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Date : 20061002

Dossier : T‑2266‑05

Référence : 2006 CF 1172

Toronto (Ontario), le 2 octobre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MacTAVISH

 

 

ENTRE :

RICHARD LOYER

demandeur

et

 

AIR CANADA

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Commission canadienne des droits de la personne a rejeté la plainte déposée par Richard Loyer contre Air Canada parce que, selon elle, les points soulevés par cette plainte au chapitre des droits de la personne avaient été décidés par arbitrage. La Commission a aussi exprimé l’avis que, eu égard à toutes les circonstances, un examen complémentaire de la plainte de M. Loyer n’était pas justifié.

 

[2]               M. Loyer sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la Commission, en faisant valoir notamment que l’enquête de la Commission n’a pas été suffisamment rigoureuse et que les questions soulevées par lui en matière de droits de la personne n’avaient pas été traitées au fond dans le processus arbitral.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas persuadée que la Commission a commis une erreur comme le prétend M. Loyer. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

 

La discrimination alléguée par M. Loyer

[4]               M. Loyer a travaillé comme pilote pour Air Canada durant environ 30 ans. En 1993, au cours d’une visite médicale périodique à Air Canada, on a décelé chez lui un niveau élevé d’enzymes hépatocytaires, ce qui pouvait être un signe d’alcoolisme. Au cours des années qui ont suivi, M. Loyer fut réexaminé plusieurs fois, et son niveau d’enzymes hépatocytaires fluctuait d’une fois à l’autre. Tantôt le niveau était élevé, et tantôt, surtout si M. Loyer faisait abstinence durant quelque temps, on constatait que le niveau était revenu à la normale.

 

[5]               Les médecins d’Air Canada diagnostiquèrent finalement chez M. Loyer un dérèglement causé par l’alcoolisme, et M. Loyer dut prendre un congé d’invalidité. Un médecin de Transports Canada constata lui aussi que les tests médicaux subis par M. Loyer montraient qu’il buvait plus que de raison. Transports Canada a ensuite décidé de ne pas renouveler le brevet de pilote de M. Loyer, ce qui eut pour résultat que, en avril 2003, M. Loyer fut mis par Air Canada en congé sans solde.

 

[6]               Dans l’intervalle, le médecin de famille de M. Loyer constata que M. Loyer souffrait du syndrome d’Epstein‑Barr, dont l’un des symptômes serait un niveau élevé d’enzymes hépatocytaires.

[7]               M. Loyer a déposé en octobre 2003 auprès de la Commission canadienne des droits de la personne une plainte à l’encontre d’Air Canada, dans laquelle il affirmait qu’il n’était pas alcoolique et n’abusait pas de l’alcool. Il affirmait aussi avoir subi un préjudice dans son emploi de l’impression erronée d’Air Canada qu’il était alcoolique.

 

[8]               M. Loyer écrivait aussi dans sa plainte qu’il demandait une réparation pécuniaire à Air Canada, ainsi qu’un rajustement de sa pension, pour tenir compte des années durant lesquelles, n’eût été le diagnostic erroné, il aurait travaillé. Le formulaire de plainte ne disait pas que M. Loyer voulait être réintégré dans ses fonctions de pilote.

 

Autres procédures introduites par M. Loyer

[9]               M. Loyer et son épouse ont également engagé une action devant la Cour supérieure de l’Ontario à l’encontre d’Air Canada et de cinq médecins spécialistes employés ou engagés par la compagnie aérienne, action dans laquelle ils demandent des dommages‑intérêts de 2 150 000 $, conséquence, disent‑ils de la présumée erreur de diagnostic quant à l’état de santé de M. Loyer.

 

[10]           Par l’entremise de son syndicat, l’Association des pilotes d’Air Canada (APAC), M. Loyer a aussi déposé, au printemps de 2003, un grief dans lequel il sollicitait une « mise à la retraite pour interdiction de vol ». En octobre et novembre 2003, il déposa deux autres griefs. Par le premier grief, il demandait d’être réintégré dans ses fonctions de pilote, et par le second, il semblait réitérer sa demande de mise à la retraite pour interdiction de vol.

 

L’insolvabilité d’Air Canada

[11]           Entre‑temps, le 1er avril 2003, Air Canada demandait à être mise à l’abri de ses créanciers, conformément aux dispositions de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, ch. C‑36 (la LACC). Le juge Farley, de la Cour supérieure de l’Ontario, a alors rendu une ordonnance qui suspendait temporairement toutes les procédures judiciaires présentes ou futures contre Air Canada. Cette ordonnance a par la suite été renouvelée périodiquement.

 

[12]           Le principal créancier d’Air Canada a évidemment posé une condition avant d’approuver le projet de plan de restructuration de la compagnie aérienne, savoir qu’elle devait émerger de la protection contre ses créanciers ayant fait « table rase », c’est‑à‑dire en étant quitte des engagements et griefs pendants.

 

[13]           Pour satisfaire à cette condition, Air Canada et l’APAC ont établi une procédure accélérée d’arbitrage devant servir à régler les griefs en cours, dont ceux qu’avait déposés M. Loyer. C’est ce que l’on a appelé l’« accord table rase ». Par ordonnance du juge Farley, M. Martin Teplitsky, c.r., fut mandaté pour régler ces griefs.

 

L’audience du 10 juin 2004

[14]           Les griefs de M. Loyer devaient être instruits le 10 juin 2004. M. Loyer s’est présenté devant M. Teplitsky à cette date, accompagné de Paul Middleton, parmi d’autres. M. Middleton était le délégué syndical de M. Loyer.

 

[15]           Il est admis que l’arbitrage du grief de M. Loyer n’est pas allé de l’avant ce jour‑là et que des pourparlers de règlement ont eu lieu, qui ont conduit à la rédaction d’un procès‑verbal de règlement. Ce procès‑verbal prévoyait que M. Loyer aurait droit à une mise à la retraite pour interdiction de vol, rétroactivement au 28 janvier 2003, date à laquelle avait pris fin ses prestations d’invalidité. Le procès‑verbal prévoyait aussi que la mise à la retraite de M. Loyer serait réputée avoir pris effet à cette date, sous réserve de l’approbation du Comité des pensions d’Air Canada.

 

[16]           Il ressort clairement aussi du procès‑verbal de règlement que le règlement devait être un règlement global, qui liquiderait tous les points en litige entre M. Loyer et Air Canada. À cette fin, le procès‑verbal prévoyait que le règlement [traduction] « liquidait tous les points se rapportant à la plainte déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne », et il obligeait M. Loyer à retirer sa plainte de violation des droits de la personne.

 

[17]           Il n’est pas non plus contesté que, bien que Air Canada et les représentants syndicaux aient signé le procès‑verbal de règlement, M. Loyer ne l’a pas signé. La question qui est âprement contestée est celle de savoir si M. Loyer a verbalement souscrit aux modalités du règlement le 10 juin. M. Loyer affirme qu’il n’y aurait jamais souscrit parce qu’il voulait être réintégré dans ses fonctions de pilote, tandis que Air Canada prétend qu’une entente verbale fut en réalité conclue ce jour‑là.

 

L’audience du 24 août 2004

[18]           Aucun accord signé n’ayant été envoyé par M. Loyer, l’affaire fut à nouveau soumise à l’arbitre Teplitsky le 24 août 2004. M. Teplitsky a alors constaté qu’un règlement avait en effet été conclu le 10 juin 2004, et il a rendu une sentence reprenant toutes les clauses essentielles du procès‑verbal de règlement.

 

[19]           En concluant, dans sa sentence, qu’un règlement avait été conclu à l’audience de juin, M. Teplitsky s’est exprimé ainsi :

                        Je n’ai aucun doute sur ce qui suit :

                        a)  il n’y a aucun différend sur les modalités du règlement;

                        b)  le capitaine Loyer a donné des instructions précises pour que soit conclu le règlement;

                        c)  le règlement est raisonnable dans les circonstances actuelles; et

                        d)  le capitaine Loyer agissait comme mandataire de son épouse dans l’acceptation du règlement.

 

[20]           Le rapport d’enquête mentionne, en passant, un doute de M. Loyer concernant l’équité de la procédure qui s’est déroulée devant M. Teplitsky, mais cet aspect n’a pas été mentionné dans la présente demande.

 

Aucune approbation selon l’article 48

[21]           Il n’est pas contesté que le prétendu règlement de la plainte de violation des droits de la personne déposée par M. Loyer n’a jamais été soumis à la Commission canadienne des droits de la personne pour approbation, contrairement à ce que prévoit l’article 48 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6. Il n’est pas contesté non plus que la Commission n’a jamais expressément approuvé le règlement.

L’enquête de la Commission

[22]           Après réception de la plainte de M. Loyer, la Commission canadienne des droits de la personne a entrepris d’enquêter sur la plainte, et un rapport d’enquête lui a été remis le 20 juin 2005.

 

[23]           Il convient de noter qu’il n’apparaît pas qu’une enquête effective a été menée sur les faits mêmes de discrimination allégués par M. Loyer. Après un survol de l’historique des diverses procédures, le rapport d’enquête se focalise principalement sur les événements du 10 juin et du 24 août 2004.

 

[24]           L’enquêteur a commencé par examiner la position d’Air Canada selon laquelle un règlement avait été conclu le 10 juin 2004, en se référant explicitement aux dispositions de la sentence susmentionnée de l’arbitre Teplitsky.

 

[25]           L’enquêteur exposait ensuite la position de M. Loyer selon laquelle il n’avait jamais accepté de régler le différend, en faisant observer que M. Middleton avait confirmé que M. Loyer avait bel et bien accepté l’offre de règlement faite lors de l’audience du 10 juin. L’enquêteur relevait ensuite que M. Middleton avait dit que l’APAC n’aurait pas approuvé le procès‑verbal de règlement si M. Loyer n’avait pas d’abord souscrit à ses modalités.

 

[26]           M. Middleton aurait également affirmé que M. Loyer avait fait « une très bonne affaire », qu’il avait obtenu une indemnité appréciable et qu’il avait été autorisé à prendre une retraite rétroactive à la date à laquelle avaient pris fin ses prestations d’invalidité.

 

[27]           M. Middleton était également d’avis que M. Loyer avait obtenu l’un des meilleurs règlements à avoir été conclus à la faveur de l’accord « table rase » et qu’il avait été particulièrement choyé compte tenu que, par suite de l’insolvabilité, les pilotes d’Air Canada avaient dû faire des concessions salariales allant jusqu’à 15 p. cent.

 

[28]           L’enquêteur concluait son rapport par l’analyse suivante :

                                [traduction]

                                Les renseignements fournis par le défendeur et par le syndicat du plaignant à propos de l’issue du grief du plaignant donnent à penser que les inquiétudes du plaignant en matière de droits de la personne ont été dissipées par l’arbitre Teplitsky. Selon la preuve, l’arbitre Teplitsky a fait porter son attention sur les aspects de la plainte qui intéressaient les droits de la personne, lorsqu’il a rendu sa décision.

 

Il est recommandé à la Commission de rejeter la plainte, en application de l’alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et cela parce que :

-          les questions du plaignant en matière de droits de la personne ont été résolues par l’arbitrage; et

-         eu égard à toutes les circonstances de la plainte, un examen plus approfondi de la plainte n’est pas justifié.

 

La décision de la Commission

[29]           La recommandation de l’enquêteur a été acceptée par les commissaires de la Commission canadienne des droits de la personne, ainsi que le confirme une lettre du secrétaire de la Commission en date du 21 novembre 2005, dont les portions essentielles adoptent simplement les deux motifs exposés par l’enquêteur. C’est cette décision qui est l’objet de la demande de contrôle judiciaire.

 

Cadre législatif

[30]           La décision de la Commission de rejeter la plainte de violation des droits de la personne déposée par M. Loyer a été rendue conformément à l’article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ainsi formulé :

 

44. (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

 

 

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

 

(3)  Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

 

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

 

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci n’est pas justifié...

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted...

 

Points en litige

[31]           M. Loyer soulève plusieurs points dans sa demande. Ce sont les suivants :

            1.         La Commission canadienne des droits de la personne a‑t‑elle commis une erreur parce qu’elle a rejeté sa plainte en invoquant l’existence d’une autre voie de recours, à savoir l’accord table rase, étant donné que la simple existence d’un autre recours ne prive pas la Commission de sa compétence?

            2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les questions de M. Loyer en matière de droits de la personne avaient été résolues par la procédure d’arbitrage?

            3.         L’enquête de la Commission a‑t‑elle été suffisamment rigoureuse? et

            4.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur de droit parce qu’elle a rejeté la plainte de violation des droits de la personne déposée par M. Loyer, en invoquant un règlement qu’elle n’avait pas elle‑même approuvé?

 

[32]           Bien qu’il n’en soit pas fait état dans son exposé des faits et du droit, M. Loyer a aussi fait valoir, lors de l’audition de la demande, que la Commission n’aurait pas dû mettre en doute sa crédibilité sur la question de savoir s’il avait accepté le 10 juin 2004 de régler sa plainte de violation des droits de la personne. Selon M. Loyer, il n’appartient pas à la Commission, au stade de l’enquête, de se prononcer sur la crédibilité d’une partie, cette question relevant de la compétence exclusive du Tribunal canadien des droits de la personne.

 

[33]           Il est bien établi que, étant donné le caractère succinct des décisions que prend la Commission en vertu de l’article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, un rapport d’enquête doit être considéré comme représentant les motifs de la Commission : voir l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. n° 2056, 2005 CAF 404, paragraphe 37.

 

[34]           Gardant cela à l’esprit, je n’entends pas examiner le premier point soulevé par M. Loyer, car il ressort clairement d’un examen du rapport d’enquête que la Commission n’a pas rejeté sa plainte en invoquant la simple existence d’une autre voie de recours. Contrairement à ce qu’affirme M. Loyer, la Commission ne s’est pas non plus déclarée incompétente en disant que l’accord table rase avait eu pour effet de la priver de sa compétence. La section « Contexte » du rapport d’enquête indique que la procédure introduite en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies a eu pour effet d’éteindre le droit de réclamer une réparation pécuniaire non discrétionnaire pour des faits survenus avant avril 2003, mais un examen du rapport tout entier fait ressortir que le fondement de la décision de la Commission était son opinion selon laquelle les questions soulevées par la plainte de M. Loyer en matière de droits de la personne avaient été résolues d’une manière satisfaisante par la voie arbitrale.

[35]           Je n’entends pas non plus statuer sur l’argument de M. Loyer selon lequel la Commission a commis une erreur parce qu’elle s’est prononcée sur sa crédibilité quant à savoir s’il avait accepté de régler sa plainte de violation des droits de la personne. Cet argument n’était pas soulevé dans l’exposé des faits et du droit déposé par M. Loyer. Je ne suis d’ailleurs pas persuadée que la question se pose ici, étant donné que l’enquêteur n’a tiré aucune conclusion précise sur la crédibilité des parties.

 

Norme de contrôle

[36]           Les deux parties soutiennent que la norme générale de contrôle qui doit s’appliquer à la décision de la Commission, prise en vertu de l’alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de refuser de renvoyer une plainte au Tribunal canadien des droits de la personne, est la norme de la décision raisonnable. Cependant, M. Loyer dit que les questions se rapportant au niveau de rigueur de l’enquête intéressent l’équité procédurale et doivent donc être revues d’après la norme de la décision correcte. Il soutient aussi que les autres points soulevés dans sa demande font intervenir des questions de droit, lesquelles doivent également être revues d’après la norme de la décision correcte.

 

[37]           Il est vrai que, de manière générale, l’alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne confère à la Commission un pouvoir étendu de dire si une plainte devrait être rejetée d’emblée ou plutôt renvoyée au Tribunal pour instruction. La Cour n’interviendra donc que si la conclusion de la Commission est déraisonnable, à moins que la Commission n’ait manqué à son obligation d’équité ou n’ait commis d’autres erreurs de droit : Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), [2005] A.C.F. n° 543, 2005 CAF 113, paragraphe 6.

[38]           Cela dit, comme l’a clairement décidé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sketchley, la juridiction de contrôle ne peut pas se borner à adopter la norme de contrôle appliquée par d’autres juges dans l’examen d’autres décisions prises par la Commission en vertu de l’alinéa 44(3)b) de la Loi. La nature précise des questions en jeu variera d’un cas à l’autre. Par conséquent, la spécialisation de la Commission pourrait devoir être considérée dans une plus ou moins grande mesure compte tenu de la nature précise de la question ou des questions en jeu. Il est donc essentiel pour la juridiction de contrôle de procéder dans chaque cas à sa propre analyse pragmatique et fonctionnelle.

 

Définition et nature des questions

[39]           La première étape que la Cour doit franchir pour savoir quelle norme de contrôle est applicable consiste à définir la question ou les questions en litige : arrêt Sketchley, paragraphe 59.

 

[40]           Le premier point que soulève M. Loyer et qui effectivement mérite examen d’après moi au vu des circonstances de la présente affaire est celui de savoir si la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que ses questions au chapitre des droits de la personne avaient été résolues par la procédure d’arbitrage. C’est là un aspect à fort contenu factuel, mais il requiert aussi de saisir ce qu’étaient les questions de cette nature qui découlaient de la plainte de M. Loyer, et de voir si elles ont été considérées dans la sentence de l’arbitre Teplitsky. Je dirais donc que cette question est une question mixte de droit et de fait.

 

[41]           Il faut aussi considérer le second motif qu’avait la Commission de rejeter la plainte de M. Loyer, c’est‑à‑dire sa conclusion selon laquelle, eu égard à toutes les circonstances du dossier, un examen complémentaire de la plainte n’était pas justifié. Cette conclusion suppose l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission et commande donc un niveau élevé de retenue.

 

[42]           Le point suivant que doit décider la Cour est celui de savoir si la Commission a commis une erreur parce qu’elle a rejeté la plainte de violation des droits de la personne présentée par M. Loyer en invoquant un règlement qu’elle n’avait pas elle‑même approuvé. Cet aspect requiert d’examiner les conséquences et les exigences de l’article 48 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et il s’agit donc d’une question de droit.

 

[43]           Le dernier point soulevé par M. Loyer est celui de savoir si l’enquête de la Commission a été suffisamment rigoureuse. La supposée absence de rigueur d’une enquête en matière de droits de la personne fait intervenir des questions d’équité procédurale. Dans l’arrêt Sketchley, précité, la Cour écrivait, aux paragraphes 52 et 53, que l’analyse pragmatique et fonctionnelle ne s’applique pas lorsque le contrôle judiciaire sollicité procède d’un présumé déni d’équité procédurale. La tâche de la Cour consiste plutôt à isoler tout fait intéressant la question de l’équité procédurale et à décider si, en tout état de cause, la procédure suivie par la Commission satisfait au niveau d’équité requis.

 

[44]           Plus exactement, vu que les questions d’équité procédurale sont revues en tant que questions de droit, elles n’appellent aucune retenue : soit le décideur a respecté l’obligation d’équité propre aux circonstances considérées, soit il ne l’a pas respectée : arrêt Sketchley, paragraphe 53.

 

[45]           L’analyse pragmatique et fonctionnelle s’applique cependant aux autres points soulevés dans la demande, et il faut donc considérer les facteurs restants de cette analyse.

Présence ou absence d’une clause privative ou d’un droit d’appel prévu par la loi

[46]           La Loi canadienne sur les droits de la personne ne contient aucune clause privative ni ne prévoit un droit d’appel. La Loi ne permet donc pas de discerner l’intention du législateur sur la question de la retenue judiciaire. Cependant, comme l’indiquait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dr Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19, au paragraphe 27, l’absence d’une clause privative a un effet neutre et n’entraîne pas nécessairement une norme élevée de contrôle.

 

Spécialisation relative

[47]           Le facteur suivant à considérer est la spécialisation de la Commission par rapport à celle de la Cour, compte tenu de la nature des questions soulevées dans la présente affaire. Quant à savoir si les questions de M. Loyer au chapitre des droits de la personne avaient été résolues d’une manière satisfaisante par la procédure d’arbitrage, je suis d’avis que c’est là un aspect qui entre tout à fait dans la spécialisation de la Commission, puisque son mandat est de procéder quotidiennement à l’examen et à la résolution de plaintes de violation des droits de la personne.

 

[48]           Je suis également convaincue que la spécialisation de la Commission dans ce domaine est supérieure à celle de la Cour. La Cour doit donc, sans hésiter, déférer à cet aspect de la décision de la Commission.

 

[49]           La conclusion de la Commission selon laquelle eu égard à toutes les circonstances un examen complémentaire de la plainte n’était pas justifié est une conclusion de nature discrétionnaire : Cooper c. Canada (Commission des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854, page 891. Comme l’écrivait la Cour d'appel fédérale dans l’arrêt Sketchley, au paragraphe 76, le nombre de plaintes de violation des droits de la personne reçues par la Commission dépasse largement le nombre de plaintes qu’elle est en mesure de renvoyer au Tribunal pour instruction, pour des raisons pratiques ou financières. En général, du moins s’agissant de l’appréciation des aspects pratiques et financiers, la Commission est en meilleure position que la Cour fédérale pour dire si telle ou telle plainte devrait aller plus loin. Là encore, ce facteur va dans le sens d’une plus grande retenue judiciaire face à ce volet de la décision de la Commission.

 

Objet de la loi en général et de la disposition en cause

[50]           L’étape suivante de l’analyse pragmatique et fonctionnelle requiert d’examiner l’objet de la loi en général, et de la disposition législative particulière en vertu de laquelle la décision contestée a été prise.

 

[51]           La Loi canadienne sur les droits de la personne est un texte quasi constitutionnel dont l’objet est de donner effet à la valeur canadienne fondamentale qu’est l’égalité. L’objet de la Loi, selon son article 2, est de prévenir la discrimination fondée sur une série de motifs énumérés. Comme on peut le lire dans l’arrêt Sketchley, au paragraphe 74, compte tenu de la nature de ce texte de loi, toute institution, organisation ou personne investie par le législateur du mandat d’approfondir les questions portant sur les droits de la personne devrait être soumise au contrôle des instances judiciaires.

 

[52]           En outre, la décision en cause ici a été prise dans le cadre de la fonction d’examen préalable exercée par la Commission en vertu du paragraphe 44(3) de la Loi. La décision de rejeter une plainte à ce stade a pour effet d’enlever au plaignant toute possibilité d’obtenir réparation en vertu de la Loi (hormis celle de déposer une demande de contrôle judiciaire devant la Cour). Cela signale également qu’une retenue moindre s’impose.

 

[53]           Cela dit, comme le faisait observer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1998] A.C.F. n° 1609, [1999] 1 C.F. 113, au paragraphe 38, la Loi confère à la Commission une latitude considérable lorsqu’elle exerce sa fonction d’examen préalable après avoir reçu un rapport d’enquête, ce qui donne à penser que le législateur ne voulait pas que les cours de justice interviennent à la légère dans ses décisions.

 

Conclusion sur les normes applicables de contrôle

[54]           En pondérant l’ensemble de ces facteurs, je suis d’avis qu’il faut appliquer la norme de la décision raisonnable à la conclusion de la Commission selon laquelle les questions de M. Loyer en matière de droits de la personne avaient été résolues d’une manière satisfaisante par la procédure d’arbitrage, ainsi qu’à sa conclusion selon laquelle un examen complémentaire de la plainte de M. Loyer n’était pas justifié.

 

[55]           Comme je l’ai dit plus haut, la question de savoir si la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a rejeté la plainte de M. Loyer en invoquant un règlement qu’elle n’avait pas elle‑même approuvé est une question de droit. Une brève mention de cet argument apparaît dans les conclusions présentées à la Commission par M. Loyer, mais ni le rapport d’enquête ni la Commission n’ont explicitement étudié la question. La Cour doit donc répondre elle‑même à la question.

[56]           Pareillement, la Cour doit arriver à sa propre conclusion en ce qui concerne le niveau de rigueur de l’enquête de la Commission.

 

[57]           Sachant ce que sont les normes applicables de contrôle, j’examinerai maintenant les arguments avancés au nom de M. Loyer. Avant cela cependant, je voudrais dire quelques mots sur l’état du dossier dans cette demande.

 

Contenu du dossier

[58]           Au début de l’audience, j’ai fait savoir aux parties que selon moi elles avaient soumis des dossiers considérables, renfermant une foule de documents dont la Commission ne semblait pas avoir été saisie quand elle avait décidé de rejeter la plainte de M. Loyer. Air Canada a dit ne pas avoir l’intention de se fonder sur les pièces annexées à l’un des affidavits qu’elle avait déposés, mais Air Canada continuait de se reposer sur un second affidavit, qui lui aussi comportait plusieurs pièces ne figurant pas dans le dossier dont la Commission était saisie. M. Loyer continuait de se reposer sur les documents supplémentaires qu’il avait déposés.

 

[59]           Tels documents supplémentaires peuvent dans certains cas être jugés recevables dans une procédure de contrôle judiciaire (lorsque par exemple l’une des parties conteste l’exactitude ou le caractère complet du rapport : voir l’arrêt Pathak c. Canada (Commission des droits de la personne), [1995] A.C.F. n° 555 (CAF)), mais il n’est pas nécessaire de dire lesquels des documents, le cas échéant, sont recevables ici. Après examen attentif de chacun des documents en cause, je suis convaincue qu’aucun d’entre eux n’influerait sur l’issue de la présente affaire.

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les questions de M. Loyer en matière de droits de la personne avaient été résolues par la procédure d’arbitrage?

 

[60]           S’agissant d’abord de la conclusion de la Commission selon laquelle les questions de M. Loyer en matière de droits de la personne avaient été résolues d’une manière satisfaisante par la procédure d’arbitrage, un examen attentif du rapport d’enquête montre que l’enquêteur de la Commission n’a pas dit expressément si M. Loyer avait ou non souscrit au règlement conclu le 10 juin 2004. L’enquêteur a cependant reconnu que la position de M. Loyer était qu’il n’avait pas accepté de régler ses diverses réclamations, y compris sa plainte de violation des droits de la personne.

 

[61]           La décision de l’enquêteur reposait plutôt sur sa conclusion selon laquelle, dans sa sentence, l’arbitre Teplitsky avait expressément considéré la plainte de violation des droits de la personne déposée par M. Loyer. L’enquêteur en a conclu d’abord que les questions de M. Loyer en matière de droits de la personne avaient été résolues par la procédure d’arbitrage et ensuite que, eu égard à toutes les circonstances, un examen complémentaire de la plainte n’était pas justifié.

 

[62]           Une analyse plus complète de la situation de la part de l’enquêteur eût été souhaitable, mais la jurisprudence nous enseigne que, en l’absence de motifs clairs et précis, la Cour doit considérer les pièces que la Commission avait devant elle, ainsi que la décision à laquelle elle est arrivée, pour voir si le résultat repose sur un fondement rationnel : voir par exemple l’arrêt Gee c. Canada (Ministre du Revenu national), [2002] A.C.F. n° 12, 2002 CAF 4, paragraphe 15.

 

[63]           En l’espèce, l’enquêteur avait la preuve que M. Loyer avait obtenu d’Air Canada une réparation pécuniaire substantielle, ainsi qu’une mise à la retraite pour interdiction de vol, qui prenait effet à la date à laquelle ses prestations d’invalidité avaient pris fin. Cette indemnisation correspondait au redressement que M. Loyer avait dit, dans sa plainte, vouloir obtenir d’Air Canada. Sur ce point, il faut se rappeler que M. Loyer ne disait pas dans sa plainte qu’il voulait être réintégré dans ses fonctions de pilote.

 

[64]           Qui plus est, le redressement obtenu par M. Loyer lui a été accordé durant une période où la compagnie aérienne traversait d’énormes difficultés financières, et ce fut à l’évidence l’une des meilleures ententes qui aient été conclues durant la période d’insolvabilité d’Air Canada.

 

[65]           Comme l’a noté l’enquêteur, l’arbitre Teplitsky a bel et bien, dans sa sentence, considéré la plainte de violation des droits de la personne déposée par M. Loyer. Il y a donc dans la preuve un fondement qui permettait à l’enquêteur de dire que la plainte de M. Loyer avait été résolue par le processus d’arbitrage, même si l’arbitre n’a pas examiné au fond les points soulevés par le plaignant.

 

[66]           En conséquence, après avoir soumis le rapport d’enquête à un examen assez poussé, je suis d’avis qu’il était possible à la Commission de conclure que la plainte de M. Loyer avait été résolue d’une manière satisfaisante par le processus d’arbitrage.

 

[67]           Par ailleurs, eu égard à toutes les circonstances, et en particulier le fait que M. Loyer semble avoir obtenu, par la procédure d’arbitrage, une bonne partie de ce qu’il voulait obtenir en déposant sa plainte de violation des droits de la personne, il n’était pas déraisonnable pour la Commission de dire qu’une enquête complémentaire sur la plainte n’était pas justifiée.

L’enquête de la Commission a‑t‑elle été suffisamment rigoureuse?

[68]           M. Loyer dit aussi que la décision de la Commission devrait être annulée parce que l’enquête portant sur sa plainte n’a pas été suffisamment rigoureuse. Plus exactement, il affirme que l’enquêteur aurait dû l’interroger sur le déroulement de la réunion du 10 juin, d’autant que d’autres personnes semblent l’avoir été.

 

[69]           M. Loyer dit aussi que l’enquête présente des lacunes parce que l’enquêteur n’a pas interrogé les autres participants à la réunion du 10 juin, à l’exception de M. Middleton.

 

[70]           Finalement, il dit que l’enquête n’a pas été suffisamment rigoureuse parce que l’enquêteur n’a pas interrogé son épouse, ni les autres personnes qui étaient au courant de son état d’esprit après le 10 juin 2004, sur les modalités éventuelles d’un règlement acceptable.

 

[71]           La décision de principe sur le degré de rigueur qui doit apparaître dans les enquêtes de la Commission est le jugement Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (1re inst.), conf. : (1996), 205 N.R. 383. La Cour fédérale y a jugé qu’une enquête ne présentera sans doute pas le niveau de rigueur requis sur le plan juridique si par exemple l’enquêteur commet une négligence déraisonnable, par exemple en laissant de côté une preuve qui est manifestement capitale.

 

[72]           Cela dit, dans l’arrêt Tahmourpour, précité, la Cour d’appel fédérale écrivait, au paragraphe 39, qu’une enquête sur une plainte de violation des droits de la personne ne saurait être astreinte à une norme de perfection et qu’un enquêteur de la Commission n’est pas tenu de remuer ciel et terre. La Cour d’appel a aussi relevé que les ressources de la Commission sont comptées et que son volume de travail est imposant. Elle doit donc équilibrer d’une part le droit d’un plaignant à l’enquête la plus complète possible et d’autre part l’impératif d’efficacité administrative.

 

[73]           Gardant cela à l’esprit, je ne suis pas persuadée que, du seul fait que la Commission n’a pas interrogé les personnes désignées par M. Loyer, l’enquête n’a pas été aussi rigoureuse qu’elle devait l’être. Sans doute M. Loyer n’a‑t‑il pas lui‑même été interrogé, mais il a remis à la Commission un volumineux mémoire où il expliquait clairement qu’il n’avait jamais consenti à un compromis sur ses divers recours juridiques. D’ailleurs, son avocat a admis dans son argumentation que son client avait pu exposer pleinement sa position à l’enquêteur.

 

[74]           La lecture du rapport d’enquête montre aussi que l’enquêteur a très bien compris la position de M. Loyer qui disait n’avoir jamais consenti à négocier l’issue de sa plainte.

 

[75]           S’agissant du fait que les autres participants à l’audience du 10 juin n’ont pas été interrogés, M. Loyer n’a nommé nul autre participant à cette audience qui aurait pu être à même de confirmer ses dires selon lesquels il n’avait pas consenti au règlement. Il est d’ailleurs difficile d’imaginer qu’une preuve, quelle qu’elle soit, puisse contredire les éléments convaincants que l’enquêteur avait devant lui et qui venaient de l’arbitre Teplitsky lui‑même.

 

[76]           Plus exactement, dans sa sentence, M. Teplitsky donnait sa propre version des faits, en qualité de témoin de première main de ce qui avait marqué l’audience de juin. On se rappellera que M. Teplitsky disait qu’il n’avait aucun doute que M. Loyer avait donné des instructions précises pour que soit conclu le règlement. Vu son rôle de tierce partie neutre, qui n’avait aucun intérêt dans l’issue de la procédure, il ne peut qu’aller de soi que les affirmations de M. Teplitsky aient bénéficié d’un poids considérable.

 

[77]           Finalement, M. Loyer dit que l’enquêteur aurait dû interroger son épouse et deux autres personnes, qui auraient confirmé qu’il n’avait eu aucune intention de signer le procès‑verbal de règlement entre le 10 juin et le 24 août 2004.

 

[78]           Il n’apparaît pas que ces trois personnes étaient présentes le 10 juin, et je ne suis pas persuadée que l’une d’elles aurait pu produire une « preuve manifestement capitale » des propos qui s’étaient échangés ce jour‑là.

 

[79]           Je ne suis donc pas convaincue que la décision de la Commission devrait être annulée pour cause d’absence de rigueur de l’enquête.

 

[80]           Reste la question de savoir si la Commission a commis une erreur parce qu’elle a rejeté la plainte de violation des droits de la personne présentée par M. Loyer en se fondant sur un règlement qu’elle n’avait pas approuvé, comme elle devait le faire selon l’article 48 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. C’est ce que j’examinerai maintenant.

 

La Commission a‑t‑elle commis une erreur parce qu’elle a rejeté la plainte de M. Loyer en se fondant sur un règlement qu’elle n’avait pas approuvé?

 

[81]           Conscient qu’il s’agit là d’un argument très technique, M. Loyer affirme néanmoins que la Commission a commis une erreur de droit parce qu’elle a rejeté sa plainte en se fondant sur un règlement qu’elle n’avait pas approuvé.

 

[82]           Plus exactement, M. Loyer dit que le « règlement » auquel il aurait consenti le 10 juin 2004 n’a jamais été soumis à la Commission pour approbation, contrairement à ce que requiert l’article 48 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, ainsi rédigé :

48. (1) Les parties qui conviennent d’un règlement à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, mais avant le début de l’audience d’un tribunal des droits de la personne, en présentent les conditions à l’approbation de la Commission.

 

48. (1) When, at any stage after the filing of a complaint and before the commencement of a hearing before a Human Rights Tribunal in respect thereof, a settlement is agreed on by the parties, the terms of the settlement shall be referred to the Commission for approval or rejection.

 

(2) Dans le cas prévu au paragraphe (1), la Commission certifie sa décision et la communique aux parties.

 

(2) If the Commission approves or rejects the terms of a settlement referred to in subsection (1), it shall so certify and notify the parties.

 

(3) Le règlement approuvé par la Commission peut, par requête d’une partie ou de la Commission à la Cour fédérale, être assimilé à une ordonnance de cette juridiction et être exécuté comme telle.

(3) A settlement approved under this section may, for the purpose of enforcement, be made an order of the Federal Court on application to that Court by the Commission or a party to the settlement.

 

 

 

[83]           Selon M. Loyer, c’est à tort que la Commission a conclu qu’un règlement avait été obtenu à propos de sa plainte alors que la Commission n’avait jamais approuvé un tel règlement.

 

[84]           Ici, encore une fois, il faut s’en rapporter à ce furent véritablement les conclusions de l’enquêteur. Plus exactement, si l’enquêteur a recommandé que la plainte de M. Loyer soit rejetée, c’était parce qu’il avait conclu que ses questions au chapitre des droits de la personne avaient été résolues par une sentence arbitrale, et non par un règlement. Dans ces conditions, je ne suis pas persuadée qu’il était nécessaire de renvoyer l’affaire à la Commission pour approbation comme le prévoit l’article 48 de la Loi.

 

[85]           Si je me trompe à ce sujet, je suis néanmoins d’avis que l’article 48 ne devrait pas avoir pour effet l’annulation de la décision prise par la Commission en application de l’article 44.

 

[86]           L’article 48 est formulé en des termes impératifs, mais la réalité est que les affaires de droits de la personne se soldent très souvent par un compromis, sans la sanction officielle de la Commission. Parfois les parties ne seront pas disposées à communiquer les modalités d’un règlement à la Commission, et l’approbation de la Commission ne sera donc pas toujours possible. Parfois encore, la Commission ne sera pas informée qu’un règlement a été conclu entre les parties à une plainte, le résultat étant que l’article 48 ne sera, là encore, pas respecté.

 

[87]           Il y a peu de jurisprudence sur l’article 48 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cependant, lorsqu’on lit la disposition dans son contexte, en tenant compte des objets de la Loi tout entière, et à la lumière du mandat de la Commission dans l’intérêt public, il est clair que l’objet de l’article 48 est de faire en sorte que les commissaires eux‑mêmes puissent intervenir dans le règlement d’une plainte, pour s’assurer que les buts réparateurs de la Loi sont bien pris en compte dans la solution apportée à la plainte.

 

[88]           En l’espèce, lorsqu’ils ont décidé, en vertu de l’article 44 de la Loi, qu’aucun examen complémentaire de la plainte de M. Loyer n’était justifié eu égard à la solution apportée par la procédure arbitrale, les commissaires concluaient implicitement que les objets réparateurs du texte de loi avaient été suffisamment pris en compte par la sentence Teplitsky.

 

[89]           Compte tenu de la fréquente recommandation de la Cour suprême du Canada selon laquelle la Loi canadienne sur les droits de la personne doit être interprétée d’une manière généreuse et libérale, afin de garantir la pleine réalisation de ses objets réparateurs, ce serait selon moi adopter, pour l’article 48, une approche indûment technique que de prétendre que, dans la présente affaire, la Commission n’avait pas compétence pour prendre une décision selon l’article 44 de la Loi parce qu’elle ne s’était pas strictement conformée à l’article 48.

 

Dispositif

[90]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les deux parties reconnaissent que les dépens, calculés de la façon ordinaire, devraient suivre l’issue de la cause, et j’en ordonne ainsi.

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE : la demande est rejetée, avec dépens.

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑2266‑05

 

 

INTITULÉ :                                       RICHARD LOYER c.

                                                            AIR CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 12 SEPTEMBRE 2006

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE MacTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 2 OCTOBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Yavar Hameed

 

POUR LE DEMANDEUR

Rachelle Henderson

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Yavar Hameed

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Rachelle Henderson

Avocate

Dorval (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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