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Date : 20061121

Dossier : IMM‑7498‑05

Référence : 2006 CF 1412

Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

 

ENTRE :

ZAHEER MOHIUDDIN MOHAMMED

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Historique

[1]             Il s’agit d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), L.C. 2001, ch. 27, en vue du contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent de Citoyenneté et Immigration (l’agent d’immigration) a conclu, le 5 décembre 2005, que le demandeur était interdit de territoire au Canada conformément au paragraphe 34(1) de la LIPR.

 

[2]             Zaheer Mohiuddin Mohammed (le demandeur), un réfugié au sens de la Convention, a demandé à résider en permanence au Canada, mais sa demande a été rejetée le 5 décembre 2005, conformément à l’alinéa 34(1)f) de la LIPR, du fait de son appartenance à la faction Altaf du Mohajir Quami Movement (le MQM‑A). Le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration a allégué que, selon certains renseignements qu’il possédait, le MQM‑A avait été l’auteur d’actes de terrorisme. Le demandeur admet être membre du MQM‑A, mais il conteste que le MQM‑A est une organisation terroriste.

 

[3]             Dans un rapport antérieur établi en vertu du paragraphe 44(1) et daté du 21 mai 2002, on avait conclu que le demandeur était interdit de territoire du fait de son appartenance au MQM. Le défendeur a ensuite consenti à ce que l’affaire soit tranchée à nouveau et à ce que le dossier soit rouvert.

 

[4]             Le demandeur affirme que le MQM‑A est un parti politique légalement reconnu au Pakistan et que l’organisation n’a jamais été l’auteur d’actes de terrorisme, bien que certains de ces membres puissent s’être livrés au terrorisme. Selon le demandeur, c’était l’autre faction du MQM, le Haqiqi (le MQM‑H), qui était l’auteur d’actes de terrorisme.

 

[5]             Dans la nouvelle décision, l’agent d’immigration a affirmé ce qui suit :

[TRADUCTION]

J’ai tenu compte de la preuve documentaire présentée par le conseil inscrit au dossier pour le compte de M. Mohammed, de l’aveu selon lequel M. Mohammed est membre du MQM (faction Altaf) et du fait que M. Mohammed appuie l’idéologie et les principes prônés par le parti. À mon avis, il existe des motifs raisonnables de croire que M. Mohammed est membre du groupe MQM Altaf, une organisation à l’égard de laquelle il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités terroristes.

 

M. Zaheer Mohiuddin Mohammed a fait l’objet d’un rapport en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. En outre, compte tenu des faits de l’affaire et des réponses données par le demandeur, ce dernier a fait une demande directe en vue d’obtenir une dispense ministérielle et l’affaire est déférée au ministre.

 

[6]             Le demandeur a été invité à présenter des observations en vertu du paragraphe 34(2) de la LIPR, ce qu’il a fait, en demandant au ministre d’exprimer l’avis selon lequel son admission ne serait pas préjudiciable à l’intérêt national. L’agent d’immigration a également établi un rapport en application du paragraphe 44(1), lequel rapport fait partie du dossier du tribunal. Toutefois, il ne sera pas donné suite à ce rapport, qui est tenu en suspens, tant que le ministre n’aura pas rendu une décision en application du paragraphe 34(2) de la LIPR.

 

[7]             Le 14 décembre 2005, le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’immigration portant qu’il était interdit de territoire en vertu du paragraphe 34(1) de la LIPR. La demande de dispense ministérielle est encore pendante.

 

La question en litige

 

[8]             Une seule question a été débattue devant moi, à savoir si la décision que l’agent d’immigration a rendue en application du paragraphe 34(1) de la LIPR est susceptible de contrôle judiciaire.

 

La position des parties

[9]             Le défendeur soutient que la présente demande est prématurée. Il fait valoir que la décision de l’agent d’immigration est une décision interlocutoire et qu’elle n’est pas susceptible de contrôle judiciaire tant que le ministre n’aura pas rendu une décision en application du paragraphe 34(2). Selon le défendeur, si le ministre rend une décision favorable au demandeur, aucun contrôle n’est nécessaire. Toutefois, si la décision prévue au paragraphe 34(2) est défavorable au demandeur, celui‑ci pourra alors solliciter le contrôle de la décision rendue par le ministre en application du paragraphe 34(2) et/ou un contrôle de la décision rendue par l’agent d’immigration en application du paragraphe 34(1).

 

[10]         Le demandeur affirme que ces deux décisions sont différentes et que, même si le ministre rend une décision favorable en application du paragraphe 34(2), cela n’éliminera pas la conclusion tirée en application du paragraphe 34(1), à savoir que le demandeur est membre d’une organisation terroriste. Le demandeur invoque la décision rendue par la juge Mactavish dans l’affaire Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1174.

 

Analyse

[11]         Les deux parties s’entendent pour dire que la présente affaire correspond sur tous les points à l’affaire Ali, précitée. Le défendeur me prie de ne pas suivre cette dernière décision, ou si je l’applique, de certifier de nouveau la question que la juge Mactavish a certifiée, mais qu’il n’a jamais portée en appel. Le défendeur déclare que, habituellement, à la suite d’une conclusion d’interdiction de territoire fondée sur le paragraphe 34(1), aucune décision de renvoi n’est mise à exécution lorsqu’une demande fondée sur le paragraphe 34(2) est pendante. Il fait mention du Manuel de l’immigration de CIC, chapitre IP 10, qui prévoit ce qui suit à la section 10 :

Les mesures d’exécution de la loi ne sont pas automatiquement suspendues en raison d’une demande de dispense ministérielle. Cela inclut la rédaction d’un rapport L44(1), l’examen du rapport et l’enquête. Toutefois, lorsqu’il s’agit de décider s’il faut déférer immédiatement le rapport à la Section de l’immigration, conformément au L44(2), le délégué du ministre doit tenir compte de toutes les circonstances de la cause, y compris la demande de dispense ministérielle. Si l’on envisage d’octroyer la dispense ministérielle, les mesures d’exécution de la loi doivent être suspendues.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[12]         Selon le défendeur, l’IP 10 correspond aux dispositions de la Loi et la juge Mactavish a commis une erreur en tirant une conclusion contraire.

 

[13]         Dans la décision Ali, précitée, la juge Mactavish a décidé ce qui suit, aux paragraphes 39 à 46 :

La conclusion de l=agente d=immigration, tirée en application du paragraphe 34(1), est‑elle de nature interlocutoire?

 

39            Il est vrai que l=article 34 traite de la question globale de l=admissibilité au Canada et qu=aucune décision finale quant à l=admissibilité de M. Ali ne sera rendue tant que sa demande de redressement ministériel ne sera pas tranchée définitivement. Cela étant dit, il ne s=ensuit pas nécessairement que la décision rendue par l=agente d=immigration, conformément au paragraphe 34(1), selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire que M. Ali est membre d=une organisation terroriste, est de nature interlocutoire.

 

40            L=article 34 de la LIPR comporte deux éléments. Lorsqu=on le lit conjointement avec l=article 33, le paragraphe 34(1) prévoit le fait qu=un agent d=immigration tranche la question de savoir si, entre autres choses, il y a des motifs raisonnables de croire qu=un demandeur est membre d=une organisation terroriste.

 

41            Le paragraphe 34(2) prévoit qu=un décideur différent C à savoir le ministre lui‑même C examine la question de savoir si la présence constante d=un étranger tel que M. Ali au Canada serait préjudiciable à l=intérêt national.

 

42.           Une enquête relative au paragraphe 34(2) vise une question différente de celle envisagée au paragraphe 34(1). La question que doit trancher le ministre en vertu du paragraphe 34(2) n=est pas celle de la justesse de la décision de l=agent selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire qu=un demandeur est membre d=une organisation terroriste C cette décision aura déjà été rendue. Le ministre est plutôt chargé d=examiner la question de savoir si, en dépit de l=appartenance du demandeur à une organisation terroriste, il serait préjudiciable à l=intérêt national de permettre au demandeur de demeurer au Canada.

 

43            En d=autres mots, le paragraphe 34(2) habilite le ministre à accorder un redressement exceptionnel, malgré la conclusion ayant déjà été tirée par l=agent d=immigration.

 

44            Par conséquent, je suis convaincue que la décision de l=agente d=immigration en cause en l=espèce tranchait une question de fond soulevée dans le cadre de la demande de résidence permanente de M. Ali C à savoir s=il y a des motifs raisonnables de croire qu=il est membre d=une organisation terroriste. Il ne s=agit pas d=une étape préliminaire ou interlocutoire dans le processus. Il s=agit d=une conclusion d=interdiction de territoire, sujette à l=octroi d=un redressement exceptionnel fondé sur une considération relative à l=intérêt national.

 

45            Ce point de vue trouve appui dans le fait que, une fois que l=entrevue du 28 mai 2003 de M. Ali a eu lieu, l=agente d=immigration a estimé qu=il était approprié de préparer un rapport relatif à l=article 44 confirmant son opinion selon laquelle M. Ali était interdit de territoire.

 

46            Je ne suis pas convaincue qu=une conclusion favorable de la part du ministre, relativement à la demande de redressement ministériel de M. Ali, aurait pour effet de rendre la présente demande inutile ou théorique. Une conclusion de la part du ministre, en application du paragraphe 34(2), selon laquelle la présence constante de M. Ali au Canada ne serait nullement préjudiciable à l=intérêt national, permettrait à M. Ali de se voir accorder la résidence permanente, qui est, après tout, ce qu=il vise à obtenir. Toutefois, M. Ali serait toujours pris avec la conclusion selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire qu=il est membre d=une organisation terroriste. Il s=agit d=une conclusion très grave, laquelle peut avoir des répercussions pour M. Ali dans l=avenir.

 

 

[14]         Je conclus que la décision rendue par la juge Mactavish est fort convaincante. Je note également que l’IP 10 n’avance pas la position prise par le défendeur. Comme le montre le passage précité, il n’est nulle part dit d’une façon catégorique qu’un rapport établi en application de l’article 44 ne sera pas déféré à la Section de l’immigration lorsqu’une dispense est demandée en application du paragraphe 34(2). Ce passage donne simplement à entendre qu’il sera tenu compte de toutes les circonstances.

 

[15]         Je ferai également remarquer qu’aucun délai n’est fixé au paragraphe 34(2) aux fins de la présentation au ministre d’une demande fondée sur cette disposition ou de l’exercice par le ministre des droits qui lui sont conférés par cette disposition. Selon moi, cela mine encore plus l’argument du défendeur selon lequel la décision prévue au paragraphe 34(1) est une décision interlocutoire une fois qu’une dispense a été demandée en application du paragraphe 34(2). Somme toute, la dispense peut être demandée et accordée même après le début du contrôle judiciaire. (Voir Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 121.)

 

[16]         Par conséquent, pour des raisons de courtoisie judiciaire et parce que je souscris à la logique de ses arguments, je suivrai la décision que la juge Mactavish a rendue dans l’affaire Ali, précitée.

 

[17]         Aucune autre question de fond n’a été débattue devant moi. Les deux parties s’entendent pour dire que la présente affaire est presque identique à l’affaire Ali, précitée. Dans cette dernière décision, la juge Mactavish est arrivée à la conclusion suivante :

68. En l’espèce, les motifs de l’agente ne fournissent pas un fondement adéquat à sa conclusion selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire que le MQM‑A est un groupe qui se livre à des activités terroristes. Plus particulièrement, il n’y a aucune analyse du rapport de la CISR ni aucune précision quant aux activités exercées par le MQM‑A que l’agente estime être de nature terroriste. À mon avis, vu le caractère sérieux de la conclusion en cause et des conséquences en découlant pour M. Ali, il incombait à l’agente de fournir certaines explications au sujet de sa conclusion selon laquelle il y a des motifs raisonnables de croire que le MQM‑A est une organisation terroriste. Son omission de le faire constitue une erreur susceptible de révision.

 

 

[18]         De même, en l’espèce, l’agent n’a fourni aucune analyse à l’appui de ses convictions raisonnables. Par conséquent, pour les motifs énoncés par la juge Mactavish, la décision ne peut pas être maintenue. La demande de réexamen sera accueillie.

 

La question certifiée

[19]         La juge Mactavish a certifié la question suivante :

[TRADUCTION]

Une décision rendue en application du paragraphe 34(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est‑elle susceptible de contrôle judiciaire si une demande de redressement ministériel en application du paragraphe 34(2) est pendante et qu’aucune décision n’a été rendue sur la demande d’établissement?

 

 

[20]         Le défendeur n’a pas soumis cette question à la Cour d’appel fédérale et il n’a donné aucune explication pour avoir omis de le faire. L’avocat du défendeur s’est contenté de dire que le défendeur aurait dû interjeter appel, mais qu’il ne l’a pas fait. Aucune question d’intérêt public impérieuse n’a été avancée. Le manuel de l’immigration ne fait pas état de la soi‑disant politique opérationnelle du défendeur. Il s’agit d’une question que le demandeur n’a pas créée et d’une question dont il y avait lieu de croire qu’elle avait été réglée par la jurisprudence. Le réexamen de la question aurait pour effet de prolonger énormément le temps pendant lequel le demandeur devra attendre avant que la question relative à son admissibilité soit réglée. Pour tous ces motifs, je ne suis pas prêt à certifier de nouveau la question.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision de l’agent Argyrides en date du 5 décembre 2005 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour réexamen.

 

 

« Konrad W. von Finckenstein »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑7498‑05

 

 

INTITULÉ :                                                   MOHAMMED

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 20 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE von FINCKENSTEIN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 21 NOVEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

POUR LE DEMANDEUR

 

Lorne McClenaghan

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman et associés

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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