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Date : 20061122

Dossier : IMM-7148-05

Référence : 2006 CF 1415

Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER

 

ENTRE :

MOHAMMED HAMID WAZID,

HEMWATTIE WAJID,

ARON WAJID,

CHRISTOPHER WAJID

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               M. Mohammed Hamid Wazid et ses fils, Aron et Christopher, ont quitté le Guyana et sont arrivés au Canada en décembre 2001. L’épouse de M. Wazid, Hemwattie, les a rejoints deux semaines plus tard. La famille indo-guyanienne a demandé l’asile, disant craindre d’être persécutée du fait de sa race par la population noire du Guyana. Leur demande a été refusée en janvier 2003 et des mesures de renvoi ont été prises à leur endroit. En décembre 2004, ils ont sollicité une dispense pour motifs d’ordre humanitaire (la demande CH) de façon à pouvoir demander en territoire canadien le statut de résident permanent.

 

[2]               Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de rejeter leur demande CH.

 

[3]               Ils soutiennent que l’agente d’immigration a omis de prendre en considération les difficultés auxquelles ils s’exposeraient s’ils avaient à demander la résidence permanente à partir du Guyana. Plus particulièrement, cette agente aurait, selon eux, mal interprété le critère des difficultés, en ce sens qu’elle lui a associé l’exigence selon laquelle une personne qui présente une demande CH doit être exposée à un risque de décès ou de torture pour pouvoir obtenir une dispense en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la LIPR).

 

[4]               Les demandeurs soutiennent en outre que l’agente a mal interprété des éléments de preuve pertinents ou en a fait abstraction et qu’elle n’a pas motivé convenablement sa décision car elle n’y traite nullement de la volumineuse preuve documentaire qu’ils ont produite à l’appui de leur demande CH.

 

[5]               Enfin, ils allèguent que l’agente n’a pas examiné comme il se devait leur degré d’établissement au Canada.

 

[6]               Pour les motifs qui suivent, la Cour est arrivée à la conclusion que la décision ne comporte aucune erreur susceptible de révision.

 

NORME DE CONTRÔLE

[7]               Dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, [1999] A.C.S. no 39 (QL), la Cour suprême du Canada a conclu que les décisions que prennent les agents d’immigration au sujet d’une demande CH doivent être contrôlées d’après la norme de la décision raisonnable simpliciter.

 

[8]               Il s’agit là d’une conclusion importante car elle signifie que la cour de révision ne peut pas apprécier la preuve et substituer sa propre évaluation à celle de l’agent. Pour ce qui est du caractère raisonnable de la décision, il n’est pas question de savoir si l’agent est arrivé au bon résultat, mais plutôt : « [s]i l’un quelconque des motifs pouvant étayer la décision est capable de résister à un examen assez poussé, alors la décision n’est pas déraisonnable et la cour de révision ne doit pas intervenir » (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 55).

 

[9]               Quant à la question de savoir si l’agent a appliqué ou non le critère exact, il s’agit là d’une question de droit à laquelle la Cour appliquera la norme de la décision correcte. Enfin, pour ce qui est du caractère approprié des motifs de l’agent, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse fonctionnelle et pragmatique pour déterminer la norme de contrôle applicable : Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 49, [2004] 3 R.C.F. 195; Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404, [2005] A.C.F. no 2056 (QL). Habituellement, la Cour n’interviendra que s’il y a eu manquement à l’équité procédurale.

 

ANALYSE

a.       Le critère

[10]           Dans l’arrêt Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] A.C.F. no 457 (QL), [l’arrêt Legault], la Cour d’appel fédérale a clairement indiqué que les agents d’immigration doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire en faveur d’un demandeur lorsque les difficultés qu’occasionnerait à ce dernier le fait d’avoir à présenter une demande depuis l’étranger sont inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[11]           L’argument des demandeurs sous-entend que l’agente a confondu par erreur le degré de difficulté qu’exige le paragraphe 25(1) de la LIPR avec celui qui s’applique à une demande visée par le paragraphe 97(1) de la LIPR. Si c’est ce qu’a fait l’agente, il est indubitable qu’il s’agit là d’une erreur susceptible de révision (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (C.A.), [2001] 2 C.F. 164, [2000] A.C.F. no 2118 (QL)).

 

[12]           Cependant, rien n’indique en l’espèce que l’agente a commis une telle erreur. Dans ses motifs, cette dernière ne fait aucunement mention, pour justifier sa décision, de l’absence de mort ou de torture probables. Après avoir soigneusement examiné la décision, la Cour n’est tout simplement pas convaincue que la décisionnaire a appliqué le mauvais critère.

 

b.   Degré d’établissement au Canada

[13]           Pour ce qui est du degré d’établissement des demandeurs, l’agente explique clairement les motifs pour lesquels elle déclare qu’une sortie temporaire des demandeurs pour produire leur demande, conformément aux règles habituelles, ne causerait pas de difficultés injustifiées. Elle signale que ces derniers, à l’époque où ils vivaient au Guyana, étaient dûment employés et qu’ils ont dans ce pays 16 000 $ conservés dans un compte bancaire, ainsi que de la famille. Elle conclut aussi que leur degré d’établissement au Canada n’est pas exceptionnel et qu’ils ont acheté leur maison et s’y sont installés en sachant qu’ils étaient sous le coup d’une mesure de renvoi et sans statut au Canada.

 

[14]           Bien que l’établissement au Canada soit reconnu comme un facteur pertinent dans le cadre de l’évaluation d’une demande CH, la Cour a déclaré à maintes reprises qu’il convient d’évaluer ce facteur sous l’angle des « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » (voir l’arrêt Legault, précité). Les répercussions pratiques de cette exigence sont décrites comme suit par le juge Michel Shore dans la décision Hanzai c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2006 CF 1108, au paragraphe 22 :

Il est de jurisprudence constante que les difficultés causées au demandeur doivent être plus sévères que les simples inconvénients ou coûts prévisibles qu'entraînerait son départ du Canada, tels que la vente d'une maison ou d'une voiture ou le fait de devoir se séparer de membres de sa famille ou de ses amis (Irimie, précité, aux paragraphes 12 et 17; Mayburov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 953 (QL), au paragraphe 7; Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 7, [2001] A.C.F. no 139 (QL), au paragraphe 14).

 

 

[15]           Le mot « exceptionnel » qu’emploie l’agente doit être lu dans son juste contexte. Le paragraphe 25(1) de la LIPR traite d’une exception à la règle générale, et il est évident qu’il ne faudrait pas s’en servir pour inciter à abuser du régime d’immigration canadien.

 

[16]           Même si les demandeurs ont agi en bons citoyens depuis leur arrivée au Canada et qu’ils continueraient vraisemblablement de le faire, il faut évaluer leur situation en gardant à l’esprit les propos du juge Denis Pelletier dans la décision Irimie c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (2000) 10 Imm. L.R. (3d) 206, [2000] A.C.F. no 1906 (QL), au paragraphe 26 :

Je reviens à l’observation que j’ai faite, à savoir que la preuve donne à entendre que les demandeurs s’intégreraient avec succès dans la collectivité canadienne. Malheureusement, tel n’est pas le critère. Si l’on appliquait ce critère, la procédure d’examen des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire deviendrait un mécanisme d’examen ex post facto l’emportant sur la procédure d’examen préalable prévue par la Loi sur l’immigration et par son règlement d’application. Cela encouragerait les gens à tenter leur chance et à revendiquer le statut de réfugié en croyant que s’ils peuvent rester au Canada suffisamment longtemps pour démontrer qu’ils sont le genre de gens que le Canada recherche, ils seront autorisés à rester. La procédure applicable aux demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire n’est pas destinée à éliminer les difficultés; elle est destinée à accorder une réparation en cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Le refus de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire causera sans doute des difficultés aux demandeurs, mais eu égard aux circonstances de leur présence au Canada et à l’état du dossier, il ne s’agit pas d’une difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive.

 

 

[17]           La Cour est convaincue que la décision prise par l’agente à propos du degré d’établissement au Canada résiste à un examen assez poussé.

 

c.         Motifs adéquats et risques au Guyana

[18]           La Cour ne peut partager le point de vue des demandeurs selon lequel l’agente a omis de fournir des motifs adéquats au sujet du risque qu’ils courraient au Guyana parce qu’elle n’a pas analysé la preuve documentaire que leur consultant a soumise.

 

[19]           Dans la décision Jeffrey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 206 CF 605, [2006] A.C.F. no 789 (QL), le juge Richard Mosley passe en revue la jurisprudence récente concernant l’obligation qu’ont les agents d’immigration de motiver leur décision dans le contexte des demandes CH. Ces agents, mentionne-t-il, ne sont pas tenus de fournir des motifs aussi détaillés que ceux que rendent les tribunaux administratifs. Je suis d’accord avec sa conclusion qu’un agent n’est pas tenu d’expliquer pourquoi le renvoi d’un demandeur ne causera pas à ce dernier des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. L’agent doit plutôt faire ressortir les lacunes de la demande qui ont motivé sa décision. En fait, les motifs seront adéquats si un demandeur et la Cour, au stade du contrôle judiciaire, savent pourquoi la demande CH a été rejetée.

 

[20]           Dans chaque cas, la décision doit être lue dans le contexte des circonstances particulières de la demande CH qui est contestée, y compris les observations écrites présentées pour le compte du demandeur. Dans le cas présent, le consultant en immigration n’a donné absolument aucun détail sur ce qui était arrivé aux demandeurs au Guyana avant leur départ pour le Canada. La demande CH ne contenait à cet égard aucun affidavit ni aucune déclaration de leur part. Le consultant n’a fait allusion qu’en termes vagues à la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR), sans en fournir une copie à l’agente. Il n’y a qu’un seul paragraphe qui traite de cette question, à la dernière page des observations écrites, et il y est  simplement dit que si les demandeurs étaient contraints de retourner au Guyana, ils s’exposeraient de nouveau à de graves difficultés d’ordre racial et politique. Aucun des dix-neuf éléments joints à ces observations ne traite de ce risque-là. Il est évident que l’accent a été mis sur le degré d’établissement des demandeurs et les difficultés que causerait le fait d’avoir à quitter leur nouvelle vie au Canada.

 

[21]           Dans les observations mises à jour, datées du 28 décembre 2004, le consultant fait de nouveau mention des mêmes risques dans un paragraphe traitant des [traduction] « autres difficultés ». Il y mentionne que [traduction] « M. et Mme Wazid allèguent qu’avant leur départ du Guyana, ils étaient membres du PPP et qu’à cause de cela, ils ont été victimes d’actes de violence et de persécution politique de la part du PNC et de ses partisans. En outre, étant d’origine indo-guyanienne, toute la famille a été victime de haine et de violence raciales ».

 

[22]           Le consultant conclut que les membres de la famille Wazid craignent que leur vie serait en danger s’ils retournaient au Guyana. Sont joints à la lettre du consultant quarante-sept éléments; deux seulement (les numéros 32 et 33) sont des documents en liasse portant sur la situation générale au Guyana. Le consultant n’explique pas en quoi ces documents sont liés à la situation personnelle des demandeurs. Il ne se reporte qu’à un passage où il est indiqué que le vice-président d’un important parti politique justifie la violence exercée contre les Indiens et que le ministre de l’Intérieur (Minister of Home Affairs) a vu son visa canadien révoqué par le gouvernement canadien à cause du rôle qu’il a joué dans des [traduction] « assassinats anti-radicaux ».

 

[23]           Dans son dossier de demande, M. Wazid a inclus un affidavit exposant en détail ce qui est était arrivé à sa famille avant qu’elle quitte le Guyana pour le Canada. Cependant, la Cour ne peut prendre en considération cet élément de preuve, qui n’a pas été soumis à la décisionnaire.

 

[24]           Il est important de garder à l’esprit que les demandeurs sollicitaient un privilège en demandant une dispense au titre du paragraphe 25(1) de la LIPR. Ils avaient le fardeau de présenter leur cause sous son meilleur jour et de veiller à ce que leur situation personnelle, de même que les risques qu’ils couraient, soient clairement expliqués à l’agente chargée d’examiner leur demande. La Cour sympathise beaucoup avec les demandeurs pour leur triste sort, mais il ne faudrait pas qu’un contrôle judiciaire serve de moyen d’obtenir une seconde chance de s’acquitter de ce fardeau.

 

[25]           Dans les circonstances particulières de l’espèce, il était loisible à l’agente de conclure que les demandeurs n’avaient pas fourni de preuves suffisantes pour étayer leurs affirmations concernant les risques de leur retour au Guyana. Il ressort clairement de la décision que le risque mentionné englobe celui des difficultés personnelles, politiques et raciales qu’allèguent les demandeurs, et que la décisionnaire a bel et bien pris en compte le résumé de la situation du pays dont il est fait état dans les observations écrites.

 

[26]           Il se peut fort bien que les motifs auraient pu être mieux rédigés ou que l’agente aurait pu donner plus de détails sur la preuve documentaire. Toutefois, compte tenu des observations dont l’agente disposait, la Cour est convaincue que cette dernière n’a pas manqué à son obligation d’expliquer sa décision.

 

[27]           Les demandeurs auront la possibilité de présenter leur situation de façon plus détaillée s’ils demandent un examen des risques avant renvoi.

 

[28]           Aucune question de portée générale à certifier n'a été proposée. La Cour est convaincue que la présente affaire est un cas d’espèce.

 

 

 

ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7148-05

 

INTITULÉ :                                       MOHAMMED HAMID WAZID, HEMWATTIE WAJID, ARON WAJID, CHRISTOPHER WAJID

 

                                                            c.

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 18 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 22 NOVEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joel Etienne

 

POUR LES DEMANDEURS

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

SOLICITORS OF RECORD :

 

Joel Etienne

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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