Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

 

Date : 20060926

Dossier : T‑2182‑05

Référence : 2006 CF 1133

Ottawa (Ontario), le 26 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

 

334156 ALBERTA LTD.

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) [la Loi], qui en forme l'une des dispositions dites « d'équité », confère au défendeur la faculté de renoncer à tout ou partie d'une pénalité ou d'un intérêt payable par ailleurs en application de la Loi, ou de l'annuler en tout ou en partie. Le Programme des divulgations volontaires (le PDV) s'inscrit dans le cadre de ce pouvoir discrétionnaire du ministre. La circulaire d'information 00‑1R (la circulaire d'information) décrit le PDV dans les termes suivants :

Le PDV encourage les clients à prendre l'initiative de corriger toute anomalie afin de respecter leurs obligations légales. Il s'agit d'un programme d'équité qui vise à donner aux clients la possibilité de corriger leurs omissions passées et de se conformer ainsi aux lois. En offrant aux clients la possibilité de corriger eux-mêmes leurs erreurs, le programme assure un niveau plus élevé d'équité pour tous les clients et intervenants.

 

 

[2]        La circulaire d'information explique en outre que la validité de la divulgation volontaire dépend de quatre conditions, dont une seule est pertinente dans la présente espèce. Cette condition est que l'Agence du revenu du Canada (l'ARC) doit établir que la divulgation est effectivement volontaire. Citons encore une fois la circulaire d'information :

La divulgation doit être volontaire. Le client doit prendre l'initiative de faire la divulgation volontaire. Une divulgation pourrait ne pas être admissible à titre de divulgation volontaire en vertu de la politique susmentionnée si l'on constate que le client a fait la divulgation parce qu'il était au courant d'une vérification, d'une enquête ou d'une autre mesure d'exécution de [l'ARC] ou d'autres autorités ou administrations pour lesquelles des ententes d'échanges d'information avec [l'ARC] existent.                                                     

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[3]        Dans la présente espèce, la demanderesse a omis de produire dans les délais prescrits les déclarations d'impôts exigées par la Loi pour les années d'imposition 1998 à 2003 inclusivement. La demanderesse a produit ces déclarations le 2 février 2004, encourant ainsi des pénalités pour retard à produire. Le comptable de la demanderesse a fait valoir que les déclarations des années d'imposition 2000, 2001 et 2002 avaient fait l'objet d'une divulgation volontaire, et la demanderesse a sollicité une exemption desdites pénalités dans le cadre du PDV.

 

[4]        Cette demande d'exemption a été rejetée au motif que la divulgation n'était pas volontaire, étant donné que, [TRADUCTION] « selon les renseignements dont [disposait] l'Agence, des mesures d'exécution [avaient] été prises contre le contribuable à l'égard de ces années d'imposition avant la divulgation ». La demande de réexamen de sa décision par le ministre qu'a présentée la demanderesse a été considérée comme une demande de deuxième niveau. Un agent du Programme des divulgations volontaire (l'agent) a établi un rapport où il recommandait que l'ARC ne reconnaisse pas le caractère volontaire de la divulgation de la demanderesse, étant donné que l'Unité des non-déclarants à l'ARC avait pris des mesures d'exécution qui étaient en cours au moment même de ladite divulgation. L'agent en chef des appels du Bureau des services fiscaux de Calgary, après examen du dossier et de la recommandation de l'agent, a rejeté la demande de deuxième niveau. Il a écrit ce qui suit à la demanderesse :

[TRADUCTION] J'ai le regret de vous informer que, après un examen attentif des faits pertinents, je me vois dans l'obligation de rejeter votre demande. Selon le PDV, ne peut être tenue pour valable que la divulgation qui est considérée comme effectivement volontaire. La divulgation est considérée comme volontaire si elle est entièrement attribuable à l'initiative du contribuable, qui veut par ce moyen mettre son dossier fiscal en règle. Or, selon les renseignements dont dispose l'Agence, des mesures d'exécution avaient été prises à votre égard avant la divulgation.

 

[5]        La présente demande de contrôle judiciaire a pour objet cette décision défavorable à la demanderesse.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[6]        Les parties s'entendent sur le fait que la norme de contrôle applicable à cette décision discrétionnaire est celle de la décision raisonnable simpliciter. Elles me paraissent avoir raison en cela, comme en témoigne l'analyse pragmatique et fonctionnelle effectuée par la Cour d'appel fédérale dans Lanno c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2005 CAF 153.

 

[7]        Cette norme de contrôle exige que la Cour se demande si, après un « examen assez poussé », les motifs donnés, pris dans leur ensemble, étayent la décision. La cour de révision ne doit pas se demander ce qu'aurait été la décision correcte. En réalité, « [l]a norme de la décision raisonnable donne effet à l'intention du législateur de confier à un organisme spécialisé la responsabilité principale de trancher la question selon son propre processus et ses propres raisons. La norme de la décision raisonnable n'implique pas que l'instance décisionnelle dispose simplement d'une "marge d'erreur" par rapport à ce que la cour estime être la solution correcte ». Voir Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, aux paragraphes 47 et 50.

 

APPLICATION DE LA NORME DE CONTRÔLE À LA DÉCISION

[8]        La demanderesse admet que, au moment de sa divulgation volontaire, l'ARC avait déjà entrepris une vérification, une enquête ou d'autres mesures d'exécution à l'égard des années d'imposition 1998 et 1999. Elle soutient néanmoins que la connaissance de mesures d'exécution doit nécessairement être prise en considération par rapport à des années d'imposition déterminées. Aucun élément de preuve, fait-elle valoir, n'indiquait qu'une enquête ait été entreprise concernant les déclarations d'impôts de 2000 à 2002, de sorte que les enquêtes en cours touchant les années d'imposition1998 et 1999 ne devraient pas empêcher de considérer comme volontaires, pour l'application du PDV, les déclarations correspondant aux années d'imposition 2000, 2001 et 2002.

 

[9]        À mon avis, la demanderesse n'est pas fondée à soutenir que l'instance décisionnelle ne disposait d'aucun élément de preuve indiquant que l'ARC enquêtait sur les années d'imposition 2000 à 2002 inclusivement. Le rapport établi par l'agent à la suite de la demande de deuxième niveau faisait référence à des entrées du journal du SUDS. Le journal du SUDS est le système d'enregistrement chronologique sur ordinateur utilisé par l'Unité des non-déclarants à l'ARC. Les employés de ce service sont tenus de consigner dans ce journal leurs entretiens avec les contribuables et les représentants de ceux‑ci. Voici les entrées pertinentes du journal du SUDS qui concernent le dossier de la demanderesse et sur lesquelles l'agent s'est fondé :

                        [TRADUCTION]

1.         Une entrée datée du 11 février 2003 et rédigée comme suit :

Parlé à l'administrateur Arthur Wenngatz au numéro […] concernant les T2 non produites pour les années 1998‑2001. A déclaré qu'il pensait qu'elles avaient été établies, mais m'a demandé de contacter sa comptable Diane Olsen au numéro […] au sujet de ces déclarations et de le rappeler au besoin. Laissé un message pour Diane Olsen au numéro […] à 15 h 50.

 

2.         Une entrée datée du 14 avril 2003 et portant ce qui suit :

Parlé à la comptable Diane Olsen. A déclaré qu'elle dispose de la plus grande partie des renseignements nécessaires pour les années 1998 à 2001 et qu'elle prévoit d'achever les déclarations correspondantes d'ici la fin d'avril 2003. Lui ai donné l'adresse où elles doivent parvenir et lui ai demandé de m'appeler s'il ne s'avérait pas possible de les produire pour la date dite.

 

[10]      Ce sont là des éléments de preuve selon lesquels une enquête était en cours concernant les années d'imposition 2000 et 2001.

 

[11]      Dans la présente espèce, la demanderesse invoque les affidavits de M. Arthur Wenngatz et de Mme Diane Olsen, où ceux‑ci font respectivement les déclarations suivantes sous serment : [TRADUCTION] « Je n'ai jamais communiqué avec des représentants du défendeur concernant la situation fiscale de la demanderesse. Qui plus est, je ne suis même pas autorisé à discuter de la situation fiscale de la demanderesse avec le défendeur. » et « [s]’il est vrai qu'un représentant du défendeur m'a contactée le 17 février 2003 concernant les déclarations d'impôts non produites par la demanderesse pour les années 1998 et 1999, il n'a jamais été question dans cet entretien des déclarations d'impôts non produites par la demanderesse pour les années 2000 et 2001. » Ces affidavits n'ont pas été produits devant l'instance décisionnelle, de sorte qu'ils ne peuvent être invoqués dans la présente demande de contrôle judiciaire. Je note cependant entre parenthèse que l'agent disposait pour fonder sa décision de l'affirmation de M. Wenngatz selon laquelle il ne s'était pas entretenu des déclarations produites en retard avec un employé de l'ARC, ainsi que de l'affirmation de Mme Olsen suivant laquelle ses dossiers ne faisaient état de mesures d'exécution de l'ARC qu'à l'égard des années d'imposition 1998 et 1999. Comme on le verra plus loin, l'agent a pris ces affirmations en considération.

 

[12]      L'auteur de la décision attaquée déclare sous serment ce qui suit :

[TRADUCTION] J'ai pris en considération de façon précise l'affirmation de la demanderesse selon laquelle M. Wenngatz soutenait qu'il n'avait pas eu d'entretien concernant cette dernière avec un employé de l'ARC et que la comptable de la demanderesse avait déclaré que, selon ses dossiers, l'ARC n'avait entrepris de mesures d'exécution que relativement aux déclarations d'impôts de 1998 et de 1999, et non à l'égard d'années d'imposition ultérieures. Cependant, mon examen m'a amené à conclure que divers employés de l'Unité des non-déclarants à l'ARC avaient établi une TX14 à l'intention de la demanderesse le 18 mai 1999 à l'égard de l'année d'imposition 1998 de la demanderesse, et une autre TX14 le 27 janvier 2000 relativement à l'année d'imposition 1999 de la demanderesse. La TX14 est une lettre produite par ordinateur que l'ARC adresse à un contribuable pour lui demander de produire des déclarations d'impôts, et j'ai considéré que les envois de ces TX14 constituaient des mesures d'exécution de l'ARC. J'ai aussi noté que, après la mise à la poste de ces TX14, l'Unité des non-déclarants avait contacté par téléphone aussi bien Arthur Wenngatz que la comptable de la demanderesse dès 2000 pour exiger la production des déclarations en retard de la demanderesse. L'Unité des non‑déclarants a par la suite demandé verbalement plusieurs fois à la demanderesse de produire ses déclarations, au fur et à mesure de leurs échéances, de mai 2000 jusqu'au moment de la divulgation.

 

[13]      L'agent a conclu que les entrées pertinentes du journal du SUDS établissaient [TRADUCTION] « que l'Unité des non-déclarants n'[avait] cessé de communiquer avec la demanderesse jusqu'à la date de la divulgation ». C'était là une conclusion raisonnable à tirer des entrées du journal. La décision de l'agent comme quoi la divulgation n'était pas volontaire du fait des activités en cours de l'Unité des non-déclarants est défendable aux motifs qu'il a exposés et elle résiste à un examen assez poussé.

 

[14]      Pour ce qui concerne les entrées du journal du SUDS en date du 11 février 2003 et du 14 avril 2003, qui font état de communications entre l'ARC et, respectivement, Arthur Wenngatz et Diane Olsen, la demanderesse fait valoir que, même si ces communications ont vraiment eu lieu, ni M. Wenngatz ni Mme Olsen n'était un de ses administrateurs, cadres ou représentants autorisés. Par conséquent, poursuit-elle, leur connaissance des mesures en cause ne peut lui être attribuée, puisque ces communications n'étaient pas autorisées et étaient contraires à la Loi.

 

[15]      À mon avis et sauf révérence, cet argument doit être rejeté pour l'importante raison qui suit.

 

[16]      Cet argument n'a pas été avancé devant l'instance décisionnelle, que ce soit au premier ou au deuxième niveau. Il est de jurisprudence constante à la Cour qu'on ne peut attaquer une décision dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire en se fondant sur une question qui n'a pas été soulevée devant l'instance décisionnelle, à moins qu'il ne s'agisse d'une question de compétence (ce qui n'est pas le cas ici). Voir par exemple : Toussaint c. Canada (Conseil des relations du travail), [1993] A.C.F. no  616 (C.A.), au paragraphe 5; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1954 (1re inst.), aux paragraphes 9 à 12 inclusivement; Nametco Holdings Ltd. c. Canada (Ministre du Revenu national), 2002 CAF 149, au paragraphe 2; et Armstrong c. Canada (Procureur général), 2006 C.F. 505 (C.F.), au paragraphe 26.

 

CONCLUSION

[17]      Je dirai pour conclure que la décision attaquée, selon laquelle la divulgation de la demanderesse n'était pas volontaire au motif que des mesures d'exécution avaient été prises contre elle avant cette divulgation, était étayée par la preuve dont disposait l'instance décisionnelle, et que les motifs sur lesquels celle‑ci déclare avoir fondé sa décision résistent à un examen assez poussé.

 

[18]      Il n'est pas permis à la demanderesse de soulever pour la première fois dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire la question de savoir si la Loi autorisait ou non les représentants de l'ARC à traiter avec Arthur Wenngatz ou Diane Olsen. La Cour ne peut, eu égard aux circonstances de la présente espèce, décider une question qui n'a pas été soulevée devant l'instance décisionnelle.

 

 

LES DÉPENS

[19]      Rien ne me paraît justifier ici que les dépens ne suivent pas l'issue de la cause.

 

[20]      Le ministre demande des dépens de 2000 $. Ce montant me paraît raisonnable et la demanderesse, au cours de sa plaidoirie, n'a pas soutenu qu'il était excessif. En conséquence, les dépens sont taxés à la somme de 2 000 $, que la demanderesse paiera sans délai au ministre.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

 

1.         que la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

2.         que les dépens sont taxés à la somme de 2000 $, débours compris, somme que la demanderesse paiera sans délai au défendeur.

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑2182‑05

 

INTITULÉ :                                       334156 ALBERTA LTD.

                                                                                                                        demanderesse

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

défendeur

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 17 AOÛT 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 26 SEPTEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

BRIAN KEARL                                                                      POUR LA DEMANDERESSE

ROBERT DONALD

 

CARLA LAMASH                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Olsen Lemons LLP                                                                   POUR LA DEMANDERESSE

Calgary (Alberta)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.