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Date : 20061102

Dossier : IMM-1642-06

Référence : 2006 CF 1321

Ottawa (Ontario), le 2 novembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

 

ENTRE :

AZIZUR RAHMAN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), visant une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, laquelle a rejeté l’appel en matière de parrainage de M. Azizur Rahman, (le demandeur). Dans sa décision, en date du 27 février 2006, la SAI a rejeté l’appel du demandeur sans tenir d’audience pour le motif qu’il y avait chose jugée.

 

[2]               La SAI a tiré deux conclusions clés. Premièrement, elle a conclu que l’appel du demandeur satisfaisait à toutes les conditions préalables à l’application du principe de la chose jugée. Deuxièmement, après avoir examiné les nouvelles observations du demandeur, la SAI a conclu que le demandeur n’avait pas établi l’existence de circonstances particulières qui auraient justifié la non‑application du principe.

 

I. Le contexte procédural et factuel

 

[3]               Le demandeur, un citoyen canadien, a déposé deux demandes de parrainage pour que son épouse, Sultana Akter (Mme Akter), obtienne la résidence permanente au Canada en tant que membre de la catégorie du regroupement familial. Il a épousé Mme Akter le 29 septembre 2001 au Bangladesh, le pays où elle vit et dont elle est citoyenne. Il s’agissait du second mariage du demandeur.

 

[4]               Le 27 septembre 2002, le demandeur a déposé sa première demande de parrainage. Son épouse a été reçue en entrevue par un agent des visas en mai 2003 au Bangladesh en présence d’un interprète. Dans sa décision du 23 juin 2003, l’agent des visas a rejeté la demande pour les motifs que la relation conjugale entre le demandeur et Mme Akter n’était pas authentique et que le mariage même n’était pas valide selon les lois du Bangladesh.

 

[5]               L’agent a exprimé des doutes quant à l’authenticité du mariage, car Mme Akter ne pouvait se souvenir que de quelques détails de la vie du demandeur au Canada, elle n’a pas pu fournir de photographies du mariage et elle a été incapable d’expliquer certaines contradictions sur des faits relatifs au mariage. En ce qui concerne la validité du mariage, l’agent a souligné que le demandeur était officiellement divorcé de sa première épouse depuis le 16 septembre 2001, moins d’un mois avant d’épouser Mme Akter. Son second mariage contrevenait donc aux lois du Bangladesh, qui prévoient qu’un homme divorcé doit attendre 90 jours après avoir donné avis de son divorce avant de pouvoir se marier à nouveau (Muslim Family Law Ordinance, 1961, Décret no VIII de 1961, Vide Pakistan Code 1966, volume XIV, page 67). Selon l’article 2 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR), un mariage contracté à l’extérieur du Canada doit être valide à la fois en vertu des lois du lieu où il a été contracté et des lois canadiennes. En conséquence, l’agent a jugé que le mariage entre le demandeur et Mme Akter n’était pas un mariage valide au sens du RIPR.

 

[6]               Le demandeur a interjeté appel de la décision de l’agent des visas devant la SAI. Après avoir procédé à une audience de novo, qui a eu lieu le 12 juillet 2004, la SAI a maintenu la décision de l’agent. Dans sa décision rendue le 9 août 2004, la SAI a jugé que le demandeur n’avait pas démontré que le mariage était authentique et ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR. La SAI a mené sa propre analyse sur la question de la validité et, comme l’agent des visas, a conclu que le mariage n’était pas valide selon la loi.

 

[7]               Le 17 octobre 2004, le demandeur a déposé une seconde demande de parrainage pour Mme Akter. Dans une décision rendue le 28 mars 2005, un autre agent des visas a rejeté cette demande après avoir conclu que le mariage n’était ni authentique ni valide. En outre, l’agent a conclu que les nouveaux éléments de preuve, qui étaient constitués principalement de factures de téléphone, soumis par le demandeur à l’appui de sa seconde demande ne suffisaient pas pour dissiper les doutes concernant l’authenticité et la validité du mariage.

 

[8]               Le 3 juin 2005, le demandeur a interjeté appel de la décision du deuxième agent des visas devant la SAI. En octobre 2005, la SAI a demandé aux deux parties de soumettre des observations sur la question de savoir s’il y avait chose jugée dans le cas du second appel. Les parties ont répondu en déposant des observations en novembre 2005. En plus de ses observations écrites, le demandeur a soumis un rapport médical d’un médecin bangladais confirmant la grossesse de Mme Akter ainsi qu’un avis juridique d’un éminent avocat du Bangladesh attestant la validité du mariage du demandeur. Dans une décision datée du 27 février 2006, la SAI a rejeté l’appel en invoquant le principe de la chose jugée. Il s’agit de la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

II. Les questions en litige

(1)   Quelle est la norme de contrôle applicable à l’analyse menée par la SAI sur la chose jugée?

(2)   La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que les trois conditions préalables à l’application de la doctrine de la chose jugée étaient remplies?

(3)   Était-il manifestement déraisonnable pour la SAI de conclure qu’aucune circonstance particulière en l’espèce ne justifiait la non‑application du principe de la chose jugée?

(4)   La SAI aurait-elle dû accorder une audience au demandeur?

III.  Analyse

(1)    Quelle est la norme de contrôle applicable à l’analyse menée par la SAI sur la chose jugée?

[9]               Le principe de la chose jugée vise à assurer le caractère définitif des procédures judiciaires en exigeant des parties qu’elles mettent tout en œuvre pour établir la véracité de leurs allégations dès la première occasion qui leur est donnée de le faire. En règle générale, une décision judiciaire devrait trancher les questions litigieuses de manière définitive, sauf le cas où elle est infirmée en appel (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, aux paragraphes 18 et 19).

 

[10]           Dans l’arrêt Danyluk, précité, la Cour suprême a souligné que l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, la forme de chose jugée en cause dans le présent contrôle judiciaire, comporte deux étapes. Le juge Binnie, rédigeant l’opinion unanime de la Cour suprême, a résumé la méthode à adopter au paragraphe 33 :

Il s’agit, au cours de la première étape, de déterminer si le requérant (en l’occurrence l’intimée) a établi l’existence des conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée énoncées par le juge Dickson dans l’arrêt Angle, précité.  Dans l’affirmative, la cour doit ensuite se demander, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si cette forme de préclusion devrait être appliquée […]

 

 

[11]           Chaque étape commande une norme de contrôle distincte (Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. n1786, aux paragraphes 16, 19 et 20).

 

[12]           La question de savoir si les conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont remplies est une question de droit. Elle porte sur les droits en matière de procédure du demandeur et la SAI n’est pas plus spécialisée que la Cour dans l’application du droit en ce domaine. Ces facteurs pointent en direction d’une norme de contrôle stricte. En conséquence, la norme de contrôle applicable à l’analyse menée par la SAI sur la chose jugée, pour la première étape, est la décision correcte (Mohammed, précitée, au paragraphe 16; Lageswaren c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. n1086, au paragraphe 16; Al Yamani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration ), [2003] 3 C.F. 345, au paragraphe 18).

 

[13]           Inversement, la deuxième étape comporte l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et l’évaluation de facteurs pertinents qui permettent de juger si des circonstances particulières justifiaient en l’espèce la non‑application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Les facteurs discrétionnaires commandent un niveau de retenue plus élevé (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, aux paragraphes 34 à 37). En conséquence, la norme de contrôle appropriée applicable à la seconde étape est la décision manifestement déraisonnable. J’adopte l’analyse que le juge Shore a réalisée au paragraphe 19 de ses motifs dans Mohammed, précitée :

La question de savoir s’il existe des circonstances spéciales ou particulières justifiant la non‑application du principe de la chose jugée est une question purement factuelle, qui relève donc de l’expertise du décideur administratif. Par conséquent, la norme de contrôle du caractère manifestement déraisonnable de l’erreur est de mise.

 

 

(2)   La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que les trois conditions préalables à l’application de la doctrine de la chose jugée étaient remplies?

[14]           Le demandeur n’a pas abordé cette question dans ses observations orales, il ne l’a abordée que dans ses observations écrites.

 

[15]           Comme les a énoncées la Cour suprême dans l’arrêt Angle c. Ministre du Revenu national, [1975] 2 R.C.S. 248, à la page 254, et reprises dans Danyluk, précité, au paragraphe 25, les trois conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont :

1)         la même question a été tranchée dans une procédure antérieure;

2)         la décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion est finale;

3)         les parties dans la décision judiciaire invoquée sont les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la préclusion est soulevée.

 

 

[16]           Le demandeur convient que la troisième condition était remplie en l’espèce, mais soutient que les deux premières ne l’étaient pas. Selon lui, les faits nouveaux survenus depuis la première décision rendue par la SAI le 9 août 2004 empêchent de conclure que la même question a été tranchée dans une procédure antérieure. Le demandeur s’appuie sur de présumés nouveaux faits survenus entre la décision du 9 août 2004 (la première décision de la SAI) et le rejet de l’appel du demandeur le 27 février 2006 (la deuxième décision de la SAI), c’est‑à-dire que son épouse était devenue enceinte, qu’il avait été en communication constante avec son épouse et qu’il lui avait apporté un soutien financier régulier. En fait, le demandeur prétend que ce qu’il présente comme de nouveaux faits a changé la nature de la question soulevée dans sa deuxième demande de parrainage.

 

[17]           À mon sens, les nouveaux faits allégués par le demandeur ne modifiaient en rien ce que le demandeur devait prouver ni les questions auxquelles la SAI devait répondre dans le second appel. Selon les articles 2 et 4 du RIPR, l’épouse ou l’époux étranger souhaitant immigrer au Canada en tant que membre de la catégorie du regroupement familial doit convaincre l’agent que son mariage est authentique, qu’il ne vise pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi et qu’il est valide tant selon les lois canadiennes que selon les lois de l’endroit où il a été contracté. Il incombe au demandeur de prouver qu’il satisfait à ces exigences selon la prépondérance de la preuve (voir Ni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. n290, au paragraphe 11, Mohammed, précité, au paragraphe 22). Cet ensemble d’exigences légales constitue le fondement des questions soulevées devant la SAI dans les appels en matière de parrainage.

 

[18]           La SAI est un tribunal compétent ayant le pouvoir de trancher les appels en matière de parrainage (LIPR, article 62). Elle a les attributions d’une juridiction supérieure sur toute question relevant de sa compétence (LIPR, paragraphes 174(1) et (2)). Après la première procédure devant la SAI, où le demandeur a fourni une preuve documentaire et s’est vu accorder une audience, la SAI a répondu à la question de savoir si la relation du demandeur avec Mme Akter était le reflet d’un mariage de bonne foi et valide ou s’il visait principalement l’acquisition d’un privilège aux termes de la LIPR. Selon la prépondérance de la preuve, la SAI a conclu que le mariage du demandeur n’était ni authentique ni valide et qu’il avait été très vraisemblablement contracté principalement pour aider Mme Akter à immigrer au Canada. Essentiellement, il s’agit d’une réponse aux questions soulevées par le demandeur dans son second appel. 

 

[19]           Le second appel satisfaisait à toutes les exigences de la chose jugée : il soulevait la même question, la décision antérieure était finale et les parties étaient les mêmes. Je conclus que les trois conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée étaient remplies en l’espèce et que la décision de la SAI à ce sujet était correcte.

 

(3)   Était-il manifestement déraisonnable pour la SAI de conclure qu’aucune circonstance particulière en l’espèce ne justifiait la non‑application du principe de la chose jugée?

 

[20]           À la seconde étape de l’analyse de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, il faut examiner si l’application du principe causerait une injustice. Comme l’a affirmé le juge Binnie dans Danyluk, précité, au paragraphe 67 :

L’objectif est de faire en sorte que l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée favorise l’administration ordonnée de la justice, mais pas au prix d’une injustice concrète dans une affaire donnée.

 

[21]           Quand les trois conditions sont remplies, comme en l’espèce, le décideur doit ensuite appliquer le principe, à moins que des circonstances particulières justifient de juger la cause sur le fond. Pour déterminer si de telles circonstances existent, il est nécessaire de se demander si, en tenant compte de toutes les circonstances, l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée causerait une injustice (Apotex Inc. c. Merck & Co., [2003] 1 C.F. 242 (C.A.F.), aux paragraphes 29 et 30).

 

[22]           Le demandeur invoque plusieurs circonstances qui, selon lui, justifiaient que la SAI exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer le principe de la chose jugée en l’espèce. D’abord, le demandeur soutient que les nouveaux faits énumérés ci‑dessus (la grossesse de son épouse, les appels téléphoniques à son épouse et le soutien financier régulier) constituaient de nouveaux éléments de preuve établissant l’authenticité du mariage, mais que la SAI avait omis de les prendre en considération. Ensuite, il prétend qu’appliquer le principe de la chose jugée ne tient pas compte de l’intérêt de son enfant ni de l’incompétence de son avocat lors de la première audience devant la SAI.

 

[23]           J’aborderai en premier l’allégation voulant que la SAI ait omis de prendre en considération les nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur et j’examinerai ensuite les autres arguments.

 

a)                     Les nouveaux éléments de preuve

 

[24]           La SAI a analysé la question des « nouveaux » éléments de preuve conformément au critère établi par le juge en chef McEachern (alors juge en chef de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique) dans l’arrêt Saskatoon Credit Union c. Central Park Enterprises Ltd., [1988] 47 D.L.R. (4th) 431, à la page 438, selon lequel les circonstances particulières comprennent la découverte de nouveaux éléments de preuve décisifs que l’intéressé ne pouvait pas produire dans la procédure antérieure en exerçant une diligence raisonnable. Le juge Shore a cité avec approbation le critère établi dans Saskatoon dans une décision récente, Mohammed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), précitée, au paragraphe 21.

 

[25]           Selon le dossier certifié dont disposait la SAI, la nouvelle preuve documentaire soumise par le demandeur lors du second appel était constituée de factures de téléphone de mai 2003 à septembre 2004 montrant que des appels au Bangladesh avaient été faits, un avis juridique d’un éminent avocat bangladais déclarant que le mariage était valide et authentique, ainsi qu’un certificat médical attestant que l’épouse du demandeur était enceinte. Je note que j’ai été incapable de trouver dans le dossier des reçus faisant état de transferts d’argent ou toute autre preuve que le demandeur envoyait de l’argent au Bangladesh.

 

[26]           Jusqu’à maintenant, dans le cours des différentes procédures, le demandeur a été incapable de convaincre les décideurs que son mariage était authentique ou valide selon la loi. La SAI, dans sa première décision datée du 9 août 2004, a exposé les principaux motifs de ses conclusions au paragraphe 3 :

[L]e mariage n’est pas valide juridiquement étant donné que les deux conjoints n’ont pas respecté la période d’attente de 90 jours après le prononcé du jugement de divorce de l’appelant d’avec sa première conjointe; l’affidavit de divorce ne peut remplacer un jugement de divorce; aucune photographie du mariage n'a été fournie; il n’y a pas eu de cérémonie de mariage; les événements (divorce, fiançailles, mariage, départ de l'appelant) se sont succédés très rapidement et, finalement, le manque de connaissance de la demandeure relativement à la vie de l'appelant au Canada.

 

 

[27]           Au paragraphe 17 de la même décision, la SAI a exprimé les doutes suivants :

[L]e tribunal souligne que non seulement les conjoints ne se sont pas rencontrés depuis le 5 octobre 2001, mais qu’on n’a présenté au tribunal aucune preuve de transferts monétaires ou de contacts sérieux entre eux : factures téléphoniques, lettres ou cartes de souhaits.

 

 

[28]           Le demandeur prétend maintenant que la SAI a omis, dans la décision présentement contrôlée, de prendre en compte les factures de téléphone ou le certificat médical concernant la grossesse de son épouse, mais cette allégation est incorrecte. La SAI a tenu compte des deux éléments, mais elle a considéré qu’aucun ne suffisait à faire contrepoids aux facteurs défavorables au demandeur. Au paragraphe 12, la SAI a écrit :

 

Selon le tribunal, il faut plus que des appels téléphoniques ou une présumée grossesse pour montrer de manière décisive qu’il s’agit d’un mariage authentique qui n’a pas été contracté à des fins d’immigration.

 

 

[29]           Les factures de téléphone montrent que des appels téléphoniques au Bangladesh ont été faits assez régulièrement, mais ils ne suffisent pas en soi à établir l’authenticité du mariage : les appels ont été faits à différents numéros de téléphone au Bangladesh, mais aucune explication n’a été avancée dans les observations écrites. L’absence de preuve corroborante compromet également la crédibilité du certificat médical attestant la grossesse de Mme Akter. Plus précisément, le demandeur n’a soumis aucune preuve montrant qu’il s’était rendu au Bangladesh après le mariage en septembre 2001. On peut présumer que le demandeur savait que la SAI entretenait un doute du fait que rien ne prouvait qu’il s’était rendu au Bangladesh, car la SAI avait déjà affirmé cela au paragraphe 17 de sa première décision. En outre, la simple existence d’un enfant n’établit pas en soi l’authenticité d’une relation (Amarijit Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 565, au paragraphe 12). En l’absence de preuve corroborant que l’enfant était bien celui du demandeur ou que l’enfant était né, la SAI pouvait conclure que la grossesse en question ne prouvait pas l’authenticité de la relation.

 

[30]           La deuxième décision de la SAI ne mentionne pas le nouvel avis juridique de l’avocat bangladais attestant la validité du mariage du demandeur. Il aurait été préférable que la SAI se penche sur ces observations dans ses motifs, mais le tribunal n’a pas à mentionner chaque élément de preuve dans ses motifs et il est présumé qu’il a évalué et pris en compte toute la preuve devant lui, sauf démonstration du contraire (Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1992) 147 N.R. 317 (C.A.F.); Donkar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] A.C.F. n1375, au paragraphe 22). De toute façon, la question est théorique en l’espèce, car l’avis de l’avocat aurait raisonnablement pu être produit lors du premier appel. En conséquence, l’avis ne satisfait pas à l’exigence qui ferait de lui un « nouvel » élément de preuve décisif.

 

[31]           Le demandeur invoque la décision Dhaliwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1425, pour étayer son argument selon lequel les factures de téléphone et le certificat médical prouvent l’existence d’une relation durable et authentique. À mon sens, Dhaliwal n’est d’aucun secours au demandeur. Premièrement, dans Dhaliwal, il s’agissait d’« abus de procédure » et non de chose jugée. L’abus de procédure exige de la partie requérante qu’elle satisfasse à un critère plus strict : il doit y avoir un élément de preuve supplémentaire sérieux et l’abus ne doit être invoqué que dans les « cas les plus manifestes » (Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307). Deuxièmement, le juge Campbell, au paragraphe 9 de Dhaliwal, précitée, a affirmé être d’avis que la SAI, dans cette affaire, disposait « de nombreux nouveaux éléments de preuve pertinents qui auraient dû être examinés attentivement ». À mon avis, les circonstances dans Dhaliwal diffèrent de celles en l’espèce, car le demandeur n’a pas fourni de nombreux éléments de preuve et la SAI a examiné ceux qu’il a effectivement produits.

 

b)      L’intérêt supérieur de l’enfant et l’avocat incompétent

 

[32]           Le demandeur soulève deux autres arguments qui n’ont été invoqués que dans les observations écrites, lesquels peuvent être examinés brièvement. D’abord, il prétend que la décision de la SAI n’est pas dans l’intérêt supérieur de son enfant. Pour les motifs exposés ci‑dessus, je suis d’avis que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau de convaincre la SAI que l’enfant était le sien ou même que Mme Akter avait donné naissance à un enfant. Deuxièmement, le demandeur soutient que l’avocat l’ayant représenté à la première audience devant la SAI était incompétent. Le demandeur n’a apporté aucune preuve à l’appui de cette allégation. La seule preuve à ce sujet au dossier indique que le demandeur était représenté par un avocat lors du premier appel. Sans autre preuve, je ne suis pas en mesure de conclure qu’il a subi une injustice à cause de son avocat lors de la première audience.

 

(4)   La SAI aurait-elle dû accorder une audience au demandeur?

 

[33]           Le demandeur soutient également que, pour des motifs d’équité procédurale, il aurait dû se voir accorder une audience lors de son second appel. Les allégations concernant l’équité procédurale font toujours l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte (Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. n2056, au paragraphe 46).

 

[34]           À mon avis, l’allégation du demandeur concernant la tenue d’une audience n’est pas fondée et ne peut être acceptée même selon la norme de contrôle la plus stricte, et ce pour plusieurs motifs. En premier lieu, bien qu’il soit vrai que l’application du principe de la chose jugée ait effectivement empêché le demandeur de bénéficier d’une audience sur le fond, le principe vise justement à empêcher une partie à un litige de porter à nouveau en justice une question déjà tranchée par une cour compétente. Par définition, le principe de la chose jugée est une question préalable à l’audience et, s’il est appliqué, il empêche la tenue de cette audience. (La possibilité de graves conséquences permet d’expliquer pourquoi le second volet du critère concernant l’application du principe prévoit des garde-fous.) Dans l’arrêt Kaloti c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 3 C.F. 390 (C.A.F.), aux paragraphes 9 et 10, la Cour d’appel fédérale a confirmé que la SAI avait le pouvoir de rejeter un appel de façon sommaire, c’est‑à‑dire sans tenir d’audience sur le fond, quand le demandeur souhaite débattre à nouveau une question en s’appuyant principalement sur la même preuve, ce qui était le cas en l’espèce. En conséquence, la SAI n’était pas tenue d’accorder au demandeur une audience et avait le droit de trancher l’appel à partir du dossier, tel que déposé.

 

[35]           En deuxième lieu, la SAI a expressément avisé le demandeur que son appel pourrait être tranché à partir d’observations écrites et lui a demandé d’agir en conséquence. Dans une lettre datée du 14 octobre 2005, la SAI a invité le demandeur à formuler des observations sur le principe de la chose jugée et l’a informé que, si le principe s’appliquait, son appel pourrait être rejeté sans audience. La SAI a ajouté que les requêtes en matière de chose jugée sont généralement tranchées sans audience. Dans une portion de la lettre écrite en caractères gras, la SAI a encore averti le demandeur de la possibilité bien réelle qu’il n’y ait pas d’autre audience :

[traduction]

Veuillez poursuivre la procédure en tenant pour acquis que la présente requête ne fera pas l’objet d’une audience. En conséquence, vous devriez envoyer à la Section d’appel de l’immigration et à l’avocat du ministre des observations écrites sur la question de savoir si l’appel devrait être rejeté ou non en application du principe de la chose jugée. [...] En plus des observations écrites, l’appelant peut produire des éléments de preuve par affidavit, de lui‑même ou de tout autre témoin, exposant la nouvelle preuve soumise à l’appui de l’appel.

 

 

[36]           En troisième lieu, les nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur étaient si faibles qu’ils n’ont provoqué aucune remise en question.

 

IV.  Conclusion

 

[37]           En résumé, aucune des circonstances soulevées par le demandeur dans son second appel n’oblige la SAI à exercer son pouvoir discrétionnaire pour ne pas appliquer en l’espèce le principe de la préclusion pour question déjà tranchée. La SAI n’a pas jugé que la nouvelle preuve du demandeur pouvait modifier les conclusions tirées lors de la première procédure. En outre, elle a estimé que l’application du principe de la chose jugée ne légitimait pas une procédure irrégulière ni ne faisait subir une injustice au demandeur. À mon avis, cette décision n’était pas irrationnelle.

 

[38]           Les parties ont été invitées à soumettre une question à certifier, mais ont choisi de ne pas le faire.

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

-         La demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question n’est certifiée.

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1642-06

 

INTITULÉ :                                                   AZIZUR RAHMAN

                                                                        c.

                                                            LE Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           LE 25 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 2 NOVEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Diane N. Doray

 

POUR LE DEMANDEUR

Claudia Gagnon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pia Zambelli

6855, ave de l’Épée, bureau 203,

Montréal (Québec)  H3N 2C7

Téléphone : 514-274-9393

Télécopieur : 514-274-5614

 

POUR LE DEMANDEUR

Claudia Gagnon

Justice Canada

Téléphone : 514-496-9240

Télécopieur : 514-496-7876

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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