Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

 

Date : 20061108

Dossier : IMM-7770-05

Référence : 2006 CF 1349

Ottawa (Ontario), le 8 novembre 2006

 

En présence de Monsieur le juge Blais

 

 

ENTRE :

 

JOHN KENNEDY FERNANDO

demandeur

                                                                             et                                                                           

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue du contrôle judiciaire de la décision du 7 décembre 2005 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande d’asile présentée par le demandeur en application de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi.

 

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen tamoul du Sri Lanka. Le 25 septembre 2004, il est entré au Canada et y a demandé l’asile.

 

[3]               Le demandeur affirme avoir été victime d’extorsion de la part des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET) à Colombo, où il exploitait une entreprise de fruits de mer. Après s’être rendu compte qu’il ne pourrait verser la dernière des sommes demandées par les TLET, il a quitté Colombo et a tenté de relancer son entreprise à Kandy. Des membres des TLET sont ensuite allés chez des membres de sa famille à Kandy, pour s’enquérir de lui. Les membres des TLET ont dit aux parents du demandeur que ce dernier devait collaborer, sans quoi il en subirait les conséquences.

 

[4]               Le demandeur soutient également qu’après son arrivée à Kandy, la police l’a arrêté et l’a interrogé sur ses liens avec les TLET. Le demandeur a été détenu pendant deux jours et il a été giflé deux fois lors de l’interrogatoire. Il a été relâché après paiement d’un pot-de-vin.

 

[5]               Le demandeur dit craindre de retourner au Sri Lanka parce que les TLET l’ont menacé d’une peine sévère (la mort). Il soutient en outre que les forces de sécurité ne sont pas en mesure de protéger les intérêts des citoyens à Colombo.

 

[6]               La demande d’asile du demandeur a été instruite le 25 juillet 2005 et la décision rendue le 7 décembre 2005.

 

LES QUESTIONS EXAMINÉES

[7]               La Cour a examiné les questions qui suivent dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

 

1.      Le paragraphe 19 des Directives n° 7 fait-il entorse à un principe de justice naturelle ou à l’équité procédurale en privant le demandeur de son droit à un interrogatoire principal?

 

2.      La conclusion du tribunal quant à la crédibilité du demandeur était-elle manifestement déraisonnable?

 

3.      Le tribunal a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte de tous les éléments de preuve pertinents dont il disposait?

 

LES DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA LOI

[8]               La demande d’asile du demandeur est fondée sur les dispositions suivantes de la Loi :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themselves of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themselves of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

[9]               Relativement à la question de l’interrogatoire en ordre inversé, le tribunal a fait l’examen des dispositions suivantes des « Directives données par le président en application de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés – Directives n° 7 – Directives concernant la préparation et la tenue des audiences à la Section de la protection des réfugiés » (les Directives n° 7) :

19. Dans toute demande d’asile, c’est généralement l’APR qui commence à interroger le demandeur d’asile. En l’absence d’un APR à l’audience, le commissaire commence l’interrogatoire et est suivi par le conseil du demandeur d’asile. Cette façon de procéder permet ainsi au demandeur d’asile de connaître rapidement les éléments de preuve qu’il doit présenter au commissaire pour établir le bien-fondé de son cas.

 

19. In a claim for refugee protection, the standard practice will be for the RPO to start questioning the claimant. If there is no RPO participating in the hearing, the member will begin, followed by counsel for the claimant. Beginning the hearing in this way allows the claimant to quickly understand what evidence the member needs from the claimant in order for the claimant to prove his or her case.

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[10]           La présente demande de contrôle judiciaire porte tant sur des questions de procédure que sur des questions de fond, de sorte que différentes normes de contrôle s’appliquent.

 

[11]           Selon la jurisprudence existante, le choix de la norme de contrôle appropriée pour une décision de fond de la Commission (notamment de la SPR) est principalement fonction de la nature de la décision. Pour les questions de droit, la norme applicable est celle de la décision correcte, pour les questions mixtes de droit et de fait la norme est celle de la décision raisonnable et pour les questions de fait, enfin, la norme est celle de la décision manifestement déraisonnable. Cette approche a récemment été confirmée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100. La Cour suprême a ainsi déclaré ce qui suit relativement aux questions de fait (paragraphe 38) :

En ce qui concerne la question de fait, le tribunal de révision ne peut intervenir que s’il est d’avis que l’office fédéral, en l’occurrence la SAI, « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose » (al. 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale).  La SAI peut fonder sa décision sur les éléments de preuve qui lui sont présentés et qu’elle estime crédibles et dignes de foi dans les circonstances : par. 69.4(3) de la Loi sur l’immigration.  Le tribunal de révision doit manifester une grande déférence à l’égard de ses conclusions.  La CAF a d’ailleurs elle‑même statué que la norme de contrôle applicable à une décision sur la crédibilité et la pertinence de la preuve était celle de la décision manifestement déraisonnable : Aguebor c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1993), 160 N.R. 315, par. 4.

 

 

[12]           Une grande retenue judiciaire est par conséquent indiquée relativement aux conclusions du tribunal quant à la crédibilité du demandeur et à l’appréciation par le tribunal de la preuve dont il était saisi quant à la situation qui règne au Sri Lanka. La Cour ne devrait réviser ces conclusions et cette appréciation qu’en fonction de la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[13]           Pour ce qui est maintenant de la question relative à la procédure soulevée par le demandeur, il ne sera pas nécessaire de procéder à une analyse détaillée pour établir la norme de contrôle applicable. Si l’on conclut qu’il a été fait entorse à un principe de justice naturelle ou à l’équité procédurale, en effet, nulle retenue judiciaire ne sera indiquée relativement à la décision du tribunal et la demande d’annulation de la décision sera accueillie.

 

L’ANALYSE

Le paragraphe 19 des Directives n° 7 fait-il entorse à un principe de justice naturelle ou à l’équité procédurale en privant le demandeur de son droit à un interrogatoire principal?

 

[14]           Le demandeur fait valoir au moyen d’observations détaillées que le paragraphe 19 des Directives n° 7 constitue un déni d’équité procédurale étant donné que, en vertu d’un principe de justice naturelle, la personne sur laquelle repose le fardeau dispose du droit de présenter son cas avant d’être interrogée par les autres participants à l’audience. Selon le demandeur, tout demandeur d’asile doit disposer du droit de renoncer ou non à l’interrogatoire principal et, par conséquent, le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ne devrait pas pouvoir imposer une telle renonciation au moyen des Directives n° 7.

 

[15]           Au cours de la dernière année, la Cour fédérale a été saisie à diverses occasions de la question du caractère équitable ou non de l’interrogatoire avec renversement du fardeau et de l’entrave éventuelle, en raison des Directives n° 7, au pouvoir discrétionnaire des commissaires, particulièrement dans les affaires Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. n° 8, et Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. n° 631, et la jurisprudence sur le sujet a été contradictoire. Dans Thamotharen, le juge en chef Edmond P. Blanchard a conclu que les Directives n° 7 entravent illégalement le pouvoir discrétionnaire des commissaires en établissant s’il y a lieu ou non d’inverser l’ordre des interrogatoires. Dans Benitez, par contre, le juge Richard Mosley a conclu que le libellé des Directives n° 7 n’était pas de nature obligatoire, de sorte que les commissaires ne sont pas tenus de les appliquer. À ce titre, la preuve n’avait pas été faite que les Directives n° 7 avaient entravé le pouvoir discrétionnaire des commissaires d’adopter la procédure à suivre lors de l’audience. La décision dans l’affaire Thamotharen a été portée en appel devant la Cour d’appel fédérale.

 

[16]           Cela dit, ni l’une ni l’autre décision ne peut être invoquée pour soutenir que l’interrogatoire en ordre inversé enfreint en soi un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale. Comme l’a dit à cet égard le juge en chef Blanchard dans Thamotharen (paragraphe 91) :

L’intervenant a produit des éléments de preuve faisant ressortir les difficultés auxquelles les demandeurs d’asile sont confrontés et les avantages qui découlent pour eux du fait d’être interrogés d’abord par leur procureur. À mon avis cependant, ni le demandeur ni l’intervenant n’ont démontré que les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale exigent que les demandeurs d’asile aient droit à un interrogatoire principal pour que le processus de détermination du statut de réfugié devant la Section soit équitable. La possibilité, pour le demandeur, de déposer des prétentions écrites et de produire une preuve devant la Commission, d’avoir une audition à laquelle participe un procureur et de présenter des observations de vive voix satisfait, à mon avis, aux exigences relatives aux droits de participation requis par l’obligation d’équité en l’espèce.

 

 

[17]           Cette conclusion était étayée par les motifs du juge Mosley qui, comme le juge en chef Blanchard, a procédé à une analyse détaillée des facteurs énoncés dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, en vue de circonscrire l’obligation d’équité. Le juge Mosley a ainsi écrit (paragraphes 127 et 128) :

Après avoir examiné les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker et les autres facteurs présentés par les demandeurs, je n’ai aucune difficulté à conclure qu’il n’a pas été établi que la justice naturelle exige que le procureur d’un demandeur d’asile interroge d’abord son client de sorte que celui‑ci ait une possibilité valable de présenter complètement et équitablement sa cause, ou que les Directives privent réellement le demandeur d’asile de l’aide que peut lui apporter son procureur.

 

Je souscris à la conclusion du juge Blanchard selon laquelle la possibilité, pour le demandeur, de déposer des prétentions écrites et de produire une preuve devant la CISR, d’obtenir une audience à laquelle participe son procureur et de présenter des observations de vive voix satisfait aux exigences relatives aux droits de participation requis par l’obligation d’équité et que les Directives no 7 ne contreviennent pas en soi à cette obligation.

 

[18]           Je souscris à la jurisprudence récente de la Cour portant que l’interrogatoire en ordre inversé n’enfreint pas, en soi, un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale. Puisque l’avocat du demandeur n’a pas fait part dans son argumentation de circonstances propres à son client qui auraient démontré à la Commission la nécessité que le demandeur puisse soumettre une preuve pour obtenir une instruction équitable, je conclus que la Commission n’a pas enfreint le droit du demandeur à l’équité de la procédure lorsqu’elle a rejeté la demande faite en vue d’une modification de l’ordre des interrogatoires.

 

 

La conclusion du tribunal quant à la crédibilité du demandeur était-elle manifestement déraisonnable?

 

[19]           Le demandeur soutient en outre que le tribunal a commis une erreur en fondant sa conclusion défavorable quant à la crédibilité sur des contradictions existant entre la déclaration consignée dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP) et les notes prises au point d’entrée. L’erreur découlerait du défaut apparent du tribunal de reconnaître la grande différence qui existe quant aux circonstances dans lesquelles les deux documents sont établis.

 

[20]           Bien que la Cour reconnaisse que les notes au point d’entrée et le FRP sont établis en des circonstances différentes, il a été décidé depuis longtemps que ces notes étaient admissibles en preuve devant la Commission (Multani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 361). En outre, bien qu’on ne devrait pas considérer fatales, aux fins de l’appréciation de la crédibilité, de petites différences existant entre le FRP et les notes au point d’entrée, une jurisprudence abondante a établi que la Commission peut prendre en compte les contradictions entre le FRP et les notes au point d’entrée pour évaluer la crédibilité d’un demandeur et que la Commission peut tirer des inférences défavorables relativement à toute omission d’importance dans ces notes (Sava c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 445). Comme l’a fait remarquer à cet égard le juge Konrad W. von Finckenstein dans Markandu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. n° 956, au paragraphe 5 : « L’un des principaux moyens dont peut se servir la Commission pour évaluer la crédibilité du demandeur consiste à comparer son FRP et ses déclarations au PDE, puis à l’interroger durant l’audience sur toute contradiction relevée ».

 

[21]           En l’espèce, le tribunal a déclaré ce qui suit relativement à l’information consignée dans les notes au point d’entrée et le FRP :

Il est vrai que le demandeur d’asile a consigné son récit dans son FRP et qu’il n’a à faire qu’un résumé des motifs de sa demande d’asile pendant son entrevue avec un agent d’immigration. Toutefois, on peut raisonnablement s’attendre à une certaine concordance entre l’exposé circonstancié du FRP et les faits relatés au point d’entrée (PDE). Or, le tribunal constate bon nombre de contradictions de taille entre l’exposé circonstancié du FRP et les notes prises lors de l’entrevue au PDE. De plus, dans ce cas précis, le tribunal souligne une omission importante dans la déclaration au PDE, au sujet d’un fait dont on pourrait raisonnablement s’attendre, selon le tribunal, à ce qu’il soit au contraire mentionné pendant une entrevue d’immigration.

 

(Décision du tribunal, extrait reproduit à la page 10 du dossier du demandeur.)

 

[22]           Non seulement le tribunal a-t-il relevé des contradictions entre les dates d’événements que le demandeur a soutenu s’être produits, mais il s’est aussi particulièrement inquiété du fait que le demandeur a invoqué deux fondements distincts pour sa demande d’asile, l’un dans ses notes au point d’entrée et l’autre dans le FRP :

Pour ce qui est des incohérences, le tribunal constate que, dans l’exposé circonstancié de son FRP, le demandeur d’asile fonde principalement sa demande sur la tentative d’extorsion par les TLET. Or, en lisant les notes prises à l’entrevue, le tribunal a plutôt l’impression que la demande d’asile repose sur le harcèlement constant dont le demandeur d’asile aurait été victime aux mains de la police parce qu’il vivait dans un quartier cinghalais de Colombo et que ses voisins se plaignaient de ses visiteurs tamouls.

 

(Décision du tribunal, extrait reproduit à la page 11 du dossier du demandeur.)

 

 

[23]           Le demandeur a expliqué de nombreuses manières les contradictions, jetant tour à tour le blâme sur l’interprète présent à l’entrevue d’immigration, sur l’agent d’immigration puis sur sa propre mémoire défaillante. Le tribunal n’a pas estimé que ces explications étaient dignes de foi.

 

[24]           Après avoir examiné avec soin la décision du tribunal de même que les notes au point d’entrée, le FRP et la transcription de l’audience, la Cour conclut que les conclusions tirées par le commissaire sur la question de la crédibilité n’étaient pas manifestement déraisonnables.

 

Le tribunal a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte de tous les éléments de preuve pertinents dont il disposait?

 

[25]           Le demandeur soutient, finalement, que le tribunal a commis une erreur en se fondant sur une conclusion défavorable quant à la crédibilité pour statuer sur la demande, sans apprécier objectivement le risque de persécution auquel il serait exposé si on l’obligeait à retourner au Sri Lanka, puisque la définition de réfugié au sens de la Convention appelle une analyse prospective et non rétrospective. En agissant comme il l’a fait, le tribunal aurait également omis de prendre en compte des éléments documentaires pertinents qui étayaient la demande d’asile du demandeur.

 

[26]           Le demandeur invoque la décision Acevedo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. n° 738, pour prétendre qu’une analyse prospective est nécessaire. Le juge Michael A. Kelen a effectivement déclaré dans Acevedo que l’analyse de l’histoire d’un réfugié était prospective, mais il a toutefois ajouté (au paragraphe 12) que « [p]our faire cette analyse prospective, la Commission doit nécessairement examiner l’information relative aux événements appartenant à un passé récent ». Dans cette affaire, en outre, la demande de contrôle judiciaire a été accueillie parce que la Commission avait tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable, et non parce que celle‑ci avait examiné les événements passés pour en arriver à sa décision.

 

[27]           Cela dit, il se dégage comme principe de nombreuses décisions que, lorsqu’elle examine une prétention de crainte fondée de persécution, la Commission doit apprécier la preuve documentaire, même lorsqu’a été tirée une conclusion défavorable quant à la crédibilité en regard de la persécution dont le demandeur prétend avoir fait l’objet. Le passage le plus fréquemment cité sur ce point est tiré des motifs de la juge Danièle Tremblay-Lamer dans Seevaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 694 (paragraphes 11 et 13) :

À mon avis, la Commission a omis d’examiner toute la preuve soumise. Elle a simplement rejeté la demande de la demanderesse principale parce qu’elle a jugé qu’elle n’était pas crédible. Dans les circonstances de l’espèce, il existait d’autres éléments de preuve susceptibles d’influer sur l’appréciation de la demande. Ces autres éléments de preuve auraient donc dû être appréciés expressément.

 

 

[…] La Commission […] n’a pas tenu compte de la preuve qui émanait d’autres sources que le témoignage de la demanderesse principale et qui confirmait le risque que courent les jeunes femmes tamoules au Sri Lanka. Étant donné ces faits, la conclusion de la Commission suivant laquelle « aucune preuve crédible ou digne de foi » ne lui a été soumise ne peut être maintenue.

 

[28]           La juge Tremblay-Lamer s’est également fondée à cet égard sur la décision Mahanandan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. n° 1228 (paragraphe 8) de la Cour d’appel fédérale :

Lorsqu’une preuve documentaire comme celle en cause est admise en preuve à l’audience, et pourrait vraisemblablement influer sur l’appréciation, par la Commission, de la revendication dont elle est saisie, il nous semble que plus qu’une simple constatation de son admission, la Commission doit indiquer dans ses motifs l’incidence, si elle existe, de cette preuve sur la revendication du requérant. Comme je l’ai déjà dit, la Commission ne l’a pas fait en l’espèce. À notre avis, cette omission équivalait à une faute irréparable, et il s’ensuit que la décision de la Commission ne peut être maintenue.

 

 

[29]           Par contre, il a été établi dans d’autres décisions que lorsque la Commission conclut qu’un demandeur manque de crédibilité quant aux actes de persécution dont il prétend avoir fait l’objet, elle peut ne pas avoir à évaluer d’autres éléments de preuve. C’est ce que, par exemple, a déclaré le juge Yvon Pinard dans Djouadou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 1568 (paragraphe 4) :

Quant au reproche fait par le demandeur au tribunal de ne pas s’être livré à une analyse de la preuve documentaire concernant l’Algérie, je suis d’avis que dans la mesure où on a jugé que le témoignage du demandeur n’était pas crédible, semblable analyse n’était pas nécessaire (Sheikh c. Canada (M.E.I.), [1990] 3 C.F. 238).

 

[30]           Dans Ndlovu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. n° 1091 (paragraphe 9), le juge Paul Rouleau a suivi le principe énoncé par le juge Yvon Pinard dans Djouadou :

[…] La Commission a énoncé sans équivoque dans ses motifs ses conclusions quant à la crédibilité des demandeurs, après avoir analysé de façon détaillée des incohérences entachant les témoignages et FRP des trois demandeurs. Ayant conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles quant aux actes de persécution dont ils auraient fait l’objet, la Commission n’avait pas à évaluer d’autres éléments de preuve. Au soutien de sa prétention, le défendeur fait valoir la déclaration du juge Pinard dans Djouadou c. Canada (MCI), [1999] A.C.F. n ° 1568, au paragraphe 4 :

 

            Quant au reproche fait par le demandeur au tribunal de ne pas s’être livré à une analyse de la preuve documentaire concernant l’Algérie, je suis d’avis que dans la mesure où on a jugé que le témoignage du demandeur n’était pas crédible, semblable analyse n’était pas nécessaire (Sheikh c. Canada (M.E.I.), [1990] 3 C.F. 238).

 

[31]           On peut ainsi dire, sur le fondement de la jurisprudence existante, que le facteur clé pour établir s’il est nécessaire pour la Commission d’apprécier la preuve documentaire dont elle est saisie, même si le demandeur d’asile est jugé ne pas être digne de foi, sera la nature de cette preuve de même que son lien avec la demande d’asile.

 

[32]           Le demandeur soutient que le tribunal a fait abstraction d’une preuve démontrant que des personnes qui, comme lui, font du commerce à Colombo ont été victimes de tactiques d’extorsion de la part des TLET et menacées de se voir infliger des blessures si elles n’obtempéraient pas.

 

[33]           Cependant, c’est le demandeur qui a le fardeau d’établir un lien entre sa situation personnelle et les situations où l’extorsion pourrait, en certaines circonstances, constituer de la persécution au Sri Lanka.

 

[34]           J’ai du mal à croire qu’une fois établi le manque de crédibilité du demandeur, le tribunal ait comme obligation d’examiner la preuve documentaire pour y trouver un lien avec des faits propres à la situation du demandeur. C’est le demandeur, non le tribunal, qui doit démontrer l’existence d’un tel lien.

 

[35]           Ce raisonnement étant posé, je conclus qu’il y a lieu, eu égard à l’analyse de la juge Tremblay-Lamer, de distinguer la présente affaire de l’affaire Seevaratnam, précitée.

 

[36]           Rien ne justifie, par conséquent, l’intervention de la Cour en l’espèce.

 

[37]           Le demandeur suggère que soient certifiées les cinq questions ci‑dessous soulevées dans Benitez, précitée :

1.      Les Directives no 7, prises en vertu du pouvoir du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, contreviennent-elles aux principes de justice fondamentale consacrés par l’article 7 de la Charte des droits et libertés en limitant indûment le droit d’un demandeur d’asile d’être entendu et son droit à un procureur?

 

2.      L’application des paragraphes 19 et 23 des Directives no 7 prises par le président contrevient-elle aux principes de justice naturelle?

 

3.      L’application des Directives no 7 constitue-t-elle une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés?

 

4.      Une conclusion selon laquelle les Directives no 7 entravent l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés signifie-t-elle nécessairement que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, sans qu’il soit tenu compte du fait que l’équité procédurale a autrement été assurée au demandeur dans ce cas particulier ou qu’il y a un autre fondement permettant de rejeter la revendication?

 

5.   Les Directives no 7 sont-elles illégales parce qu’elles sont ultra vires du pouvoir du président de donner des directives en vertu de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

 

[38]           Par souci de cohérence avec d’autres décisions rendues par notre Cour, je certifierai la question qui suit :

L’application des Directives n° 7 constitue-t-elle une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés?

 


JUGEMENT

 

1.      La demande est rejetée.

2.      La question suivante est certifiée :

L’application des Directives n° 7 constitue-t-elle une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés?

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

D. Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7770-05

 

INTITULÉ :                                       JOHN KENNEDY FERNANDO c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 12 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 8 NOVEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

JACK DAVIS

 

POUR LE DEMANDEUR

TAMRAT GEBEYEHU

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DAVIS & GRICE, TORONTO

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.