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Date : 20061012

Dossier : T-90-01

Référence : 2006 CF 1201

Ottawa (Ontario), le 12 octobre 2006

En présence de Monsieur le juge Beaudry

 

ENTRE :

MERCK FROSST CANADA LTÉE

demanderesse 

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

(version publique)

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 44 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R. 1985, c. A-1 (la Loi) à l’encontre d’une décision du défendeur datant du 2 janvier 2001 et ayant trait à la divulgation de documents afférents à la Présentation de Drogue Nouvelle (la PDN) de SINGULAIR® (Singulair), une drogue élaborée par la demanderesse pour le traitement de l’asthme. La demanderesse demande à cette Cour d’émettre une ordonnance déclaratoire à l’encontre de la légalité du processus suivi par le demandeur lors du traitement de la demande d’accès, ainsi qu’une ordonnance en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi interdisant la communication de la documentation visée par la décision contestée.

 

I.          Questions en litige

[2]               Les questions soulevées par les parties sont les suivantes :

  1. La demanderesse est-elle en droit d’obtenir une ordonnance déclaratoire à l’encontre de la légalité du processus suivi par le défendeur lors du traitement de la demande d’accès?
  2. Si la réponse à la question précédente est affirmative, le processus suivi par le défendeur lors du traitement de la demande d’accès est-il conforme à la Loi?
  3. La décision du défendeur de communiquer les documents visés par la demande d’accès est-elle conforme aux exceptions prévues au paragraphe 20(1) de la Loi?

 

II.        Contexte factuel

[3]               Le 19 juillet 2000, le défendeur reçoit d’un tiers (le tiers demandeur) une demande d’accès à l’information en vertu de l’article 4 de la Loi visant la documentation concernant la PDN de Singulair.

 

[4]               La PDN, en vertu du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. ch. 870, permet à une compagnie pharmaceutique d’obtenir l’autorisation de commercialiser une drogue nouvelle après avoir convaincu le défendeur de son efficacité, de son innocuité et de sa qualité.

 

[5]               Les éléments visés par la demande sont les suivants :

Notice of Compliance, Comprehensive Summary, Reviewer’s Notes and any correspondence between Health Canada and Merck Frosst regarding the review of the New Drug Submission for SINGULAIR Tablet and Chewable Tablets.

 

 

 

[6]               Mme Margery Snider, du département de coordination de l’accès à l’information du Ministère de la santé, assemble 547 pages de documentation. Ces documents furent ensuite transmis à Mme Merry Joy Bujaki et M. Ian Dobson, agents d’Évaluation de l’information scientifique et de propriété au sein de la Direction des produits thérapeutiques, qui dépend de la Direction générale des produits de santé et des aliments.

 

[7]               La documentation rassemblée peut être divisée en quatre parties :

  1. L’avis de conformité (Notice of Compliance);
  2. Le sommaire général (Comprehensive Summary);
  3. Notes des examinateurs (Reviewer’s Notes);
  4. Correspondance entre les parties.

 

[8]               Mme Bujaki et M. Dobson examinent dans un premier temps les documents et soumettent le 14 août 2000 des recommandations quant à l’information contenue dans les documents qui ne devrait pas être divulguée en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi.

 

[9]               Ils fournissent également des recommandations quant aux documents qu’ils estiment susceptibles d’être communiqués directement au tiers demandeur, car ils ne tombent sous aucune exception prévue par la Loi.

 

[10]           Le 16 août 2000, les représentants du défendeur élaguent quelques passages de la documentation, croyant que le paragraphe 20(1) de la Loi s’applique. Sur 547 pages, seules 32 contiennent des passages qui sont élagués en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi à ce stade du traitement de la demande.

 

[11]           En attendant les observations de la demanderesse suite à l’avis envoyé en vertu de l’article 27 de la Loi, le défendeur s’abstient de communiquer directement la majeure partie de la documentation au tiers demandeur.

 

[12]           Cependant, une vingtaine de pages de documentation est communiquée sans avis à la demanderesse, car le défendeur considère qu’aucune exception ne s’applique à ces pages.

 

[13]           Dans la lettre envoyée par Mme Snider à la demanderesse le 16 août 2000 au nom du défendeur, sont incluses 525 pages de documents (numérotées de 1 à 547). Cette dernière invite la demanderesse à lui fournir des observations quant aux raisons qui justifieraient un refus de communication totale ou partielle en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi dans les 20 jours de la transmission de cet avis.

 

[14]           La demanderesse obtient une extension de délai pour répondre jusqu’au 25 septembre 2000.

 

[15]           Le 11 septembre 2000, cette dernière reçoit par télécopieur une copie de la vingtaine de pages de documents qui ont été transmis directement au tiers demandeur sans qu’un avis ait été envoyé à la demanderesse.

 

[16]           Le 25 septembre 2000, la demanderesse répond à l’avis du défendeur. Les points saillants de ses représentations peuvent se résumer ainsi :

-         la demanderesse s’oppose en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi à la communication de la totalité de la documentation qui lui a été transmise le 16 août 2000, ainsi qu’à la communication de la vingtaine de pages qui a déjà été transmise au tiers demandeur sans avis.

-         la demanderesse s’objecte au processus suivi par le demandeur lors du traitement initial de la demande d’accès, faisant valoir qu’il n’est pas conforme à la Loi. La demanderesse soutient que le paragraphe 20(1) impose au défendeur l’obligation de procéder à un examen véritable et sérieux (« genuine and thorough ») de la documentation au lieu de la transmettre en vrac à la demanderesse afin qu’elle accomplisse ce travail à l’intérieur d’un délai très court.

-         la demanderesse fournit au défendeur la monographie du produit Singulair, qui est disponible dans le domaine public et qui est envoyé à tous les professionnels de la santé. Elle lui envoie aussi 75 articles scientifiques dont la publication a été contrôlée par la demanderesse et lui suggère de communiquer au tiers demandeur ces documents.

 

[17]           Le 19 octobre 2000, le défendeur reçoit de la demanderesse une copie annotée de la documentation transmise le 16 août 2000. Les annotations correspondent aux représentations du 25 septembre 2000.

 

[18]           Cette documentation annotée ainsi que la lettre du 25 septembre 2000 sont transmises à Mme Bujaki qui les analyse.

 

[19]           Le 2 janvier 2001, la demanderesse reçoit du défendeur un avis en vertu de l’article 28 de la Loi lui faisant part de sa décision de communiquer les documents qu’il a élagué suite aux représentations de la demanderesse. La documentation accompagnant cet avis comporte alors 335 pages où des informations sont retranchées et ce, de manière nettement plus imposante que dans la documentation accompagnant la lettre du 16 août 2000.

 

[20]           Cependant, le défendeur informe également la demanderesse que plusieurs de ses représentations ne sont pas assez spécifiques ou détaillées pour justifier l’exclusion du reste de la documentation en vertu du paragraphe 20(1).

 

[21]           La demanderesse dépose alors devant cette Cour le 19 janvier 2001, la présente demande de contrôle judiciaire pour contester la décision du 2 janvier 2001.

 

III.       Bref historique des procédures

A.        Cour fédérale

[22]           Cette demande de contrôle judiciaire a été entendue une première fois par le juge Harrington en 2004 (Merck Frosst Canada & Co. c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CF 959, [2005] 1 R.C.F. 587).

 

[23]           Le juge Harrington accueillit la demande de contrôle judiciaire en partie et conclut que le défendeur était tenu, en vertu du paragraphe 20(1) de refuser de communiquer la totalité du sommaire général, des notes des examinateurs et la correspondance. Bien qu’une partie de l’information contenue dans ces trois parties de la documentation fût disponible dans le domaine public sous une autre forme, il considéra que cette information n’était pas disponible « comme telle », et qu’elle restait donc confidentielle.

 

[24]           Il décida cependant que la divulgation de l’avis de conformité ne contrevenait pas au paragraphe 20(1) de la Loi, et que le défendeur avait le droit de le communiquer directement au tiers demandeur sans consulter la demanderesse.

 

[25]           Il en arriva aussi à la conclusion que le défendeur n’aurait pas dû communiquer certains documents au tiers demandeur sans avis préalable à la demanderesse, et cette dernière était en droit d’obtenir une ordonnance déclaratoire à cet effet.

 

B.         Cour d’appel fédérale

[26]           La Cour d’appel fédérale infirma l’ordonnance du juge Harrington (Merck Frosst Canada & Co. c. Canada (Ministre de Santé), 2005 CAF 215, [2006] 1 R.C.F. 379).

 

[27]           Sous la plume du juge Desjardins, cette Cour conclut que le juge Harrington avait erré en droit au paragraphe 53 de ses motifs en décidant que pour que la documentation sollicitée perde son caractère confidentiel, elle devait se retrouver telle quelle dans le domaine public.

 

[28]           La Cour d’appel affirma que le caractère confidentiel de l’information protégée par l’alinéa 20(1)(b) de la Loi a trait au fond et à la substance de cette information et non à la forme qu’elle prend. Ainsi, dès qu’une information est disponible dans le domaine public, elle perd son caractère confidentiel sans égard aux différences éventuelles entre la forme qu’elle prend dans la documentation qu’une institution fédérale a en sa possession et celle qui est retrouvée dans le domaine public.

 

[29]            La Cour d’appel déclara également que les notes des réviseurs ne pouvaient être protégées par l’alinéa 20(1)(b) de la Loi, car elles émanent du défendeur et l’alinéa 20(1)(b) ne protège que la documentation émanant du tiers concerné par la demande.

 

[30]           Finalement, la Cour d’appel retourna le dossier devant cette Cour en vertu de l’alinéa 52(b)(ii) de la Loi sur les Cours fédérales, R.S.C. 1985. c. F-7 pour une nouvelle détermination par un autre juge en lui imposant de tenir compte de ses motifs.

 

IV.       Dispositions législatives pertinentes

[31]           Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

20. (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

 

a) des secrets industriels de tiers;

 

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

 

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

 

 

d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d’autres fins.

 

20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

 

 

(a) trade secrets of a third party;

 

 

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

 

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; or

 

(d) information the disclosure of which could reasonably be expected to interfere with contractual or other negotiations of a third party.

 

25. Le responsable d’une institution fédérale, dans les cas où il pourrait, vu la nature des renseignements contenus dans le document demandé, s’autoriser de la présente loi pour refuser la communication du document, est cependant tenu, nonobstant les autres dispositions de la présente loi, d’en communiquer les parties dépourvues des renseignements en cause, à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problèmes sérieux.

 

25. Notwithstanding any other provision of this Act, where a request is made to a government institution for access to a record that the head of the institution is authorized to refuse to disclose under this Act by reason of information or other material contained in the record, the head of the institution shall disclose any part of the record that does not contain, and can reasonably be severed from any part that contains, any such information or material.

27. (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale qui a l’intention de donner communication totale ou partielle d’un document est tenu de donner au tiers intéressé, dans les trente jours suivant la réception de la demande, avis écrit de celle-ci ainsi que de son intention, si le document contient ou s’il est, selon lui, susceptible de contenir :

 

a) soit des secrets industriels d’un tiers;

 

b) soit des renseignements visés à l’alinéa 20(1)b) qui ont été fournis par le tiers;

 

c) soit des renseignements dont la communication risquerait, selon lui, d’entraîner pour le tiers les conséquences visées aux alinéas 20(1)c) ou d).

 

La présente disposition ne vaut que s’il est possible de rejoindre le tiers sans problèmes sérieux.

27. (1) Where the head of a government institution intends to disclose any record requested under this Act, or any part thereof, that contains or that the head of the institution has reason to believe might contain

 

 

 

 

 

 

 

(a) trade secrets of a third party,

 

 

(b) information described in paragraph 20(1)(b) that was supplied by a third party, or

 

(c) information the disclosure of which the head of the institution could reasonably foresee might effect a result described in paragraph 20(1)(c) or (d) in respect of a third party, the head of the institution shall, subject to subsection (2), if the third party can reasonably be located, within thirty days after the request is received, give written notice to the third party of the request and of the fact that the head of the institution intends to disclose the record or part thereof.

 

28. (1) Dans les cas où il a donné avis au tiers conformément au paragraphe 27(1), le responsable d’une institution fédérale est tenu :

 

 

a) de donner au tiers la possibilité de lui présenter, dans les vingt jours suivant la transmission de l’avis, des observations sur les raisons qui justifieraient un refus de communication totale ou partielle du document;

 

b) de prendre dans les trente jours suivant la transmission de l’avis, pourvu qu’il ait donné au tiers la possibilité de présenter des observations conformément à l’alinéa a), une décision quant à la communication totale ou partielle du document et de donner avis de sa décision au tiers.

 

 

(2) Les observations prévues à l’alinéa (1)a) se font par écrit, sauf autorisation du responsable de l’institution fédérale quant à une présentation orale.

 

 

 

 

(3) L’avis d’une décision de donner communication totale ou partielle d’un document conformément à l’alinéa (1)b) doit contenir les éléments suivants :

 

a) la mention du droit du tiers d’exercer un recours en révision en vertu de l’article 44, dans les vingt jours suivant la transmission de l’avis;

 

b) la mention qu’à défaut de l’exercice du recours en révision dans ce délai, la personne qui a fait la demande recevra communication totale ou partielle du document.

 

28. (1) Where a notice is given by the head of a government institution under subsection 27(1) to a third party in respect of a record or a part thereof,

 

 

(a) the third party shall, within twenty days after the notice is given, be given the opportunity to make representations to the head of the institution as to why the record or the part thereof should not be disclosed; and

 

 

(b) the head of the institution shall, within thirty days after the notice is given, if the third party has been given an opportunity to make representations under paragraph (a), make a decision as to whether or not to disclose the record or the part thereof and give written notice of the decision to the third party.

 

(2) Representations made by a third party under paragraph (1)(a) shall be made in writing unless the head of the government institution concerned waives that requirement, in which case they may be made orally.

 

(3) A notice given under paragraph (1)(b) of a decision to disclose a record requested under this Act or a part thereof shall include

 

 

(a) a statement that the third party to whom the notice is given is entitled to request a review of the decision under section 44 within twenty days after the notice is given; and

(b) a statement that the person who requested access to the record will be given access thereto or to the part thereof unless, within twenty days after the notice is given, a review of the decision is requested under section 44.

 

(4) Dans les cas où il décide, en vertu de l’alinéa (1)b), de donner communication totale ou partielle du document à la personne qui en a fait la demande, le responsable de l’institution fédérale donne suite à sa décision dès l’expiration des vingt jours suivant la transmission de l’avis prévu à cet alinéa, sauf si un recours en révision a été exercé en vertu de l’article 44.

(4) Where, pursuant to paragraph (1)(b), the head of a government institution decides to disclose a record requested under this Act or a part thereof, the head of the institution shall give the person who made the request access to the record or the part thereof forthwith on completion of twenty days after a notice is given under that paragraph, unless a review of the decision is requested under section 44.

 

44. (1) Le tiers que le responsable d’une institution fédérale est tenu, en vertu de l’alinéa 28(1)b) ou du paragraphe 29(1), d’aviser de la communication totale ou partielle d’un document peut, dans les vingt jours suivant la transmission de l’avis, exercer un recours en révision devant la Cour.

44. (1) Any third party to whom the head of a government institution is required under paragraph 28(1)(b) or subsection 29(1) to give a notice of a decision to disclose a record or a part thereof under this Act may, within twenty days after the notice is given, apply to the Court for a review of the matter.

 

51. La Cour, dans les cas où elle conclut, lors d’un recours exercé en vertu de l’article 44, que le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication totale ou partielle d’un document, lui ordonne de refuser cette communication; elle rend une autre ordonnance si elle l’estime indiqué.

51. Where the Court determines, after considering an application under section 44, that the head of a government institution is required to refuse to disclose a record or part of a record, the Court shall order the head of the institution not to disclose the record or part thereof or shall make such other order as the Court deems appropriate.

 

 

V.        Arguments des parties

1.                  La demanderesse est-elle en droit d’obtenir une ordonnance déclaratoire à l’encontre de la légalité du processus suivi par le défendeur lors du traitement de la demande d’accès?

[32]           La demanderesse conteste deux éléments émanant du processus suivi par le défendeur lors du traitement de la demande d’accès. Elle s’oppose d’abord à la décision du 16 août 2000 de communiquer des documents au tiers demandeur sans consultation préalable. Elle s’insurge également contre le fait que le défendeur lui ait imposé le fardeau de démontrer pourquoi la communication des documents devrait être refusée en vertu du paragraphe 20(1) sans qu’il ne procède lui-même à un examen véritable et sérieux de la documentation avant d’envoyer l’avis en vertu de l’article 27.

 

A.        La décision du 16 août 2000

(1)        Le défendeur

[33]           Le défendeur soutient que sa décision du 16 août 2000 échappe au pouvoir de contrôle judiciaire de cette Cour.

 

[34]           Sur le plan procédural, le défendeur affirme que la décision du 16 août 2000, même si elle a trait à la même demande d’accès, est distincte de la décision du 2 janvier 2001 qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[35]           Selon le défendeur, la demanderesse tente donc d’obtenir le contrôle judiciaire de deux décisions dans le cadre d’une seule demande, ce qui irait à l’encontre de la règle 302 des Règles des Cours fédérales, DORS 98/106, qui dispose que « [s]auf ordonnance contraire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire ne peut porter que sur une seule ordonnance pour laquelle une réparation est demandée ».

 

[36]           Le défendeur fait également valoir que la demanderesse ne dispose d’un droit au contrôle judiciaire que suite à un avis en vertu de l’article 28 de la Loi. Comme aucun avis ne fut donné en vertu de l’article 28 à la demanderesse à l’égard de la décision du 16 août 2000, elle ne peut donc pas en demander le contrôle judiciaire en vertu de l’article 44.

 

[37]           Subsidiairement, le défendeur déclare que même si cette Cour avait la juridiction nécessaire pour entendre une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 44 de la Loi à l’encontre de la décision du 16 août 2000, la demande de contrôle judiciaire déposée par la demanderesse est largement hors-délai. Le défendeur souligne que la demanderesse n’a pas présenté de requête en prorogation de délai, et qu’elle n’a avancé aucune explication pour justifier un tel retard.

 

[38]           Toujours sur le plan procédural, le défendeur soutient que l’article 51 de la Loi ne permet pas à cette Cour d’émettre une ordonnance déclaratoire à l’encontre de la décision du 16 août 2000. L’article 51 dispose que la Cour ne peut émettre une telle ordonnance que si elle conclut d’abord que le défendeur doit refuser de communiquer la documentation. Or, le défendeur soutient que la communication de ces documents n’est pas exclue par le paragraphe 20(1) de la Loi.

 

[39]           Au niveau du mérite, le défendeur prétend que cette Cour ne devrait pas se pencher sur la légalité de la décision du 16 août 2000, car, les documents ont déjà été communiqués au tiers demandeur. Il ne s’agirait que d’un exercice théorique. L’émission d’une ordonnance déclaratoire portant sur la légalité de cette décision n’aurait donc aucun effet pratique sur les parties, et ne serait d’aucune utilité pour de futurs litiges.

 

(2)        La demanderesse

[40]           La demanderesse affirme vouloir éviter qu’une telle divulgation sans avis ne se reproduise, et soutient que le recours en vertu de l’article 44 de la Loi est le seul dont elle dispose. Elle déclare qu’une ordonnance déclaratoire portant sur la légalité de la décision du 16 août 2000 serait fort utile, car elle liera le défendeur dans son traitement des demandes d’accès et du processus de consultation des tiers.

 

[41]           Si cette Cour venait à conclure que la demanderesse n’était pas en droit d’obtenir une ordonnance déclaratoire portant sur la légalité de la décision du 16 août 2000, la demanderesse demande une ordonnance dont l’effet serait d’empêcher le défendeur de divulguer de l’information contenue dans une PDN sans avoir obtenu au préalable les observations du tiers concerné, conformément à l’article 27 de la Loi.

 

[42]           La Cour prend acte des arguments procéduraux avancés par le défendeur. Cependant, le fractionnement des décisions ayant trait à une même demande d’accès à l’information entraînerait une multiplication des procédures à intenter par un tiers s’opposant à la divulgation de documents. Une telle situation irait à l’encontre de la Règle 3 des Règles des Cours fédérales, qui prévoit :

 

Les présentes règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

These Rules shall be interpreted and applied so as to secure the just, most expeditious and least expensive determination of every proceeding on its merits.

 

[43]           De plus, bien qu’il s’agisse d’un exercice théorique étant donné que la communication a déjà eu lieu, les enjeux sont suffisamment sérieux pour justifier que cette Cour se prononce sur cette question.

 

[44]           J’en conclus donc que la demanderesse est en droit d’obtenir une ordonnance déclaratoire à l’encontre de la légalité de la communication de documents sans consultation le 16 août 2000.

 

B.         Le processus imposant à la demanderesse le fardeau de démontrer que le défendeur devrait refuser de communiquer les documents en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi.

(1)        Le défendeur

[45]           Le défendeur prétend que le contrôle judiciaire de la légalité du processus décisionnel serait un exercice purement théorique, car le contrôle judiciaire de la décision du responsable d’une institution fédérale en vertu de l’article 44 de la Loi se fait de novo (Air Atonabee Ltd. (f.a.s. City Express) c. Canada (Ministre des Transports), [1989] A.C.F. no 453 (1ère inst.) (QL), Aliments Prince Foods Inc. c. Canada (ministère de l’Agriculture et Agroalimentaire), [2001] A.C.F. no 144 (C.A.F.) (QL), Bacon International Inc. c. Canada (ministère de l’Agriculture et Agroalimentaire), [2002] A.C.F. no 776 (1ère inst.) (QL)).

 

[46]           Le défendeur soutient que le rôle de cette Cour est d’analyser la décision du décideur lorsque ce dernier a déterminé selon la preuve si l’un des alinéas du paragraphe 20(1) de la Loi doit recevoir application ou non. Ainsi, la Cour n’a pas à se pencher sur la légalité du processus ayant mené à la décision du 2 janvier 2001.

 

[47]           Le défendeur reprend également ici les arguments qu’il soumet en réponse au point précédent : l’article 44 de la Loi ne donne à la demanderesse que le droit au contrôle judiciaire du mérite de la décision du 2 janvier, et l’article 51 ne permet pas à cette Cour d’émettre une ordonnance déclaratoire portant sur le processus à moins qu’elle ne conclue au préalable que le défendeur doit refuser de communiquer les documents visés par la demande d’accès.

 

[48]           Or, le défendeur fait valoir que la décision du 2 janvier 2001 était correcte compte tenu des exceptions prévues au paragraphe 20(1) de la Loi.

 

(2)        La demanderesse

[49]           Selon la demanderesse, le processus suivi par le défendeur est irrégulier au point d’entacher le bien-fondé de la décision du 2 janvier 2001, si bien qu’il serait indésirable de tenter de séparer complètement le processus décisionnel de la décision en soi. Le terme « review of the matter » apparaissant à l’article 44 serait selon elle suffisamment large pour couvrir la décision et le processus décisionnel.

 

[50]           D’un point de vue pratique, le recours en vertu de l’article 44 est le seul dont dispose la demanderesse, et elle fait valoir qu’il serait dans l’intérêt de la justice que cette Cour analyse le processus suivi par le défendeur. Ainsi, le caractère de novo du présent contrôle judiciaire ne devrait pas restreindre la marge de manœuvre de cette Cour.

 

[51]           En réponse aux arguments du défendeur portant sur les articles 44 et 51 de la Loi, la demanderesse affirme que la décision du 2 janvier 2001 étant incorrecte sur le fond, et la prémisse de l’article 51 ayant été rencontrée, rien n’empêche cette Cour d’émettre une ordonnance déclaratoire à l’encontre du processus ayant mené à cette décision.

 

[52]           Après avoir longuement considéré les arguments présentés par les parties, je suis d’avis qu’il est artificiel de considérer le processus suivi par le défendeur lors du traitement d’une demande comme étant hermétiquement séparé du fond de la décision finale, au point d’en rendre l’examen sans objet dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

 

[53]           Étant donné que cette Cour conclut qu’une partie des documents visés par la demande ne devrait pas être communiquée en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi, l’article 44 de la Loi ne pose pas d’obstacle à ce que le processus et le fond de la décision soient examinés par cette Cour.

 

[54]           J’en conclus donc que la demanderesse est en droit d’obtenir une ordonnance déclaratoire à l’encontre de la légalité du processus lui imposant le fardeau de démontrer que le défendeur devrait refuser de communiquer les documents en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi.

 

2.         Si la réponse à la question précédente est affirmative, le processus suivi par le défendeur lors du traitement de la demande d’accès est-il conforme à la Loi?

A.                 La décision du 16 août 2000

(1)        La demanderesse

[55]           La demanderesse soutient que la communication de documents par le défendeur sans avis à la demanderesse est contraire à la Loi.

 

[56]           La demanderesse s’appuie sur le terme « est tenu » dans l’énoncé du paragraphe 27(1) de la Loi pour souligner l’obligation de consultation qui incombe selon elle au défendeur.

 

[57]           La demanderesse rappelle également qu’elle n’a jamais renoncé à son droit d’être consultée, comme le lui aurait permis le paragraphe 27(2) de la Loi.

 

[58]           Sur le plan de l’interprétation législative, la demanderesse affirme que l’intention du législateur apparaît clairement. Ainsi, lorsque l’institution fédérale entend refuser la divulgation, il n’y a pas besoin de consultation en vertu du paragraphe 27(1).

 

[59]           Dans ces circonstances, les droits de la demanderesse sont protégés puisqu’il n’y a pas risque de divulgation. Toutefois, si l’institution fédérale entend communiquer en tout ou en partie la documentation, la Loi et les principes d’équité procédurale exigent que la demanderesse soit avisée lui permettant ainsi de fournir ses observations.

 

[60]           Dans l’éventualité où le défendeur communique des documents confidentiels au sens de l’alinéa 20(1)(b) de la Loi, la perte du caractère confidentiel de ces documents cause un préjudice irréparable à la demanderesse et celle-ci conteste la position du défendeur selon laquelle il n’existe aucun doute quant au fait que ces documents ne sont pas couverts par le paragraphe 20(1).

 

(2)        Le défendeur

[61]           La position du défendeur est diamétralement opposée à celle de la demanderesse. Selon lui, l’énoncé du paragraphe 27(1) de la Loi énonce clairement que cet avis n’est requis que si le défendeur (« selon lui ») estime que les documents sont susceptibles de contenir des renseignements couverts par le paragraphe 20(1). En l’occurrence, le défendeur affirme qu’après la première révision de ces documents, il lui apparaissait clairement que le paragraphe 20(1) n’était pas susceptible de s’appliquer à ces documents et qu’aucun avis n’était donc requis.

 

[62]           Donc le défendeur prétend que la preuve établit sans équivoque que les documents transmis le 16 août 2000 n’étaient pas couverts par le paragraphe 20(1) de la Loi.

 

[63]           À mon avis, il est peu pertinent que les documents communiqués sans consultation préalable ne soient pas sujets à l’application du paragraphe 20(1) de la Loi. L’interprétation préconisée par le défendeur lui donnerait un pouvoir de détermination de l’inapplicabilité du paragraphe 20(1) qui serait à l’abri de toute surveillance judiciaire, et qui pourrait causer un préjudice irréparable au tiers concerné par la demande d’accès à l’information.

 

[64]           J’en conclus que la communication sans consultation de documents par le défendeur était donc contraire à l’esprit du paragraphe 20(1) de la Loi. Étant donné qu’un tel processus pourrait causer un préjudice irréparable à un tiers concerné tel que la demanderesse si le défendeur concluait à tort que le paragraphe 20(1) ne s’appliquait pas à ces documents, la communication sans consultation préalable n’aurait pas dû avoir lieu.

 

B.                 Le processus imposant à la demanderesse le fardeau de démontrer que le défendeur devrait refuser de communiquer les documents en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi.

            (1)        La demanderesse

[65]           La demanderesse fait valoir que le processus suivi par le défendeur n’est pas conforme à l’obligation que lui impose la Loi de procéder à une révision complète et sérieuse de la documentation avant d’inviter la demanderesse à fournir ses représentations.

 

[66]           Or, en omettant de remplir son devoir à cet égard, le défendeur a manqué à son obligation en imposant à la demanderesse un fardeau déraisonnable et la met dans une position qui ne permet pas l’atteinte de l’équilibre recherché en droit canadien entre l’accès à l’information détenue par l’État et la protection réelle de l’information stratégique, notamment en recherche et développement, des compagnies pharmaceutiques canadiennes.

 

[67]           La demanderesse affirme que suite à la réception de la demande d’accès, le défendeur n’a pas fait une recherche et une analyse véritable pour déterminer si l’information demandée concernant la PDN pouvait être exclue en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi.

 

[68]           Selon la demanderesse, le défendeur ne peut transférer ses responsabilités en faisant une première vérification sommaire pour ensuite exiger d’elle qu’elle lui fournisse une documentation élaguée page par page, mot à mot, sous peine de communication de la documentation si les représentations ne sont pas assez détaillées.

 

[69]           La demanderesse soutient également que le processus suivi par le défendeur est contraire à la directive du Conseil du Trésor qui régit le traitement de demandes d’accès à l’information.

 

[70]           La demanderesse prétend que les dispositions de cette directive renforcent son interprétation du paragraphe 20(1). Ainsi, la procédure d’avis au tiers en vertu de l’article 27 vise à écarter tout doute en permettant au tiers de « vérifier » la position de l’institution gouvernementale à l’égard de ce qu’elle entend divulguer. Alors, le tiers serait en mesure de procéder à cet exercice en toute connaissance de cause, pouvant alors compter sur une « première révision » sérieuse de l’institution gouvernementale.

 

[71]           La demanderesse argue également que le processus suivi par le défendeur est contraire au devoir d’agir équitablement en se contentant de réviser sommairement la documentation, la transférant « en vrac » à la demanderesse pour obtenir ses représentations, puis rejeter ensuite ces mêmes représentations sous prétexte qu’elles ne seraient pas assez précises et détaillées.

 

            (2)        Le défendeur

[72]           Le défendeur maintient que le processus qu’il a suivi pour en arriver à sa décision du 2 janvier 2001 est légal.

 

[73]           Il fait valoir que l’article 27 de la Loi n’impose pas un fardeau plus lourd à l’institution fédérale que celui d’être simplement satisfaite que le document devant être communiqué est susceptible de contenir des renseignements visés au paragraphe 20(1).

 

[74]           La révision « complète et sérieuse » que réclame la demanderesse au stade initial n’est donc pas exigée par la Loi. Le défendeur étant satisfait, après une première révision, que les documents qu’il voulait communiquer étaient susceptibles de contenir des renseignements visés au paragraphe 20(1), c’est à bon droit qu’il a procédé avec l’avis en vertu de l’article 27.

 

[75]           Il affirme que la Loi impose au tiers concerné par la demande d’accès le fardeau de démontrer qu’une institution doit refuser de communiquer les renseignements en vertu du paragraphe 20(1) de la Loi.

 

[76]           L’exigence de représentations précises justifiant un refus de communication ne serait pas selon le défendeur un caprice ou une illégalité, car l’article 2 de la Loi dispose que les exceptions au droit à la communication de renseignements sont « précises et limitées ».

 

[77]           Le défendeur soutient qu’une grande partie des représentations fournies par la demanderesse étaient insuffisamment précises, invoquant une vague possibilité d’un préjudice éventuel découlant de la communication de la documentation, sans établir la probabilité précise et limitée d’un tel préjudice.

 

[78]           Malgré les arguments percutants présentés par la demanderesse sur cette question, il m’apparaît que le processus lui imposant le fardeau de démontrer que le défendeur devrait refuser de communiquer les documents en vertu du paragraphe 20(1) n’est pas illégal.

 

[79]           La divulgation étant la règle et le refus de communication l’exception, le défendeur n’avait pour obligation que de repérer les passages auxquels le paragraphe 20(1) était susceptible de s’appliquer, puis d’inviter la demanderesse à fournir des représentations quant à l’application du paragraphe 20(1) à l’ensemble de la documentation.

 

[80]           Il est évident que la demanderesse est mieux placée que le défendeur et qu’elle dispose d’une expertise supérieure à celle du demandeur pour repérer les passages de la documentation visée par une demande d’accès auxquels le paragraphe 20(1) de la Loi serait susceptible de s’appliquer, étant donné que c’est d’elle qu’émane la majeure partie de la documentation.

 

[81]           C’est d’ailleurs l’un des arguments présentés par la demanderesse pour faire prévaloir ses conclusions quant à l’application du paragraphe 20(1) en réponse à la question suivante, qui porte sur la justesse des conclusions du défendeur quant à l’application du paragraphe 20(1) à la documentation visée par la demande. 

 

[82]           Il est incontestable qu’un tel processus crée pour un tiers concerné tel que la demanderesse un fardeau et un montant de travail considérable lorsqu’une demande d’accès est présentée, et que vient le temps de se prononcer sur l’application du paragraphe 20(1). Cependant, un tel fardeau n’est pas disproportionné si l’on considère l’expertise supérieure du tiers concerné et l’importance qu’il est susceptible d’accorder à la protection de l’information le concernant.

 

[83]           En somme, un tel processus a pour objet de donner au défendeur l’obligation de consulter la demanderesse après un examen plus ou moins sommaire de la documentation, de tenir compte des recommandations de la demanderesse et, s’il décide de ne pas suivre ces recommandations,  d’expliquer pourquoi il décide de ne pas les suivre. Si la demanderesse n’est pas satisfaite de la décision du demandeur, elle peut s’adresser à cette Cour par le biais de l’article 44 de la Loi pour qu’elle analyse la décision du défendeur.

 

[84]           Il reste donc à examiner de novo la décision du défendeur et à déterminer si la décision de communiquer les documents visés par la présente demande de contrôle judiciaire était ou non conforme à la Loi.

 

3.         La décision du défendeur de communiquer les documents visés par la demande d’accès est-elle conforme aux exceptions prévues au paragraphe 20(1) de la Loi?

(1)        La demanderesse 

[85]           Les erreurs soulevées par la demanderesse pour demander l’annulation de la décision du 2 janvier 2001 sont les suivantes :

-         Le défendeur croit à tort qu’au stade du traitement initial de la demande, la demanderesse a le fardeau de faire des représentations précises et détaillées (voir le point précédent).

-         Les agents du défendeur ont appliqué les alinéas 20(1) (a), (b), (c), et (d) de façon conjonctive et non disjonctive.

-         Le défendeur considère que la communication de certains documents ne peut être préjudiciable si les renseignements qu’ils contiennent sont disponibles publiquement sous une autre forme. Bien que la Cour d’appel fédérale ait rejeté un argument semblable en vertu de l’alinéa 20(1)(b), la demanderesse maintient cet argument pour certains documents car l’alinéa 20(1)(c) s’appliquerait.

-         Le défendeur estime à tort que la demanderesse ne peut s’objecter à la communication des notes des réviseurs, car elles émanent du défendeur et qu’elles lui appartiennent.

 

[86]           La demanderesse dépose un tableau détaillé reprenant tous les passages en litige et faisant valoir ses représentations quant aux raisons justifiant leur élagage. Ce tableau est reproduit à l’annexe A de la version confidentielle des motifs de cette ordonnance.

 

(2)        Le défendeur 

[87]           Le défendeur soutient que les passages en litige de la documentation ne rencontrent pas les exigences des alinéas 20(1)(b) et (c) de la Loi. Ainsi, la demanderesse ne s’est pas déchargée du fardeau qui lui incombe de démontrer que la communication devait être refusée.

 

[88]           Le défendeur fait également valoir que l’argument de la demanderesse à l’effet que même si les renseignements sont disponibles publiquement sous une autre forme, ces mêmes renseignements peuvent être exclus en vertu de l’alinéa 20(1)(c) n’est pas valable.

 

[89]           Le défendeur souligne que les affidavits déposés par ses témoins contiennent des représentations précises et détaillées expliquant en quoi la communication de ces documents n’est pas préjudiciable.

 

[90]           Le défendeur dépose aussi un tableau répondant aux objections de la demanderesse quant à la communication des passages en litige. Ce tableau est reproduit à l’annexe B de la version confidentielle des motifs de cette ordonnance.

 

[91]           Au sujet des notes des réviseurs et de la correspondance, la Cour d’appel fedérale (Merck Frosst Canada & Co. c. Canada (Ministre de Santé), 2005 CAF 215, [2006] 1 R.C.F. 379) a renversé la conclusion du juge Harrington (Merck Frosst Canada & Co. c. Canada (Ministre de Santé), 2004 CF 959, [2005] 1 R.C.F. 587)) selon laquelle elles étaient exclues en vertu de l’alinéa 20(1)(b). Au paragraphe 6 de ses motifs, le juge Desjardins écrit :

Le premier juge ne pouvait non plus conclure que les notes des réviseurs et la correspondance intervenue entre les parties ne devaient pas être communiquées aux termes de l'alinéa 20(1)(b) de la Loi au seul motif qu'elles furent rédigées en réponse à la demande de l'intimée. Les renseignements contenus aux notes des réviseurs reflètent certaines informations qui n'émanent pas de l'intimée, et le fait que ces notes furent rédigées suite à la demande de l'intimée n'affecte en rien cette réalité (Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1988] 1 F.C. 483, conf. [1989] 1 C.F 47).

 

Ces erreurs ayant été identifiées, notre Cour pourrait entreprendre elle-même une revue des milliers de documents en cause pour déterminer, d'une part, si l'alinéa 20(1)(c) doit trouver application et, si non, si l'une ou l'autre des autres exceptions est applicable.

 

 

[92]           La Cour d’appel fédérale, ayant conclu que les intérêts de la justice ne seraient pas ainsi bien servis, renvoya le dossier devant cette Cour afin qu’elle procède à un tel examen en tenant compte des motifs de la Cour d’appel fédérale.

 

[93]           J’ai donc examiné les notes des réviseurs et la correspondance, et j’en conclus que la page 527 contient des renseignements qui concernent la demanderesse et dont la divulgation lui serait préjudiciable. La divulgation devrait donc en être refusée en vertu de l’alinéa 20(1)(c).

 

[94]           La Cour d’appel fédérale a également renversé la conclusion du juge Harrington selon laquelle des documents contenant des renseignements qui se retrouvent dans le domaine public peuvent néanmoins être confidentiels au sens de l’alinéa 20(1)(b) s’ils apparaissent sous une forme différente. Au paragraphe 53 de ses motifs, le juge Harrington écrit :

[…] la question n'est pas vraiment de savoir s'il y a ou non des renseignements dans le domaine public au sujet du SINGULAIR (R), mais bien si les renseignements tels qu'ils sont présentés par Merck Frosst sont dans le domaine public. Si ces renseignements dans la forme présentée "comme telle" […] ne sont pas dans le domaine public, la confidentialité n'a pas, à mon avis, été perdue.

 

[95]           Le juge Desjardins conclut au paragraphe 2 que « dès que les renseignements se retrouvent dans le domaine public, ils ne sont plus confidentiels et ce même si la forme dans laquelle on les retrouve est différente ».

 

[96]           Il nous reste à déterminer si l’alinéa 20(1) (c) pourrait s’appliquer à ces documents. La demanderesse fait valoir que la divulgation de ces renseignements sous la forme dans laquelle ils sont présentés pourrait donner un avantage à ses concurrents et lui causer un préjudice.

 

[97]           Dans AstraZeneca Canada Inc. c. Canada (Santé), 2005 CF 189,  [2005] A.C.F. no 859 (C.F.) (QL), le juge Phelan traita une question semblable, et détermina que le préjudice allégué par la demanderesse était trop vague pour justifier le refus de la communication des documents en question en vertu de l’alinéa 20(1)(c).

 

[98]           Au paragraphe 81 de ses motifs, le juge Phelan écrit :

AstraZeneca a demandé que les renseignements accessibles au public soient soustraits à la divulgation, et ce, en faisant valoir que nul ne sait qu'elle s'est servie des renseignements en question, ni la façon dont elle l'a fait. En général, les renseignements accessibles au public ne sont pas des renseignements exemptés de divulgation en vertu de l'article 20, soit à titre de catégorie de documents, soit selon le critère du "préjudice". Il faut une preuve convaincante pour réfuter la conclusion logique que des renseignements du domaine public seront utilisés, surtout par des utilisateurs avertis. La preuve d'AstraZeneca est, dans le meilleur des cas, de nature conjecturale.

 

[99]           Le juge Phelan s’appuie sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Cyanamid Canada Inc. v. Canada (Minister of Health and Welfare) (1992), 45 C.P.R. (3d) 390, où le juge Stone écrit à la page 403 :

[…] L'appelant soutient subsidiairement qu'en vertu de l'alinéa 20(1)c), bien que les renseignements soient accessibles au public, ils ne peuvent être obtenus d'une source unique. Toutefois, si l'accès était accordé en vertu de la Loi, l'auteur de la demande en tirerait profit puisqu'il n'aurait à consacrer ni temps ni argent pour recueillir ces renseignements auprès de plusieurs autre sources publiques, et il pourrait constituer un meilleur tableau d'ensemble, au détriment de l'appelante. Cet argument ne me convainc pas. […]

 

 

[100]       La Cour d’appel fédérale a récemment confirmé la décision du juge Phelan dans AstraZeneca Canada Inc. v. Canada (Health), 2006 CAF 241. Suite à cette décision, j’ai permis aux parties de faire des représentations additionnelles.

 

[101]       Sauf pour les pages mentionnées au paragraphe 104 et à l'instar du juge Phelan, je ne suis pas convaincu moi non plus par l'argumentation de la demanderesse à ce sujet, et j’en conclus que cette dernière ne s’est pas déchargée du fardeau de démontrer suffisamment la probabilité du préjudice que lui causerait la divulgation de documents contenant des informations déjà disponibles dans le domaine public.

 

[102]       Après avoir examiné les documents visés par la présente demande de contrôle judiciaire et considéré les arguments des parties ainsi que les principes jurisprudentiels et législatifs applicables, mes conclusions sont les suivantes :

 

[103]       Les pages à propos desquelles M. Sarrazin, l’affiant de la demanderesse, déclare que la communication devrait être refusée car elles contiennent de l’information qui n’était pas disponible « comme telle » dans le domaine public, ne sont pas exclues en vertu du paragraphe 20(1)(c). Selon les tableaux soumis par les parties, il s’agit des pages 105 à 110, 135 à 142, 222 à 235, 342 à 355, 523, 530 et 531 et 537.

 

[104]       Cependant, la communication devrait être refusée en vertu de l’alinéa 20(1)(c) à l’égard de documents contenant des informations plus précises ou plus détaillés que ce qui se retrouve dans le domaine public. D’après les tableaux soumis par les parties, ils s’agit des pages 33 et 34, 117, 146 à 148, 170 à 173, 179 à 196, 204 à 208, 210, 212 et 213, 217 à 220, 236 à 327 et 399.

 

[105]       La communication des pages 462 à 493, 495, et 518 à 521 devrait être refusée en vertu de l’alinéa 20(1)(a) de la Loi car elles contiennent des renseignements qui constituent des secrets industriels.

 

[106]       La communication des pages 14 (la mention relative au pourcentage), 33 et 34, 117, 147 (les trois dernières lignes), et 207 devrait être refusée en vertu de l’alinéa 20(1)(b) de la Loi, car elles contiennent des renseignements confidentiels qui ont été traités comme tels par la demanderesse, et qui ne se trouvent pas dans le domaine public.

 

[107]       La communication des pages 33 et 34, 117, 146 à 148, 170 à 173, 179 à 196, 204 à 208, 210, 212 et 213, 217 à 220, 236 à 327, 399 et 527 devrait être refusée en vertu de l’alinéa 20(1)(c) de la Loi, car elles contiennent des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à la demanderesse ou de nuire à sa compétitivité.

 

[108]       Sauf dans les cas où un passage précis d’une page a été mentionné (voir les exemples au paragraphe 107 des présents motifs), l’intégralité de cette page devrait être élaguée en vertu de l’article 25 de la Loi, car il me paraît sérieusement problématique d’en séparer les renseignements dont la communication devrait être refusée.

 

[109]       Le reste de la documentation visée par la présente demande peut être communiqué tel qu’élagué par le défendeur à la pièce « Q » de l’affidavit confidentiel de Margery Snider du 26 septembre 2001, car le paragraphe 20(1) de la Loi ne s’y applique pas.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie en partie conformément aux présents motifs. Étant donné le résultat de l’instance, le tout sans frais.

 

« Michel Beaudry »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-90-01

 

INTITULÉ :                                       MERCK FROSST CANADA LTEE

                                                            c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                            DU CANADA

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               les 24, 25, 26 et 27 avril 2006

 

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 12 octobre 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Karl Delwaide                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Karine Joizil

 

Sébastien Gagné                                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Karl Delwaide                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

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