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Date : 20060929

Dossier : IMM-6808-05

Référence : 2006 CF 1142

ENTRE :

HARMINDER SINGH UPPAL

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

 

LE JUGE PINARD

 

 

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire vise une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a tranché, en date du 19 octobre 2005, que le demandeur n’était ni un « réfugié au sens de la Convention » ni une « personne à protéger », selon les définitions données aux articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

[2]      Harminder Singh Uppal (le demandeur) allègue que, en 1996, il s’est enfui de l’Inde parce qu’il craignait d’être tué s’il y restait, en raison d’un conflit concernant une terre entre son père et des parents éloignés de ce dernier.

 

[3]   Le demandeur prétend que, au début des années 1990, ses cousins ont usé de leur influence pour que la police accepte des faux rapports selon lesquels son père et lui‑même soutenaient des terroristes. À la suite de ces fausses allégations, son père aurait été battu, qu’il aurait, ainsi que lui‑même, reçu des menaces de mort et, en 1998, son père serait décédé après avoir été battu par la police.

 

[4]   En 1996, le demandeur a quitté l’Inde et s’est rendu au Royaume-Uni en passant par l’Espagne et la France. Il est retourné en Inde à deux occasions différentes.

 

[5]      En 2004, muni d’un faux passeport britannique, le demandeur est entré au Canada et a demandé l’asile du fait qu’il craignait que ses cousins le fassent assassiner en se servant de l’influence qu’ils exercent sur la police, comme ce fut le cas pour son père.

 

[6]      Le principal motif invoqué par la Commission pour refuser sa demande d’asile était son manque de crédibilité. La décision était fondée sur les conclusions de fait suivantes dont aucune n’a été contestée par le demandeur :

·     Le demandeur a quitté l’Inde en 1996 pour se rendre au Royaume‑Uni; il y a vécu pendant huit ans sans demander l’asile.

 

·     Le demandeur a résidé au Royaume‑Uni avec une fausse identité; il a utilisé des documents falsifiés pour entrer au Canada et a demandé l’asile seulement après avoir été mis en présence des faits.

 

·     Le demandeur risquait d’être expulsé du Royaume‑Uni durant toute la période où il y a vécu puisqu’il avait obtenu son statut de façon frauduleuse.

 

·     Le demandeur est retourné en Inde à deux reprises durant cette période de huit ans, chaque fois pour un séjour d’environ trois semaines pour rendre visite à sa mère.

 

·     Le demandeur n’a soumis aucune preuve documentaire pour corroborer sa version des faits concernant sa crainte de représailles par des parents éloignés, avec qui sa famille s’est trouvée mêlée à une dispute concernant une terre et qui ont incité la police à arrêter son père et à le battre à mort sur la foi de fausses accusations.

 

·     L’explication du demandeur pour justifier son défaut de produire ces documents était qu’il ne croyait pas qu’ils étaient nécessaires.

 

 

[7]      Après avoir décidé que la demande d’asile devait être rejetée parce que le demandeur n’était pas crédible, la Commission a poursuivi en disant que : « [j]e suis convaincu que New Delhi constitue une PRI viable ». La Commission a conclu que le demandeur bénéficiait d’une PRI (possibilité de refuge intérieur) à New Delhi pour les raisons suivantes :

·     Malgré ses craintes, il n’avait jamais été arrêté par la police et n’était pas actuellement recherché par la police.

 

·     Il a demandé et obtenu un passeport indien authentique pendant qu’il résidait au Royaume‑Uni.

 

·     La preuve documentaire démontrait que seuls les militants sikhs notoires sont recherchés par la police du Penjab.

 

 

* * * * * * * *

 

 

1.   Article 7 des Règles de la SPR

 

[8]      L’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (les RSPR), DORS/2002‑228, énonce ce qui suit :

     7. Le demandeur d'asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S'il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s'en procurer.

 

 

7. The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.

 

 

[9]      Le demandeur soutient que l’alinéa 3(2)e) de la Loi prévoit que la procédure mise en place pour traiter les demandes d’asile doit être équitable et efficace.

3. (2) S’agissant des réfugiés, la présente loi a pour objet :

[…]

e) de mettre en place une procédure équitable et efficace qui soit respectueuse, d’une part, de l’intégrité du processus canadien d’asile et, d’autre part, des droits et des libertés fondamentales reconnus à tout être humain;

 

3. (2) The objectives of this Act with respect to refugees are

[…]

(e) to establish fair and efficient procedures that will maintain the integrity of the Canadian refugee protection system, while upholding Canada’s respect for the human rights and fundamental freedoms of all human beings;

 

 

 

[10]    Selon le demandeur, l’article 7 des RSPR viole l’alinéa 3(2)e) de la Loi puisque la procédure mise en place en vertu de l’article 7 n’est pas équitable pour les réfugiés qui fuient la persécution, la mort ou la torture et qui ne sont pas en mesure de produire des documents corroborants ou de fournir une explication justifiant le fait qu’ils ne peuvent pas produire ces documents.

 

[11]    Le demandeur soutient avoir effectivement témoigné sous serment, mais la Commission lui a reproché de ne pas avoir produit de documents à l’appui du « principal élément de sa demande d’asile, soit que son père lui a laissé la terre en héritage ou qu’il est décédé après avoir été battu pendant qu’il était en détention ». La Commission a par conséquent conclu ce qui suit :

[…] En l’absence de tout document pouvant soutenir tout aspect de la demande d’asile autre que des pièces d’identité du demandeur confirmant qu’il est citoyen de l’Inde et qu’il vient du Penjab, je suis convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur contrevient à l’article 7 des Règles de la SPR, et je conclus qu’il n’est pas crédible.

 

 

[12]    Le demandeur soutient que cette conclusion constitue une erreur de droit grave.

 

[13]    Pourtant, le paragraphe 161(1) de la Loi confère à la présidence le pouvoir de prendre des règles, telles que l’article 7 des RSPR, et le demandeur n’a pas expliqué comment l’inobservation de l’alinéa 3(2)e) de la Loi (énoncé de l’objet de la Loi) entraîne la nullité de l’article 7. À mon avis, l’inobservation de l’alinéa 3(2)e) de la Loi ne saurait rendre l’article 7 ultra vires de sa disposition habilitante, à savoir le paragraphe 161(1) qui est rédigé comme suit :

161. (1) Sous réserve de l’agrément du gouverneur en conseil et en consultation avec les vice-présidents et le directeur général de la Section de l’immigration, le président peut prendre des règles visant :

 

a) les travaux, la procédure et la pratique des sections, et notamment les délais pour interjeter appel de leurs décisions, l’ordre de priorité pour l’étude des affaires et les préavis à donner, ainsi que les délais afférents;

 

b) la conduite des personnes dans les affaires devant la Commission, ainsi que les conséquences et sanctions applicables aux manquements aux règles de conduite;

 

c) la teneur, la forme, le délai de présentation et les modalités d’examen des renseignements à fournir dans le cadre d’une affaire dont la Commission est saisie;

d) toute autre mesure nécessitant, selon lui, la prise de règles.

 

161. (1) Subject to the approval of the Governor in Council, and in consultation with the Deputy Chairpersons and the Director General of the Immigration Division, the Chairperson may make rules respecting

 

(a) the activities, practice and procedure of each of the Divisions of the Board, including the periods for appeal, the priority to be given to proceedings, the notice that is required and the period in which notice must be given;

 

(b) the conduct of persons in proceedings before the Board, as well as the consequences of, and sanctions for, the breach of those rules;

 

(c) the information that may be required and the manner in which, and the time within which, it must be provided with respect to a proceeding before the Board; and

(d) any other matter considered by the Chairperson to require rules.

 

 

[14]    En tout état de cause, je suis d’avis que l’article 7 des RSPR ne prescrit pas une procédure non équitable. Cette disposition fait ressortir l’importance d’établir l’identité du demandeur et les éléments de sa demande d’asile. Elle n’impose au demandeur d’asile aucune exigence absolue de fournir ces documents mais, s’il ne fournit pas de documents établissant son identité et les autres éléments de sa demande, elle exige de lui qu’il explique pourquoi il n’a pas été en mesure de les obtenir. Contrairement à la proposition du demandeur, il s’agit d’une charge dont le demandeur d’asile peut s’acquitter.

 

[15]    Dans la présente affaire, le demandeur n’a jamais affirmé ne pas être en mesure de produire pareils documents. Il a plutôt dit à la Commission qu’il ne croyait pas qu’ils étaient nécessaires.

 

[16]    À mon avis, les mots « documents acceptables » à l’article 7 des RSPR doivent être lus en corrélation avec l’article 170 de la Loi qui accorde à la Commission un pouvoir discrétionnaire étendu pour alléger le fardeau de preuve d’un demandeur d’asile dans des circonstances appropriées. L’article 170 est rédigé comme suit :

170. Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de la protection des réfugiés :

 

a) procède à tous les actes qu’elle juge utiles à la manifestation du bien-fondé de la demande;

 

b) dispose de celle-ci par la tenue d’une audience;

 

c) convoque la personne en cause et le ministre;

 

 

d) transmet au ministre, sur demande, les renseignements et documents fournis au titre du paragraphe 100(4);

 

e) donne à la personne en cause et au ministre la possibilité de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations;

 

f) peut accueillir la demande d’asile sans qu’une audience soit tenue si le ministre ne lui a pas, dans le délai prévu par les règles, donné avis de son intention d’intervenir;

 

 

 

g) n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;

 

h) peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision;

 

 

i) peut admettre d’office les faits admissibles en justice et les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.

 

170. The Refugee Protection Division, in any proceeding before it,

 

(a) may inquire into any matter that it considers relevant to establishing whether a claim is well-founded;

 

(b) must hold a hearing;

 

 

(c) must notify the person who is the subject of the proceeding and the Minister of the hearing;

 

(d) must provide the Minister, on request, with the documents and information referred to in subsection 100(4);

 

(e) must give the person and the Minister a reasonable opportunity to present evidence, question witnesses and make representations;

 

(f) may, despite paragraph (b), allow a claim for refugee protection without a hearing, if the Minister has not notified the Division, within the period set out in the rules of the Board, of the Minister’s intention to intervene;

 

(g) is not bound by any legal or technical rules of evidence;

 

(h) may receive and base a decision on evidence that is adduced in the proceedings and considered credible or trustworthy in the circumstances; and

 

(i) may take notice of any facts that may be judicially noticed, any other generally recognized facts and any information or opinion that is within its specialized knowledge.

 

 

[17]    L’article 7 constitue une codification de la common law qui existait sous le régime de la Loi sur l’immigration. Avant la promulgation de l’article 7, le droit exigeait que les demandeurs d’asile fournissent une preuve suffisante de leur identité ou qu’ils expliquent leur défaut de fournir pareille preuve (voir, par exemple, Husein c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 726 (1re inst.) (QL); Salim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1547 (C.F. 1re inst.) (QL); Yogeswaran c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2001 CFPI 48; Keita c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2001 CFPI 187).

 

[18]    La jurisprudence de la Cour révèle que l’exigence de l’article 7 des RSPR relève également du bon sens, tel qu’il a été mentionné dans la décision Ortiz Juarez c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 288 :

[7] Les demandeurs soutiennent que la CISR n’avait pas le droit d’exiger des éléments de preuve corroborants étant donné que leur récit bénéficie d’une présomption de véracité. Cet argument est tout simplement surprenant. L’exigence de la corroboration relève du bon sens. La question est succinctement exposée à la page 973 de l’ouvrage de Sopinka, Lederman et Bryant intitulé The Law of Evidence in Canada, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1999 :

 

[traduction] La règle générale veut que le témoignage d’un seul témoin soit suffisant, dans la mesure où le degré de certitude requis est atteint, pour qu’une déclaration de culpabilité ou un jugement en matière civile puisse être prononcé. Comme il peut exister des doutes quant à la fiabilité du témoignage d’un témoin – le témoin pourrait avoir un intérêt financier dans l’issue de l’instance ou être un complice – le juge des faits peut chercher des éléments de preuve à l’appui afin de corroborer le témoignage du témoin en question. Cette recherche de la preuve corroborante relève du bon sens.

 

 

[19]    De plus, il est intéressant de noter la similarité de l’article 106 de la Loi, même si cette disposition se rapporte strictement à la question de l’identité. Cet article est rédigé comme suit :

   106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

 

   106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

 

 

[20]    À mon avis, l’article 7 des RSPR ne prescrit pas une procédure qui n’est pas équitable et ne va pas ainsi à l’encontre de l’alinéa 3(2)e) de la Loi.

 

2.   Possibilité de refuge intérieur

 

 

[21]    Le demandeur n’a pas réussi à démontrer que la conclusion principale de la Commission suivant laquelle sa demande d’asile échouait parce qu’il n’était pas crédible est erronée. En conséquence, même si la Cour acceptait tous les reproches formulés par le demandeur à l’égard de la conclusion de la Commission concernant la possibilité de refuge intérieur (PRI), la demande de contrôle judiciaire proposée échouerait nécessairement de toute façon. Par conséquent, l’attaque du demandeur contre cette conclusion n’est pas déterminante. 

 

* * * * * * * *

 

[22]    Pour tous les motifs exposés précédemment, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[23]    L’avocat du demandeur propose les questions suivantes en vue de la certification :

1.        L’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés est‑il ultra vires de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, en ce sens qu’il viole son alinéa 3(2)e)?

 

2.        Un règlement ou une règle pris par le gouverneur en conseil, en vertu du paragraphe 5(1) de la LIPR, qui est incompatible avec l’« objet » de la LIPR énoncé à l’article 3 sera‑t‑il ultra vires de la LIPR?

 

 

 

[24]    Après avoir examiné les observations écrites présentées au nom des parties quant à la certification de ces questions, je souscris à l’opinion de l’avocat du défendeur suivant laquelle les questions proposées, eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, ne transcendent pas les intérêts des parties au litige et n’abordent pas des éléments ayant des conséquence importantes ou qui sont de portée générale (voir Liyanagamage c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 176 N.R. 4 (C.A.F.)). Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 29 septembre 2006

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                               IMM-6808-05

 

INTITULÉ :                                                              HARMINDER SINGH UPPAL

                                                                                   c.

                                                                                   LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                       ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                       TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                      LE 8 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                   LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                                             LE 29 SEPTEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jaswant Singh Mangat                                                 POUR LE DEMANDEUR

 

Kevin Lunney                                                              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mangat & Semotiuk                                                    POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Mississauga (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

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