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Date : 20061017

Dossier : T‑1591‑05

Référence : 2006 CF 1229

Ottawa (Ontario), le 17 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

 

ENTRE :

DISTRIMEDIC INC.

demanderesse

et

 

DISPILL INC. et EMBALLAGES RICHARDS INC.

défenderesses

 

ET ENTRE :

 

EMBALLAGES RICHARDS INC.

 

demanderesse reconventionnelle

et

 

DISTRIMEDIC INC., ROBERT POIRIER

et CLAUDE FILIATRAULT

 

défendeurs reconventionnels

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une requête par laquelle les défenderesses et la demanderesse reconventionnelle, Dispill Inc. et Emballages Richards Inc. (Richards), interjettent appel de l’ordonnance du protonotaire Morneau, en date du 29 juin 2006, enjoignant à Richards d’apporter certaines précisions dans sa défense et demande reconventionnelle, et radiant certains paragraphes ainsi que certains passages du document en question en vertu des alinéas 221(1)a), b) et c) des Règles concernant la pratique et la procédure à la Cour d’appel fédérale et à la Cour fédérale, DORS/98‑106 (Règles des Cours fédérales).

 

[2]               Distrimedic Inc. (Distrimedic) a déposé une déclaration datée du 26 septembre 2005 et modifiée le 3 novembre 2005, afin d’obtenir, en vertu du paragraphe 60(2) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, une déclaration de non‑contrefaçon du brevet canadien no 2,207,045 (le brevet 045).

 

[3]               Le 8 novembre 2005, Richards a déposé à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) un document visant àobtenir l’enregistrement d’une renonciation à certains éléments du brevet 045 en vertu du paragraphe 48(1) de la Loi sur les brevets.

 

[4]               Aux environs du 1er décembre 2005, Richards a déposé une défense et demande reconventionnelle dans laquelle, invoquant essentiellement la renonciation déposée le 8 novembre 2005, elle a allégué la contrefaçon par Distrimedic, Robert Poirier et Claude Filiatrault du brevet 045 et de la marque de commerce DISPILL lui appartenant.

 

[5]               Le 20 décembre 2005, le commissaire aux brevets de l’OPIC a refusé la renonciation déposée par Richards, estimant que celle‑ci aurait pour effet d’élargir la portée de l’une des revendications du brevet 045, ce qui ne peut se faire dans le cadre d’une renonciation. Richards sollicite actuellement le contrôle judiciaire de la décision du commissaire et demande notamment un bref de mandamus obligeant le commissaire à enregistrer/à rendre effective la renonciation, ainsi qu’une déclaration portant que la renonciation a effectivement été déposée le 8 novembre 2005 et qu’elle a pris effet à cette date. L’avis de demande de contrôle judiciaire a été déposé le 18 janvier 2006 (dossier de la Cour fédérale T‑92‑06).

 

[6]               Le 21 décembre 2005, Distrimedic a envoyé à Richards une lettre lui demandant de fournir des précisions supplémentaires et, en outre, de radier certaines allégations de sa défense et demande reconventionnelle. Par voie de lettres datées du 6 janvier 2006 et du 18 janvier 2006, Richards a répondu qu’elle n’entendait pas apporter les modifications demandées à la défense et demande reconventionnelle.

 

[7]               C'est pourquoi, le 2 février 2006, Distrimedic a déposé devant la Cour un avis de requête sollicitant une ordonnance prescrivant l’ajout, dans la défense et demande reconventionnelle, de précisions supplémentaires ainsi que la radiation de certaines allégations contenues dans ce document.

 

[8]               Entre‑temps, le 8 février 2006, Distrimedic a déposé devant la Cour une requête afin d’obtenir qualité d’intimée ou d’intervenante à la procédure de contrôle judiciaire dont il est question plus haut (T‑92‑06). Dans une ordonnance datée du 27 février 2006, le protonotaire Morneau a accordé à Distrimedic la qualité de partie.

 

[9]               Le 29 juin 2006, le protonotaire Morneau a ordonné à Richards de signifier une défense et demande reconventionnelle modifiée comportant certaines des précisions demandées par Distrimedic, et il a ordonné la radiation des paragraphes et passages visés par la requête en radiation.

 

[10]           Enfin, par avis de requête en date du 10 juillet 2006, Richards a présenté une requête visant à faire annuler la décision du protonotaire Morneau ordonnant la radiation des paragraphes et passages en question. Il s’agit de la question dont la Cour est saisie en l'espèce.

 

[11]           Le protonotaire Morneau a statué qu’étant donné que le commissaire a refusé le dépôt de la renonciation de Richards, aucune renonciation valable ne s’applique au brevet 045 et que, par conséquent, il convenait, conformément au paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales, de radier dans la défense et demande reconventionnelle de Richards le paragraphe 13 et certains passages du paragraphe 14, de l’alinéa 18a), du sous‑alinéa 18c)(i) et du paragraphe 32, car les allégations formulées dans ces passages étaient, selon lui, nettement et manifestement dénuées de pertinence et frivoles.

 

[12]           Le protonotaire Morneau a en outre ordonné que soient radiés de la même défense et demande reconventionnelle certains alinéas ayant trait aux allégations avancées par Richards quant à la contrefaçon de sa marque de commerce, DISPILL, enregistrée sous le numéro 547,764. Richards a allégué la contrefaçon de sa marque de commerce par violation de l’alinéa 7c) et de l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13. De l’avis du protonotaire Morneau, même si on donnait aux dispositions en cause ainsi qu’à la Loi sur les marques de commerce, une interprétation plus large, Richards n’invoque, dans sa défense et demande reconventionnelle, aucun fait matériel susceptible d’étayer ces allégations et le document en question ne révèle par conséquent aucune cause d’action valable.

 

[13]           Enfin, le protonotaire Morneau a ordonné à Richards de déposer et signifier une défense modifiée, qui devait être suivie, de la part de Distrimedic, d’une réponse et défense reconventionnelle.

 

OBSERVATIONS DES REQUÉRANTES

Norme de contrôle

[14]           Les requérantes commencent par exposer quelle est à leur avis la norme de contrôle applicable aux appels de l’ordonnance d’un protonotaire et elles invoquent à cet égard les arrêts Merck & Co. c. Apotex Inc. ((2003), 30 C.P.R. (4th) 40 (C.A.F.), page 53, refus d’autorisation de pourvoi devant la C.S.C., 30 C.P.R. (4th) 40) et Canada c. Aqua‑Gem Investments Ltd. ([1993] 2 C.F. 425 (C.A.), page 463). L’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire peut être infirmée en appel lorsque les questions soulevées dans le cadre de la requête ont une influence déterminante sur l’issue du principal, c’est‑à‑dire lorsque l’issue de la cause en dépend, ou si l’ordonnance est entachée d’une erreur flagrante en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

[15]           Les requérantes affirment que la décision ordonnant la radiation de certaines parties de la défense et demande reconventionnelle a une influence déterminante sur l’issue de l’affaire dont est saisie la Cour et que la Cour devait exercer son pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début (Canada c. Aqua‑Gem Investments Ltd. ([1993] 2 C.F. 425 (C.A.), page 463, et Zambon Group S.P.A. c. Teva Pharmaceutical Industries Ltd. (2005), 44 C.P.R. (4th) 173 (C.F.), page 177).

 

Radiation des actes de procédure

[16]           Les requérantes affirment que leurs actes de procédure ne devraient pas être radiés, en application de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, au motif qu’ils ne révèlent aucune cause d’action valable car, en l’occurrence, leurs actes de procédure révèlent bien une cause d’action à laquelle pourrait faire droit la Cour, et elles soutiennent en outre qu’il convient de partir du principe que tous les faits exposés dans ces actes de procédure sont exacts. Les requérantes ajoutent qu’il n’y a pas lieu de radier leurs actes de procédure au motif qu’ils sont frivoles ou vexatoires ou qu’ils constituent un abus de procédure (alinéas 221(1)c) et f) des Règles).

 

[17]           Les requérantes invoquent en outre la décision Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1996), 68 C.P.R. (3d) 23 (C.F. 1re inst., page 41), pour soutenir que le critère au vu duquel la radiation d’un acte de procédure peut être ordonnée est un critère extrêmement exigeant : « […] lorsqu’une prétention renferme ne serait‑ce qu’une mince chance de succès, une cour ne devrait pas la radier […] Il ressort clairement de la jurisprudence que ces questions doivent être résolues au‑delà de tout doute ». Ajoutons que les tribunaux se montrent particulièrement exigeants quant à la preuve incombant à la partie sollicitant la radiation d’un acte de procédure (Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Limited (2005), 44 C.P.R. (4th) 23 (C.F.), page 33, conf. par 47 C.P.R. (4th) 328 (C.A.F.) (QL)).

 

[18]           Et, enfin, les requérantes soutiennent qu’un acte de procédure ne devrait être radié que s’il est évident et manifeste qu’il n’a aucune chance de succès, même s’il requiert une application inédite ou complexe du droit (Pason Systems Corp. et al. c. Varco Canada Limited et al., 2006 CAF 100, pages 3 et 4). Elles font donc valoir que, s’il est effectivement possible de débattre de l’interprétation de la Loi sur les brevets prônée par l’une des parties, la question devrait être examinée dans le cadre d’un procès sur le fond.

 

Radiation des mentions de la renonciation

[19]           Les requérantes soutiennent que la suppression de toute mention de la renonciation ne permettra pas d’apporter au litige la solution juste que prévoit l’article 3 des Règles des Cours fédérales, et que cela constituerait un abus de procédure puisque ce pouvoir de radiation ne serait en l’occurrence pas employé à bon escient, cela étant d’autant plus vrai que Distrimedic a, elle aussi, invoqué la renonciation pour soutenir qu’il lui fallait intervenir dans le cadre de la procédure de contrôle judiciaire. De plus, les défendeurs reconventionnels sont intervenus dans le dossier de la renonciation, même si la Loi sur les brevets ne prévoit aucunement ce genre d’intervention.

 

[20]           Les requérantes soutiennent, en se fondant sur l’historique de la Loi sur les brevets et la jurisprudence, que même si l’OPIC ne l'a pas enregistrée, la renonciation ne demeure pas sans effet sur le plan juridique et qu’il convient d’en tenir compte (Canadian Celanese Ltd. c. B.V.D. Co. Ltd., [1939] 2 D.L.R. 289 (C.P.), pages 291 et 294; R. c. Ulybel Enterprises Ltd., [2001] 2 R.C.S. 867, page 885; Bayer Aktiengesellschaft et Bayer Inc. c. Pfizer Research and Development Co., N.V./S.A. (2002), décision non publiée, page 2; Monsanto Co. c. Commissaire aux brevets (1976), 28 C.P.R. (2d) 118 (C.A.F.), page 119; Cooper & Beatty c. Alpha Graphics Ltd. (1980), 49 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.), page 163; article 48 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4; Loi modifiant la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. 33 (3e suppl.); et Loi d’actualisation du droit de la propriété intellectuelle, L.C. 1993, ch. 15).

 

Radiation des mentions de la contrefaçon de marque de commerce

[21]           Les requérantes affirment que les paragraphes 30 et 38 de la défense et demande reconventionnelle déposée par Richards contiennent des éléments étayant les allégations de contrefaçon de marque de commerce formulées aux sous‑alinéas 18c)(iii), 18c)(vi), 18d)(iii), 18d)(iv), 18d)(viii), 45(i) et 45(ii) du document.

 

[22]           Dans leur dossier de requête, les requérantes invoquent, à l’appui de leurs allégations, l’article 20 et les paragraphes 22(1), 4(1) et 4(2) de la Loi sur les brevets ainsi que la jurisprudence.

 

Ordonnance sollicitée par les requérantes

[23]           Les requérantes sollicitent donc de la Cour une ordonnance annulant les alinéas 1c) et 1e) ainsi que les paragraphes 2 et 3 de l’ordonnance du protonotaire Morneau, portant à 30 jours après que la Cour se sera prononcée sur la présente requête, le délai accordé à Richards pour la signification et le dépôt d’une défense et demande reconventionnelle modifiée, et accordant en outre aux requérantes les dépens à tous les égards.

 

OBSERVATIONS DES INTIMÉS

Norme de contrôle

[24]           Les intimés n’ont présenté aucune observation concernant la norme de contrôle applicable aux décisions d’un protonotaire. À l’audience, leurs avocats ont déclaré ne pas contester les observations des requérantes sur ce point, laissant à la Cour le soin de décider de la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer.

 

            Radiation des actes de procédure

[25]           Les intimés, Distrimedic, affirment que c’est à bon droit que le protonotaire Morneau a ordonné, en vertu du paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales, la radiation de certains actes de procédure. Ils soutiennent que les actes de procédure qui ne répondent pas aux critères prévus au paragraphe 221(1) des Règles devraient être radiés.

 

[26]           Premièrement, les intimés font valoir qu’un acte de procédure doit répondre à certains objectifs qui ont été exposés dans l’arrêt Gulf Canada Ltd. c. Le remorqueur « Mary Mackin » ([1984] 1 C.F. 884, page 889 (C.A.F.)) et, notamment, informer la partie adverse de la nature de la preuve à réfuter, lui permettre de se préparer correctement en vue du procès, et circonscrire les questions à trancher.

 

[27]           Deuxièmement, s’appuyant sur la décision Glaxo Canada Inc. c. Ministère de la Santé nationale et du Bien‑être social ((1987), 15 C.P.R. (3d) 1, pages 10 et 11 (C.F. 1re inst.)_, les intimés affirment qu’un acte de procédure doit exposer les prétentions des parties de façon suffisamment détaillée et claire pour permettre aux parties de comprendre quelles sont les questions en litige et les motifs du débat et de permettre à la Cour d’évaluer la véracité des prétentions avancées par les parties.

 

[28]           Troisièmement, une partie ne saurait intenter un procès si les allégations qu’elle avance ne se fondent pas sur des faits matériels spécifiques, car ses arguments seront sans cela rejetés faute de preuves (Caterpillar Tractor Co. c. Babcock Allatt Ltd. (1982), 67 C.P.R. (2d) 135, pages 138 et 139 (C.F. 1re inst.), conf. par (1983), 72 C.P.R. (2d) 286 (C.A.F.)).

 

 

[29]           Quatrièmement, les intimés affirment que le fait qu’une conclusion de droit ne soit pas appuyée sur des faits matériels permet à la Cour de conclure à l’absence de cause d’action valable, surtout s'il y a eu une demande de précisions supplémentaires (Precision Metalsmiths Inc. c. Cercast Inc. (1966), 49 C.P.R. 234, page 247 (C. de l’É.)).

 

Radiation des mentions de la renonciation

[30]           Les intimés font essentiellement valoir que c’est à juste titre que le protonotaire Morneau a conclu que, la Cour ne s’étant pas encore prononcée, dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire, sur la question de la renonciation déposée et rejetée par l’OPIC, toutes les prétentions formulées dans la défense et demande reconventionnelle et comportant une mention de cette renonciation devraient être radiées.

 

[31]           Les intimés affirment que la renonciation est nulle ou de nul effet et ils invoquent à cet égard des arguments fondés sur la jurisprudence (Monsanto Co. c. Commissaire aux brevets (1976) C.P.R. (2d) 118, page 119 (C.A.F.); Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, paragraphes 41 et 42).

 

Radiation des mentions de la contrefaçon de marque de commerce

[32]           En ce qui concerne la contrefaçon de marque de commerce, les intimés affirment que le protonotaire Morneau a eu raison d’ordonner la radiation des paragraphes et de certains passages de la défense et demande reconventionnelle qui y font allusion étant donné que, même si l’on donne une interprétation plus large aux passages en question et à la Loi sur les marques de commerce, il est évident que la défense et demande reconventionnelle ne contient aucun fait matériel confirmant que la marque de commerce déposée DISPILL a effectivement été employée, ou qu’une marque de commerce ou un nom commercial a créé de la confusion avec la marque DISPILL; les passages sélectionnées sont des conclusions de droit qui ne reposent sur aucun fait matériel.

 

[33]           Suivant l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, ces passages ne révèlent aucune cause d’action valable.

 

[34]           Les intimés reconnaissent que suivant les articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce, Richards détient, en vertu de l’enregistrement de sa marque, le droit exclusif d’employer celle‑ci. Les intimés font donc essentiellement valoir que, pour démontrer qu’il y a eu contrefaçon, il faut pouvoir alléguer certains faits matériels. Ils soutiennent que, dans sa défense et demande reconventionnelle, Richards n’allègue aucun fait matériel indiquant qu’il y a effectivement eu contrefaçon, bien que des précisions lui aient été demandées à cet égard.

 

[35]           Par conséquent, il convient de radier les paragraphes et passages en question puisqu’ils ne révèlent aucune cause d’action valable.

 

[36]           Les intimés soutiennent que ce raisonnement s’applique également aux allégations de violation de l’alinéa 7c) – commercialisation trompeuse – et de l’article 22 – dépréciation de l’achalandage – de la Loi sur les marques de commerce.

 

Ordonnance sollicitée par les intimés

[37]           Les intimés sollicitent une ordonnance rejetant la requête en appel, confirmant l’ordonnance du protonotaire Morneau et leur adjugeant les dépens à tous égards.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[38]           Les questions à trancher en l’espèce sont les suivantes :

a.       Le protonotaire Morneau a‑t‑il commis une erreur de droit en ordonnant, en vertu des alinéas 221(1)b) et c) des Règles des Cours fédérales, la radiation de certains passages de la défense et demande reconventionnelle des défenderesses mentionnant la renonciation, au motif que ces passages sont frivoles et non pertinents?

b.      Le protonotaire Morneau a‑t‑il commis une erreur de droit en ordonnant, en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, la radiation de certains paragraphes de la défense et demande reconventionnelle alléguant une contrefaçon de marque de commerce, au motif que ces passages ne révèlent aucune cause d’action valable?

 

ANALYSE

Dispositions applicables

[39]           Le paragraphe 221(1) des Règles des Cours fédérales prévoit ce qui suit :

221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

 

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

 

b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

 

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

 

d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

 

e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

 

f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

 

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

 

(a) disclosed no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

 

(b) is immaterial or redundant,

 

 

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

 

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

 

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

 

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

 

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

 

 

[40]           Selon le paragraphe 48(1) de la Loi sur les brevets, il est parfois possible de renoncer à certains éléments d’un brevet afin de restreindre la portée d’une des revendications :

48. (1) Le breveté peut, en acquittant la taxe réglementaire, renoncer à tel des éléments qu’il ne prétend pas retenir au titre du brevet, ou d’une cession de celui‑ci, si, par erreur, accident ou inadvertance, et sans intention de frauder ou tromper le public, dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

a) il a donné trop d’étendue à son mémoire descriptif, en revendiquant plus que la chose dont lui‑même, ou son mandataire, est l’inventeur;

 

 

b) il s’est représenté dans le mémoire descriptif, ou a représenté son mandataire, comme étant l’inventeur d’un élément matériel ou substantiel de l’invention brevetée, alors qu’il n’en était pas l’inventeur et qu’il n’y avait aucun droit.

 

48. (1) Whenever, by any mistake, accident or inadvertence, and without any willful intent to defraud or mislead the public, a patentee has

 

 

 

 

 

 

(a) made a specification too broad, claiming more than that of which the patentee or the person through whom the patentee claims was the inventor, or

 

(b) in the specification, claimed that the patentee or the person through whom the patentee claims was the inventor of any material or substantial part of the invention patented of which the patentee was not inventor, and to which the patentee has no lawful right,

 

the patentee may, on payment of a prescribed fee, make a disclaimer of such parts as the patentee does not claim to hold by virtue of the patent or the assignment thereof.

 

[41]           L’article 7 de la Loi sur les marques de commerce traite de la commercialisation trompeuse :

7. Nul ne peut :

 

a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services d’un concurrent;

 

b) appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

 

c) faire passer d’autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;

 

d) utiliser, en liaison avec des marchandises ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde :

 

(i)                   soit leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition,

(ii)                 soit leur origine géographique,

(iii)                soit leur mode de fabrication, de production ou d’exécution;

 

 

e) faire un autre acte ou adopter une autre méthode d’affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada.

7. No person shall

 

(a) make a false or misleading statement tending to discredit the business, wares or services of a competitor;

 

(b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business or another;

 

 

(c) pass off other wares or services as and for those ordered or requested;

 

 

(d) make use, in association with wares or services, of any description that is false in a material respect and likely to mislead the public as to

 

 

(i)                   the character, quality, quantity or composition,

 

(ii)                 the geographical origin, or

 

(iii)                the mode of the manufacture, production or performance

 

of the wares or services; or

 

(e) do any other act or adopt any other business practice contrary to honest industrial or commercial usage in Canada.

 

[42]           L’article 19 de la Loi sur les marques de commerce est libellé en ces termes :

19. Sous réserve des articles 21, 32 et 67, l’enregistrement d’une marque de commerce à l’égard de marchandises ou services, sauf si son invalidité est démontrée, donne au propriétaire le droit exclusif à l’emploi de celle‑ci, dans tout le Canada, en ce qui concerne ces marchandises ou services.

19. Subject to sections 21, 32 and 67, the registration of a trade‑mark in respect of any wares or services, unless shown to be invalid, gives to the owner of the trade‑mark the exclusive right to the use throughout Canada of the trade‑mark in respect of those wares or services.

 

[43]           Le paragraphe 20(1) de la Loi sur les marques de commerce a trait aux droits du propriétaire d’une marque de commerce déposée :

20. (1) Le droit du propriétaire d’une marque de commerce déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l’employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistrement d’une marque de commerce ne peut empêcher une personne :

 

a) d’utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial;

 

b) d’employer de bonne foi, autrement qu’à titre de marque de commerce :

 

(i)                   soit le nom géographique de son siège d’affaires,

(ii)                 soit toute description exacte du genre ou de la qualité de ses marchandises ou services,

 

d’une manière non susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce.

20. (1) The right of the owner of a registered trade‑mark to its exclusive use shall be deemed to be infringed by a person not entitled to its use under this Act who sells, distributes or advertises wares or services in association with a confusing trade‑mark or trade‑name, but no registration of a trade‑mark prevents a person from making

 

 

 

 

(a) any bona fide use of his personal name as a trade‑name, or

 

(b) any bona fide use, other than as a trade‑mark,

 

(i)                   of the geographical name of his place of business, or

(ii)                 of any accurate description of the character or quality of his wares or services,

 

 

in such a manner as is not likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching to the trade‑mark.

 

[44]           Le paragraphe 2(1) de la Loi sur les marques de commerce prévoit ce qui suit :

22. (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à cette marque de commerce.

22. (1) No person shall use a trade‑mark registered by another person in a manner that is likely to have the effects of depreciating the value of the goodwill attaching thereto.

 

            Norme de contrôle

[45]           Ainsi que l’ont soutenu les requérantes, le juge saisi d’un appel formé contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire peut intervenir si les questions soulevées dans le cadre de la requête ont une influence déterminante sur l’issue du principal, c'est‑à‑dire lorsque l’issue de la cause en dépend, ou si l’ordonnance est entachée d’une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits (Merck & Co. c. Apotex Inc. (2003) C.P.R. (4th) 40 (C.A.F.), paragraphe 19, refus d’autorisation de pourvoi devant la C.S.C., 30 C.P.R. (4th) 40; Canada c. Aqua‑Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.)).

 

[46]           La décision d’ordonner la radiation de certains paragraphes de la défense et demande reconventionnelle a effectivement une influence déterminante sur l’issue de la cause et, par conséquent, le juge saisi de la décision du protonotaire Morneau peut reprendre l’affaire depuis le début (Zambon Goup S.P.A. c. Teva Pharmaceutical Industries Ltd. (2005, 44 C.P.R. (4th) 173 (C.F.), paragraphe 10).

 

Radiation des mentions de la renonciation

[47]           Les passages en question se trouvent aux paragraphes 13, 14, à l’alinéa 18a), au sous‑alinéa 8c)(i) ainsi qu’au paragraphe 32 de la défense et demande reconventionnelle :

[Traduction]

13. En ce qui concerne les paragraphes 16 à 18 de la déclaration modifiée, les défenderesses affirment que, vers le 8 novembre 2005, Emballages Richards a déposé, concernant certains éléments du brevet canadien no 2, 207, 045, une renonciation formulée en ces termes au sujet des revendications 15 à

21 : […]

 

14. Par son emploi, sa fabrication, sa commercialisation, sa mise en vente et sa vente du produit DISTRIMEDIC, et par son incitation à ces divers emplois du produit en question, la demanderesse risque de violer et a violé effectivement le droit exclusif d’Emballages Richards découlant des revendications 1 à 28 du brevet canadien no 2,207,045, avant le dépôt de la renonciation, et des revendications 1 à 15 et 17 à 28 du brevet canadien no 2,207,045, selon la formulation adoptée après la renonciation, la demanderesse continuant par ailleurs à violer ces droits exclusifs.

 

18. La défenderesse Emballages Richards (demanderesse reconventionnelle) sollicite :

 

a) une déclaration confirmant la validité du brevet canadien no 2,207,045 et des actuelles revendications 1 à 15 et 17 à 28 dudit brevet ainsi que des revendications 1 à 28 du brevet canadien no 2,207,045 avant le dépôt de la revendication;

[…]

 

c) une déclaration portant que Distrimedic, Robert Poirier (Poirier) et Claude Filiatrault (Filiatrault) :

(i) risquent de contrefaire et ont effectivement contrefait les actuelles revendications 1 à 15 et 17 à 28 du brevet canadien no 2,207,045 et, avant le dépôt de la renonciation visant certains éléments du brevet canadien no 2,207,045, risquaient de contrefaire et avaient effectivement contrefait les revendications 1 à 14 et 22 à 28 ainsi que les revendications antérieures 15 à 31 du brevet canadien no 2,207,045.

 

32. Filiatrault et Poirier ont fait en sorte que Distrimedic fabrique, emploie, commercialise, mette en vente et vende le produit DISTRIMEDIC et, par leur encouragement et leur incitation à faire de ce produit un tel emploi, Filiatrault, Poirier et Distrimedic risquaient de violer et ont effectivement violé le droit exclusif de la défenderesse Emballages Richards (demanderesse reconventionnelle) découlant des revendications 1 à 28 du brevet canadien no 2,207,045 avant le dépôt de la renonciation et des revendications 1 à 15 et 17 à 28 du brevet canadien no 2,207,045 selon la formulation adoptée après le dépôt de la renonciation, Filiatrault, Poirier et Distrimedic continuant d’ailleurs de violer ces droits exclusifs.

 

 

[48]           Le protonotaire Morneau a ordonné la radiation, en vertu des alinéas 221(1)b) et c) des Règles, des mentions de la renonciation qui sont faites au paragraphe 13 ainsi que dans les passages soulignés du paragraphe 14, de l’alinéa 18a), du sous‑alinéa 18c)(i) et du paragraphe 32 parce qu’elles sont frivoles et non pertinentes.

 

[49]           Selon le critère applicable, un acte de procédure peut être radié s’il est évident et manifeste qu’il ne révèle aucune cause d’action valable. Autrement dit, pour ordonner la radiation d’un acte de procédure, la Cour doit être convaincue que le texte en question ne révèle aucune cause d’action ayant quelque chance d’être accueillie (Operation Dismantle c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441). Le critère permettant d’ordonner la radiation d’un acte de procédure jugé frivole ou vexatoire, ou considéré comme un abus de procédure, est tout aussi exigeant que celui qui permet d’ordonner la radiation d’une déclaration (Waterside Ocean Navigation Co. c. International Navigation Ltd., [1977] 2 C.F. 257).

 

[50]           Ainsi que l’a rappelé la juge Tremblay‑Lamer dans l’affaire Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1996), 68 C.P.R. (3d) 23 (C.F. 1re inst.), le critère qui permet d’ordonner la radiation d’un acte de procédure est extrêmement rigoureux :

En conclusion, j’aimerais réitérer que la radiation de plaidoiries constitue une mesure draconienne. Il se peut que les défenderesses n’aient pas de solides arguments à faire valoir à l’égard de certaines des questions que soulèvent les demanderesses dans leur requête. Toutefois, à mon avis, le critère est strict : lorsqu’une prétention renferme ne serait‑ce qu’une mince chance de succès, une cour ne devrait pas la radier. Comme l’a souligné l’avocat de la défenderesse Apotex, il ne s’agit pas d’un mini-procès ni d’une procédure par voie de jugement sommaire dans le cadre de laquelle j’aurais pu résoudre certaines des questions. Il ressort clairement de la jurisprudence que ces questions doivent être résolues au‑delà de tout doute. Malgré les arguments valables des avocats de la demanderesse Wellcome, je n’ai pas été convaincue qu’il y a une absence de substance suffisante pour justifier le recours à cette mesure draconienne, enlevant ainsi aux demanderesses l’occasion de plaider.

 

 

[51]           Le fardeau de la preuve qui incombe à la partie qui sollicite la radiation d’un acte de procédure est très lourd (Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd. (2005), 44 C.P.R. (4th) 23 (C.F.), paragraphe 31, conf. par 47 C.P.R. (4th) 328 (C.A.F.)).

 

[52]           Quant au manque de pertinence, la Cour refusera généralement de radier les « parties en trop » d’une déclaration qui ne sont pas préjudiciables (Apotex Inc. c. Glaxo Group Ltd., 2001 CFPI 1351). En cas de doute, il convient d’autoriser l’acte de procédure afin que le juge du fond puisse prendre connaissance de tout élément de preuve pertinent invoqué à l’appui de l’acte de procédure (Apotex Inc. c. Glaxo Group Ltd., 2001 CFPI 1351). En l’espèce, les passages mentionnant la renonciation ne constituent pas nécessairement des « parties en trop » qui ne sont préjudiciables; ces mentions sont néanmoins non pertinentes étant donné que, pour l’instant, la renonciation n’a pas été admise et enregistrée par l’OPIC et que, par conséquent, elle ne devrait pas faire partie de la défense et demande reconventionnelle.

 

[53]           En ce qui concerne la frivolité, l’action frivole s’entend aussi d’une action dans laquelle les actes de procédure font état de si peu de faits que le défendeur ne sait comment y répondre (Kisikawpimootewin c. Canada, 2004 CF 1426). De plus, le critère du caractère manifeste et évident de la chose s’applique également à la frivolité (Sweet c. Canada (1999), 249 N.R. 17 (C.A.F.), paragraphe 6).

 

[54]           Le protonotaire Morneau a eu raison de conclure que, tant que la Cour ne s’est pas prononcée, dans le cadre du contrôle judiciaire (T‑92‑06), sur la question de la renonciation présumée, il n’y a pas de renonciation valable susceptible d’être invoquée en l’espèce. Cela étant, le protonotaire Morneau a conclu à juste titre que les paragraphes et les passages en question de la défense et demande reconventionnelle devaient être radiés.

 

[55]           La demande de contrôle judiciaire qui a été déposée devant la Cour (T‑92‑06) offre à Richards un recours contre la décision rendue par le commissaire à l’égard de la renonciation. Si Richards obtient gain de cause dans le cadre de cette procédure de contrôle judiciaire, elle pourra demander à la Cour l’autorisation de modifier ses actes de procédure afin de réintroduire, dans sa défense et demande reconventionnelle, les allégations fondées sur la renonciation.

 

[56]           La Cour convient avec le protonotaire Morneau que, tant que la question de la validité et de l’effet de la renonciation n’aura pas été tranchée par la Cour, les mentions de cette renonciation doivent être radiées de la défense et demande reconventionnelle en vertu des alinéas 221(1)b) et c) des Règles des Cours fédérales parce qu’elles sont frivoles et non pertinentes.

 

Radiation des mentions de la contrefaçon de marque de commerce

[57]           Les passages en question figurent aux sous‑alinéas 18c)(iii), 18c)(v), 18c)(vi), 18d)(iii), 18d)(iv), 18d)(viii), 18d)(ix) et 45(i), (ii), (iv) de la défense et demande reconventionnelle, et sont formulés en ces termes :

[traduction

18. La défenderesse Emballages Richards (demanderesse reconventionnelle) sollicite :

 

c) une déclaration portant que Distrimedic, Robert Poirier (Poirier) et Claude Filiatrault (Filiatrault) :

 

[…]

 

(iii) risquaient de violer et violent effectivement les droits exclusifs de la défenderesse Emballages Richards (demanderesse reconventionnelle) sur l’enregistrement no 547,764 de la marque de commerce DISPILL, en liaison avec un distributeur de pilules permettant de trier les pilules, cachets ou comprimés (la marque de commerce DISPILL);

               

[…]

 

(v) ont fait passer leur entreprise, leurs marchandises et services, pour l’entreprise, les marchandises et services de la défenderesse Emballages Richards (demanderesse reconventionnelle);

 

(vi) ont employé la marque de commerce DISPILL d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce DISPILL;

 

[…]

 

d)(iii) vendent, annoncent ou emploient autrement au Canada, en liaison avec leurs activités commerciales, services ou marchandises, la marque de commerce DISPILL, ou les marques de commerce Label Colour d’Emballages Richards telles que définies ci‑dessous, ou toute autre marque de commerce, dénomination sociale ou appellation commerciale créant de la confusion avec les marques de commerce Label Colour d’Emballages Richards;

 

[…]

 

d)(iv) ont violé les droits exclusifs de la défenderesse Emballages Richards (demanderesse reconventionnelle) à l'emploi de la marque de commerce DISPILL;

 

[…]

 

d)(viii) ont employé la marque de commerce DISPILL ou toute autre marque de commerce créant de la confusion avec la marque de commerce DISPILL d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce DISPILL;

 

d)(ix) se sont approprié les avantages découlant de la réputation et de l’achalandage qu’Emballages Richards s’est constitué en liaison avec la marque de commerce DISPILL;

 

[...]

 

45. Pour les raisons susmentionnées, Distrimedic, Poirier et Filiatrault :

 

i) ont violé et, en vertu de l’article 20 de la Loi sur les marques de commerce, sont réputés avoir violé le droit exclusif d’Emballages Richards à l’emploi de la marque de commerce DISPILL au Canada;

 

(ii) ont employé la marque de commerce DISPILL d’une manière susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage qui lui est attaché, violant ainsi le droit et le paragraphe 22(1) de la Loi sur les marques de commerce;

 

[…]        

 

(iv) en violation de l’alinéa 7c), ont abusivement fait passer leurs activités commerciales, services et marchandises pour les activités commerciales, services et marchandises de la défenderesse Emballages Richards (demanderesse reconventionnelle);

 

 

[58]           Selon le protonotaire Morneau, il convient d’ordonner, en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, la radiation de ces paragraphes et passages parce qu'ils ne révèlent aucune cause d’action ou de défense valable.

 

[59]           On considère qu’il n’y a pas de cause d’action valable quand aucun fait matériel n’est allégué à l’encontre du défendeur (Chavali c. Canada, 2002 CAF 209, confirmant 2001 CFPI 268). En l’espèce, les intimés font à bon droit valoir que Richards n’a invoqué aucun fait matériel pour étayer ses allégations de contrefaçon de marque de commerce.

 

1. Arguments concernant la contrefaçon de la marque de commerce déposée DISPILL

[60]           Il y a violation d’un droit exclusif lorsque le contrefacteur allégué a employé la marque de commerce déposée ou a vendu, distribué ou annoncé des marchandises ou services en liaison avec cette marque de commerce de manière à créer de la confusion.

 

[61]           Dans toute action en contrefaçon de marque de commerce, la partie demanderesse doit invoquer des faits matériels démontrant que la partie défenderesse a employé la marque de commerce en question dans les conditions définies au paragraphe 4(1) de la Loi sur les marques de commerce quant aux cas où la marque de commerce est réputée avoir été employée :

[traduction] La notion d’« emploi » est fondamentale en droit des marques de commerce et constitue un des concepts essentiels de la Loi sur les marques de commerce. La notion d’emploi intervient notamment en ce qui a trait à l’enregistrement, la contrefaçon et la diminution de la valeur de l’achalandage. Cependant, ce mot n’a pas nécessairement le même sens dans chacun de ces cas. En effet, pour établir la contrefaçon, il faut : 1) que l’emploi de la marque de commerce par la partie défenderesse corresponde aux conditions permettant de conclure, aux termes de l’article 4, que la marque de commerce est réputée employée; et 2) que la marque en question ait effectivement été employée comme marque de commerce. (Fox on Canadian Law of Trade‑marks and Unfair Competition, 4e éd., Toronto (Ont.), Thomson Carswell, 2005, pages 7‑8)

 

 

[62]           L’article 4 de la Loi sur les marques de commerce donne de l’emploi d’une marque de commerce la définition suivante :

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquelles ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

 

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

[…]

4. (1) A trade‑mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person whom the property or possession is transferred.

 

 

 

(2) A trade‑mark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of those services.

 

 

[63]           Il ne saurait donc y avoir emploi d’une marque de commerce en liaison avec des marchandises s’il n’y a pas transfert des marchandises en question :

[traduction] Selon le paragraphe 4(1), pour qu’une marque de commerce puisse être réputée avoir été employée en liaison avec des marchandises, la marque en question doit être apposée sur les marchandises ou sur l’emballage ou si elle est, de toute autre manière, « liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée ». L'apposition de la marque de commerce sur les marchandises elles‑mêmes est la manière la plus facile de se conformer aux conditions d’emploi, mais il n’est pas nécessaire de procéder ainsi. Si la marque de commerce n’est pas apposée sur les marchandises ou sur leurs emballages, il faut faire savoir à la personne à qui les marchandises sont transférées qu’il existe effectivement un lien entre la marque et les marchandises. Cet avis peut revêtir diverses formes, mais il doit être également donné au moment même où les marchandises sont transférées. (Fox on Canadian Law of Trade‑marks and Unfair Competition, op. cit., page 3‑49)

 

 

[64]           Le transfert de marchandises signifie le transfert de la possession de ces marchandises :

[traduction] Pour qu’une marque soit réputée employée au moment du transfert, il faut qu’il y ait également transfert de la possession des marchandises. La signature d’un contrat ou la passation d’une commande en vue de la livraison des marchandises ne sont pas considérées comme donnant lieu à l’emploi de la marque; il n’y a pas emploi de la marque tant qu’il n’y a pas transfert de la possession […] (Fox on Canadian Law of Trade‑marks and Unfair Competition, op. cit., page 3‑55)

 

 

[65]           Dans ses observations écrites, Richards mentionne l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec des « services » mais, dans la défense et demande reconventionnelle, il n’est nulle part question des « services » offerts par les défendeurs reconventionnels. La notion d’emploi d’une marque de commerce en liaison avec des services ne peut donc pas être retenue en l’espèce. Néanmoins, il n’est pas allégué que des faits matériels établissent l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec des services et il n’est pas non plus allégué que des services sont assurés ou annoncés par les défendeurs reconventionnels.

 

[66]           Les actes de procédure ne font état d’aucun fait matériel indiquant l’emploi de la marque de commerce déposée DISPILL ou indiquant que les défendeurs reconventionnels ont vendu, distribué ou annoncé des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial de manière à créer de la confusion avec la marque de commerce déposée DISPILL.

 

2. Arguments fondés sur l’alinéa 7c) de la Loi sur les marques de commerce

[67]           La cause d’action que décrit l’alinéa 7c) de la Loi sur les marques de commerce est la codification de l’action pour commercialisation trompeuse fondée sur la common law (Fox on Canadian Law of Trade‑marks and Unfair Competition, op. cit., page 4‑15).

 

[68]           Toute action fondée sur l’alinéa 7c) de la Loi sur les marques de commerce doit répondre aux conditions suivantes :

[Traduction] […] Il y a commercialisation trompeuse lorsque, en réponse à une commande visant manifestement les marchandises de la partie demanderesse, la partie défenderesse, sans fournir la moindre explication, envoie des marchandises correspondantes, fabriquées par elle ou par quelqu’un d’autre, sans chercher à savoir si la personne ayant passé la commande entendait effectivement obtenir les marchandises de la partie demanderesse, ou simplement des marchandises équivalentes. Cependant, pour établir qu’il y a substitution frauduleuse pour commercialisation trompeuse, il faut que la commande ait clairement prévu la livraison des marchandises de la partie demanderesse et aucune autre. Il doit être clair que le détaillant a été informé des articles effectivement demandés, et que d’autres marchandises ont été substituées à celles qui avaient été commandées. Il n’y a pas substitution abusive de marchandises ou de services si l’acheteur est prévenu que les marchandises ou services commandés ne sont pas disponibles et qu’il accepte qu’on lui en livre d’autres. (Fox on Canadian Law of Trade‑marks and Unfair Competition, op. cit., page 4‑16)

 

 

[69]           Les parties des actes de procédure concernant l'allégation de commercialisation trompeuse ne font état d’aucun des faits matériels nécessaires pour étayer une telle allégation. Il y a donc lieu, effectivement, de radier les paragraphes et passages reproduits plus haut étant donné qu’ils ne révèlent aucune cause d’action valable.

 

3. Arguments fondés sur l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce

[70]           Pour satisfaire au critère justifiant une action fondée sur l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce, la partie demanderesse doit alléguer que la partie défenderesse a employé sa marque de commerce déposée :

[Traduction] Pour obtenir gain de cause dans une action fondée sur l’article 22, la partie demanderesse doit d’abord démontrer que la partie défenderesse a effectivement employé sa marque de commerce déposée. Selon les tribunaux, il faut pour cela que le comportement de la partie défenderesse corresponde à la notion d’emploi définie à l’article 3 […]

 

Si l’emploi, par la partie défenderesse, de la marque de commerce déposée de la demanderesse correspond effectivement aux conditions dans lesquelles, selon les termes de l’article 4, une marque de commerce est réputée employée, la première condition justifiant une action fondée sur l’article 22 est remplie. Les tribunaux considèrent cependant que l’emploi de la marque par la partie défenderesse doit correspondre de manière précise à ce que prévoit l’enregistrement, soit que la marque ait été déposée en liaison avec des marchandises ou des services. Si la marque de commerce de la partie demanderesse n’est déposée qu’en liaison avec des marchandises, l’emploi de la marque par la défenderesse doit correspondre à ce que le paragraphe 4(1) prévoit en matière d’emploi en liaison avec des marchandises. Autrement dit, si la partie défenderesse emploie la marque de commerce de la partie demanderesse uniquement dans sa publicité, cet emploi de la marque ne constituera pas un emploi aux fins de l’article 22 si la marque de commerce a été déposée uniquement en liaison avec des marchandises […] (Fox on Canadian Law of Trade‑marks and Unfair Competition, op. cit., page 7‑23)

 

[71]           Comme nous avons pu le voir plus haut, Richards n’a avancé aucun fait matériel établissant que les défendeurs reconventionnels auraient employé la marque de commerce déposée DISPILL. Les paragraphes et passages reproduits plus haut doivent par conséquent être radiés puisqu’ils ne révèlent aucune cause d’action valable.

 

[72]           Je conviens que, selon le critère de ce qui est clair et évident, tel qu’appliqué par le protonotaire Morneau, le texte des sous‑alinéas 18c)(iii), 18c)(v) et 18c)(vi), les passages du sous‑alinéa 18d)(iii) qui sont soulignés dans l’avis de requête et les sous‑alinéas 18d)(iv), 18d)(vii), 18d)(viii), 18d)(ix), 45(i), 45(ii) et 45(iv) de la défense et demande reconventionnelle ne révèlent aucune cause d’action valable puisqu’ils ne font état d’aucun fait matériel de nature à établir une violation de la Loi sur les marques de commerce et une contrefaçon de la marque de commerce DISPILL. Ces passages devraient donc être radiés en application de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales.

 

CONCLUSION

[73]           La Cour estime qu’en décidant que les passages de la défense et demande reconventionnelle de Richards faisant état de la renonciation doivent, en vertu des alinéas 221(1)b) et c) des Règles des Cours fédérales, être radiés parce qu’ils sont frivoles et non pertinents, le protonotaire Morneau n’a commis aucune erreur de droit.

 

[74]           La Cour estime en outre que le protonotaire Morneau n’a commis aucune erreur de droit en ordonnant, en vertu de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, la radiation de certains paragraphes de la défense et demande reconventionnelle dans lesquels il est allégué qu’il y a eu contrefaçon de marque de commerce, parce qu'ils ne révèlent aucune cause d’action valable.

 

[75]           Par conséquent, la requête en appel de l’ordonnance du protonotaire Morneau en date du 29 juillet 2006 est rejetée avec dépens.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

1.      La présente requête en appel est rejetée.

2.      Les dépens sont adjugés à l’intimée.

 

 

         « Max M. Teitelbaum »        

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


                                                       COUR FÉDÉRALE

 

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                 T‑1591‑05

 

INTITULÉ :                                                                DistrimEDic inc.

                                                                                     c.

DISPILL INC. et EMBALLAGES RICHARDS INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                        LE 14 AOÛT 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                LE JUGE TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                                               LE 17 OCTOBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Louis Gratton                                                                POUR LA DEMANDERESSE

 

Dale Schlosser                                                               POUR LES DÉFENDERESSES

Shane Hardy                                

                             

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                       

 

Ogilvy Renault

Montréal (Québec)                                                        POUR LA DEMANDERESSE                      

 

Lang Michener LLP

Toronto (Ontario)                                                          POUR LES DÉFENDERESSES

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