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Date : 20061110

Dossier : IMM-3733-04

Référence : 2006 CF 1370

Toronto (Ontario), le 10 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

JASINDAN RAGUPATHY

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, un citoyen du Sri Lanka d’origine tamoule maintenant âgé de 24 ans, est un réfugié au sens de la Convention. Devenu un résident permanent du Canada en janvier 1999, il est maintenant interdit de territoire pour grande criminalité au sens de l’article 36 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Dans un avis donné le 26 mars 2004, la déléguée du ministre a conclu que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada (l’avis de danger), de sorte qu’il peut être renvoyé du Canada en application de l’alinéa 115(2)a) de la Loi. La principale question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire consiste à déterminer si le demandeur a droit à un nouvel examen des risques avant que le ministre procède à son renvoi.

Le contexte

L’avis de danger

[2]               Dans l’avis de danger daté du 26 mars 2004, la déléguée du ministre a conclu que la présence du demandeur au Canada présentait un danger important pour le public et que ce risque l’emportait sur la faible possibilité qu’il soit persécuté ou torturé s’il était renvoyé au Sri Lanka. Elle a précisé que la situation au Sri Lanka s’était améliorée depuis 1998, lorsque le demandeur avait fui ce pays en qualité de réfugié.

La demande de report du renvoi et d’ERAR

[3]               Le 16 avril 2004, le demandeur a écrit à une agente d’exécution du Centre d’exécution de la Loi du Toronto métropolitain pour lui demander de reporter son renvoi du Canada, qui était fixé au 27 avril 2004, parce que la situation avait récemment changé au Sri Lanka :

[traduction] [...] La présente lettre a pour but de vous demander de reporter son renvoi du Canada qui, si je comprends bien, est fixé actuellement au 27 avril 2004. Compte tenu du changement survenu dans la situation politique du Sri Lanka au cours des deux dernières semaines, il existe une nouvelle preuve, qui n’a pas été examinée auparavant, démontrant qu’un jeune Tamoul comme M. Ragupathy court un risque. M. Ragupathy s’est déjà vu reconnaître le statut de réfugié du Sri Lanka par le Canada. Nous demandons donc à la déléguée du ministre de réexaminer l’avis de danger donné en application du paragraphe 115(2) qui reposait largement sur l’existence d’un accord de paix, lequel n’a plus effet actuellement. [...]

 

[...] La déléguée du ministre a déterminé que M. Ragupathy ne courait plus aucun risque au Sri Lanka parce que le climat politique a changé dans ce pays depuis 1998 en raison de la signature d’un accord de paix entre le gouvernement et les TLET. À la lumière des résultats de l’élection tenue au début d’avril et du conflit qui oppose différentes factions au sein des TLET, il semble que l’accord de paix soit compromis et que la guerre se poursuivra probablement. J’ai joint à la présente des documents que vous pourrez examiner; je vous en ferai parvenir d’autres au cours des prochains jours. La liste inclut notamment les documents suivants :

 

[...]

 

En résumé, les nouveaux documents révèlent que des combats intenses font rage dans l’est du Sri Lanka entre une faction des TLET menée par le colonel Karuna et le groupe principal des TLET dirigé par Velupillai Pirabakaran. Des milliers de Tamouls du nord et de l’est du pays ont maintenant été déplacés à cause de ces combats et des dizaines ont été tués.

 

[...]

 

La déléguée du ministre n’a pas pris ces facteurs en considération lorsqu’elle a décidé que M. Ragupathy ne courait aucun risque au Sri Lanka.

 

Cette nouvelle preuve indique que la guerre pourrait reprendre au moment où l’accord de paix sera rompu. M. Ragupathy s’est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention à cause d’une situation qui existe de nouveau maintenant. Je vous demande de reporter le renvoi jusqu’à ce qu’un nouvel examen des risques approprié soit effectué.

[Non souligné dans l’original.]

Le refus de reporter le renvoi et d’effectuer un ERAR

[4]               Le 19 avril 2004, l’agente d’exécution a refusé d’accorder un examen des risques avant renvoi (ERAR) au demandeur et de surseoir à son renvoi. Elle a souligné que le paragraphe 112(1) de la Loi empêchait le demandeur de présenter une demande d’ERAR parce qu’il est visé au paragraphe 115(1) de la Loi.

 

[5]               Le demandeur a ensuite déposé deux demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire. Dans l’affaire IMM‑3377‑04, il a demandé le contrôle judiciaire de l’avis de danger. L’historique de cette affaire est résumé ci‑dessous. Dans la présente affaire IMM‑3733‑04, il demande le contrôle judiciaire de la décision de l’agente d’exécution, rendue le 19 avril 2004, de ne pas reporter son renvoi et de ne pas effectuer un ERAR.

Le contrôle judiciaire no 1 – l’avis de danger

[6]               Le 13 juin 2005, le juge en chef Lutfy a annulé l’avis de danger parce que la déléguée du ministre n’avait pas donné « des motifs clairs et distincts » expliquant pourquoi le demandeur constituait un danger pour le public au Canada : Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 834; 275 F.T.R. 311; 48 Imm. L.R. (3d) 70.

 

[7]               Le 26 avril 2006, la Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel interjeté à l’encontre du jugement du juge en chef Lutfy et a rétabli l’avis de danger de la déléguée du ministre : Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151; 350 N.R. 137; 53 Imm. L.R. (3d) 186. Le juge Evans, qui a rédigé les motifs au nom de la Cour d’appel, a statué que l’alinéa 115(2)a) de la Loi exige que le délégué du ministre formule un avis sur la question de savoir si une personne protégée constitue « un danger pour le public » sans prendre en compte le risque de persécution, ou d’autres circonstances d’ordre humanitaire, et fournisse des motifs suffisants à l’appui de cet avis. La Loi n’oblige toutefois pas le délégué à aborder dans ses motifs la question de savoir si la personne protégée constitue un « danger pour le public » avant d’évaluer les risques et de soupeser les risques et le danger. La Cour d’appel a décrit au paragraphe 18 la portée de l’examen des risques qui doit être effectué si la personne est considérée comme un danger pour le public :

Par contre, si le délégué estime que la personne constitue un danger pour le public, il doit alors évaluer si, et dans quelle mesure, la personne risquerait d’être persécutée, torturée ou de subir d’autres peines ou traitements inhumains si elle était renvoyée.

 

Le contrôle judiciaire no 2 – le refus de reporter le renvoi et d’effectuer un ERAR

[8]               Le demandeur sollicite les redressements suivants dans la présente demande de contrôle judiciaire :

1.                  un jugement déclaratoire portant que son renvoi du Canada avant qu’un examen des risques soit effectué contrevient à l’article 7 de la Charte;

2.                  une ordonnance interdisant au défendeur de le renvoyer du Canada avant que l’examen des risques soit effectué;

3.                  une ordonnance annulant la décision d’Immigration Canada de ne pas effectuer un ERAR et de ne pas reporter le renvoi et une ordonnance renvoyant l’affaire afin qu’elle soit réexaminée par un autre agent de renvoi.

Les questions en litige

[9]               La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

1.                  L’agente d’exécution a-t-elle commis une erreur en décidant que le demandeur n’avait pas droit à un ERAR en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi?

2.                  Le demandeur a-t-il droit à un jugement déclaratoire portant que son renvoi du Canada avant qu’un nouvel examen des risques soit effectué contrevient à l’article 7 de la Charte?

Les textes législatifs pertinents

[10]           Les textes législatifs suivants sont pertinents en l’espèce :

1.                  la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, qui constitue l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, ch. 11 (R.-U.);

2.                  la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

La norme de contrôle

[11]           La première question dont la Cour est saisie est une question de droit : le demandeur a‑t‑il droit à un ERAR en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi? Cette question concerne exclusivement l’interprétation des lois, de sorte que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique.

 

[12]           La deuxième question a trait à la décision de l’agente d’exécution de ne pas reporter le renvoi du demandeur. Dans Adviento c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1430, le juge Martineau a analysé en profondeur la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent de renvoi de ne pas reporter un renvoi. Je fais miens les motifs qu’il a exposés aux paragraphes 19 à 35 de son jugement et, en particulier, la conclusion qu’il a tirée au paragraphe 35 relativement à l’application de la norme de la décision raisonnable :

Par conséquent, si j’applique la méthode pragmatique et fonctionnelle décrite dans l’arrêt Dr. Q. [c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19], précité, je conclus que les quatre facteurs mènent à l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter.

 

Je sais que la norme de la décision manifestement déraisonnable a été appliquée dans d’autres décisions, la question dépendant souvent uniquement des faits.

 

Analyse

Question préliminaire :          L’intitulé

[13]           À la demande du défendeur, la Cour ordonne que l’intitulé soit modifié afin que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile soit le seul défendeur, en raison de l’entrée en vigueur de la Loi sur le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile (projet de loi C‑6) le 4 avril 2005; de la Loi sur les restructurations et les transferts d’attributions dans l’administration publique, L.R.C. 1985, ch. P‑34; des décrets C.P. 2003‑2061 et C.P. 2003‑2063; de l’article 7 de la Loi sur le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, L.C. 2005, ch. 10; et du décret C.P. 2005‑482.

Question no 1 :            L’agente d’exécution a-t-elle commis une erreur en décidant que le demandeur n’avait pas droit à un ERAR en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi?

[14]           L’agente d’exécution a écrit ce qui suit dans la décision contestée :

[traduction] En ce qui concerne votre demande visant à obtenir un examen des risques avant renvoi pour M. Ragupathy, sachez que, conformément au paragraphe 112(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, M. Ragupathy ne peut demander un tel examen parce qu’il est visé au paragraphe 115(1).

 

[15]           Le paragraphe 112(1) de la Loi prévoit que certaines personnes visées par une mesure de renvoi peuvent demander la protection :

Section 3

Examen des risques avant renvoi

 

Protection

Demande de protection

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

Division 3

Pre-removal risk assessment

 

Protection

Application for protection

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

Le paragraphe 112(2) de la Loi énumère ensuite diverses personnes qui ne sont pas admises à demander la protection. Aucune de ces exceptions ne s’applique en l’espèce.

 

[16]           Les paragraphes 115(1) et (2) de la Loi prévoient qu’une personne protégée ou un réfugié au sens de la Convention ne peut être renvoyé ou « refoulé » vers un pays où il risque la persécution, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, sauf s’il est visé par l’une des exceptions :

Principe du non-refoulement

Principe

115. (1) Ne peut être renvoyée dans un pays où elle risque la persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités, la personne protégée ou la personne dont il est statué que la qualité de réfugié lui a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée.

Principle of Non-refoulement

Protection

115. (1) A protected person or a person who is recognized as a Convention refugee by another country to which the person may be returned shall not be removed from Canada to a country where they would be at risk of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion or at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment.

Exclusion

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas à l’interdit de territoire :

a) pour grande criminalité qui, selon le ministre, constitue un danger pour le public au Canada;

b) pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée si, selon le ministre, il ne devrait pas être présent au Canada en raison soit de la nature et de la gravité de ses actes passés, soit du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

Exceptions

(2) Subsection (1) does not apply in the case of a person

(a) who is inadmissible on grounds of serious criminality and who constitutes, in the opinion of the Minister, a danger to the public in Canada; or

(b) who is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality if, in the opinion of the Minister, the person should not be allowed to remain in Canada on the basis of the nature and severity of acts committed or of danger to the security of Canada.

 

[17]           Le fait que le demandeur est interdit de territoire pour grande criminalité n’est pas contesté. De plus, il est évident que le ministre estime que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada. Le paragraphe 115(2) s’applique donc au demandeur, de sorte que le paragraphe 115(1), qui traite du non‑refoulement, est inapplicable en principe dans son cas.

 

[18]           Le demandeur prétend qu’il a droit à un ERAR en vertu du paragraphe 112(1) parce qu’il n’est pas une personne « visée au paragraphe 115(1) », étant exclu selon le paragraphe 115(2) car il est interdit de territoire et fait l’objet d’un avis de danger. Je ne suis pas de cet avis. Si le législateur avait voulu que les exceptions énoncées au paragraphe 115(2) aient une incidence sur l’application du paragraphe 112(1), cette disposition aurait fait mention d’une personne « qui n’est pas visée à l’article 115 » au lieu de limiter expressément son application aux personnes qui ne sont pas visées au paragraphe 115(1).

 

[19]           Le défendeur soutient que le demandeur est une personne « visée au paragraphe 115(1) » car il est un réfugié au sens de la Convention et une personne protégée. Malgré le fait que le demandeur est interdit de territoire pour grande criminalité, je suis d’accord avec le défendeur quand il dit que le demandeur est toujours un réfugié au sens de la Convention et une personne protégée puisqu’il n’a pas perdu ce statut par suite d’une décision de la Section de la protection des réfugiés concernant la perte ou l’annulation de l’asile.

 

[20]           Lorsqu’on l’interprète correctement en tenant compte du renvoi au paragraphe 115(1) qu’il renferme, le paragraphe 112(1) prévoit qu’une personne qui se trouve au Canada, autre qu’une personne protégée ou une personne à qui la qualité de réfugié a été reconnue par un autre pays vers lequel elle peut être renvoyée, peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

[21]           Selon cette interprétation, le demandeur ne peut demander la protection au ministre en vertu du paragraphe 112(1). Je conclus donc que l’agente d’exécution n’a pas commis d’erreur en décidant que le demandeur ne pouvait pas demander un ERAR en vertu du paragraphe 112(1).

 

[22]           La juge Carolyn Layden-Stevenson est arrivée à la même conclusion dans Fabian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1331, aux paragraphes 6, 7 et 8. Elle a statué qu’une personne exclue du paragraphe 115(1) – comme le demandeur en l’espèce – n’a pas le droit de demander un ERAR en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi. Je souscris aux commentaires qu’elle a faits sur la thèse du demandeur en l’espèce, qui était identique à celle qui lui avait été présentée :

[traduction] Quoique la thèse du demandeur soit ingénieuse, elle ne soulève pas une question sérieuse à mon avis.

Question no 2 :            Le demandeur a-t-il droit à un jugement déclaratoire portant que son renvoi du Canada avant qu’un nouvel examen des risques soit effectué contrevient à l’article 7 de la Charte?

[23]           Le fait que le demandeur ne peut pas demander la protection en vertu du paragraphe 112(1) ne signifie pas qu’il n’a pas droit à un examen des risques avant son renvoi. En fait, le ministre est tenu d’évaluer les risques aux fins de l’avis de danger rédigé en application de l’alinéa 115(2)a). La question est de savoir s’il est nécessaire d’effectuer un nouvel examen des risques avant de renvoyer le demandeur du Canada. La Cour doit déterminer si un nouvel examen des risques est nécessaire vu le temps écoulé depuis la délivrance de l’avis de danger.

 

[24]           L’obligation de procéder à un examen des risques dans le cadre de l’avis de danger découle de l’article 7 de la Charte, qui garantit que « [c]hacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ». Dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, la Cour suprême du Canada a statué notamment que l’article 53 de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2, qui prévoyait le renvoi de tout réfugié au sens de la Convention qui était non admissible et qui constituait un danger pour le public ou la sécurité du Canada, exigeait du ministre qu’il examine le risque de torture et qu’il soupèse ce risque en tenant compte des autres intérêts de la société pour satisfaire au critère constitutionnel. Comme le paragraphe 115(2) de la Loi est semblable à l’article 53 de l’ancienne Loi sur l’immigration, les obligations constitutionnelles qui incombaient au ministre sous le régime de cette disposition s’appliquent avec autant de force au paragraphe 115(2) de la Loi actuelle.

 

[25]           Je me réfère également au jugement rendu récemment dans Re Jaballah, 2006 CF 1230, où le juge MacKay a écrit, au paragraphe 84, que, tant et aussi longtemps qu’il y a un risque sérieux qu’une personne soit torturée, ou pire, l’expulsion de celle-ci violerait ses droits en tant qu’être humain, comme le garantit l’article 7 de la Charte. Il a ajouté que le ministre, se fiant au certificat de sécurité – maintenant jugé raisonnable – en tant que mesure de renvoi, ne peut exercer le pouvoir discrétionnaire de renvoyer M. Jaballah vers un pays où il s’expose à un risque sérieux de torture, de mort ou de peine cruelle et inusitée. Comme dans Re Jaballah, il n’y a rien d’exceptionnel en l’espèce qui justifierait que le demandeur soit expulsé malgré un risque sérieux de torture ou d’autres mauvais traitements semblables. À mon avis, l’importance de ce risque doit être examinée avec soin afin d’assurer le respect de l’article 7 de la Charte.

 

[26]           J’estime que l’avis de danger daté du 26 mars 2004 et rédigé par la déléguée du ministre, qui a résisté au contrôle judiciaire, satisfaisait aux exigences de la justice fondamentale visées à l’article 7 de la Charte au regard de la décision du ministre de renvoyer le demandeur le 27 avril 2004, au moment où celle‑ci a été rendue. L’avis de danger décrit avec soin le risque de persécution auquel le demandeur serait exposé. Il ne fait aucun doute cependant que l’examen des risques effectué par le ministre s’est limité à la situation qui existait au Sri Lanka à l’époque où l’avis de danger a été rédigé. Le 16 avril 2004, soit 20 jours plus tard, le demandeur a présenté une preuve démontrant que la situation s’était nettement détériorée au Sri Lanka – et que le risque qu’il soit persécuté ou torturé s’était accru en conséquence – entre la date de la délivrance de l’avis de danger et la date fixée pour son renvoi.

 

[27]           Un examen des risques effectué en temps opportun est une mesure adoptée par le Canada afin d’éviter que des personnes soient expulsées vers un pays où elles seraient torturées ou maltraitées. En fait, l’examen des risques avant renvoi est le moyen par lequel il est donné effet à l’article 7 de la Charte et à différents instruments internationaux de défense des droits de la personne auxquels le Canada est partie. Les droits qui sont garantis à une personne par l’article 7 de la Charte deviendraient illusoires, cependant, si les faits sur lesquels est fondé l’examen des risques ne correspondaient pas à la situation actuelle du pays vers lequel cette personne est expulsée.

 

[28]           La situation existant au Sri Lanka en mars 2004 ne correspond pas nécessairement au risque de persécution ou de torture auquel aurait été exposé le demandeur à la suite de son renvoi trois semaines plus tard ou à celui qu’il court maintenant plus de deux ans plus tard. Comme c’est souvent le cas dans les pays sources de réfugiés, la situation peut changer considérablement en peu de temps. L’élection sri‑lankaise d’avril 2004 et la détérioration de l’accord de paix qui avait été conclu auparavant sont des exemples d’événements pouvant avoir des répercussions importantes sur le risque de persécution ou de torture auquel le demandeur serait exposé. Renvoyer le demandeur sur la foi d’un examen des risques effectué avant que surviennent de pareils événements pourrait équivaloir à fermer les yeux sur la réalité qui attend le demandeur et, peut-être aussi, sur les obligations internationales du Canada concernant le refoulement.

 

[29]           La déléguée du ministre note dans l’avis de danger que la situation qui existait au Sri Lanka à l’époque de la rédaction de l’avis ne correspondait pas à celle à laquelle le demandeur était confronté lorsqu’il a fui le pays en qualité de réfugié en 1998. C’est en tenant compte de la situation telle qu’elle existait en 2004 que la déléguée du ministre a déterminé que le risque de persécution auquel le demandeur serait exposé était minime et a soupesé ce risque en fonction du danger que le demandeur constituait pour le public au Canada. L’écoulement du temps peut évidemment être une arme à double tranchant. Les circonstances qui justifiaient la protection en 1998 pourraient ne plus exister en mars 2004 et réapparaître des semaines plus tard. Or, les seules circonstances pertinentes sont celles qui existent au moment du renvoi.

 

[30]           Dans Said c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1632; 260 N.R. 384; 9 Imm. L.R. (3d) 1, la Cour d’appel fédérale s’est demandé si le ministre était tenu d’effectuer périodiquement un nouvel examen des risques avant d’expulser un réfugié au sens de la Convention qui était interdit de territoire pour criminalité et qui constituait un danger pour le public. Dans cet arrêt, l’appelant avait été détenu par les autorités de l’Immigration durant deux ans après avoir été libéré de prison parce qu’il refusait de demander des documents de voyage afghans. Le juge McDonald, qui a rédigé les motifs au nom de la Cour d’appel, a statué au paragraphe 9 qu’un nouvel examen des risques n’était pas requis dans les circonstances :

[...] Je suis également d’accord avec le juge qui a effectué l’examen pour dire qu’eu égard aux circonstances de l’espèce, c’est-à-dire compte tenu du fait que l’appelant a retardé son renvoi en refusant de coopérer, le ministre n’est pas tenu d’effectuer une nouvelle évaluation périodique du risque.

 

La Cour d’appel a souligné au paragraphe 10 que l’appelant n’avait allégué aucun changement important de la situation qui aurait pu avoir une incidence sur les risques consécutifs à son renvoi :

De plus, l’appelant n’a pas soumis de nouveaux éléments de preuve au sujet des changements qui se seraient censément produits en 1996. L’appelant n’a pas non plus établi de quelle façon ces changements le touchaient personnellement. Il est vrai qu’en 1998, l’appelant a écrit au ministre pour lui demander de reporter l’exécution de la mesure de renvoi tant qu’une évaluation adéquate du risque ne serait pas effectuée. Toutefois, dans sa lettre, l’appelant n’a pas déclaré que la situation avait changé dans le pays, et il n’a pas fourni de nouveaux éléments de preuve exigeant une nouvelle évaluation du risque ou tendant à montrer que l’évaluation qui avait été effectuée n’était pas adéquate. Dans ces conditions, il n’est pas justifié de procéder à une autre évaluation.

[Non souligné dans l’original.]

 

[31]           À mon avis, la ratio de la Cour d’appel dans Said, précité, ne s’applique pas en l’espèce où les faits sont nettement différents. Contrairement à l’appelant dans Said, le demandeur en l’espèce n’a pas retardé indûment le processus de renvoi en refusant de coopérer. En fait, la mesure de renvoi prise contre lui a été suspendue parce que la Cour a ordonné qu’il soit sursis à l’exécution de cette mesure jusqu’à ce qu’il soit statué sur les deux demandes de contrôle judiciaire. De plus, le demandeur a produit une preuve abondante pour démontrer que la situation avait changé depuis mars 2004. Comme il a été torturé au Sri Lanka avant de chercher refuge au Canada, il est tout à fait évident qu’une détérioration de la situation existant au Sri Lanka, notamment un changement dans la balance du pouvoir favorable à ses agresseurs, pourrait avoir une incidence importante sur le risque qu’il courrait personnellement à son retour.

 

[32]           En ce qui concerne la prétention du demandeur selon laquelle l’agente d’exécution a commis une erreur en refusant de reporter le renvoi jusqu’à ce qu’un nouvel examen des risques soit effectué, je constate que la décision en question a été rendue le 19 avril 2004. À l’époque, l’agente d’exécution ne disposait que de la preuve produite par le demandeur qui était censée démontrer que la situation au Sri Lanka avait considérablement changé depuis la date de l’avis de danger. L’agente d’exécution semble avoir interprété la lettre du demandeur comme une demande de réexamen de l’avis de danger, et elle a en conséquence transmis les documents du demandeur à la déléguée du ministre. Elle a indiqué : [traduction] « Le renvoi de M. Ragupathy n’est cependant pas suspendu pour autant. »

 

[33]           L’agente d’exécution déclare, aux paragraphes 6 à 9 de son affidavit, qu’elle ne voit aucune raison de ne pas exécuter la mesure de renvoi comme elle a l’obligation de le faire :

[traduction]

¶6        J’ai examiné tous les documents produits par le demandeur et j’ai conclu qu’il n’a invoqué aucune véritable raison pour laquelle je ne devrais pas exécuter le renvoi comme j’ai l’obligation de le faire, dès que les circonstances le permettent, conformément à l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).

 

¶7        En ce qui a trait à la demande du demandeur concernant l’examen des risques et de tout risque auquel il pourrait être exposé au Sri Lanka, j’ai constaté que M. Ragupathy n’avait pas droit à un ERAR en vertu du paragraphe 112(1) de la LIPR car il est un réfugié au sens de la Convention, c’est‑à‑dire une personne visée au paragraphe 115(1) de la LIPR.

 

¶8        J’ai également tenu compte du fait que M. Ragupathy a reçu un avis de danger le 26 mars 2004 et que la déléguée du ministre a procédé à un examen des risques liés à la situation existant actuellement au Sri Lanka dans ses motifs justifiant cet avis. Comme je n’ai pas la formation nécessaire pour rendre des décisions complexes concernant les risques auxquels peuvent être confrontées des personnes faisant l’objet d’un avis de danger prévu par la LIPR, j’ai décidé de transmettre les documents que le demandeur a produits à la déléguée du ministre, à l’administration centrale, afin que cette dernière les réexamine, conformément à la demande [de l’avocat du demandeur].

 

¶9        Cela étant dit, j’ai examiné tous les documents produits par le demandeur et je ne vois aucune raison particulière de reporter le renvoi.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[34]           Dans Suresh, précité, la Cour suprême du Canada a statué au paragraphe 127 que le demandeur doit satisfaire à un critère préliminaire en démontrant l’existence d’un risque qu’il soit soumis à la torture ou à un mauvais traitement semblable pour que le ministre soit tenu d’examiner les risques avant renvoi. Elle a dit que le réfugié doit établir prima facie qu’il pourrait risquer la torture s’il était expulsé. Si le réfugié établit l’existence d’une possibilité réelle de torture, le ministre doit lui communiquer tous les renseignements et conseils qu’il a l’intention de prendre en compte et lui donner la possibilité de présenter des observations écrites pour les réfuter. Ce sont là les mesures minimales requises pour assurer le respect de l’obligation d’équité et satisfaire aux exigences de la justice fondamentale prévues à l’article 7 de la Charte. La Cour suprême a statué au paragraphe 127 :

[...] Le réfugié doit satisfaire à un critère préliminaire en démontrant l’existence d’un risque qu’il soit soumis à la torture ou à un mauvais traitement semblable pour que la ministre soit tenue d’envisager en profondeur cette possibilité. À cette étape, le réfugié n’est pas tenu de prouver qu’il risque la torture, mais il doit établir prima facie qu’il pourrait risquer la torture s’il était expulsé.

 

 

[35]           Le défendeur prétend que le pouvoir discrétionnaire de l’agente d’exécution qui lui permet de reporter le renvoi a une portée étroite et ne pourrait pas raisonnablement être exercé dans le cas du demandeur. Il s’appuie sur Jamal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 494, où le juge Dubé a écrit au paragraphe 7 :

[...] La Cour fédérale a souligné B maintes reprises que les personnes qui ont omis d’alléguer un risque plus tôt B des moments opportuns ne peuvent s’attendre B ce que l’agent de renvoi modifie les arrangements de voyages afin de procéder B une évaluation rapide du risque avant d’accomplir la tâche qui lui incombe en vertu de la Loi. A mon avis, l’agent de renvoi ne peut examiner cette demande que lorsque le risque allégué est évident et trPs grave et qu’il était impossible de l’invoquer précédemment. Tel n’est pas le cas en l’espPce.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[36]           J’ai examiné la demande de report du renvoi présentée par le demandeur sur la foi de nouveaux éléments de preuve concernant l’élection surprise qui a eu lieu au Sri Lanka et le conflit ouvert entre deux factions des Tigres de libération de l’Eelam tamoul qui, jusqu’à l’élection, avaient joint leurs forces pour défendre les droits des minorités et un territoire séparé. Le demandeur a produit plusieurs documents, dont un article paru dans le Globe and Mail du 16 avril 2004, intitulé « Peace prospects bleak in Sri Lanka. Snap election feuding among Tamils imperil Canada’s efforts for democracy ». Selon cet article, l’élection a [traduction] « précipité une crise », les deux factions de Tamouls combattaient depuis cette élection et des douzaines de personnes auraient été tuées au cours d’une seule fin de semaine. Cette preuve révélait qu’il y avait eu rupture de l’accord de paix. Or, c’est sur l’existence de cet accord que le ministre s’est appuyé pour considérer que le demandeur pouvait retourner au Sri Lanka en toute sécurité.

 

[37]           À mon avis, il ne fait aucun doute que les conditions préalables à l’instruction d’une demande de report du renvoi décrites par le juge Dubé existent en l’espèce. Le risque allégué par le demandeur était à la fois évident et très sérieux. En outre, il aurait été impossible de l’alléguer plus tôt étant donné que les événements qui y ont donné naissance sont survenus pendant le court intervalle de temps entre la délivrance de l’avis de danger et la présentation de la demande du  demandeur pour faire reporter son renvoi jusqu’à ce qu’un nouvel examen des risques soit effectué. En conséquence, je dois rejeter la prétention du défendeur selon laquelle l’agente d’exécution n’avait pas le pouvoir de reporter le renvoi du demandeur. Il est évident que le changement de situation sur lequel le ministre s’est fondé dans l’avis de danger n’existait plus. Le fondement de la décision selon laquelle le demandeur ne courrait aucun risque avait nettement changé.

 

[38]           Ayant conclu que l’agente d’exécution avait le pouvoir de reporter le renvoi du demandeur, je dois aussi conclure que sa décision de ne pas exercer ce pouvoir discrétionnaire était déraisonnable. L’agente d’exécution affirme dans son affidavit qu’elle a refusé de reporter le renvoi parce qu’elle n’avait aucune raison particulière de le faire. Elle ajoute qu’elle s’est fondée sur l’examen des risques effectué par la déléguée du ministre dans l’avis de danger. Il ressort de ces affirmations que l’agente d’exécution n’a pas été réceptive et attentive à la possibilité que la nouvelle situation existant au Sri Lanka que le demandeur alléguait ait accru le risque de torture ou de persécution auquel il serait exposé à son retour dans ce pays. En fait, en s’appuyant sur l’examen des risques effectué avant les événements décrits par le demandeur dans sa demande de report, l’agente d’exécution n’a pas reconnu les raisons de l’inquiétude du demandeur.

 

[39]           En concluant que le demandeur a droit à un nouvel examen des risques avant son renvoi, je pense à son inquiétude qu’une telle conclusion puisse entraîner une suite sans fin d’examens des risques, ce qui serait contraire aux principes de justice fondamentale. Cette préoccupation concernant le caractère définitif du processus a aussi été reconnue par la juge McGillis dans Sinappu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] 2 C.F. 791; 126 F.T.R. 29; 42 C.R.R. (2d) 143 (C.F.); conf. par Sinappu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 2023; 253 N.R. 234 (C.A.F., appel rejeté à cause de son caractère théorique). La juge McGillis a écrit au paragraphe 71 :

[...] la ministre dispose toujours d’un pouvoir discrétionnaire concernant la date du renvoi d’une personne. Dans des circonstances appropriées concernant un changement important de la situation d’un pays, la ministre peut décider de reporter le renvoi jusqu’à l’examen du risque invoqué dans une autre demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Cependant, il faut reconnaître qu’à un certain point du système, il doit y avoir une décision définitive. [...]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Reconnaître que le droit du demandeur à un examen des risques avant renvoi en vertu de l’article 7 de la Charte exige que cet examen soit effectué peu de temps avant le renvoi n’est pas, à mon avis, incompatible avec la nécessité qu’une décision définitive soit rendue. Peu importe la période de temps qui s’écoule entre la délivrance d’un avis de danger et la date du renvoi prévue, il incombe au demandeur de démontrer qu’un changement important de la situation dans le pays vers lequel il sera renvoyé justifie un nouvel examen des risques avant renvoi. Si un agent d’exécution refuse d’exercer son pouvoir de reporter le renvoi d’une personne jusqu’à ce qu’un nouvel examen des risques soit effectué, la Cour n’accordera un sursis que si cette personne satisfait au critère à trois volets qui est bien établi. Ces trois volets – existence d’une question sérieuse, préjudice irréparable et prépondérance des inconvénients – permettent à mon avis de veiller à ce que les tentatives vexatoires d’empêcher le renvoi soient traitées en conséquence.

 

[40]           Quoi qu’il en soit, le demandeur a droit à un nouvel examen des risques à cause du long délai qui s’est écoulé entre la délivrance de l’avis de danger et la présente instance. Par conséquent, le ministre doit mettre à jour l’examen des risques figurant dans l’avis de danger. S’il décide que le demandeur ne serait pas exposé au risque de torture, de persécution ou de peines cruelles et inusitées ou à une menace à sa vie, alors le demandeur peut être renvoyé sans délai. Seul un sursis d’exécution ordonné par la Cour empêcherait le demandeur d’être renvoyé dès que les circonstances le permettent. Un tel sursis exigerait que le demandeur établisse l’existence d’un préjudice irréparable en produisant une preuve claire et certaine démontrant qu’il subirait un préjudice corporel s’il était renvoyé au Sri Lanka. La Cour peut entendre une requête en sursis après un préavis de deux jours et rendre une décision immédiatement.

Conclusion

[41]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie. L’agente d’exécution a décidé à juste titre que le demandeur n’avait pas droit à un ERAR en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi. Elle a toutefois eu tort de ne pas suspendre le renvoi du demandeur jusqu’à ce qu’un nouvel examen des risques auxquels il serait exposé au Sri Lanka soit effectué en tenant compte du changement important de situation qu’il a allégué. Le demandeur ne doit pas être renvoyé du Canada avant que la déléguée du ministre ait réexaminé le risque de torture, de persécution ou d’autres traitements ou peines inhumains auquel le demandeur serait exposé s’il était renvoyé.

 

La certification de questions

[42]           Le demandeur a proposé deux questions à des fins de certification :

1.                  Une personne exclue du paragraphe 115(1) de la Loi parce qu’elle est interdite de territoire pour grande criminalité et constitue un danger pour le public a‑t‑elle droit à un ERAR en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi?

2.                  Lorsqu’il dispose d’une preuve démontrant que la situation du pays a changé, l’agent de renvoi a‑t‑il l’obligation de décider si le demandeur a établi un risque prima facie et de reporter le renvoi jusqu’à ce qu’un nouvel examen des risques tenant compte du changement de situation soit effectué?

 

[43]           Le défendeur s’oppose à la certification de la première question parce que le droit est clair. Une personne protégée qui est visée au paragraphe 115(1) de la Loi ne peut demander un ERAR en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi. Je conviens que le droit est clair. La juge Carolyn Layden‑Stevenson dans Fabian, précité, et la juge Eleanor Dawson dans Harkat (Re), [2003] 4 C.F. 1020, au paragraphe 25, étaient du même avis. Je conviens également que le libellé de la Loi est clair.

 

[44]           Le défendeur s’oppose à la certification de la seconde question parce qu’elle dépend des faits. Je pense également que cette question ne mérite pas d’être certifiée. La réponse est évidente. Si la preuve établit que la situation a changé dans un pays de sorte que le demandeur est exposé à un nouveau risque de torture, de persécution ou d’autres traitements ou peines inhumains, l’agent de renvoi a l’obligation de reporter le renvoi jusqu’à ce qu’un nouvel examen des risques soit effectué. L’obligation découle de l’article 7 de la Charte et, dans le cas des personnes ayant droit à un ERAR, de l’article 112 de la Loi. 

 

[45]           Par conséquent, la Cour estime que ces questions ne devraient pas être certifiées.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

1.         L’intitulé est modifié afin que le défendeur soit le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.

2.         La demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’agente d’exécution selon laquelle le demandeur n’a pas droit à un ERAR en vertu du paragraphe 112(1) de la Loi est rejetée.

3.         La demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’agente d’exécution de ne pas suspendre le renvoi du demandeur est accueillie.

4.                  Le demandeur ne doit pas être renvoyé du Canada avant que la déléguée du ministre ait réexaminé le risque de torture, de persécution ou d’autres traitements ou peines inhumains auquel serait exposé le demandeur.

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        IMM-3733-04

 

INTITULÉ :                                                       JASINDAN RAGUPATHY

                                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 7 NOVEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                            LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 10 NOVEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Poulton                                                    POUR LE DEMANDEUR

 

John Provart                                                        POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mamann& Associates                                          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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