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Date : 20061019

Dossier : T-713-05

Référence : 2006 CF 1248

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

FAIRWEATHER LTD.

demanderesse

et

 

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE et

 BERESKIN & PARR

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par Fairweather Ltd. à l’encontre de la décision du registraire des marques de commerce de radier sa marque de commerce « TARGET APPAREL » du registre des marques de commerce. Fairweather affirme que le registraire a commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas établi qu’elle avait sérieusement l’intention de commencer à employer la marque TARGET APPAREL au Canada en liaison avec les marchandises enregistrées, et en omettant de conclure à l’existence de circonstances spéciales justifiant le non‑emploi de la marque.

 

[2]               Fairweather affirme que les nouveaux éléments de preuve qui ont été déposés dans le présent appel étayent encore plus la conclusion selon laquelle, pendant la période pertinente, elle avait l’intention requise de commencer à employer la marque en question au Canada dans un délai raisonnable, de sorte que la marque ne devrait pas être radiée.

 

[3]               Pour les motifs ci‑après énoncés, je suis convaincue que les nouveaux éléments de preuve établissent de fait que Fairweather avait l’intention de commencer à employer sa marque TARGET APPAREL au Canada dans un délai raisonnable. L’appel sera donc accueilli.

 

Historique

[4]               La marque TARGET APPAREL a été enregistrée le 31 juillet 1981 en vue d’être employée en liaison avec [traduction] « des vêtements pour hommes, à savoir des habits, des pantalons, des vestons et des manteaux ». Le titulaire inscrit de la marque était Dylex Ltd. Une déclaration d’emploi à l’égard de la marque a été déposée en 1981; en 1996, la marque a été renouvelée pour une période additionnelle de 15 ans.

 

[5]               Au mois d’août 2001, Dylex a été mise sous séquestre; elle a par la suite fait faillite. Au mois d’octobre 2001, Fairweather a acquis du séquestre divers actifs se rapportant à des magasins Fairweather de Dylex, notamment l’enregistrement de la marque TARGET APPAREL.

 

[6]               Le 19 avril 2002, le registraire des marques de commerce a délivré, conformément à l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, à la demande de la défenderesse, Bereskin & Parr, un avis dans lequel il demandait à Fairweather de démontrer l’emploi de la marque au Canada en liaison avec les marchandises spécifiées.

 

[7]               En réponse à l’avis, Fairweather a déposé un affidavit de Paul Brener, qui est secrétaire‑trésorier de Fairweather, ainsi que directeur, Finances, d’International Clothiers Inc. International Clothiers et Fairweather sont des sociétés liées.

 

[8]               Dans son affidavit, M. Brener indiquait les circonstances à l’origine de l’acquisition par Fairweather de la marque TARGET APPAREL et expliquait qu’au moment où elle avait acquis du séquestre la marque TARGET APPAREL, Fairweather avait également acquis plus de 70 magasins employant plus de 500 personnes. Par suite de ces événements, la société était fort active puisqu’elle essayait de gérer et de revitaliser les magasins et les actifs de Fairweather, ce qui a occasionné un retard dans le nouveau lancement de la marchandise TARGET APPAREL.

 

[9]               M. Brener a en outre déclaré qu’étant donné que les magasins Fairweather ne vendent pas de vêtements pour hommes, on prévoyait que la marchandise TARGET APPAREL ferait l’objet d’une licence en faveur d’une société liée se spécialisant dans les vêtements pour hommes et qu’elle serait vendue par l’entremise de cette société. Selon M. Brener, on prévoyait que les marchandises de marque TARGET APPAREL (à savoir, des habits, des pantalons, des vestons et des manteaux) seraient de nouveau lancées au Canada à l’automne 2002, ou au début de l’année 2003. M. Brener a déclaré qu’à cette fin, ils étaient en train d’élaborer l’étiquetage et de localiser les produits à vendre en liaison avec [traduction] « cette marque de valeur », comme il l’a appelée. 

 

La décision du registraire des marques de commerce

[10]           Le registraire a conclu que la preuve disponible omettait clairement de démontrer un emploi quelconque, pendant la période pertinente, de la marque TARGET APPAREL au Canada en liaison avec les marchandises enregistrées, période que le registraire a définie comme étant la période de six mois qui s’était écoulée entre le moment où Fairweather avait acquis la marque, au mois d’octobre 2001, et la date à laquelle l’avis prévu à l’article 45 avait été délivré, au mois d’avril 2002. Par conséquent, la question qui se posait devant le registraire était de savoir si la preuve établissait que le défaut d’emploi était attribuable à des « circonstances spéciales » justifiant le non‑emploi.

 

[11]           Le registraire a énoncé le critère à appliquer à l’égard des circonstances spéciales comme étant celui que la Cour d’appel fédérale avait établi dans l’arrêt Registraire des marques de commerce c. Harris Knitting Mills Ltd., [1985] A.C.F. no 226, 4 C.P.R. (3d) 488. Dans cet arrêt, la Cour d’appel a énoncé trois critères qu’il faut prendre en considération en déterminant s’il existe des circonstances spéciales justifiant le non‑emploi dans un cas donné. Il s’agit des critères suivants :

            1.         La durée du non‑emploi de la marque de commerce;

            2.         La question de savoir si les raisons qui ont amené le propriétaire inscrit à ne pas employer sa marque de commerce étaient attribuables à des circonstances indépendantes de sa volonté;

            3.         La question de savoir s’il existe une intention sérieuse de reprendre l’emploi de la marque à bref délai.

 

[12]           Le registraire a noté qu’on ne savait pas si Dylex avait même en fait employé la marque TARGET APPAREL; il a fait remarquer toutefois que « dans les cas où une marque de commerce a récemment fait l’objet d’une cession, on considère généralement que la période de non‑usage devant être prise en compte pour déterminer s’il existe des circonstances spéciales commence à la date où la marque de commerce a été cédée ». Le registraire s’est fondé à l’appui sur la décision Arrowhead Spring Water Ltd., c. Arrowhead Water Corp., [1993] A.C.F. no 138, 47 C.P.R. (3d) 217. 

 

[13]           Le registraire a en outre fait observer que dans un cas comme celui‑ci, où la marque n’avait été acquise qu’environ six mois avant la date à laquelle l’avis prévu à l’article 45 avait été donné, Fairweather était uniquement tenue de démontrer qu’elle avait sérieusement l’intention de commencer à employer la marque en question dans un avenir rapproché.

 

[14]           Après avoir examiné la preuve soumise par Fairweather ainsi que les observations des parties, le registraire a ordonné la radiation de l’enregistrement pour le motif que la preuve ne montrait pas que Fairweather avait établi une intention sérieuse de commencer à employer la marque de commerce au Canada dans un avenir rapproché en liaison avec les marchandises enregistrées.

 

[15]           En arrivant à cette conclusion, le registraire a fait remarquer que la preuve ne démontrait pas que Fairweather avait pris des mesures à l’égard de la marque au cours des six mois qui s’étaient écoulés entre la date où la marque lui avait été cédée et celle où l’avis prévu à l’article 45 avait été signifié. En outre, le registraire a fait observer que la preuve soumise par M. Brener au sujet des mesures prises par la société après la réception de l’avis prévu à l’article 45 consistait en de simples déclarations selon lesquelles la société était en train d’élaborer l’étiquetage et de localiser les produits. Aucun détail n’avait été fourni au sujet de la procédure suivie aux fins de l’étiquetage et de la localisation et aucune indication n’avait été donnée au sujet de la question de savoir à quelle étape Fairweather en était.

 

[16]           Le registraire a en outre noté qu’aucun renseignement n’avait été fourni à l’appui de l’allégation selon laquelle Fairweather avait l’intention de lancer de nouveau la marque TARGET APPAREL au Canada à l’automne 2002 ou au début de l’année 2003, et qu’il n’existait aucun élément de preuve au sujet des mesures que Fairweather aurait prises en vue de vendre la marchandise par l’entremise d’une société liée.

 

[17]           Le registraire a reconnu qu’eu égard aux circonstances, il faudrait raisonnablement un certain temps afin de prendre des arrangements en vue de l’emploi de la marque TARGET APPAREL, mais l’affidavit Brener manquait de précisions et de détails au sujet des efforts que Fairweather avait réellement déployés afin de commencer à employer la marque, et ce, compte tenu en particulier du fait qu’au moment où M. Brener avait établi son affidavit, Fairweather était propriétaire de la marque TARGET APPAREL depuis plus d’un an.

 

[18]           Le registraire a donc conclu que la preuve ne montrait pas que Fairweather avait établi qu’elle avait sérieusement l’intention de commencer à employer la marque TARGET APPAREL au Canada dans un avenir rapproché, en liaison avec les marchandises enregistrées. Étant donné que Fairweather ne s’était pas acquittée de l’obligation qui lui incombait de démontrer l’existence de circonstances spéciales justifiant le non‑emploi, la marque TARGET APPAREL a été radiée.

 

Les nouveaux éléments de preuve déposés en appel

[19]           Comme il est possible de le faire dans un appel fondé sur l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, Fairweather a déposé des éléments de preuve additionnels dans le cadre du présent appel. Ces éléments sont composés d’un affidavit supplémentaire de M. Brener ainsi que des affidavits de Pauline Yu et de Chetna Patel. Mme Yu travaille comme dessinatrice‑graphiste chez International Clothiers Inc., alors que Mme Patel était acheteuse adjointe auprès de cette société entre 2001 et 2003.

 

[20]           Ces nouveaux éléments de preuve portent sur les mesures que Fairweather a prises à l’égard de l’élaboration d’étiquettes volantes et d’autres genres d’étiquettes TARGET APPAREL entre le moment où elle a acquis la marque, au mois d’octobre 2001, et la date à laquelle l’avis prévu à l’article 45 a été délivré, au mois d’avril 2002. Ils portent également sur les mesures prises à cet égard après le mois d’avril 2002.

 

[21]           Les nouveaux éléments de preuve indiquent également que des vêtements pour hommes valant plusieurs centaines de milliers de dollars, portant la marque TARGET APPAREL, ont été vendus au Canada par la société soeur de Fairweather, International Clothiers. Selon le second affidavit de M. Brener, International Clothiers a initialement conclu ces ventes aux termes d’une licence accordée implicitement par Fairweather, et par la suite, aux termes d’un contrat écrit de licence.

 

Norme de contrôle

[22]           Les parties conviennent que la norme de contrôle énoncée dans des décisions telles que Dion Neckware Ltd. c. Christian Dior, S.A. et al. [2002] A.C.F. no 95, 20 C.P.R. (4th) 155, 2002 CAF 29, John Labatt Limited c. Les Compagnies Molson Limitée, [1990] A.C.F. no 533, 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.), page 298 et Les Brasseries Molson, société en nom collectif c. John Labatt Limitée [2000] A.C.F. no 159, 5 C.P.R. (4th) 180, page 196, s’applique aux appels interjetés en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce à l’encontre des décisions rendues par le registraire des marques de commerce.

 

[23]           En fait, lorsqu’aucun nouvel élément de preuve qui aurait influé sensiblement sur la décision du registraire n’est déposé dans l’appel, le critère à appliquer est de savoir si celui‑ci a clairement commis une erreur.

 

[24]           Toutefois, lorsque des éléments de preuve additionnels qui auraient influé sensiblement sur les conclusions de fait ou de droit tirées par le registraire, ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, sont déposés en appel, le critère applicable est celui de la décision correcte. Dans certaines décisions, il est fait mention d’une audience de novo, bien que cette description ne soit pas tout à fait exacte. En pareil cas, la Cour peut à bon droit substituer son avis à celui du registraire.

 

[25]           Fairweather a déposé de nombreux nouveaux éléments de preuve. Toutefois, il reste à savoir si ces éléments sont importants.

 

[26]           En décidant si l’effet de ces nouveaux éléments de preuve est suffisant pour justifier un examen selon la norme de la décision correcte, je m’inspire des remarques qui ont été faites dans la décision Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co., [1999] A.C.F. no 1763. Dans cette décision, le juge Evans a fait remarquer qu’en appréciant l’effet de ces éléments de preuve additionnels, pour ce qui est de la norme de contrôle, il s’agit de savoir dans quelle mesure les éléments de preuve additionnels ont une importance probante qui s’étend au‑delà des éléments dont disposait le décideur. Si les nouveaux éléments de preuve n’ajoutent rien d’important, mais qu’ils reprennent simplement la preuve existante, sans en augmenter la force, il s’agira de savoir si le décideur a clairement commis une erreur.

 

[27]           Je suis convaincue que les nouveaux éléments de preuve soumis par Fairweather ont une importance probante telle qu’ils auraient influé sur la décision du registraire. Sur ce point, il convient de répéter que la décision du registraire était en partie fondée sur la conclusion selon laquelle Fairweather n’avait pas fourni de preuve montrant que des mesures concrètes avaient été prises à l’égard de l’emploi de la marque TARGET APPAREL au cours de la période de six mois qui s’était écoulée entre le moment où elle avait acquis la marque, à l’automne 2001, et la date à laquelle l’avis prévu à l’article 45 avait été délivré, au printemps 2002.

 

[28]           La nouvelle preuve fournie par Mme Yu et par Mme Patel démontre que des mesures concrètes avaient de fait été prises à l’égard de l’élaboration de graphiques pour les étiquettes volantes et les autres genres d’étiquettes apposées sur les vêtements pour hommes de marque TARGET APPAREL au cours de la période qui avait précédé la signification de l’avis.

 

[29]           Le registraire a également conclu qu’aucun détail n’avait été donné à l’appui de l’allégation selon laquelle Fairweather avait l’intention de lancer de nouveau la marque TARGET APPAREL au Canada à l’automne 2002 ou au début de l’année 2003, et qu’il n’existait aucun élément de preuve au sujet des mesures que Fairweather aurait prises en vue de vendre la marchandise par l’entremise d’une société liée.

 

[30]           Le second affidavit de M. Brener établit que, dès le mois de février 2003, International Clothiers a accompli du travail en vue de localiser le produit. Selon M. Brener, cela a été fait conformément à une licence implicitement accordée par Fairweather. En outre, le second affidavit de M. Brener décrit également des ventes de vêtements pour hommes de marque TARGET APPAREL par l’entremise d’International Clothiers, l’une des sociétés soeurs de Fairweather.

 

[31]           Comme l’avocat du défendeur l’a minutieusement démontré dans ses observations, les nouveaux éléments de preuve fournis par Fairweather sont loin d’être parfaits; certaines préoccupations concernant les faiblesses de la preuve seront examinées ci‑dessous dans la présente décision. Néanmoins, aux fins de la détermination de la norme de contrôle à appliquer, je suis convaincue que les nouveaux éléments de preuve fournis par Fairweather ont une importance probante suffisante pour justifier l’examen de la décision du registraire selon la norme de la décision correcte.

 

 

Principes régissant la procédure fondée sur l’article 45

[32]           Avant d’examiner les prétentions des parties, il est utile de comprendre la nature et le but de la procédure prévue à l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce.

 

[33]           L’article 45 prévoit notamment ce qui suit :

45. (1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l’enregistrement d’une marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu’il ne voie une raison valable à l’effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date.

 

(2) Le registraire ne peut recevoir aucune preuve autre que cet affidavit ou cette déclaration solennelle, mais il peut entendre des représentations faites par le propriétaire inscrit de la marque de commerce ou pour celui-ci ou par la personne à la demande de qui l’avis a été donné ou pour celle-ci.

 

   (3) Lorsqu’il apparaît au registraire, en raison de la preuve qui lui est fournie ou du défaut de fournir une telle preuve, que la marque de commerce, soit à l’égard de la totalité des marchandises ou services spécifiés dans l’enregistrement, soit à l’égard de l’une de ces marchandises ou de l’un de ces services, n’a été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans précédant la date de l’avis et que le défaut d’emploi n’a pas été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient, l’enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence...

45. (1) The Registrar may at any time and, at the written request made after three years from the date of the registration of a trade-mark by any person who pays the prescribed fee shall, unless the Registrar sees good reason to the contrary, give notice to the registered owner of the trade-mark requiring the registered owner to furnish within three months an affidavit or a statutory declaration showing, with respect to each of the wares or services specified in the registration, whether the trade-mark was in use in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and, if not, the date when it was last so in use and the reason for the absence of such use since that date.

 

 

(2) The Registrar shall not receive any evidence other than the affidavit or statutory declaration, but may hear representations made by or on behalf of the registered owner of the trade-mark or by or on behalf of the person at whose request the notice was given.

 

 

(3) Where, by reason of the evidence furnished to the Registrar or the failure to furnish any evidence, it appears to the Registrar that a trade-mark, either with respect to all of the wares or services specified in the registration or with respect to any of those wares or services, was not used in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and that the absence of use has not been due to special circumstances that excuse the absence of use, the registration of the trade-mark is liable to be expunged or amended accordingly…

 

 

 

[34]           Cette disposition de la Loi sur les marques de commerce a été décrite comme une disposition prévoyant l’emploi de la marque, à défaut de la perdre : voir NTD Apparel Inc. c.  Ryan [2003] A.C.F. no 1008, 2003 CFPI 780. 

 

[35]           En effet, la disposition en question vise à établir une procédure sommaire permettant de supprimer du registre des marques de commerce les marques que leurs propriétaires ne revendiquent pas véritablement à titre de marques de commerce actives : voir Plough (Canada) Ltd. c. Aerosol Fillers Inc. [1980] A.C.F. no 198 (CAF), paragraphe 7.

 

[36]           La procédure a été décrite avec justesse comme visant à éliminer le « bois mort » du registre : Boutiques Progolf Inc. c. Canada (Registre des marques de commerce) [1993] A.C.F. no 1363.

 

[37]           La procédure prévue à l’article 45 n’est pas destinée à remplacer la procédure d’abandon. En effet, cette disposition ne vise pas à permettre de déterminer les droits substantiels qui sont en litige entre les parties : Noxzema Chemical Co. of Canada  c. Sheran Mfg. Ltd. Manufacturing Co. of Canada, [1968] 2 Ex.C.R. 446, pages 155 et 156.

 

[38]           Compte tenu de la nature sommaire des procédures, le défendeur ne peut pas déposer une preuve contradictoire, que ce soit devant le registraire ou en appel.

 

[39]           Quant au type de preuve que le propriétaire d’une marque de commerce doit produire dans une procédure fondée sur l’article 45, la Cour d’appel fédérale a fait remarquer, dans l’arrêt Plough, précité, qu’il ne suffit pas que l’inscrivant déclare simplement que la marque est employée. Le propriétaire doit plutôt :

[...] indiqu[er], à l'égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l'enregistrement, si la marque de commerce est employée au Canada et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette date. Cela a pour but non seulement d'indiquer au registraire que le propriétaire inscrit ne veut pas renoncer à l'enregistrement, mais aussi de l'informer quant à l'emploi de la marque de commerce afin que lui et la Cour, s'il y a appel, puissent être en mesure d'apprécier la situation et d'appliquer, le cas échéant, la règle de fond énoncée au paragraphe 44(3) [maintenant paragraphe 45(3)]. Il n'est pas permis à un propriétaire inscrit de garder sa marque s'il ne l'emploie pas, c'est-à-dire s'il ne l'emploie pas du tout ou s'il ne l'emploie pas à l'égard de certaines des marchandises pour lesquelles cette marque a été enregistrée [paragraphe 10].

 

 

[40]           La preuve de l’emploi au cours de la période qui a précédé la délivrance de l’avis prévu à l’article 45 est essentielle. Toutefois, la preuve de l’emploi par l’inscrivant après la délivrance de l’avis peut être pertinente, dans la mesure où elle complète la preuve de l’emploi avant que l’avis ait été donné, ce qui a pour effet d’établir la continuité de l’emploi : Boutiques Progolf, précité.

 

[41]           Enfin, tout doute qui peut exister au sujet de la preuve doit être résolu en faveur du propriétaire de la marque de commerce sans diminuer pour autant l’obligation qui incombe au propriétaire de fournir une preuve prima facie d’emploi : Boutiques Progolf, juge Desjardins, qui était dissidente, mais non sur ce point.

 

Analyse

[42]           La preuve présentée par M. Brener, par Mme Yu et par Mme Patel démontre qu’au cours de la période de six mois qui s’est écoulée entre le moment où Fairweather a acquis la marque TARGET APPAREL à l’automne 2001 et la date à laquelle l’avis prévu à l’article 45 a été délivré, au printemps 2002, certaines mesures concrètes ont de fait été prises par la société à l’égard de l’emploi de la marque.

 

[43]           Plus précisément, les illustrations préliminaires ont été exécutées aux fins de l’élaboration des étiquettes volantes et autres genres d’étiquettes destinées à être utilisées en liaison avec les vêtements pour hommes de marque TARGET APPAREL. Il est vrai que ce travail a de fait été exécuté par les employés d’International Clothiers Inc., plutôt que par ceux de Fairweather. Toutefois, l’affidavit de Mme Yu indique que c’était à la demande de l’adjoint du président d’International Clothiers Inc.

 

[44]           Issac Benitah est président et administrateur d’International Clothiers Inc.; il est également président et administrateur de Fairweather Ltd. M. Brener a déclaré que M. Benitah dirige et contrôle les activités quotidiennes des deux sociétés.

 

[45]           En outre, il ressort de la preuve fournie par M. Brener que les deux sociétés étaient étroitement liées et qu’elles partageaient les locaux et la gestion. Elles partagent également de nombreux employés. Il semble également que la ligne de démarcation entre les activités des deux entités ne soit pas claire.

 

[46]           Eu égard aux circonstances dans leur ensemble, je suis convaincue que les efforts accomplis par les employés d’International Clothiers Inc. lorsqu’il s’est agi d’élaborer les illustrations pour les vêtements de marque TARGET APPAREL l’ont été à la demande du propriétaire inscrit de la marque, à savoir Fairweather.

 

[47]           Dans ces conditions, je suis convaincue que les nouveaux éléments de preuve mis à la disposition de la Cour établissent une intention continue de la part de Fairweather d’employer la marque TARGET APPAREL au cours de la période qui a précédé la délivrance de l’avis prévu à l’article 45. Sur cette seule base, l’appel devrait être accueilli.

 

[48]           En outre, l’activité, en ce qui concerne la marque TARGET APPAREL, n’a pas progressé rapidement après la délivrance de l’avis prévu à l’article 45, au mois d’avril 2002, mais elle s’est néanmoins poursuivie. Sur ce point, Mme Yu déclare qu’on lui a demandé de remettre des illustrations révisées pour les étiquettes volantes et autres genres d’étiquettes TARGET APPAREL au mois de juin 2002 et au mois de juin 2003, ce qu’elle a fait.

 

[49]           La Cour dispose également d’une preuve selon laquelle du travail a été accompli en 2003 à l’égard de la fabrication et de la vente de vêtements pour hommes de marque TARGET APPAREL. Il existe un certain désaccord au sujet de la question de savoir si les documents d’International Clothiers Inc. se rapportant apparemment à des commandes de vêtements TARGET APPAREL sont de fait de véritables commandes d’achat ou s’il s’agit plutôt de simples feuilles de travail, mais ces documents indiquent que l’on a accompli énormément de travail sur une base continue en vue de lancer de nouveau la marque TARGET APPAREL de vêtements pour hommes.

 

[50]           En outre, M. Brener a déclaré, pendant le contre‑interrogatoire, qu’il avait personnellement vu des vêtements pour hommes de marque TARGET APPAREL mis en vente dans des magasins d’International Clothiers Inc. en 2004, et qu’au printemps 2005, il avait lui‑même acheté une chemise TARGET APPAREL.

 

[51]           Le défendeur se demande si l’emploi de la marque TARGET APPAREL par International Clothiers Inc. peut être attribué à Fairweather, en l’absence d’un contrat de licence formel entre les deux sociétés, déclenchant les dispositions déterminatives du paragraphe 50(1) de la Loi sur les marques de commerce. En effet, selon cette disposition, l’emploi d’une marque par le titulaire d’une licence est réputé être l’emploi par le propriétaire inscrit, à condition que ce dernier contrôle directement ou indirectement les caractéristiques et la qualité des marchandises en question.

 

[52]           Il n’est pas  nécessaire qu’un contrat de licence soit conclu par écrit : voir TGI Friday’s of Minnesota Inc. c. Registraire des marques de commerce, [1999] A.C.F. no 682, (C.A.F.). J’ai déjà mentionné dans la présente décision les relations étroites existant entre Fairweather et International Clothiers Inc. Eu égard aux circonstances dans leur ensemble, je suis convaincue qu’il est avec raison possible d’inférer qu’International Clothier Inc. a employé la marque aux termes d’un arrangement conclu avec Fairweather, lequel constituait une licence verbale, et que la marque a continué à être assujettie au contrôle effectif de M. Benitah et de Fairweather.

 

[53]           Il importe également de noter qu’au mois de juin 2004, cet arrangement a été consigné par écrit dans un contrat de licence formel, ce qui confirme que Fairweather exerçait un contrôle sur la marque.

 

[54]           Le défendeur a également signalé que la marque TARGET APPAREL est enregistrée en vue d’être employée en liaison avec des vêtements pour hommes, à savoir [traduction] « des habits, des pantalons, des vestons et des manteaux ». La preuve dont dispose la Cour se rapporte à la fabrication et à la vente de chemises, de cravates, de T‑shirts, de vestons et de pantalons TARGET APPAREL. Par conséquent, le défendeur dit que la marque doit au minimum être radiée en ce qui concerne les habits et manteaux pour hommes.

 

[55]           L’examen du premier affidavit de M. Brener révèle l’intention générale de lancer de nouveau des marchandises de marque TARGET APPAREL, à savoir des habits, des pantalons, des vestons et des manteaux, et j’ai déjà conclu, en me fondant sur les nouveaux éléments de preuve, que l’on a de fait pris des mesures concrètes avant la délivrance de l’avis prévu à l’article 45 afin d’atteindre ce but, de sorte que l’appel devrait être accueilli.

 

[56]           Comme il en a ci‑dessus fait mention, la preuve postérieure à la signification de l’avis peut être utile, dans la mesure où elle complète ou confirme la preuve selon laquelle l’intention d’employer la marque existait avant que l’avis soit donné. En l’espèce, la preuve postérieure à la délivrance de l’avis montre que certaines des marchandises énumérées ont de fait été fabriquées et vendues sous la marque TARGET APPAREL, ce qui confirme qu’il existait de fait une véritable intention continue de la part de Fairweather d’employer la marque.

 

[57]           Enfin, le défendeur affirme que la marque qui a en fait été employée était sensiblement différente de la marque déposée, et que Fairweather n’a jamais eu l’intention d’employer la marque TARGET APPAREL telle qu’elle était enregistrée.

 

[58]           Les illustrations créées par Mme Yu présentent de fait des variantes de la marque, à savoir « TARGET APPAREL CO. » ou simplement « TARGET ». L’emballage utilisé pour les produits semble porter le nom « TARGET APPAREL CO. ».

 

[59]           Il est reconnu que le droit des marques de commerce n’exige pas le maintien de l’identité absolue des marques. Des variantes judicieuses peuvent être apportées à une marque, dans la mesure où les mêmes caractéristiques dominantes sont maintenues : Promafil Canada Limitée c. Munsingware Inc. [1992] A.C.F. no 611, 44 C.P.R. (3d) 59, pages 71et 72 (C.A.F.).

 

[60]           Le critère pratique consiste à comparer la marque déposée et la marque qui a été employée, et à déterminer si les différences entre les marques sont suffisamment si peu importantes que l’acheteur non informé supposerait probablement que les marques émanent de la même source : Registraire des marques de commerce c. Compagnie Internationale pour l'Informatique CII Honeywell Bull, Société Anonyme et al. [1985] 1 C.F. 406, 4 C.P.R. (3d) 523, page 525 (C.A.F.). 

 

[61]           Dans tous les exemples de la marque ici en cause, le mot « TARGET » semble être la caractéristique dominante, les mots « APPAREL » et « CO. » figurant en caractères plus petits. Dans ces conditions, je suis convaincue que l’ajout du mot « Co. » ne constitue pas une variante importante de la marque.

 

Conclusion

[62]           Pour ces motifs, l’appel sera accueilli avec dépens.

 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que l’appel doit être accueilli avec dépens.

 

           

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-713-05

 

INTITULÉ :                                                   FAIRWEATHER LTD.

                                                                        c.

                                                                        LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE et BERESKIN & PARR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 5 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT 

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 19 OCTOBRE 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Mark K. Evans

Geneviève M. Prévost

POUR LA DEMANDERESSE

 

Mark L. Robbins

 

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

BERESKIN & PARR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

SMART & BIGGARD

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

BERESKIN & PARR

Avocats

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

BERESKIN & PARR

 

POUR LE DÉFENDEUR,

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

 

 

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