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Date : 20060928

Dossier : IMM-7494-05

Référence : 2006 CF 1157

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

QI ZHAO et

YIXIAO ZHANG

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Le contexte

[1]               La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a déterminé que ni Qi Zhao ni son fils, Yixiao Zhang, n’avaient la qualité de réfugié au sens de la Convention. Elle a conclu en particulier que la demande était dénuée d’un minimum de fondement. Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de cette décision.

 

II.         Les faits

[2]               Les demandeurs ont fondé leur demande d’asile sur la persécution religieuse dont ils auraient été victimes en Chine en tant que chrétiens. Au dire de Qi Zhao, la police a ordonné à son employeur de la punir, ce qui lui a valu d’être rétrogradée de son poste d’enseignante à un poste de préposée au nettoyage.

 

[3]               Qi Zhao a fait état de nombreux incidents de persécution de la part de l’État, d’agressions, de persécution d’amis et, en fin de compte, de son licenciement par son employeur, le tout à cause de ses croyances chrétiennes.

 

[4]               La Commission a conclu de façon générale que Qi Zhao était une menteuse et que son récit tout entier était un tissu de mensonges. Elle a fait état de ses doutes quant à la crédibilité de la demanderesse en termes catégoriques, dont voici quelques exemples :

·                    « Le penchant de la demandeure à la tromperie est apparu dès le début de l’audience »;

·                    « Cette tendance à vouloir tromper est constante dans son témoignage »;

·                    « Une fois de plus, le serpent des incohérences s’est dressé »;

·                    « Elle est trompeuse, et le tribunal ne peut s’attendre à ce qu’elle dise la vérité »;

·                    « Je ne trouve pas une once de vérité dans tout son témoignage, sauf… ».

 

[5]               D’après les demandeurs, ces propos confirment qu’à l’audience diverses remarques, questions et interruptions ont dénoté l’existence d’une partialité ou d’une crainte raisonnable de partialité qui se sont cristallisées dans la décision.

[6]               Les demandeurs soulèvent trois questions :

·                    Y a-t-il eu partialité ou crainte raisonnable de partialité?

·                    Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale en ne donnant pas aux demandeurs la possibilité de faire valoir leurs arguments?

·                    Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale en concluant que la demande était dénuée d’un minimum de fondement?

 

A.        La partialité

[7]               Le critère relatif à la crainte raisonnable de partialité est bien établi dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369 : la crainte de partialité doit être raisonnable, et le fait d’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique.

 

[8]               Il n’y a pas eu d’opposition à la conduite de la Commission, mais ce défaut n’empêche pas d’accorder un redressement, pas plus qu’il ne constitue une renonciation. L’obligation d’opposition, bien qu’il s’agisse d’un principe général, n’est pas un précepte absolu; elle dépend des circonstances, dont celle de savoir quand il serait raisonnable de conclure qu’un interrogatoire énergique a révélé en fait l’existence d’une partialité ou d’une crainte raisonnable de partialité. (Chaudhry c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1015, [2006] A.C.F. no 1280 (QL)).

 

[9]               J’ai lu en détail les transcriptions de l’audience. La décision est rédigée en un langage coloré, mais il est loisible au décideur de tirer des conclusions de fait catégoriques. La transcription révèle un certain agacement face à des éléments de preuve dont le mieux que l’on puisse dire est qu’ils sont déroutants.

 

[10]           Pour franchir la ligne de démarcation de la « crainte raisonnable de partialité » il faut que les éléments de preuve qui suscitent cette crainte soient clairs et importants. À mon avis, la preuve, considérée dans son ensemble, n'atteint pas ce niveau.

 

B.         La possibilité de faire valoir ses arguments

[11]           Cette question comporte un aspect particulièrement problématique. Il y a eu une preuve importante à propos du fait que la mère de Qi Zhao avait téléphoné depuis un hôpital pour signaler que des voisins avaient dit à sa propre mère que la police se présentait chez elle. Répondant à une question de la Commission sur l’endroit où se trouvait la mère au moment de l’appel téléphonique, la demanderesse a dit qu’elle était chez elle.

 

[12]           Cette question était manifestement importante pour la Commission car elle a conclu ce qui suit, aussitôt après l’avoir décrite :

En cherchant peu judicieusement à couvrir ses contradictions, elle a ajouté que, en disant que sa mère appelait de chez elle, elle voulait dire qu’elle appelait de la Chine (comme si le tribunal croyait que sa mère vivait ailleurs qu’en Chine). Cette tentative flagrante de duperie démontre, comme il a été indiqué plus tôt, que la demandeure d’asile et la preuve qu’elle présente, ne sont pas crédibles, et que son témoignage n’est pas digne de foi.

 

[13]           Une lecture de la transcription révèle l’existence d’un élément d’échanges entre la Commission et l’interprète. À titre d’exemple, quand l’interprète a mentionné qu’elle ne comprenait pas la question de la Commission, le commissaire a répondu qu’il lui importait peu de savoir si l’interprète saisissait la question; elle avait juste à la traduire. Cet échange témoigne d’une étonnante méconnaissance du rôle que joue un traducteur ou un interprète en communiquant le sens réel des mots, d’une langue dans une autre. Il y a d’autres cas où l’interprète a eu de la difficulté, peut-être à cause du témoignage déroutant.

 

[14]           Les demandeurs ont introduit un affidavit de Jun Cai, une étudiante-stagiaire en droit auprès du cabinet de leur avocate, qui s’exprime couramment en mandarin et en anglais et qui a passé en revue les bandes d’enregistrement de l’audience.

 

[15]           Mme Cai a déclaré qu’en ce qui concerne l’incident entourant les mots « chez elle », l’interprète n’a pas traduit avec exactitude le sens approprié de l’expression [traduction] « dans ce cas et dans d’autres ». Il n’y a pas eu de contre-interrogatoire sur cet affidavit, et aucune contre-preuve n’a été produite.

 

[16]           Vu le rôle prépondérant que les mots « chez elle » ont joué dans les motifs de la Commission, je ne suis pas persuadé que l’on a donné aux demandeurs toute possibilité de faire valoir leurs arguments. Les problèmes de traduction ou d’interprétation, souvent invoqués devant la présente Cour mais rarement établis, peuvent priver une personne de la possibilité d’être entendue – il s’agit là d’un principe central de la justice naturelle et de l’équité.

 

[17]           Pour cette raison, la demande de contrôle judiciaire doit être accordée, la décision de la Commission annulée et l’affaire renvoyée à un tribunal différent pour qu’il statue à nouveau sur cette dernière.

 

[18]           Point n’est besoin de tirer des conclusions sur la question de « l’absence de minimum de fondement ». Il n’y a pas non plus de question à certifier.

 

 


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE QUE la présente demande de contrôle judiciaire soit accordée, la décision de la Commission annulée et l’affaire renvoyée à un tribunal différent pour qu’il statue à nouveau sur cette dernière.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7494-05

 

INTITULÉ :                                       QI ZHAO ET YIXIAO ZHANG

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 25 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 28 SEPTEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTION :

 

Wennie Lee

 

POUR LES DEMANDEURS

Negar Hashemi

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

LEE & COMPANY

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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