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Date : 20061102

Dossier : T‑1708‑05

Référence : 2006 CF 1326

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

LE GOUVERNEMENT DU YUKON

(L’AÉROPORT INTERNATIONAL DE WHITEHORSE)

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               L’aéroport international de Whitehorse (le WIA) a pour propriétaire et exploitant le gouvernement du Yukon. Le gouvernement canadien, par l’entremise de Transports Canada, est chargé de réglementer la sûreté aérienne au Canada, notamment de veiller à la sécurité et à l’accréditation des aéroports; il le fait en appliquant la Loi sur l’aéronautique (la Loi), L.R.C. 1985, ch. A‑2, et ses règlements d’application. Le WIA est une installation désignée par le ministre des Transports (le ministre) dans le certificat d’aéroport pour l’aviation civile délivré le 5 janvier 2001, certificat qui autorise le gouvernement du Yukon, par l’entremise de son ministère de la Voirie et des Travaux publics, à exploiter l’aéroport.

 

[2]               Il n’est pas contesté que le WIA n’est pas une personne morale et que seul l’exploitant désigné de l’aéroport (c’est‑à‑dire le gouvernement du Yukon) ainsi que ses préposés et mandataires sont soumis aux obligations de sûreté prévues par la Loi et ses règlements d’application. Cependant, le 14 avril 2004, le ministre a délivré, à l’encontre du WIA, en vertu de l’article 7.7 de la Loi, quatre avis établissant le montant d’une amende (les avis), pour un montant total de 7 500 $. Ces avis désignaient le WIA comme l’auteur de contraventions à certaines mesures de sûreté des aéroports; notamment, il n’avait pas obtenu des habilitations de sécurité pour deux personnes à qui avaient été délivrés des laissez‑passer de zone aéroportuaire réglementée.

 

[3]               Le gouvernement du Yukon a contesté les avis du ministre devant le Tribunal d’appel des transports du Canada (le Tribunal). Le gouvernement du Yukon ne s’est en aucune manière opposé aux conclusions au fond du ministre sur la question de la responsabilité. Le gouvernement du Yukon a fait plutôt valoir que, en désignant de manière erronée le WIA comme personne morale soumise au contrôle réglementaire, les avis du ministre étaient juridiquement nuls et ne pouvaient pas être validés par une modification. Néanmoins, le Tribunal a fait droit à la requête du ministre en modification des avis pour qu’y soit ajouté comme partie le gouvernement du Yukon. Le gouvernement du Yukon n’ayant pas fait valoir une défense de fond aux arguments avancés contre lui par le ministre, les contraventions furent confirmées par le Tribunal par décision rendue le 6 avril 2005.

 

[4]               Le gouvernement du Yukon a contesté la décision du Tribunal en la portant en appel devant un comité de trois membres du Tribunal (le comité d’appel). Cet appel fut accueilli pour deux motifs :

1.         les avis établissant les amendes étaient nuls et ne pouvaient pas être validés par modification;

2.         le gouvernement du Yukon avait subi un préjudice parce qu’il avait dû participer à l’audition de la cause au fond avant de savoir s’il était partie à l’instance.

 

Le ministre a déposé un recours contre les conclusions susmentionnées du comité d’appel.

 

La décision du Tribunal

[5]               Le Tribunal était saisi de plusieurs requêtes préliminaires sur lesquelles il a décidé de statuer dans sa décision finale après avoir entendu l’ensemble de la preuve.

 

[6]               Le gouvernement du Yukon avait déposé deux requêtes préliminaires. La première était une requête tendant à contraindre le ministre à produire la preuve [traduction] « que l’aéroport international de Whitehorse est une personne morale passible des sanctions ministérielles ». Par sa deuxième requête, une requête connexe, le gouvernement du Yukon voulait faire rejeter sommairement la demande visant le WIA parce que celui‑ci n’était pas une personne morale à laquelle pouvait être imposée une peine. En réponse à ces requêtes, le ministre a prié le Tribunal de modifier les avis pour qu’y soit ajouté comme partie nommément désignée le gouvernement du Yukon.

 

[7]               L’avocat du gouvernement du Yukon a prié plusieurs fois le Tribunal de statuer sur ses requêtes avant d’entendre la preuve et de rendre sa décision finale, mais le Tribunal a refusé de le faire. Ce n’était pas là somme toute une réaction surprenante puisque l’avocat du gouvernement du Yukon a formellement déclaré, à quatre reprises, que son client n’avait pas l’intention de contester les accusations au fond et qu’il était disposé à admettre les éléments essentiels des allégations du ministre.

 

La décision du comité d’appel

[8]               Le comité d’appel a jugé que le Tribunal avait outrepassé sa compétence en autorisant la modification des avis. Se fondant sur la décision Regina c. AFC Soccer, [2004] M.J. No. 194, 2004 CAMB 73, il a conclu que les avis étaient nuls parce que l’indication correcte de la partie désignée était l’un des éléments essentiels d’un avis valide. Il a donc fait une distinction d’avec les faits des affaires Canada (Ministre des Transports) c. Fosberg, [1988] D.T.A.C. n° 35, Matiushyk c. Canada (Ministre des Transports), [1994] D.T.A.C. n° 7. Dans ces décisions, le comité d’appel avait autorisé la modification d’avis, dans le premier cas celle d’un avis établissant le montant d’une amende, et dans le deuxième cas celle d’un avis de suspension.

 

[9]               Le comité d’appel a jugé aussi que le Tribunal avait manqué aux règles de justice naturelle en obligeant le gouvernement du Yukon à participer à l’instance au fond sans savoir s’il y était partie. Sa conclusion sur ce point est exposée dans les brefs passages suivants :

[TRADUCTION]

L’identité de la « personne » soupçonnée d’avoir contrevenu à une disposition n’a été établie qu’après la fin de l’instruction. L’identité de cette « personne » a été mise en question à la fois par le demandeur et par le défendeur. Il n’a été répondu à aucune des deux requêtes avant ou durant l’instruction. La réponse aux requêtes n’a été donnée que lorsque la décision a été rendue, plusieurs mois après l’audition de la cause, quand le Tribunal a fait droit à la requête en modification, sans faire état de la requête du demandeur.

 

En fin de compte, le demandeur a été contraint de participer à l’instance sans savoir s’il y était partie. Cela a donné lieu à un préjudice. Le demandeur est contraint de participer à la phase d’administration de l’instance sans être encore certain d’être partie à cette procédure. Comment cela est‑il possible? Nous sommes d’avis qu’il s’agit là d’un manquement à la justice naturelle.

 

Les deux requêtes ont été présentées conformément à l’article 10 des Règles. Cette disposition n’impose au Tribunal aucun délai pour répondre à une requête. Dans bon nombre de situations, la requête est d’abord instruite ou examinée, puis il y est répondu plus tard, au cours de l’instance ou dans la décision. Cependant, l’identité de la partie à l’instance doit être déterminée assez tôt pour permettre à cette partie d’y participer efficacement. Ici, nous croyons qu’il était essentiel que les décisions soient rendues dès le début, et certainement avant que le ministre soit invité à faire valoir ses arguments.

 

 

Cadre légal

[10]           Pour bien saisir la décision rendue par le comité d’appel, d’après laquelle le Tribunal avait outrepassé sa compétence et qui déclarait nuls, et donc non modifiables, les avis émis par le ministre, il convient d’examiner le processus administratif qui a abouti à ces décisions.

 

[11]           La Loi autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements précisant que certaines dispositions de la loi sont sanctionnées par des peines administratives plutôt que par l’introduction d’une procédure sommaire. La contravention à ces dispositions légales désignées est, en vertu du paragraphe 7.6(2) de la Loi, réputée constituer une infraction, mais la procédure d’exécution prévue n’exige pas l’ouverture de poursuites. La Loi autorise plutôt le ministre, qui doit se fonder sur des motifs raisonnables et probables, à établir contre la personne physique ou morale qui est censée avoir commis une contravention une sanction pécuniaire. Le Règlement sur les textes désignés, DORS/2000‑112, prévoit des sanctions maximales, et en aucun cas la sanction ne peut dépasser 5 000 $ pour une personne physique ou 25 000 $ pour une personne morale.

 

[12]           La décision du ministre doit être signifiée par avis écrit à la personne physique ou morale concernée. Cet avis doit indiquer le texte désigné qui, selon le ministre, a été transgressé, ainsi que l’amende devant être acquittée en conséquence. La personne physique ou morale désignée peut soit payer l’amende, soit demander la révision de la contravention censée avoir été commise ou de l’amende, ou à la fois de la présumée contravention et de l’amende. Si la personne physique ou morale décide de payer l’amende, alors l’article 7.9 de la Loi fait obstacle à toute autre instance se rapportant à ladite contravention.

 

[13]           Si la personne physique ou morale désignée dans l’avis décide de faire réviser la contravention censée avoir été commise ou l’amende, elle doit envoyer une requête écrite en ce sens au Tribunal. Lorsqu’il procède à la révision, le Tribunal doit observer les règles de l’équité procédurale et de la justice naturelle, et notamment respecter le droit des parties de produire des preuves et des observations (voir le paragraphe 7.91(3) de la Loi). La Loi dispose aussi que, dans cette instance en révision, la charge de la preuve incombe au ministre et que la norme de preuve applicable est la prépondérance des probabilités (voir le paragraphe 7.91(4) de la Loi, et aussi le paragraphe 15(5) de la Loi sur le Tribunal d’appel des transports du Canada, L.C. 2001, ch. 29).

 

[14]           Les parties ont le droit d’obtenir un avis des conclusions du Tribunal, et l’une ou l’autre d’entre elles peut faire appel de la décision du Tribunal devant le comité d’appel du Tribunal. Si le comité d’appel fait droit à l’appel, il peut substituer sa décision à la décision initiale (voir le paragraphe 7.2(3) de la Loi.)

 

[15]           Aux termes du paragraphe 15(1) de la Loi sur le Tribunal d’appel des transports du Canada, le Tribunal n’est pas lié par les règles juridiques ou techniques applicables en matière de preuve et doit, dans la mesure où les circonstances, l’équité et la justice naturelle le permettent, agir rapidement et sans formalisme. Néanmoins, les règles de procédure du Tribunal prévoient que les témoins doivent déposer sous serment et que chacune des parties a le droit d’interroger ou de contre‑interroger l’autre partie. Le Tribunal est tenu aussi de rendre ses décisions par écrit, notamment ses décisions relatives aux requêtes qui lui sont présentées. Le pouvoir d’ajourner l’instance est expressément prévu par les règles de procédure du Tribunal, mais de nombreux autres points de procédure sont laissés à son appréciation comme le prévoit la règle n° 4, ainsi formulée :

Le Tribunal peut prendre les mesures qu’il juge nécessaires pour trancher efficacement, complètement et équitablement, au cours d’une instance, toute question de procédure non prévue par la Loi ou les présentes règles.

 

Where a procedural matter not provided for by the Act or by these Rules arises during the course of any proceeding, the Tribunal may take any action it considers necessary to enable it to settle the matter effectively, completely and fairly.

 

 

[16]           Le cadre législatif fédéral d’après lequel il est statué sur les nombreuses contraventions censées avoir été commises relativement aux mesures touchant la sûreté aérienne était à l’évidence conçu comme un processus administratif et non un processus axé sur des poursuites judiciaires. Ce processus est de nature contradictoire, mais il est également structuré en des termes qui découragent le formalisme et la ratiocination. Toute décision doit respecter les impératifs de l’équité et de la justice naturelle, mais par ailleurs ce régime est dispensé des exigences procédurales plus rigoureuses communément associées aux poursuites pénales ou quasi pénales. Il impose aussi des plafonds quant à la sanction pécuniaire que le ministre peut imposer, et il impose la norme de preuve qui est applicable en matière civile. L’avis consiste en un document d’accusation, mais il donne lieu à un processus administratif pouvant conduire soit à l’acceptation de la sanction imposée par le ministre, soit à une décision administrative. En bref, ce processus ne vise que les décisions relatives à certaines dispositions désignées, il y a des plafonds monétaires et il est réservé à une juridiction administrative spécialisée dans les questions de sûreté aérienne et de sécurité aéroportuaire. C’est aussi un processus qui est encadré par les principes de justice naturelle et qui vise l’efficacité et un degré raisonnable de simplicité dans les procédures.

 

Analyse

Norme de contrôle

[17]           Le comité d’appel a fait droit à l’appel du gouvernement du Yukon. Selon lui, le Tribunal avait outrepassé sa compétence en accordant les modifications demandées, et il avait manqué aux règles de la justice naturelle parce qu’il n’avait pas statué sur les requêtes en modification des avis et en rejet sommaire des arguments du ministre avant d’instruire l’affaire au fond.

 

[18]           Cette décision quant à la question de la compétence portait sur un point de droit qui était au cœur des pouvoirs du Tribunal. La norme de contrôle portant sur cet avis du comité d’appel est donc celle de la décision correcte. Cela norme a été admis par les deux parties mais, de toute manière, j’abonderais dans le sens de la juge Eleanor Dawson dans la décision Canada (Procureur général) c. Woods, [2002] A.C.F. n° 1267; 2002 CFPI 928, où elle a fait les observations suivantes, aux paragraphes 10 à 12 :

10     S’appuyant sur la décision du juge Tremblay‑Lamer dans Air Nunavut Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), 2000 IIJCan 17156 (C.F.), [2001] 1 C.F. 138 (1re inst.), ainsi que sur l’analyse pragmatique et fonctionnelle, le ministre soutient que la norme de contrôle applicable de la décision du Comité d’appel en ce qui concerne la compétence du Tribunal de l’aviation civile pour entendre ces infractions est celle de la décision correcte. L’avocat de M. Woods est du même avis.

 

11     Je suis convaincue que si l’on applique les facteurs énoncés dans l’arrêt Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 IIJCan 778 (C.S.C.), [1998] 1 R.C.S. 982, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. J’ai notamment examiné la portée de la question et son applicabilité à un grand nombre de cas dans le futur, ainsi que le manque d’expertise relative du Comité d’appel en matière d’interprétation des lois.

 

12     Le Tribunal doit interpréter correctement la Loi sur cette question et, en ce sens, la question porte sur la compétence du Tribunal de l’aviation civile. Par conséquent, le Tribunal doit la trancher correctement pour ne pas outrepasser sa compétence. Voir : Pushpanathan, précité, au paragraphe 28.

 

 

[19]           En ce qui concerne l’avis du comité d’appel portant sur l’équité procédurale, aucune analyse pragmatique et fonctionnelle n’est requise. Le comité d’appel était tenu de rendre une décision correcte dans sa manière de considérer l’approche du Tribunal au regard des requêtes de nature procédurale. S’il en est ainsi, c’est parce qu’il ne peut y avoir qu’une seule réponse correcte à la question de savoir si le Tribunal a manqué ou non aux règles de la justice naturelle en statuant comme il l’a fait : voir l’arrêt Ellis‑Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] A.C.S. n° 5, [2001] 1 R.C.S. 221, 2001 CSC 4, au paragraphe 65.

 

Le Tribunal avait‑il le pouvoir de modifier les avis?

[20]           Le Tribunal avait déjà jugé qu’il a le pouvoir de modifier un document d’accusation. Dans la décision Fosberg, précité, un comité d’appel du Tribunal avait admis une modification, en se fondant sur le critère suivant :

[TRADUCTION] Le défendeur a‑t‑il été raisonnablement informé de l’accusation portée contre lui de telle sorte qu’il a aujourd’hui la possibilité de présenter une défense pleine et entière et d’obtenir un procès équitable? Si le défendeur n’a pas été induit en erreur, alors le Tribunal doit faire droit à la demande de modification et aller de l’avant avec l’audition de la cause. Si par ailleurs il est possible que le défendeur n’ait pas été raisonnablement informé de l’accusation et qu’il ne soit pas en mesure de présenter une défense pleine et entière et d’obtenir un procès équitable, alors le Tribunal ne peut autoriser la modification que si un ajournement suffisant est accordé qui permette au défendeur de préparer une défense pleine et entière et d’obtenir un procès équitable.

 

 

On trouve des observations semblables dans la décision Matiushyk, précitée, rendue par le Tribunal, où il s’est prononcé en ces termes :

[TRADUCTION] Je suis d’avis que la modification est de pure forme, et le demandeur n’a pas, d’après moi, été induit en erreur ni lésé dans sa défense par la modification apportée. En outre, eu égard au fond de l’affaire, la modification proposée peut être faite sans qu’il en résulte une injustice. Par ailleurs, M. Matiushyk avait toute latitude de faire valoir qu’il n’avait pas disposé d’un délai raisonnable pour présenter une défense pleine et entière, et il n’a présenté aucun argument en ce sens. J’autorise donc la modification.

 

 

Dans ces observations, on a manifestement suivi la norme du droit administratif régissant la signification d’un avis adéquat à une partie visée par une sanction administrative prévue par la Loi.

 

[21]           Cependant, en l’espèce, le comité d’appel a estimé que le vice dont étaient entachés les avis était si fondamental que ceux‑ci ne pouvaient pas être modifiés. Pour tirer cette conclusion, il s’est fondé sur les motifs exposés par la Cour d’appel du Manitoba dans l’arrêt AFC Soccer, précité. Dans cette affaire, il s’agissait d’un acte d’accusation délivré en vertu du Code criminel et atteint d’un vice similaire. Dans l’arrêt AFC Soccer, la Cour d’appel du Manitoba a bien dit que l’acte d’accusation était nul, mais il importe de reconnaître que sa décision était rendue dans le cadre de poursuites pénales, où les règles de procédure ont évolué de manière bien distincte. Il convient aussi de noter que les observations de la Cour d’appel du Manitoba sur le pouvoir de modification de l’acte étaient des observations incidentes, étant donné que l’accusé avait plaidé coupable et qu’aucune requête en modification n’avait été considérée.

 

[22]           En matière de droit administratif, la forme le cède en général au fond. Dans ce contexte, l’obligation de donner un avis effectif est en fin de compte fondée sur la notion d’équité et non par du formalisme. Même dans le domaine des instances pénales ou quasi pénales, ce qui justifiait traditionnellement l’annulation d’un acte d’accusation ou d’une dénonciation a largement perdu de sa force. Cet aspect a été évoqué par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt La Reine c. Sault Ste‑Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299, à la page 1307, dans le passage suivant :

Ces critères ont leur utilité, mais ils sont trop généraux pour fournir une délimitation claire dans des cas concrets. Cela ressort clairement de la variété des litiges et de la diversité des opinions exprimées dans l’affaire présente. Je crois que pour résoudre ce problème, il faut rappeler le but fondamental de la règle qui interdit les accusations doubles ou multiples. La règle a été élaborée à une époque de formalisme extrême dans la présentation des actes d’accusation et des dénonciations. Elle procédait des sentiments humanitaires des juges qui voulaient adoucir la sévérité de la loi à une époque où de nombreuses infractions étaient placées dans la catégorie des crimes graves punis par la pendaison. Le moindre défaut viciait l’accusation. Cette époque est révolue. Le Parlement a clairement démontré, dans les articles du Code criminel relatifs à la forme des actes d’accusation et des dénonciations, que nous n’étions plus liés par le formalisme pointilleux d’antan. Nous devons examiner le fond des choses et non pas des formalités insignifiantes.

 

 

[23]           Dans l’arrêt Sault Ste‑Marie, la Cour suprême faisait ensuite observer que, lorsqu’elle examine la validité d’un document d’accusation, la cour doit vérifier si l’accusé a réellement subi un préjudice en raison de l’ambiguïté des termes employés.

 

[24]           L’application des principes du droit pénal au régime administratif établi par la Loi a déjà été étudiée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Boyd c. Canada (Ministre des Transports), [2004] A.C.F. n° 2080; 2004 CAF 422. Dans cette affaire, il s’agissait de savoir si le principe du double péril devait s’appliquer à une accusation de nature administrative portée par le ministre pour le pilotage négligent d’un aéronef. La Cour d’appel a jugé que le principe en question n’était applicable qu’aux instances pénales ou véritablement pénales. Puis elle s’est penchée sur la question de savoir si l’avis était suffisant, et elle a appliqué clairement la norme administrative dans le passage suivant, au paragraphe 7 :

En outre, concernant le préavis, il est vrai que les détails de l’accusation ne figuraient pas dans celui‑ci, mais en fait, M. Boyd avait été avisé de toutes les allégations de faits le concernant. Il a reçu toute la preuve et il savait quels étaient les actes reprochés. Il a contre‑interrogé les témoins relativement à chacune des allégations contre lui. Il a assigné des témoins pouvant contredire chacune des allégations. Il n’y a eu aucune surprise. L’avis qu’il a reçu était suffisant et il est donc exclu de conclure à une violation des principes de justice naturelle.

 

 

[25]           En l’espèce, le comité d’appel a commis une erreur en appliquant les principes du droit pénal à une question de droit administratif. Sans doute des problèmes peuvent‑ils surgir dans la forme d’un avis émis en vertu de la Loi et en vertu du Règlement sur les textes désignés, au point que la validité de l’avis puisse être mise en doute (voir le jugement Air Nunavut Ltd. c. Canada (Ministre des Transports), [2001] 1 C.F. 138, [2000] A.C.F. n° 1115), mais le Tribunal a aussi le pouvoir de modifier l’avis ou d’ordonner la communication d’autres documents. Lorsque l’autorisation de modifier un document risque de désavantager une partie, le pouvoir du Tribunal d’ajourner l’audition de la cause constitue en général une mesure adéquate. Il faut toujours répondre à la question en se demandant si la partie concernée connaît les thèses de la partie adverse, et alors si elle a raisonnablement la possibilité de se faire entendre.

 

[26]           Ici, le vice qui entachait les avis était connu de toutes les parties concernées. Le gouvernement du Yukon savait parfaitement qu’il était l’exploitant officiel du WIA et que c’était bien à lui que s’adressaient les avis du ministre. Le gouvernement du Yukon a envoyé son avocat à l’audience du Tribunal, et celui‑ci s’est exprimé en son nom. Le gouvernement du Yukon avait connaissance de la requête du ministre en modification tendant à corriger les lacunes des avis, et il a fait valoir ses arguments à l’encontre de cette requête. Son avocat est aussi descendu dans l’arène en contre‑interrogeant l’un des témoins clés du ministre. L’avocat du gouvernement du Yukon a volontiers admis qu’il n’entendait pas opposer une défense de fond à l’encontre des allégations de la partie adverse. Bien évidemment, aucune demande d’ajournement ne fut présentée au nom du gouvernement du Yukon à la clôture des arguments du ministre.

 

[27]           En bref, la conduite du gouvernement du Yukon devant le Tribunal dément l’idée qu’il a été désavantagé par une carence de l’avis, ou qu’il a pu par ailleurs se demander s’il était exposé à un double péril. Le gouvernement du Yukon était parfaitement au fait des allégations du ministre et il a eu la possibilité d’y répondre; dans une certaine mesure, c’est d’ailleurs ce qu’il a fait.

 

[28]           Sans doute en est‑il d’autres qui auraient pu être nommément désignés dans les avis, mais il n’y avait ici aucune raison de croire qu’une personne physique ou morale autre que le gouvernement du Yukon était concernée par l’instance. La requête en modification des avis ne fut d’ailleurs pas présentée pour qu’une partie soit substituée à une autre, mais uniquement pour que les avis soient complétés par une mention officielle du propriétaire et de l’exploitant du WIA.

 

[29]           Il convient aussi de rappeler qu’une retenue considérable était de mise quant aux décisions de nature procédurale du Tribunal. Dans la mesure où le Tribunal n’avait pas outrepassé sa compétence et s’était conformé aux règles de l’équité, le comité d’appel ne pouvait intervenir que si une telle décision était manifestement déraisonnable : voir l’arrêt McNaught v. Toronto Transit Commission (2005), 74 O.R. (3rd) 278, [2005] O.J. No. 224 (C.A. Ont.).

 

[30]           Finalement, je conclus que le Tribunal n’a pas outrepassé sa compétence en permettant que les avis soient modifiés et, au vu des circonstances décrites ci‑dessus, la décision qu’il a rendue était raisonnable. Le comité d’appel a quant à lui commis une erreur de droit en annulant la décision du Tribunal d’autoriser la modification des avis.

 

Le Tribunal a‑t‑il manqué aux règles de la justice naturelle?

[31]           Dans les limites de l’équité, le Tribunal avait toute latitude de mener l’audition de la cause comme il l’entendait, et il avait le droit de prendre connaissance de la preuve avant de statuer sur les requêtes préliminaires qui lui avaient été présentées : voir l’arrêt McNaught, précité. Le Tribunal a conclu qu’il pourrait être avantageux, et plus productif, de prendre connaissance de la preuve avant de statuer sur la requête du ministre en modification des avis, et sur la requête adverse du gouvernement du Yukon en rejet sommaire. C’est là, dans les cas qui s’y prêtent, l’approche admise en ce qui concerne les requêtes de ce genre, lorsqu’une décision sur une question de forme peut profiter de la preuve produite durant l’audition de la cause au fond. C’est ainsi que s’est prononcée la Cour de justice de l’Ontario dans l’affaire Regina v. Arnold, [2002] O.J. No. 3835, où elle a jugé que, avant de statuer sur une requête visant à faire déclarer nulle une dénonciation, il est préférable [traduction] « d’attendre que la preuve ait été entendue, puis de décider ensuite si une modification est susceptible de remédier à tel ou tel vice de forme ».

 

[32]           Il n’y avait, après tout, que deux issues possibles pour les requêtes préliminaires opposées : soit la modification demandée par le ministre était accordée et le gouvernement du Yukon était officiellement ajouté comme partie, soit la requête était rejetée, et le non‑lieu prononcé. Le Tribunal avait réservé son jugement sur les requêtes en question, mais cela n’a nullement empêché le gouvernement du Yukon de présenter une défense au fond en présumant que la requête du ministre en modification des avis serait accordée. Nul ne doutait d’ailleurs que le gouvernement du Yukon était l’exploitant du WIA et qu’il était la partie visée par les allégations du ministre.

 

[33]           Il n’y a rien de naturellement injuste dans l’approche adoptée ici, au vu des faits constatés. Le gouvernement du Yukon a dit qu’il ne savait pas, au cours de l’audience, s’il était exposé au double péril, mais cela n’a pas empêché son avocat de participer à l’instance. En outre, l’avocat du gouvernement du Yukon a plusieurs fois déclaré que son client n’entendait pas contester au fond les allégations du ministre, et il n’avait évidemment pas l’intention de présenter une défense proprement dite. Si le gouvernement du Yukon avait véritablement eu l’impression d’être placé dans une position désavantageuse, il aurait pu, et aurait dû, solliciter un ajournement à l’issue des arguments du ministre. Il ne l’a pas fait.

 

[34]           Je partage l’avis de l’avocat du ministre selon lequel le comité d’appel a statué sur la question relative à l’équité en postulant qu’il y avait eu préjudice. Aucune preuve d’un préjudice réel n’a évidemment été produite, et la décision du comité d’appel n’en évoque aucune. La conclusion du comité d’appel selon laquelle le gouvernement du Yukon n’a pas pu participer véritablement à l’audience ne concorde tout simplement pas avec son intention déclarée de n’y pas participer, et le doute conçu par le comité d’appel est donc purement conjectural.

 

[35]           En conclusion, le comité d’appel a commis une erreur de droit lorsqu’il a dit que l’approche adoptée par le Tribunal au regard des requêtes préliminaires avait abouti à une violation des règles de justice naturelle. La décision du comité d’appel est donc annulée, et l’affaire est renvoyée au comité d’appel pour nouvelle décision conforme au présent jugement. Les dépens sont accordés au demandeur, pour la somme de 2 500 $, y compris les débours.

 

 


JUGEMENT

 

            LA COUR ACCUEILLE la demande et elle renvoie l’affaire au comité d’appel pour nouvelle décision conforme au présent jugement.

 

LA COUR ACCORDE au demandeur, au titre des dépens, la somme de 2 500 $, y compris les débours.

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                     T‑1708‑05

 

 

INTITULÉ :                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c.

                                                         LE GOUVERNEMENT DU YUKON (AÉROPORT INTERNATIONAL DE WHITEHORSE)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :             Whitehorse (Territoire du Yukon)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :            Le 11 octobre 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                          Le juge Barnes

 

 

DATE DES MOTIFS :                   Le 2 novembre 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Suzanne Duncan                                                                      POUR LE DEMANDEUR

 

Kimberly Sova                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Tom Ullyett

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                                                    POUR LE DEMANDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

Direction des services juridiques                                              POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Gouvernement du Yukon

 

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