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Date : 20061016

Dossier : IMM-1074-06

Référence : 2006 CF 1232

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

RACHNA UBEROI

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Uberoi est citoyenne de l'Inde; la demande d'asile qu'elle a présentée au Canada à titre de réfugié a été rejetée. Mme Uberoi a été rapatriée le 5 août 2004. À ce moment‑là, une demande d'établissement fondée sur des motifs d'ordre humanitaire était en instance. Cette demande a par la suite été refusée. Mme Uberoi sollicite le contrôle judiciaire de cette décision en invoquant l'existence d'une crainte raisonnable de partialité institutionnelle découlant des politiques et procédures du défendeur en matière d'évaluation des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire présentées après que le demandeur a été renvoyé.

 

HISTORIQUE

 

[2]               Mme Uberoi est arrivée au Canada à titre de visiteur le 14 mai 2000; son statut de visiteur a été prolongé jusqu'au 31 octobre 2001. Mme Uberoi est demeurée au Canada après l'expiration de ce délai et elle a présenté une demande d'asile à titre de réfugié le 15 avril 2002. Une mesure de renvoi a alors été prise. La demande d'asile a été refusée le 9 juillet 2003 et la mesure de renvoi a alors pris effet. Le 4 juin 2004, la demanderesse a fait l'objet d'une décision défavorable rendue dans le cadre de l'examen des risques avant renvoi. La requête visant le sursis à l'exécution de la mesure de renvoi et la demande de contrôle judiciaire ont toutes deux été rejetées. Mme Uberoi a alors été renvoyée. Des observations à jour concernant la situation de Mme Uberoi en Inde ont été soumises au mois de janvier 2006. En refusant, le 9 février 2006, la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, l'agent a conclu que Mme Uberoi ne ferait pas face à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées si elle était obligée de demander la résidence permanente depuis l'étranger.

 

POINT LITIGIEUX

 

[3]               La demanderesse ne soutient pas que l'agent a mal interprété la preuve, qu'il n'en a pas tenu compte ou qu'il a rendu une décision déraisonnable. Le seul point litigieux soulevé en l'espèce peut être décrit comme suit :

 

Les politiques suivies par le ministre dans l'évaluation des demandes de dispense présentées en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés suscitent‑elles une crainte raisonnable de partialité institutionnelle dans le cas des personnes qui ont été renvoyées du Canada?

 

CONTEXTE LÉGISLATIF

 

[4]               Le paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) est rédigé comme suit :

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

ANALYSE

 

La norme de contrôle

 

[5]               Les parties conviennent et je reconnais qu'il est bien établi que les questions d'équité procédurale, et notamment une question de partialité de la part d'un tribunal, doivent être évaluées selon la norme de la décision correcte : Ellis‑Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221, 2001 CSC 4, paragraphe 65. Par conséquent, lorsqu'un manquement à l'obligation d'équité est constaté, la décision doit être annulée : Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 461, [2006] A.C.F. no 631, paragraphe 44 (QL) [Benitez]; Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2005] A.C.F. no 2056 paragraphe 54 (QL).

 

Crainte raisonnable de partialité institutionnelle

 

[6]               Il est de droit constant que l'équité procédurale exige que les décisions soient libres de toute crainte raisonnable de partialité. Le critère communément employé est celui que le juge de Grandpré, qui était dissident, a énoncé dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, p. 394 :

 

[...] ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait‑elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste?  »

 

 

[7]               Lorsque la partialité institutionnelle est alléguée, le critère est légèrement modifié en vue d'exiger que la personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, d'une façon réaliste et pratique, éprouve une crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas : 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), [1996] 3 R.C.S. 919, [1996] A.C.S. no 112, paragraphe 44 (QL). En l'absence d'un grand nombre de cas, les allégations de crainte de partialité ne peuvent porter sur l'institution dans son ensemble, mais elles doivent être traitées au cas par cas : Benitez, précité, paragraphe 196.

 

[8]               La norme relative à la crainte raisonnable de partialité peut varier, comme d'autres aspects de l'équité procédurale, selon le contexte et le type de fonction remplie par le décideur administratif en cause : Newfoundland Telephone Co. c. Terre‑Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623, [1992] A.C.S. no 21, paragraphe 22 (QL).

 

[9]               La « partialité » a été définie par le juge Cory dans l'arrêt R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, [1997] A.C.S. no 84, paragraphe 105 (QL), comme dénotant « un état d'esprit prédisposé de quelque manière à un certain résultat ou fermé sur certaines questions ».

 

[10]           La demanderesse soutient que dans ce cas‑ci, il a été satisfait au critère applicable à la partialité institutionnelle parce que les critères et procédures concernant l'évaluation d'une demande de résidence permanente après le renvoi du demandeur entraînent un état d'esprit institutionnel prédisposé à un certain résultat, à savoir la conclusion selon laquelle le demandeur ne ferait pas face à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées s'il devait demander l'établissement depuis l'étranger.

 

[11]           La demanderesse mentionne des extraits du guide IP 5 de Citoyenneté et Immigration Canada : Demandes présentées par des immigrants au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire (le guide) qui indiquent que le demandeur cherche à obtenir la permission de faire traiter sa demande au Canada à cause de circonstances d'ordre humanitaire. Selon la demanderesse, les définitions du guide de ce qui constitue des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées » mettent l'accent sur l'attention portée par l'agent chargé de l'examen sur des facteurs se rapportant à l'établissement du demandeur au Canada. La demanderesse soutient que lorsque ces liens sont rompus par suite du rapatriement, le demandeur n'est plus en mesure de démontrer que la condition voulant que la résidence permanente soit demandée depuis l'étranger est une condition beaucoup trop stricte.

 

[12]           La demanderesse signale en outre le libellé de la lettre type de refus, à savoir « on évalue les facteurs d'ordre humanitaire dans le but de déterminer si on accordera une dispense à l'égard de certaines exigences législatives pour que votre demande de résidence permanente soit traitée au Canada » [non souligné dans l'original]. Selon la demanderesse, cela démontre que la détermination de ce qui constitue un facteur d'ordre humanitaire est liée à la présence au Canada.

 

[13]           Aux dires de la demanderesse, l'effet de ces dispositions est le suivant : le guide de l'immigration demande à l'agent chargé de l'examen d'évaluer les difficultés auxquelles feraient face les personnes qui demandent une dispense si elles étaient forcées de retourner dans leur pays d'origine pour demander la résidence permanente. Toutefois, lorsque l'intéressé a déjà été renvoyé, les difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées occasionnées par le renvoi ont déjà pris naissance. Selon la demanderesse, il n'existe donc plus de raison d'exercer le pouvoir discrétionnaire en faveur de l'intéressé et ces demandes sont donc généralement rejetées.

 

[14]           L'application du paragraphe 25(1) de la LIPR n'est pas limitée aux demandes présentées par des étrangers qui sont présents au Canada. Il n'y a rien dans cette disposition ou dans l'ensemble de la LIPR qui empêche l'octroi du statut de résident permanent ou l'octroi d'une dispense de l'application des exigences de la Loi lorsque le demandeur est à l'étranger « [si le ministre] estime que des circonstances d'ordre humanitaire le justifient [...] ».

 

[15]           La cause a entièrement été débattue sur la base du contenu du guide de politique du défendeur. Aucune preuve de partialité réelle n'a été soumise, ni aucune preuve à l'appui de la prétention selon laquelle les agents d'immigration peuvent croire qu'il est porté atteinte à leur pouvoir discrétionnaire lorsqu'ils évaluent les demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire après que le demandeur a été renvoyé. Il est clair, selon moi, que le guide de politique envisage, comme c'était ici le cas, que les demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire continuent à être traitées après le renvoi. De fait, le guide dit ce qui suit :

Les personnes frappées d'une mesure de renvoi qui présentent une demande CH et paient les frais appropriés peuvent demander une décision sur leur demande. Rien n'oblige à reporter le renvoi, sauf en cas de décision favorable à l'étape de la première évaluation CH (R233). Ainsi, les clients qui veulent obtenir une décision avant le renvoi doivent présenter leur demande bien avant la date du renvoi. (article 5.10)

[Souligné dans l'original.]

 

[16]           Et en outre :

Si l'évaluation CH ne peut être terminée avant le renvoi du demandeur du Canada, une décision sera prise après le renvoi et le demandeur en sera avisé. [...] [S]i leur demande est approuvée et qu'ils sont par ailleurs admissibles au Canada, ils seront autorisés à revenir au Canada pour le traitement de leur demande. (article 5.11)

[Non souligné dans l'original.]

 

[17]           Il est approprié d'énoncer des lignes directrices visant à faciliter l'interprétation et l'application d'un texte législatif habilitant dans la mesure où ces lignes directrices ne sont pas considérées comme obligatoires par leur nature et dans la mesure où elles permettent l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par la loi : Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; Ha c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.A.F.), [2004] 3 R.C.F. 195, 2004 CAF 49.

 

[18]           La loi ne donne pas de directives au sujet de ce qu'on entend par « circonstances d'ordre humanitaire ». Par conséquent, le guide de politique a une fonction utile puisqu'il attire l'attention des agents chargés de l'examen sur ce qui constitue une circonstance appropriée. Le dossier mis à ma disposition ne renferme aucun élément de preuve montrant qu'il a été porté atteinte au pouvoir discrétionnaire que possède le ministre en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR du fait de l'emploi, dans le guide, des mots « difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées » ou par suite des définitions qui sont données de ces mots.

 

[19]           Les agents chargés de l'examen des motifs d'ordre humanitaire sont tenus, selon le guide, d'examiner les prétentions des demandeurs à la lumière de tous les renseignements qu'ils connaissent (article 5.6). Le guide demande expressément aux agents d'aborder chaque cas avec un esprit ouvert, de façon à avoir la faculté d'arriver à une décision sur la base de tous les faits connus et des prétentions qui ont été soumises, et ce, d'une façon impartiale et objective (article 5.30). Parmi les exemples figurant dans le guide qui indiquent ce que cela veut dire d'omettre d'aborder un cas avec un esprit ouvert, il y a l'exemple suivant :

Trop grande importance accordée aux facteurs exposés dans les lignes directrices CH, à l'exclusion des autres observations faites par le demandeur. [...]

[Non souligné dans l'original.]

 

 

[20]           Au cours de l'argumentation orale, le défendeur a attiré l'attention de la Cour sur plusieurs autres dispositions du guide qui renforcent la conclusion selon laquelle il est clairement tenu compte de la situation dans laquelle se trouvent des personnes telles que la demanderesse. Je n'ai pas à examiner ici toutes ces dispositions. Je suis convaincu que la demanderesse n'a pas établi la prémisse sur laquelle elle se fonde, à savoir que les politiques servant à l'examen des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire ne laissent pas de place à l'exercice favorable du pouvoir discrétionnaire dans le cas où le demandeur a été renvoyé.

 

[21]           Compte tenu du dossier soumis en l'espèce, une personne bien renseignée qui étudierait la question de façon réaliste et pratique n'éprouverait pas de crainte raisonnable de partialité dans un grand nombre de cas, lorsque la demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire a été tranchée après l'expulsion de l'intéressé. Une crainte raisonnable de partialité institutionnelle n'a pas été établie.

 

[22]           Je ne puis non plus constater aucune preuve de partialité eu égard à la situation particulière de la demanderesse, ni aucun « état d'esprit prédisposé de quelque manière à un certain résultat ou fermé sur certaines questions » pour reprendre la définition donnée par le juge Cory. L'agent a tenu compte de toutes les prétentions de la demanderesse, et notamment de celles qu'elle a présentées après son retour en Inde.

 

[23]           Par conséquent, la demande sera rejetée.

 

[24]           Le défendeur a proposé la certification de la question ci‑après énoncée :

[traduction] La mise en oeuvre de la ligne directrice figurant dans le IP 5 entraîne‑t‑elle une partialité institutionnelle ou systémique de la part des décideurs qui évaluent les demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire présentées par des personnes qui ont été renvoyées du Canada avant la date de l'évaluation de la demande?

 

[25]           Je ne puis voir pourquoi il faudrait certifier cette question. Le dossier mis à ma disposition ne renferme aucune preuve de partialité, systémique ou individuelle, réelle ou appréhendée. La question ne permettrait pas de régler un appel en l'espèce.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande doit être rejetée. Aucune question n'est certifiée.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-1074-06

 

INTITULÉ :                                                   RACHNA UBEROI

 

                                                                        c.

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 28 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT 

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 16 OCTOBRE 2006

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee

POUR LA DEMANDERESSE

 

Mary Matthews

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

WENNIE LEE

Lee & Company

Toronto (Ontario)

          POUR LA DEMANDERESSE

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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