en Iran, la demanderesse a produit plusieurs photographies non datées la montrant aux côtés d’autres personnes lors de divers événements organisés pour la défense de cette cause. Je relève qu’elle ne porte pas d’insigne porte‑nom et qu’elle n’est pas autrement identifiée sur les photographies. Est également produite comme attestation de l’existence de faits nouveaux une déclaration solennelle de la demanderesse, datée d’octobre 2005, où il est fait état de son rôle dans ces enjeux et où l’on peut lire qu’elle exerce principalement ses fonctions au moyen du courrier électronique ou du téléphone, encore qu’elle ait participé à des conférences et à des festivités, et où l’on peut même lire que les photographies produites avaient été prises pour étayer sa demande d’ERAR. Cependant, elle n’a apporté aucune preuve attestant ses dires, et ceux de son avocat, selon lesquels la police secrète iranienne au Canada aurait connaissance de ses activités. La recherche que j’ai faite à propos de telles allégations n’a pas non plus permis de découvrir des documents évoquant expressément un risque personnel que pourrait courir la demanderesse.

 

La preuve produite au soutien de cette demande d’ERAR comprend aussi des rapports du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international qui décrivent divers enjeux intéressant les relations canado‑iraniennes, notamment le traitement des femmes, des rapports de même nature portant sur les violations des droits de la personne et provenant de Human Rights Watch et d’Amnesty International, enfin un article de presse de même nature. Aucun des documents produits ne fait expressément mention de la demanderesse; cependant, il y est question de la situation des droits de la personne en Iran, une situation qui est pour l’essentiel restée inchangée depuis que la demande d’asile présentée par la demanderesse a été refusée en juillet 2004.

 

 

[22]           En outre, à la page 5 de sa décision, l’agent d’ERAR mentionne les sources qu’il a consultées :

‑           la demande d’ERAR, les observations qu’elle contient et la preuve à l’appui;

‑           le dossier d’information du Département d’État des États‑Unis sur les pratiques de l’Iran en matière de droits de la personne pour 2004 – http://www.state.gov/g/drl/rls/2004/41721.htm

 

[23]           S’agissant du Rapport du Département d’État des États‑Unis, ce rapport porte la date du 28 février 2005, comme je l’ai dit plus haut. Il s’agit d’un document de 22 pages, à simple interligne, qui donne une description détaillée des conditions ayant cours en Iran. Il reprend l’essentiel des documents de Human Rights Watch et d’Amnesty International produits par Mme Nejad. Le rapport concordait, dans le temps, avec le dépôt de la demande de Mme Nejad et avec la situation qu’elle vivait. Par ailleurs, le dossier ne renferme aucun élément montrant que le prétendu changement survenu dans la situation des droits de la personne au cours des dix mois écoulés entre la date du rapport et la date de l’ERAR fut tel que l’information contenue dans le Rapport du Département d’État sur la situation ayant cours en Iran avait cessé d’être exacte.

 

[24]           L’identité ou le profil de Mme Nejad est au cœur de la décision de l’agent d’ERAR. Mme Nejad dit qu’elle est exposée à des risques en raison de la situation générale qui a cours dans le pays. Cela ne suffit pas. Dans la décision Sedarat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 805, A.C.F. n° 1021, le juge Blais résume l’obligation d’établir un lien entre la situation personnelle d’un demandeur d’asile et la preuve documentaire se rapportant aux violations des droits de la personne en Iran. Au paragraphe 17, il écrit ce qui suit :

17    Il n’y a aucun élément de preuve qui appuie l’affirmation du demandeur suivant laquelle il serait personnellement victime de discrimination parce que les autorités iraniennes le perçoivent comme étant trop occidentalisé et, partant, comme indésirable. Dans le jugement Al‑Shammari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [2002] A.C.F. no 478, le juge Edmond P. Blanchard déclare ce qui suit, au paragraphe 24 :

 

La jurisprudence de cette Cour est abondante, un revendicateur doit établir un lien crédible entre sa revendication et la situation objective régnant dans un État pour être reconnu un réfugié au sens de la Convention [Canada (Secrétaire d’État) c. Jules, (1994) 84 F.T.R. 161]. Donc, il ne suffit pas pour un demandeur de déposer de la preuve faisant état de problèmes vécus par certains de ses concitoyens. Il faut également qu’il établisse un lien entre sa revendication et la situation objective dans son pays.

 

[25]           À la date de l’ERAR, Mme Nejad n’a pas pu prouver qu’elle était une personne qui présenterait de l’intérêt pour les autorités iraniennes et qui, par conséquent, était exposée à un risque. L’agent d’ERAR a estimé que la nature des activités qu’elle menait au Canada n’éveillerait pas l’attention des autorités iraniennes. Plus exactement, elle n’était pas une personne que le gouvernement iranien verrait comme une menace. Mme Nejad a dit que les activités des personnes impliquées au Canada dans la défense des droits des femmes iraniennes sont étroitement surveillées par la police secrète iranienne au Canada. Aucune preuve de ce fait n’a été apportée. Mme Nejad soutient que l’obligation de prouver ce fait conduit à une impasse parce qu’il est impossible de le prouver. Cependant, Mme Nejad n’était pas tenue de prouver la présence de la police secrète iranienne au Canada. Elle devait établir le fondement qui l’autorisait à faire une telle affirmation. Ce n’est pas la même chose.

 

[26]           L’agent d’ERAR ayant estimé que Mme Nejad n’avait pas l’identité ou le profil propre aux activistes en matière de défense des droits de la personne en Iran, tels qu’ils sont évoqués dans la preuve documentaire, il a passé en revue la preuve et fait porter son attention sur l’extrait du Rapport du Département d’État des États‑Unis qui, selon lui, intéressait le cas personnel de Mme Nejad. L’agent d’ERAR a évalué le risque auquel serait exposée Mme Nejad en tant qu’Iranienne retournant dans son pays après un voyage à l’étranger. Au vu de la preuve que l’agent d’ERAR avait devant lui, à l’époque de l’examen, cette approche n’était pas déraisonnable, et elle ne constituait pas non plus une lecture sélective des documents d’information sur le pays.

 

L’audience

[27]           Bien que la tenue d’une audience n’ait pas été demandée, Mme Nejad fait valoir que l’agent d’ERAR aurait dû la convoquer à une entrevue. Une demande d’ERAR est en général jugée d’après des observations écrites. L’alinéa 113b) de la LIPR prévoit la tenue d’une audience lorsque le ministre le juge nécessaire compte tenu des facteurs réglementaires. Les facteurs réglementaires sont énumérés dans l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement).

167.  Pour l’application de l’alinéa 113b) de la Loi, les facteurs ci‑après servent à décider si la tenue d’une audience est requise :

 

167. For the purpose of determining whether a hearing is required under paragraph 113(b) of the Act, the factors are the following:

 

a) l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

 

(a) whether there is evidence that raises a serious issue of the applicant’s credibility and is related to the factors set out in sections 96 and 97 of the Act;

 

b) l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

 

(b) whether the evidence is central to the decision with respect to the application for protection; and

 

c) la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection

 

(c) whether the evidence, if accepted, would justify allowing the application for protection.

 

[28]           Dans le jugement Demirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 1284, A.C.F. n° 1560, la juge Dawson a considéré que les critères énumérés à l’article 167 sont cumulatifs. Aux paragraphes 9 et 10, elle écrivait ce qui suit :

9     Selon la jurisprudence de la Cour, les critères de l’article 167 sont cumulatifs. Voir les décisions suivantes : Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 452 (1re inst.), au paragraphe 6, et Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1134 (1re inst.), aux paragraphes 25 à 27.

 

10     Je suis d’avis que cette jurisprudence dit le droit correctement. Cette interprétation découle du terme « and » dans l’alinéa b) de la version anglaise du texte et elle est étayée par l’expression « ces éléments de preuve » aux alinéas b) et c). Si on interprétait les alinéas b) et c) en faisant abstraction de l’alinéa a), l’expression « ces éléments de preuve » serait vague et son sens incertain. Lorsque ces alinéas sont considérés de manière cumulative, le sens de la disposition est clair : « ces éléments de preuve » visés par les alinéas b) et c) sont ceux qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur.

 

 

 

[29]           Je souscris au raisonnement de ma collègue et je l’applique ici. L’agent d’ERAR n’a pas dit en l’espèce qu’il ne croyait pas Mme Nejad. Puisque la crédibilité n’était pas en cause, la tenue d’une audience n’était pas requise. Le problème ici n’était pas la crédibilité de Mme Nejad, c’était la pertinence de la preuve.

 

[30]           Il convient de noter qu’un ERAR ne constitue pas un appel à l’encontre de la décision de la SPR. Il s’agit d’un examen qui est fondé sur des faits nouveaux ou sur des preuves nouvelles – selon la définition qu’en donne l’alinéa 113a) de la LIPR  montrant que l’intéressé est maintenant exposé à un risque de persécution, à un risque de torture, à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités. Il s’agit d’un risque personnalisé. L’agent d’ERAR a conclu que Mme Nejad n’avait pas établi, au moment de l’ERAR, que ses activités étaient telles qu’elles la plaçaient dans la position d’une personne susceptible d’intéresser les autorités iraniennes.

 

[31]           La norme de la décision raisonnable est décrite ainsi dans l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, aux paragraphes 55 et 56 :

55     La décision n’est déraisonnable que si aucun mode d’analyse, dans les motifs avancés, ne pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait. Si l’un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n’est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir (Southam, par. 56). Cela signifie qu’une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n’est pas convaincante aux yeux de la cour de révision (voir Southam, par. 79).

 

56     Cela ne signifie pas que chaque élément du raisonnement présenté doive passer individuellement le test du caractère raisonnable. La question est plutôt de savoir si les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision. Une cour qui applique la norme de la décision raisonnable doit toujours évaluer si la décision motivée a une base adéquate, sans oublier que la question examinée n’exige pas un résultat unique précis. De plus, la cour ne devrait pas s’arrêter à une ou plusieurs erreurs ou composantes de la décision qui n’affectent pas la décision dans son ensemble.

 

[32]           J’ai soumis les motifs de l’agent d’ERAR aux rigueurs d’un examen assez poussé, et je suis d’avis qu’ils sont défendables et qu’ils trouvent appui dans la preuve. En somme, je suis d’avis que la preuve produite par Mme Nejad a été validement étudiée, que l’agent n’a pas fait une lecture sélective de la preuve et que sa conclusion selon laquelle la preuve ne suffisait pas à établir que Mme Nejad, au moment de l’ERAR, était exposée à un risque, était une conclusion raisonnable.

 

[33]           Il est loisible à Mme Nejad de présenter une autre demande d’ERAR (voir l’article 165 du Règlement), mais elle n’aura pas droit, dans une deuxième demande, au bénéfice d’un sursis d’exécution de la mesure de renvoi prononcée contre elle. Elle peut aussi demander, en vertu de l’article 25 de la LIPR, une dispense d’application des critères fixés par la loi, en alléguant des motifs d’ordre humanitaire.

 

[34]           Les avocats n’ont pas proposé de question à certifier, et aucune n’est certifiée.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

« Carolyn Layden‑Stevenson »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑543‑06

 

 

INTITULÉ :                                       SORAYA HAGHIGHI NEJAD

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 23 NOVEMBRE 2006

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE LAYDEN‑STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 29 NOVEMBRE 2006

 

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Thomas Richards

 

POUR LA DEMANDERESSE

Martin Anderson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Thomas G. Richards

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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