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Date : 20060925

Dossier : T‑1965‑05

Référence : 2006 CF 1135

Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY‑LAMER

 

ENTRE :

SANOFI-AVENTIS CANADA INC.

demanderesse

et

 

NOVOPHARM LIMITÉE et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

et

 

SCHERING CORPORATION

défenderesse/brevetée

 

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s'agit d'un appel de l'ordonnance en date du 8 mai 2006 par laquelle la protonotaire Martha Milczynski a rejeté la requête en rejet sommaire de la présente demande, formée par Novopharm en vertu de l'alinéa 6(5)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement), qui habilite la Cour à rejeter une demande si elle conclut qu'elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement un abus de procédure. Novopharm soutenait que la demande constituait un abus de procédure et devait être rejetée d'emblée au motif de l'autorité de la chose jugée ou de la préclusion pour même question en litige, compte tenu de la décision Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc. et al. 2005 CF 1283, (2005), 43 C.P.R. (4th) 161 (C.F.) [la première demande d'Aventis touchant le brevet 206], conf. par 2006 CAF 64, (2006), 46 C.P.R. (4th) 401 (C.A.F.), autorisation de pourvoi refusée, [2006] C.S.C.R. no 136.

 

LES FAITS

 

            La procédure principale

 

[2]               Le 12 février 2005, Novopharm a signifié à Aventis, sous le régime de l'article 5 du Règlement, un avis d'allégation (l'AA de Novopharm) à l'égard de sa drogue ramipril en capsules pour administration orale de 1,25 mg, 2,5 mg, 5 mg et 10 mg, et du brevet canadien no 1341206 (le brevet 206).

 

[3]               Novopharm soutient à la section 2.5 (pages 6 à 16) de son AA, sous le régime de l'alinéa 5(1)b)(iii) du Règlement, que les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206 ne sont pas valides et que la revendication 12 du même brevet n'est pas contrefaite. Les autres revendications ne sont pas pertinentes, étant donné qu'elles ne se rapportent pas au « médicament », à savoir le ramipril.

 

[4]               Plus précisément, Novopharm soutient à la section 2.5 (pages 6 à 16) de son AA que le brevet 206 est invalide aux motifs suivants :

a)         les inventeurs n'avaient analysé tous les composés revendiqués dans les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 ni à la date de priorité du brevet 206 ni à la date de dépôt au Canada de ce brevet, de sorte qu'ils ne pouvaient avoir démontré l'utilité de tous lesdits composés;

b)         les inventeurs ne disposaient d'un fondement valable pour prédire que tous les composants sur lesquels portent les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 rempliraient la fonction voulue ni à la date de priorité du brevet 206 ni à la date de dépôt au Canada de ce brevet.

 

[5]               Ces mêmes allégations d'invalidité basées sur l'absence de prédiction valable ont été déclarées fondées par notre Cour dans le cadre de la première demande d'Aventis touchant le brevet 206. L'AA de Novopharm cite toutes les antériorités citées dans l'AA d'Apotex, et par les souscripteurs d'affidavit d'Apotex, dans le cadre de la première demande d'Aventis touchant le brevet 206.

 

[6]               En réponse à l'AA de Novopharm, Aventis a introduit sous le régime du Règlement une demande en vue d'obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité (AC) à Novopharm à l'égard des capsules pour administration orale de 1,25 mg, 2,5 mg, 5 mg et 10 mg de la drogue ramipril avant l'expiration du brevet 206.

 

La première demande d'Aventis touchant le brevet 206

 

[7]               Dans le cadre de la première demande d'Aventis touchant le brevet 206 (dossier de la Cour no T‑1742‑03), Apotex avait signifié à Aventis un AA concernant les capsules pour administration orale de la drogue ramipril (l'AA d'Apotex). Apotex soutenait dans son AA que le brevet 206 était invalide au motif de l'absence de prédiction valable relativement aux revendications de ce brevet. Novopharm formule la même allégation dans son AA.

 

[8]               En réponse à l'AA d'Apotex, Aventis a introduit sa première demande touchant le brevet 206. Elle y sollicitait une ordonnance interdisant au ministre de délivrer à Apotex un AC à l'égard des capsules pour administration orale de la drogue ramipril avant l'expiration du brevet 206. Schering était aussi partie à la première demande d'Aventis touchant le brevet 206, de même que le ministre.

 

[9]               Par ordonnance motivée en date du 20 septembre 2005, ma collègue la juge Anne Mactavish a rejeté la première demande d'Aventis touchant le brevet 206 et a conclu au caractère fondé des allégations d'absence de prédiction valable formulées au sujet du brevet 206. Il appert clairement de la décision de la juge Mactavish que les revendications mises en litige devant elle dans la première demande d'Aventis touchant le brevet 206 sont les mêmes que celles en cause dans la présente demande, soit les revendications 1, 2, 3, 6 et 12 du brevet 206.

 

[10]           Aventis a interjeté appel de la décision rendue par la juge Mactavish sur sa première demande touchant le brevet 206. La Cour d'appel fédérale a rejeté cet appel le 13 février 2006. Schering était partie intimée à cet appel.

 

La décision de la protonotaire Milczynski

 

[11]           Le 15 mars 2006, Novopharm a déposé une requête en rejet de la présente demande au motif de l'autorité de la chose jugée ou de la préclusion pour même question en litige, et au motif qu'elle serait inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constituerait autrement un abus de procédure.

 

[12]           La protonotaire Milczynski a entendu cette requête de Novopharm le 5 mai 2006. Par ordonnance en date du 8 mai 2006, elle l'a rejetée, sous toutes réserves, au motif que les règles de l'autorité de la chose jugée, de la préclusion pour même question en litige et de l'abus de procédure ne sont applicables que s'il y a eu décision définitive, et qu'une décision est définitive et lie les parties seulement lorsque tous les recours possibles en révision sont épuisés ou ont été abandonnés. Elle invoquait à cet égard le paragraphe 46 de l'arrêt de la Cour suprême du Canada Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77. La protonotaire Milczynski n'a mis en question dans son exposé de motifs ni la justification au fond de la requête ni la possibilité d'obtenir la réparation demandée par Novopharm. Sa seule préoccupation était que le critère de l'autorité de la chose jugée n'était pas rempli, puisque la décision de la première demande d'Aventis touchant le brevet 206 qu'invoquait Novopharm n'était pas définitive, et elle ne l'était pas selon elle parce que tous les recours n'avaient pas été épuisés, la Cour suprême du Canada ne s'étant pas encore prononcée sur la requête en autorisation de pourvoi d'Aventis.

 

[13]           Le 18 avril 2006, soit plus d'un mois après que Novopharm eut signifié à Aventis et à Schering sa requête en rejet de la présente demande et plus de deux mois après la décision de la Cour d'appel fédérale sur la première demande d'Aventis touchant le brevet 206, Aventis a déposé devant la Cour suprême du Canada une requête en autorisation de se pourvoir contre ladite décision.

 

[14]           La Cour suprême, par décision non motivée en date du 3 août 2006, a rejeté avec dépens la requête d'Aventis en autorisation de se pourvoir devant elle : [2006] C.S.C.R. no 136.

 

[15]           Je ferai remarquer que, s'il y a jamais eu un doute sur le caractère définitif de la décision en question avant ce dernier rejet par la Cour suprême, il est maintenant indiscutable qu'elle est définitive.

 

[16]           « Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants : a) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, b) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits. » Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459 (C.A.F), au paragraphe 19.

 

[17]           Dans la présente espèce, la question que soulève la requête a manifestement une influence déterminante sur l'issue du principal. Je me trouve ici en accord avec l'avocat de Novopharm, citant Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, aux pages 464 et 465 : « [P]our savoir si le résultat de la procédure est un facteur déterminant de l'issue du principal, il faut examiner le point à trancher avant que le protonotaire ne réponde à la question, alors que pour savoir si la décision est interlocutoire ou définitive (ce qui est purement une question de forme), la question doit se poser après la décision du protonotaire. Il me semble que toute autre approche réduirait la question de fond de "l'influence déterminante sur l'issue du principal" à une question purement procédurale de distinction entre décision interlocutoire et décision définitive, et protégerait toutes les décisions interlocutoires contre les attaques (sauf le cas d'erreur de droit) ».

 

[18]           Qui plus est, l'ordonnance de la protonotaire Milczynski en date du 8 mai 2006 est à mon sens entachée d'erreur flagrante dans la mesure où elle conclut qu'une décision n'est définitive pour l'application de l'alinéa 6(5)b) du Règlement que lorsque tous les recours possibles en révision ont été épuisés. Je souscris à la proposition de Novopharm selon laquelle le passage de l'arrêt Toronto (Ville) c. S.C.F.P., [2003] 3 R.C.S. 77 sur lequel la protonotaire s'est fondée est une remarque incidente et ne peut se substituer à la règle fondamentale, qui est à mon sens qu'une ordonnance judiciaire demeure valable, est définitive et lie les parties, à moins qu'elle ne soit infirmée en appel et jusqu'à ce qu'elle le soit; voir Wilson c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 594; Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, à la page 871; Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, au paragraphe 19; et Dableh c. Ontario Hydro, [1994] O.J. no 2771 (C. Ont., Div. gén.), au paragraphe 9. Ajoutons que le risque de jugements contradictoires est écarté par la possibilité d'obtenir un sursis d'exécution jusqu'à ce que la Cour suprême du Canada se prononce sur la requête en autorisation de se pourvoir devant elle. Dans la présente espèce, cependant, la question est purement théorique, puisque la Cour suprême du Canada a rejeté la requête en autorisation de pourvoi.

 

[19]           Je souscris à l'argument de Novopharm selon lequel, du point de vue de l'action publique, une application souple de la doctrine de l'abus de procédure s'impose, étant donné la nature sommaire de la procédure et le fait qu'elle doit être achevée dans un délai de 24 mois. En posant l'obligation pour les plaideurs d'attendre l'issue des requêtes en autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême du Canada, on ne ferait qu'encourager le dépôt de telles requêtes, on favoriserait la répétition inutile des litiges et on permettrait en fait aux parties de contourner l'objet de l'alinéa 6(5)b) du Règlement.

 

[20]           Compte tenu de ce qui précède, j'instruirai l'affaire de novo.

 

2.         Le critère applicable à l'alinéa 6(5)b)

 

[21]           L'alinéa 6(5)b) du Règlement dispose ce qui suit :

6(5) Lors de l’instance relative à la demande visée au paragraphe (1), le tribunal peut, sur requête de la seconde personne, rejeter la demande si, selon le cas :

 

[…]

 

b) il conclut qu’elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement un abus de procédure.

6(5) In a proceeding in respect of an application under subsection (1), the court may, on the motion of a second person, dismiss the application

 

 

[…]

 

(b) on the ground that the application is redundant, scandalous, frivolous or vexatious or is otherwise an abuse of process.

 

[22]           Je suis d'accord avec Novopharm pour dire que, s'agissant d'interprétation législative, il est évident que le législateur n'avait pas l'intention de limiter le pouvoir de la Cour de rejeter les demandes en vertu de l'alinéa 6(5)b) aux seuls cas où serait rempli le critère traditionnel de l'autorité de la chose jugée ou de la préclusion pour même question en litige (ce dernier principe étant une forme parmi d'autres du premier).

 

[23]           Notre Cour applique en général la règle selon laquelle, pour obtenir la radiation d'une demande au motif qu'elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement un abus de procédure, le requérant doit prouver que cette demande est « si manifestement futile qu'elle n'a pas la moindre chance de succès ». Ce critère a été appliqué plusieurs fois à des affaires relevant de l'alinéa 6(5)b) : Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (1999), 1 C.P.R. (4th) 358 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 28 à 32; Bayer Inc. c. Apotex Inc. (1998), 85 C.P.R. (3d) 334 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 23 et 24; AB Hassle c. Apotex Inc., 2001 CFPI 530, (2001), 12 C.P.R. (4th) 289 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 28; et AstraZeneca AB c. Apotex Inc. 2002 CFPI 1249, (2002), 23 C.P.R. (4th) 213 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 11.

 

[24]           Les Cours fédérales appliquent aussi aux requêtes fondées sur l'alinéa 6(5)b) le critère du caractère « évident et manifeste », suivant lequel la demande sera rejetée s'il est « évident et manifeste » que le demandeur n'a aucune chance de succès : Apotex Inc. c. Merck Frosst Canada Inc. (1999), 87 C.P.R. (3d) 30 (C.A.F.), aux paragraphes 5 et 6; et GlaxoSmithKline Inc. c. Apotex Inc., 2003 CF 1055, (2003), 29 C.P.R. (4th) 350 (C.F.), aux paragraphes 12 et 13.

 

[25]           Novopharm soutient que, par la présente demande, Aventis et Schering essaient de remettre en litige la même question qui a déjà été débattue à fond et tranchée par la juge Mactavish, soit celle de savoir si le brevet 206 est invalide au motif de l'absence de prédiction valable. La Cour ayant déjà décidé ce point, fait valoir Novopharm, il ne devrait pas être permis à Aventis et Schering de le remettre en litige, étant donné que cela constituerait un abus de procédure.

 

[26]           La Cour suprême du Canada a effectué une étude approfondie la doctrine de l'abus de procédure dans Toronto (Ville) c. Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.), section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77. J'ai récemment examiné cette doctrine et l'arrêt susdit de la Cour suprême aux paragraphes 28 et 29 de la décision Aventis Pharma Inc. c.  Apotex Inc., 2005 CF 1504, [2005] A.C.F. no 1843 (C.F.) (QL) :

28      Selon la doctrine, la Cour dispose du pouvoir discrétionnaire résiduel inhérent d'empêcher que ses procédures soient utilisées abusivement. Cette doctrine est souple et « n'est pas alourdie par les exigences précises du principe de l'autorité de la chose jugée » : S.C.F.P., précité, au paragraphe 42. « La doctrine de l'abus de procédure s'articule autour de l'intégrité du processus juridictionnel et non autour des motivations ou de la qualité des parties » comme dans le cas de la préclusion : S.C.F.P., précité, au paragraphe 51. Comme l'indique la juge Layden‑Stevenson dans la décision AB Hassle, précitée, au paragraphe 94 :

 

Ceux qui critiquent cette doctrine font valoir que l'utilisation de l'abus de procédure à la place de la préclusion brouille la vraie question sans rien ajouter d'autre qu'une vague impression de pouvoir discrétionnaire. Je ne partage pas cette vue. Dans tous ses cas d'application, la doctrine de l'abus de procédure vise essentiellement à préserver l'intégrité de la fonction judiciaire. L'accent est mis davantage sur l'intégrité du processus décisionnel judiciaire comme fonction de l'administration de la justice que sur l'intérêt des parties. Lorsque l'accent est correctement mis sur l'intégrité du processus, le mobile de la partie qui cherche à rouvrir le débat ne saurait constituer un facteur décisif. [Non souligné dans l'original.]

 

29      L'abus de procédure comporte une forte dimension relative à l'intérêt public. Dans l'arrêt S.C.F.P., précité, la juge Arbour a affirmé que les raisons de principe sur lesquelles sont fondées les questions de préclusion et d'abus de procédure sont essentiellement les mêmes. Aux pages 103 et 104 de sa décision, elle cite un extrait de D. J. Lange, The Doctrine of Res Judicata in Canada (2000), aux pages 347 et 348 :

 

[TRADUCTION] Les deux raisons de principe, savoir qu'un litige puisse avoir une fin et que personne ne puisse être tracassé deux fois par la même cause d'action, ont été invoquées comme principes fondant l'application de la doctrine de l'abus de procédure pour remise en cause. D'autres principes ont également été invoqués : la préservation des ressources des tribunaux et des parties, le maintien de l'intégrité du système judiciaire afin d'éviter les résultats contradictoires et la protection du caractère définitif des instances si important pour la bonne administration de la justice.

 

[27]           Il n'est pas contesté que Novopharm soutient dans l'AA qui a donné lieu à la présente espèce que le brevet 206 est invalide pour cause d'absence de prédiction valable. Il n'est pas contesté non plus que cette allégation concernant le brevet 206 a déjà été déclarée fondée par la juge Mactavish et par la Cour d'appel fédérale dans des instances antérieures. La question centrale à trancher dans le cadre de la présente demande, soit celle de savoir si le brevet 206 est entaché d'une absence de prédiction valable, a donc déjà été débattue à fond par Aventis et Schering.

 

[28]           À mon avis, que l'on qualifie la présente demande d'inutile, de scandaleuse, de frivole ou de vexatoire, Aventis et Schering commettent un abus de procédure en remettant en litige la question même qui a été tranchée dans le cadre de la première demande d'Aventis touchant le brevet 206. Le Règlement a entre autres pour objet de prévenir les litiges inutiles. Il serait contraire à ses objets de permettre à une première personne de remettre en cause les mêmes questions dans des litiges ultérieurs et de bénéficier ainsi d'une période additionnelle d'injonction de 24 mois avec chaque « remise en cause ». Une telle conduite, consistant à remettre en litige une question déjà tranchée en demandant sous le régime du Règlement une deuxième ordonnance en interdiction concernant précisément la même question, constitue indiscutablement un abus de procédure.

 

[29]           En outre, sauf de rares exceptions, une telle remise en cause constitue une utilisation inefficiente des ressources judiciaires, va à l'encontre de l'intégrité du système judiciaire et enfreint le principe de l'irrévocabilité des décisions, si important pour la bonne administration de la justice. Afin d'assurer le règlement juste et expéditif des affaires qu'on leur soumet, les tribunaux judiciaires doivent se prémunir contre la répétition des litiges, qui fait perdre temps et ressources tant à eux‑mêmes qu’aux plaideurs et menacent le principe de l'irrévocabilité.

 

[30]           Aventis et Schering font valoir que, s'il est vrai que la Cour d'appel a confirmé la décision de la juge Mactavish, c'est une règle de droit bien connue que les décisions relevant de l'article 55.2 ne tranchent pas définitivement les questions de la validité ou de la contrefaçon. Effectivement, il se pourrait que la question de la validité fasse plus tard l'objet d'un procès en bonne et due forme. Schering invoque à cet égard les paragraphes 19, 23 et 24 de la décision rendue par la juge Mactavish dans la première demande d'Aventis touchant le brevet 206, conf. par la C.A.F. au paragraphe 7. Premièrement, je ferai remarquer que les observations de la juge Mactavish, aussi bien que celles de la Cour d'appel, avaient pour objet de mettre en garde contre la tentation d'assimiler les procédures relatives aux AC à des actions tendant à obtenir une décision sur la validité d'un brevet ou sa contrefaçon. Qui plus est, la vérité de l'affirmation de Schering ne change rien au fait qu'on commet à mon sens un abus de procédure en formant une demande sous le régime du Règlement en réponse à un AA dont les allégations, sur la base des mêmes faits, ont été déclarées fondées dans une instance antérieure. Que l'AA de Novopharm étaye de nouveaux éléments la thèse de l'absence de prédiction valable ne change rien au fait que la décision de la juge Mactavish sur la question de la prédiction valable sera maintenue – d'autant plus sûrement qu'elle a été confirmée par la Cour d'appel – et que la présente demande doit donner lieu au même résultat.

 

[31]           Étant donné la décision à laquelle a donné lieu la première demande d'Aventis touchant le brevet 206 et la force obligatoire de l'arrêt de la Cour d'appel qui l'a confirmée, on ne s'étonnera pas que la présente demande soit rejetée précisément aux mêmes motifs et que l'AA soit déclaré fondé pour cause d'absence de prédiction valable.

 

[32]           Aventis et Schering font valoir que la preuve produite dans la présente espèce concerne des questions particulières soulevées dans l'AA de Novopharm, dont certaines sont différentes de celles que soulevait l'AA d'Apotex. Elles allèguent aussi qu'elles produisent dans la présente instance des éléments de preuve différents de ceux qu'elles ont produit dans la première demande d'Aventis touchant le brevet 206. À ce propos, je reprendrai à mon compte les observations formulées par la juge Dolores Hansen au paragraphe 16 de Glaxo Group Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé), 2001 CFPI 16, [2001] A.C.F. no 159 (1re inst.) (QL) :

Dans l'affaire Hoffman-LaRoche, précitée, les facteurs qui ont conduit le juge Rothstein à conclure qu'il y avait un abus de procédure sont analogues aux faits qui ont été portés à ma connaissance en l'espèce. Les demanderesses et les brevets sont les mêmes dans les deux instances, les avis d'allégation sont pratiquement identiques et les questions en litige ont été débattues et tranchées dans le cadre de la première instance. Les plaideurs qui ont déjà plaidé et perdu un procès ne devraient pas être autorisés à introduire un nouveau procès sur la même question parce qu'ils ont obtenu de nouveaux éléments de preuve. Il s'agit là, à mon sens, d'un abus de procédure. [Non souligné dans l'original.]

 

[33]           À mon avis, Aventis et Schering essaient tout simplement de resservir une nouvelle mouture des arguments qu'elles avaient déjà avancés devant la juge Mactavish et que celle‑ci a en fin de compte repoussés en rejetant la première demande d'Aventis touchant le brevet 206. On ne peut évidemment entériner une telle approche. Il est en outre à noter qu'Aventis et Schering n'ont pas affirmé que cette prétendue [TRADUCTION] « meilleure preuve » ne leur était pas accessible au moment de la première demande. Il me paraît évident qu'elles essaient tout simplement de renforcer la preuve produite dans la première demande d'Aventis touchant le brevet 206, ce qui est manifestement un abus de procédure et ne saurait être admis.

 

[34]           Enfin, Schering invoque deux décisions, toutes deux rendues par la juge Carolyn Layden‑Stevenson, à l'appui de la thèse qu'une demande ne peut être rejetée sous le régime de l'alinéa 6(5)b) que si la seconde personne a établi la futilité de chacun des moyens de la première personne : AstraZeneca AB, précitée, au paragraphe 7; et AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2002 CFPI 1250 (2002) 23 C.P.R. (4th) 378, au paragraphe 8.

 

[35]           Je souscris à la proposition de Schering selon laquelle on ne doit accueillir une requête formée sous le régime de l'alinéa 6(5)b) que si la seconde personne a prouvé que la demande est futile dans son intégralité. Cependant, dans le cadre de la première demande d'Aventis touchant le brevet 206, la juge Mactavish a conclu, aux paragraphes 174 à 177 de son exposé de motifs, que l'AA d'Apotex était suffisant en ce qui a trait à la question de la prédiction valable. Or l'AA faisant l'objet de la présente demande propose, sur la question de l'invalidité du brevet 206, les mêmes allégations que celles qui ont été avancées dans le cadre de la première demande d'Aventis touchant ce brevet. Plus précisément, les deux AA allèguent l'invalidité pour cause d'absence de prédiction valable et fondent cette thèse sur les mêmes faits. Étant donné que l'AA de Novopharm est identique sous tous les aspects importants à l'AA d'Apotex pour ce qui concerne la thèse de l'absence de prédiction valable, la nouvelle demande est manifestement futile puisque la décision de la juge Mactavish touchant le caractère suffisant de l'AA se trouve maintenue. Encore une fois, permettre à Aventis de contester le caractère suffisant de l'AA, comme elle avait l'intention de le faire, équivaudrait à autoriser la remise en litige de cette question, ce qui serait un abus de procédure.

 

CONCLUSION

 

[36]           Il est « évident et manifeste », on ne saurait en douter, qu'Aventis n'a aucune chance de faire accueillir la présente demande relative au brevet 206, puisque la Cour fédérale est tenue de se conformer à l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale au sujet de la première demande d'Aventis touchant le brevet 206. Autrement dit, la présente demande est « si clairement futile qu'elle n'a aucune chance de succès ».

 

[37]           En conséquence, l'ordonnance de la protonotaire Milczynski en date du 8 mai 2006 sera annulée, et la demande sera rejetée avec dépens au motif qu'elle constitue un abus de procédure.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

[1]               La requête en appel de l'ordonnance de la protonotaire Milczynski en date du 8 mai 2006 est accueillie.

 

[2]               La demande en interdiction de délivrer un AC est rejetée au motif qu'elle constitue un abus de procédure.

 

[3]               Le tout avec dépens.

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑1965‑05

 

INTITULÉ :                                       SANOFI-AVENTIS

                                                            et

                                                            NOVOPHARM LIMITÉE

                                                            ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 5 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LA JUGE TREMBLAY‑LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 25 SEPTEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gunars Gaikis

Sheldon J. Hamilton

Mark Biernacki

 

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jonathan Stainsby

Mark Edward Davis

 

Anthony Creber

Cristin Wagner

 

POUR LA DÉFENDERESSE NOVOPHARM LIMITÉE

 

POUR LA DÉFENDERESSE/BREVETÉE SCHERING CORPORATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Toronto (Ontario)

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

Heenan Blaikie

Toronto (Ontario)

 

Gowling Lafleur Henderson

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

NOVOPHARM LIMITÉE

 

POUR LA DÉFENDERESSE/BREVETÉE SCHERING CORPORATION

 

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