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Date : 20061030

Dossier : T-711-05

Référence : 2006 CF 1312

Ottawa (Ontario), le 30 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

 

 

ENTRE :

JACQUES ROUSSEAU

demandeur

et

 

JEFFERY P. WYNDOWE (Psychiatric Assessment Services Inc.) et

LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA
VIE PRIVÉE DU CANADA

défendeurs

 

MOTIFS DE LA DÉCISION ET DÉCISION

 

[1]               M. Rousseau, le demandeur, a réclamé une prestation d'invalidité de longue durée à Maritime Life. En vue de déterminer si M. Rousseau était toujours habilité à percevoir des prestations, Maritime Life a exercé son droit de faire subir un examen médical indépendant à M. Rousseau, tel que prévu dans le contrat d'assurance. Cet examen a été effectué le 17 décembre 2003 par le Dr Wyndowe, le défendeur, pour le compte de Maritime Life. Suite à cet examen, il semble que Maritime Life a cessé de verser des prestations à M. Rousseau. Depuis, ces prestations ont été rétablies, après que M. Rousseau eut intenté une action contre Maritime Life.

 

[2]               M. Rousseau a tenté à plusieurs reprises au début de 2004 d'avoir accès aux notes prises par le Dr Wyndowe lors de l'examen (les notes). Le Dr Wyndowe a refusé de communiquer ses notes à M. Rousseau parce que selon lui, elles ne sont pas assujetties à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5 (la LPRPDE).

 

[3]               En février 2004, M. Rousseau a déposé une plainte au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. La commissaire adjointe à la protection de la vie privée a transmis son rapport aux parties par lettre du 17 mars 2005. Elle a conclu que les notes, même si elles ne font pas nécessairement partie du dossier médical de M. Rousseau, contiennent néanmoins des « renseignements personnels » sur M. Rousseau, tels que définis dans la LPRPDE. Elle a également conclu que ni l'exception du secret professionnel liant l'avocat à son client, prévue à l'alinéa 9(3)a) de la LPRPDE, ni l'exception relative aux renseignements fournis uniquement à l'occasion du règlement d'un différend, prévue à l'alinéa 9(3)d), ne s'appliquent aux notes de sorte que le Dr Wyndowe n'est pas exempté de l'obligation, au titre de la LPRPDE, de communiquer ses notes à M. Rousseau. Dans son rapport, la commissaire adjointe conclut que M. Rousseau a le droit d'avoir accès aux notes conformément à la LPRPDE.

 

[4]               Conformément à l'article 14 de la LPRPDE, un plaignant peut, sur réception du rapport du commissaire, présenter une demande à la Cour fédérale. M. Rousseau a présenté son recours à la Cour par le biais d'un avis de demande en date du 12 mai 2005.

 

[5]               Les dispositions pertinentes de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques sont libellées comme suit :

 

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

[…]

« organisation » S’entend notamment des associations, sociétés de personnes, personnes et organisations syndicales.

 « renseignement personnel » Tout renseignement concernant un individu identifiable, à l’exclusion du nom et du titre d’un employé d’une organisation et des adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail.

4. (1) La présente partie s’applique à toute organisation à l’égard des renseignements personnels :

a) soit qu’elle recueille, utilise ou communique dans le cadre d’activités commerciales; […]

9. (3) Malgré la note afférente à l’article 4.9 de l’annexe 1, l’organisation n’est pas tenue de communiquer à l’intéressé des renseignements personnels dans les cas suivants seulement :

a) les renseignements sont protégés par le secret professionnel liant l’avocat à son client;

[…]

d) les renseignements ont été fournis uniquement à l’occasion d’un règlement officiel des différends.


14.
(1) Après avoir reçu le rapport du commissaire, le plaignant peut demander que la Cour entende toute question qui a fait l’objet de la plainte — ou qui est mentionnée dans le rapport — et qui est visée aux articles 4.1.3, 4.2, 4.3.3, 4.4, 4.6, 4.7 ou 4.8 de l’annexe 1, aux articles 4.3, 4.5 ou 4.9 de cette annexe tels que modifiés ou clarifiés par la section 1, aux paragraphes 5(3) ou 8(6) ou (7) ou à l’article 10.

 

2. (1) The definitions in this subsection apply in this Part.

[…]


“organization” includes an association, a partnership, a person and a trade union.



“personal information” means information about an identifiable individual, but does not include the name, title or business address or telephone number of an employee of an organization.

 

4. (1) This Part applies to every organization in respect of personal information that

(a) the organization collects, uses or discloses in the course of commercial activities; or […]

9. (3) Despite the note that accompanies clause 4.9 of Schedule 1, an organization is not required to give access to personal information only if

 

(a) the information is protected by solicitor-client privilege;

[…]

 

(d) the information was generated in the course of a formal dispute resolution process.

 

14. (1) A complainant may, after receiving the Commissioner’s report, apply to the Court for a hearing in respect of any matter in respect of which the complaint was made, or that is referred to in the Commissioner’s report, and that is referred to in clause 4.1.3, 4.2, 4.3.3, 4.4, 4.6, 4.7 or 4.8 of Schedule 1, in clause 4.3, 4.5 or 4.9 of that Schedule as modified or clarified by Division 1, in subsection 5(3) or 8(6) or (7) or in section 10.

 

[6]               Les questions en litige sont les suivantes :

1.      Les notes préparées par le Dr Wyndowe dans le cadre de l'examen médical indépendant sont-elles visées par la définition de « renseignement personnel » contenu dans la LPRPDE?

2.      Si la réponse est oui, ces notes sont-elles assujetties à l'une des exceptions prévues au paragraphe 9(3) de la LPRPDE?

 

[7]               Le demandeur a fait valoir dans ses arguments écrits et dans son court plaidoyer verbal qu'il a le droit d'avoir accès aux notes parce qu'elles font partie de son dossier médical et parce qu'elles contiennent des « renseignements personnels » au sens de la LPRPDE.

 

[8]               Le demandeur affirme que le Dr Wyndowe ne peut lui refuser l'accès à ses notes parce qu'elles ne sont pas protégées par l'une des exceptions prévues au paragraphe 9(3) de la LPRPDE. Il soutient qu'il n'existe aucun élément de preuve établissant l'existence d'un secret professionnel liant l'avocat à son client, tel que prévu à l'alinéa 9(3)a), ou justifiant l'application de l'exception prévue à l'alinéa 9(3)d) concernant les renseignements fournis à l'occasion du règlement d'un différend.

 

[9]               La commissaire affirme que la décision de la commissaire adjointe à la protection de la vie privée doit être examinée selon la norme de la décision correcte, la question en litige étant une question d'interprétation de la LPRPDE (Morgan c. Alta Flights (Charters Inc.) et le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, (2005) 271 F.T.R. 298 (C.F.) [Morgan]).

 

[10]           La commissaire soutient que la LPRPDE s'applique aux renseignements que le Dr Wyndowe a recueillis au cours de l'examen. La LPRPDE oblige toute « organisation à l'égard des renseignements personnels [...] qu'elle recueille, utilise ou communique dans le cadre d'activités commerciales » à communiquer à une personne les renseignements personnels qui la concernent (paragraphe 4(1) de la LPRPDE et article 4.9.1. de l'annexe 1 de la LPRPDE). La LPRPDE s'applique aux renseignements recueillis par le Dr Wyndowe dans le cadre de l'examen médical de M. Rousseau parce que le Dr Wyndowe est considéré comme une organisation aux termes du paragraphe 2(1) de la LPRPDE; l'examen médical indépendant qu'il a réalisé pour Maritime Life était une activité commerciale et les notes contiennent des renseignements personnels sur M. Rousseau.

 

[11]           Le Dr Wyndowe a reconnu que les notes contiennent des [traduction] « renseignements tirés des questions » qu'il a posées à M. Rousseau. La commissaire affirme que cela indique que les renseignements contenus dans les notes sont des « renseignements personnels » au sens de la LPRPDE. En outre, la commissaire fait valoir que la définition de « renseignement personnel » dans la LPRPDE doit être interprétée de manière libérale, la Cour suprême du Canada ayant précisé que la définition de renseignement personnel dans les lois sur la protection des renseignements personnels est « délibérément large » (Dagg c. Canada (Ministre des finances), [1997] 2 R.C.S. 403, le juge LaForest, dissident sur un autre point).

 

[12]           La commissaire plaide que les notes ne sont visées par aucune des exceptions prévues au paragraphe 9(3) de la LPRPDE. La commissaire ne conteste pas que l'exemption relative au secret professionnel liant l'avocat à son client prévue à l'alinéa 9(3)a) a une portée suffisamment large pour inclure le privilège des communications dans un litige; toutefois, il soutient que le Dr Wyndowe n'est pas habilité à se prévaloir de ce privilège. Le critère qu'il y a lieu d'appliquer à la revendication du privilège des communications dans un litige comporte deux volets; il doit être démontré qu'un litige était raisonnablement prévisible au moment de la communication en cause et que le litige était le principal objet de cette communication (Commercial Union Assurance Co. plc. c. M.T. Fishing Co. (1999), 244 N.R. 397 (C.A.F.) [Commercial Union]).

 

[13]           La commissaire s'appuie sur plusieurs décisions dans lesquelles les tribunaux ont examiné la question du privilège des communications dans un litige dans des cas où une compagnie d'assurance avait exigé un examen médical indépendant. Dans ces affaires, les tribunaux ont jugé que les renseignements recueillis dans le cadre d'un examen médical ne sont généralement pas protégés par le privilège des communications dans un litige, à moins que l'assureur ne puisse démontrer que le principal objet de la demande d'examen était lié au litige (Lavers c. Weeks Estate (1997), 151 Nfld. & P.E.I.R. 196 (C.S.T.N.), Halteh et al. c. McCoy (1975), 6 O.R. (2d) 512 (H.C.), Dwyer et al. c. Chu et al. (1980), 29 O.R. (2d) 156 (H.C.)).

 

[14]           La commissaire s'appuie également sur des décisions de jurisprudence encore plus strictes, selon lesquelles l'enquête sur une demande de prestations menée par une compagnie d'assurance en vertu d'une police d'assurance n'est pas visée par le privilège des communications dans un litige tant que l'on ne peut pas prévoir la survenue d'un litige; en conséquence, les rapports d'un expert en assurance destinés à l'assureur, avant que l'affaire ne soit confiée à un avocat, ne sont pas protégés par le privilège des communications dans un litige (Breau c. Naddy, [1995] P.E.I.J. n° 108 (1re inst.)).

 

[15]           La commissaire soutient que tant que la décision de rejeter la demande de prestations n'a pas été rendue, le principal objet des communications de l'assureur consiste à déterminer s'il refusera ou non la responsabilité (Pound c. Drake (1984), 8 C.C.L.I. 108 (C.A.C.-B.), Hamalainen c. Sippola (1991) 62 B.C.L.R. (2d) 254 (C.A.)). Puisque les notes ont été préparées avant que l'assureur ne décide de cesser de verser des prestations, le principal objet de l'examen médical et, partant, de la collecte des renseignements au cours de l'examen était de recueillir de l'information en vue de déterminer s'il y avait lieu de cesser de verser des prestations.

 

[16]           En ce qui concerne l'exemption revendiquée par le Dr Wyndowe au titre de l'alinéa 9(3)d), la commissaire affirme qu'elle ne s'applique pas puisque les notes du Dr Wyndowe n'ont pas été préparées dans le cadre du règlement officiel d'un différend. La commissaire fait valoir que l'évaluation d'une demande de prestations d'assurance ne constitue tout simplement pas un différend. Un différend survient lorsque deux parties ne parviennent pas à s'entendre à propos d'une opinion ou d'une revendication; or, au moment de l'examen médical, Maritime Life n'avait pas encore décidé de mettre fin aux prestations de M. Rousseau et il n'y avait donc encore aucun différend. La commissaire affirme que l'examen a été commandé en vertu du droit de Maritime Life d'évaluer en tout temps le bien-fondé de la demande de prestations de M. Rousseau, conformément à l'autorisation écrite signée par M. Rousseau au moment où il a présenté sa demande.

 

[17]           La commissaire soutient qu'il appartient au Dr Wyndowe de prouver que les notes sont exemptées de l'obligation de communication parce qu'elles sont visées par l'un des alinéas de l'article 9 de la LPRPDE et que le Dr Wyndowe n'a présenté aucun élément de preuve justifiant l'application de l'une ou l'autre de ces exceptions.

 

[18]           Le Dr Wyndowe prétend que la procédure prévue à l'article 14 est une instruction de novo et que le demandeur profiterait d'une longueur d'avance si la Cour était tenue de faire preuve de retenue à l'égard du rapport de la commissaire (Englader c. Telus Communications Inc. (2004), 247 D.L.R. (4th) 275 (C.A.F.) [Englader]).

 

[19]           Le Dr Wyndowe soutient que ses notes sont exclues du champ d'application de la LPRPDE. Il fait valoir que selon les principes de l'interprétation des lois, la LPRPDE doit être interprétée conformément à la common law; or, puisque la LPRPDE ne contient aucune disposition précise sur les dossiers de santé, on devrait présumer que l'intention du législateur était que la LPRPDE soit interprétée de manière à respecter le principe de la common law en ce qui concerne le droit des patients à consulter leurs dossiers de soins de santé.

 

[20]           Le droit des patients de consulter leurs dossiers médicaux, tel que reconnu par la common law, découle de la relation fiduciaire entre le patient et le médecin (McInerney c. McInerney (1992), 93 D.L.R. (4th) 415 (C.S.C.) [McInerney]). Le Dr Wyndowe soutient que la relation qui l'unissait à M. Rousseau n'est pas celle d'un médecin traitant et d'un patient et qu'en conséquence, il n'existait aucune relation fiduciaire entre le Dr Wyndowe et M. Rousseau au sens défini dans McInerney. Le Dr Wyndowe affirme que la seule obligation du médecin qui réalise un examen médical indépendant envers le patient consiste à ne pas lui causer de préjudice au cours de l'examen (Branco c. Sunnybrook & Women’s College Health Sciences Centre, [2003] O.T.C. 753 (C.S.)). Le Dr Wyndowe prétend qu'en vertu de la common law, il n'a aucune obligation envers M. Rousseau qui le forcerait à communiquer ses notes et qu'en conséquence, la LPRPDE doit être interprétée de manière à respecter ce principe.

 

[21]           Le Dr Wyndowe ajoute que la LPRPDE doit être interprétée en tenant compte de la Loi de 2004 sur la protection des renseignements personnels sur la santé , L.O. 2004, ch. 3 (la LPRPS), une loi ontarienne de même nature. Dans l'éventualité où le gouvernement fédéral déclare que la LPRPS est essentiellement identique à la LPRPDE, ce qu'il a effectivement déclaré, les plaintes relatives à la collecte, à l'utilisation et à la divulgation des renseignements personnels sur la santé en Ontario doivent donc être traitées en vertu de la LPRPS. Malheureusement, le Dr Wyndowe ne fournit aucun argument précis concernant les dispositions de la LPRPS qu'il y aurait lieu d'utiliser pour interpréter la LPRPDE.

 

[22]           Enfin, le Dr Wyndowe soutient que d'importants motifs d'ordre public appuient son argument que les patients ne doivent pas être autorisés à consulter les notes prises dans le cadre d'un examen médical indépendant. Les notes de travail d'un médecin sont des notes préliminaires qui peuvent inclure des hypothèses de diagnostic et des données brutes tirées des évaluations et des tests. Le Dr Wyndowe affirme que cette information brute est d'une faible utilité pour le patient examiné et que sa divulgation au patient pourrait menacer l'intégrité des outils d'évaluation. Preuve que ce point de vue aurait été accepté, l'Ordre des médecins et chirurgiens n'est pas favorable à la communication des notes de travail prises par les médecins lors d'un examen médical indépendant; de plus, la LPRPS exclut du droit des patients à consulter leurs dossiers médicaux les dossiers qui contiennent des données brutes tirées des tests psychologiques normalisés.

 

[23]           Si la Cour conclut que les notes du Dr Wyndowe sont des « renseignements personnels » au sens de la LPRPDE, ce dernier affirme qu'elles sont visées par l'une des exceptions prévues au paragraphe 9(3), à savoir le secret professionnel liant l'avocat à son client ou l'exception relative aux renseignements fournis à l'occasion du règlement officiel d'un différend et qu'en conséquence, il n'est pas tenu de communiquer ses notes.

 

[24]           Le Dr Wyndowe ajoute que l'examen médical de M. Rousseau a eu lieu dans un contexte litigieux puisque lorsqu'il a été réalisé, Maritime Life avait déjà commandé un rapport d'analyse des compétences transférables visant à cerner d'autres catégories de postes pour M. Rousseau. Cela démontrerait que l'examen médical indépendant ne faisait pas partie des étapes préliminaires de l'enquête, qu'elle a plutôt été commandée à une étape de l'enquête où Maritime Life envisageait déjà de mettre fin aux prestations de M. Rousseau et où elle prévoyait déjà que cette décision allait entraîner un litige.

 

[25]           Le Dr Wyndowe s'appuie sur plusieurs situations analogues. Premièrement, il affirme que ce différend s'apparente à la situation d'un médecin effectuant un examen médical pour la défense aux termes de l'article 105 de la Loi sur les tribunaux judiciaires et à l'article 33 des Règles de procédures civiles de l'Ontario, ces dispositions précisant que les rapports préparés par un professionnel de la santé doivent être divulgués conformément aux Règles mais pas les notes brutes du médecin. Deuxièmement, il déclare que ses notes de travail s'apparentent aux notes prises par le témoin expert appelé à témoigner en tant qu'expert dans le cadre d'un litige. Les notes de travail et les ébauches de rapports préparées par le témoin expert sont confidentielles et sont protégées par le secret professionnel liant l'avocat à son client.

 

[26]           Le Dr Wyndowe soutient également que ses notes ne sont pas assujetties à l'obligation de divulgation au motif qu'elles sont protégées par l'alinéa 9(3)d) de la LPRPDE parce qu'elles ont été préparées à l'occasion du règlement officiel d'un différend. Il affirme que même si la LPRPDE ne contient aucune définition de « règlement officiel des différends », l'examen médical indépendant en l'espèce a été rendu nécessaire en raison d'un litige entre l'assureur et l'assuré à propos du droit aux prestations de l'assuré. Il fait valoir que dans Lowe c. Guarantee Co. of North America (2005) 256 D.L.R. (4th) 518, la Cour d'appel de l'Ontario qualifie cet examen d'acte médical indépendant.

 

[27]           La commissaire cite Morgan à l'appui de son argument voulant que la norme de contrôle applicable soit celle de la décision correcte puisque le litige porte sur une question d'interprétation de la LPRPDE; cependant, dans cette affaire, le juge Noël a déclaré que dans le cadre de la procédure prévue à l'article 14 de la LPRPDE, la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de novo. Il existe également une décision de la Cour d'appel fédérale confirmant que la procédure prévue au paragraphe 14(1) de la LPRPDE exige une instruction de novo (Englader). En outre, au paragraphe 48 des motifs de la décision dans Englader, la cour souligne que « [s]i l'on usait de retenue judiciaire à l'égard du rapport du commissaire, ce dernier serait avantagé dès le départ comme partie, ce qui compromettrait l'équité de l'audience ».

 

[28]           L'article 2 de la LPRPDE contient la définition suivante de « renseignement personnel » : « Tout renseignement concernant un individu identifiable, à l’exclusion du nom et du titre d’un employé d’une organisation et des adresse et numéro de téléphone de son lieu de travail ». Comme le fait remarquer la commissaire, cette définition a un sens très large. Sa portée est encore plus large que celle des « renseignements personnels » tels qu'ils étaient définis dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1095, ch. P-21 : « Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable ».

 

[29]           Je n'ai trouvé aucune décision dans la jurisprudence qui précise ce qui est inclus dans la définition de « renseignement personnel » de la LPRPDE. Aux dires de l'avocat, le cas en l'espèce est la première affaire de cette nature. Il est tentant de s'appuyer sur la Loi sur la protection des renseignements personnels pour interpréter les dispositions de la LPRPDE, comme le fait la commissaire lorsqu'elle souligne que la Cour suprême du Canada a jugé que la définition de « renseignements personnels » est délibérément large. Toutefois, la prudence est de mise sur ce point; la Cour d'appel a en effet rappelé dans Englader que les tribunaux doivent faire attention lorsqu'ils s'appuient sur les principes et les règles d'interprétation élaborés dans le cadre de la Loi sur la protection des renseignements personnels pour interpréter la LPRPDE, ces deux lois étant dotées d'un objet complètement différent.

 

[30]           Ceci dit, je rappelle que la définition de « renseignements personnels » dans la Loi sur la protection des renseignements personnels inclut le dossier médical. Puisque la définition de la LPRPDE a un sens plus large que celle de la Loi sur la protection des renseignements personnels, il me semble raisonnable d'interpréter la définition de la LPRPDE d'une manière assez large pour inclure les dossiers médicaux et les autres renseignements médicaux. En outre, rien n'indique dans la LPRPDE que les renseignements médicaux doivent être exclus de la définition de « renseignement personnel ».

 

[31]           La LPRPDE contient une définition de « renseignement personnel » ainsi qu'une définition de « renseignement personnel sur la santé ». On ne connaît pas clairement la relation entre ces deux définitions. Les auteurs de l'ouvrage The Personal Information Protection and Electronic Documents Act: An Annotated Guide[1] soulignent cette ambiguïté mais ajoutent que la définition de « renseignement personnel » est suffisamment large pour inclure toutes sortes de renseignements, y compris des renseignements médicaux ou des renseignements sur la santé. Les auteurs font valoir que l'élément essentiel de la définition de « renseignement personnel » dans la LPRPDE est que l'individu doit être identifiable, de sorte que les renseignements véritablement anonymes ne sont pas des renseignements personnels[2].

 

[32]           Je suis convaincu que la définition a un sens suffisamment large pour inclure le type de renseignements contenus dans les notes. Les notes comprennent un large éventail de renseignements d'une nature extrêmement personnelle. Certains de ces renseignements peuvent être également considérés comme des renseignements sur la santé mais cela n'a pas d'importance en l'espèce, la question en litige étant plutôt de savoir si ces renseignements sont des renseignements personnels au sens défini dans la LPRPDE. À mon avis, les notes contiennent des renseignements personnels au sens défini dans la LPRPDE.

 

[33]           Le Dr Wyndowe fait valoir qu'il existe des motifs d'ordre public pour ne pas obliger les médecins à communiquer les notes prises dans le cadre d'un examen médical indépendant. Toutefois, même si les arguments relatifs à l'intérêt public peuvent sembler particulièrement convaincants, la LPRPDE précise clairement que toute personne a le droit de consulter ses renseignements personnels. La LPRPDE ne prévoit pas la moindre exception concernant les notes prises par un médecin.

 

[34]           Les parties conviennent que l'exception relative au secret professionnel liant l'avocat à son client visée à l'alinéa 9(3)a) de la LPRPDE inclut le privilège des communications dans le cadre d'un litige. La Cour suprême du Canada a récemment déclaré dans Blank c. Canada, 2006 CSC 39, que le secret professionnel liant l'avocat à son client, tel que défini dans la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. 1985, ch. A-1, comprend également le privilège des communications dans le cadre d'un litige. Compte tenu de cette décision, on peut raisonnablement présumer qu'il en est de même pour la LPRPDE.

 

[35]           Je suis d'accord avec la commissaire que le critère qu'il y a lieu d'appliquer au privilège des communications dans un litige comporte deux volets : il faut démontrer qu'un litige était raisonnablement prévisible au moment de la communication et que le litige était la principale raison pour laquelle la communication a été produite (Commercial Union)[3]. Le Dr Wyndowe n'a fourni aucune preuve indiquant que le litige était la principale raison pour laquelle l'examen médical a été effectué. Même si le litige était l'une des raisons pour lesquelles l'examen médical a été réalisé, rien dans la preuve ne permet de croire qu'il s'agissait de la principale raison. Selon moi, l'examen médical indépendant visait principalement à vérifier si M. Rousseau était toujours en droit de percevoir des prestations d'invalidité.

 

[36]           Les parties ont cité de nombreuses décisions sur la question de savoir si les documents produits dans le cadre de l'enquête d'un assureur sont assujettis au privilège des communications dans un litige. Dans Moseley c. Spray Lakes (1996), 135 D.L.R. (4th) 69, la Cour d'appel de l'Alberta a jugé qu'il n'était pas approprié d'établir des règles quant aux circonstances précises dans lesquelles il y aurait toujours (ou jamais) lieu d'appliquer le privilège des communications dans un litige. De fait, certaines des décisions citées par les deux parties portaient sur des enquêtes menées par un expert d'assurance après un grave accident. Selon moi, les faits sont notablement différents en l'espèce et la Cour doit statuer sur ce litige en tenant compte des faits. Ces faits indiquent que les examens médicaux indépendants font partie des activités de routine des compagnies d'assurance en ce qui concerne l'évaluation continue du droit d'une personne à percevoir des prestations. Le Dr Wyndowe n'a pas prouvé qu'il pouvait à juste titre se prévaloir du privilège des communications dans un litige.

 

 

[37]           Également, le Dr Wyndowe n'a pas réussi à prouver qu'il pouvait se prévaloir de l'exception prévue à l'alinéa 9(3)d) de la LPRPDE. Rien dans la preuve ne permet de croire que l'examen médical indépendant commandé par un assureur constitue une indication qu'un processus de règlement officiel des différends est en cours. Au contraire, les documents fournis par Maritime Life donnent à penser que l'obligation de se soumettre à un examen médical fait partie intégrante du contrat d'assurance. La lettre de Maritime Life informant M. Rousseau de la décision de mettre fin à ses prestations indique que ce dernier peut faire appel de cette décision. Dans son rapport, la commissaire adjointe à la protection de la vie privée a fait remarquer à juste titre que cela signifie que M. Rousseau avait la possibilité de déclencher un processus officiel de règlement des différends en interjetant appel. Comme le soulignait la commissaire adjointe, ce processus ne pouvait être lancé qu'après l'examen médical indépendant.

 

[38]           Je suis convaincu que les notes du Dr Wyndowe constituent des renseignements personnels au sens défini dans la LPRPDE. La principale raison pour laquelle les notes ont été produites n'est pas un litige; elles n'ont pas non plus été créées à l'occasion du règlement officiel d'un différend. La Cour ordonne que le Dr Wyndowe communique ses notes à M. Rousseau et ce, dans les 15 jours suivant la date de la présente décision.

 

 


 

DÉCISION

 

            La demande est accueillie. Le défendeur, le Dr Wyndowe, devra communiquer les « notes » au demandeur dans les 15 jours de la présente décision.

 

            Aucuns dépens ne sont adjugés aux parties. Le demandeur plaidait, du moins au début de l'instance, pour son propre compte. Les défendeurs n'ont pas demandé les dépens.

 

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER : T-711-05

 

INTITULÉ :                                       JACQUES ROUSSEAU C. JEFFREY P. WYNDOWE

(PSYCHIATRIC ASSESSMENT SERVICES INC.) ET LE COMMISSAIRE À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 26 OCTOBRE 2006

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

ET DÉCISION :                                LE JUGE TEITELBAUM

 

DATE :                                               LE 30 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Morris Cooper                                                             POUR LE DEMANDEUR

 

Mary Thomson                                                             POUR LE DÉFENDEUR

John Dent                                                                     Jeffrey P. Wyndowe

(Pychiatric Assessment Services Inc.)

 

Steven Welchner                                                          pour le défendeur

Nathalie Daigle                                                             le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Morris Cooper                                                              POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

 

McCarthy Tétrault LLP                                                POUR LE DÉFENDEUR

Avocats                                                                        Jeffrey P. Wyndowe

Toronto (Ontario)                                                         (Psychiatric Assessment Services Inc.)

 

Welchner Law Office                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Ottawa (Ontario)                                                          le Commissaire à la protection de la vie
privée du Canada



[1] Stephanie Perrin, Heather H. Black, David H. Flaherty et T. Murray Rankin, The Personal Information Protection and Electronic Documents PIPED Act: An Annotated Guide, (Toronto: Irwin Law, 2001), page 53.

[2] Ibid., page 54.

[3] Dans Blank, la Cour suprême du Canada n'a pas examiné la question du critère applicable au privilège des communications dans un litige mais elle fait observer, dans une remarque incidente, que le litige doit être la raison principale, et non un raison importante ou l'unique raison, pour laquelle la communication a été créée (paragr. 60).

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