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Date : 20060921

Dossier : T-89-06

Référence : 2006 CF 1129

OTTAWA (Ontario), le 21 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN

 

ENTRE :

HAROLD LEIGHTON en son propre nom

et au nom de la BANDE INDIENNE DE METLAKATLA, et

GARRY REECE en son propre nom

et au nom de la BANDE INDIENNE DE LAX-KW’ALAAMS

demandeurs

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

représentée par

LE MINISTRE DES TRANSPORTS et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la décision en instance du ministre des Transports (aussi désigné comme la Couronne) en vue d’autoriser la conversion du terminal Fairview, à Prince Rupert, en Colombie-Britannique. Les demandeurs sollicitent une déclaration et une injonction.

 

[2]               Les demandeurs sont deux bandes au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5. Ces bandes, la bande indienne des Lax-kw’alaams et celle de Metlakatla, comprennent neuf tribus désignées collectivement comme les Coast Tsimshian. Le territoire traditionnel des Coast Tsimshian est situé dans la zone côtière du Nord-Ouest de la Colombie-Britannique, le long du secteur compris entre les rivières Lower Skeena et Nass. Ce secteur est aussi connu comme le port de Prince Rupert. 

 

[3]               Les terres appartiennent à la Couronne fédérale; le terminal Fairview a été construit sur une partie de ce territoire au cours des années 1970. L’Administration portuaire de Prince Rupert (l’Administration portuaire), une administration portuaire fédérale, gère actuellement les biens immobiliers situés dans les limites du port de Prince Rupert, parmi lesquels le terminal Fairview.

 

[4]               L’Administration portuaire se propose de convertir le terminal, qui sert actuellement au transport de marchandises diverses, en un terminal portuaire à conteneurs. Ce changement de vocation s’effectuerait en deux phases : la phase I consisterait en la conversion des installations en un port à conteneurs, et la phase II, en un agrandissement considérable du port. À l’heure actuelle, seule la phase I a franchi l’étape conceptuelle. La conversion nécessiterait une extension de 0,72 hectare au quai existant, dont la superficie au sol occupe 21,5 hectares. L’extension du quai exigerait le ponçage de pieux et des travaux de dragage.

 

[5]               Les terres sur lesquelles est érigé le quai actuel et où serait construite l’extension du quai peuvent être divisées en trois parties :

1.                  la partie de la superficie au sol construite sur des terres cédées par les Coast Tsimshian (environ 5 hectares) (la partie terrestre);

 

2.                  la partie de la superficie au sol située sur du remblayage (environ 17 hectares) (la partie de remblayage);

 

3.                  l’extension envisagée du quai (la composante maritime) (0,72 hectares).

 

[6]               La Couronne appelle aussi la partie terrestre et la partie de remblayage la « composante terrestre ».

 

Chronologie

[7]               Le 3 août 2004, les deux bandes représentant les Coast Tsimshian ont été informées du projet de conversion du terminal Fairview. Le 30 mars 2005, les Coast Tsimshian ont demandé la tenue de consultations. Au cours des 18 mois suivants, les parties ont correspondu et se sont rencontrées; la chronologie de leurs échanges est énoncée à l’annexe I, ci-jointe. Transports Canada a tenu un rôle prépondérant dans les consultations menées avec les Coast Tsimshian en août 2005. (Voir le dossier des défendeurs, vol. 2, à la page 340).

 

Devoir de consultation

[8]               Dans l’arrêt Nation haida c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), [2004] 3 R.C.S. 511, 2004 CSC 73, la Cour suprême du Canada a exposé un processus en vertu duquel la Couronne a le devoir de consulter et, s’il y a lieu, de trouver un accommodement lorsque la Couronne a connaissance de l’existence possible d’un droit ou d’un titre ancestral et qu’elle envisage une mesure susceptible d’influer défavorablement sur les droits ou le titre ancestraux. Ce devoir découle de l’honneur de la Couronne et de l’article 35 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 (R.-U.), constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch.11 (la Charte). Ainsi que l’a déclaré la juge en chef McLachlin au paragraphe 25 :

25     En bref, les Autochtones du Canada étaient déjà ici à l’arrivée des Européens; ils n’ont jamais été conquis. De nombreuses bandes ont concilié leurs revendications avec la souveraineté de la Couronne en négociant des traités. D’autres, notamment en Colombie‑Britannique, ne l’ont pas encore fait. Les droits potentiels visés par ces revendications sont protégés par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L’honneur de la Couronne commande que ces droits soient déterminés, reconnus et respectés. Pour ce faire, la Couronne doit agir honorablement et négocier. Au cours des négociations, l’honneur de la Couronne peut obliger celle-ci à consulter les Autochtones et, s’il y a lieu, à trouver des accommodements à leurs intérêts.

 

[…]

 

38     J’estime que, bien que le respect des obligations de consultation et d’accommodement avant le règlement définitif d’une revendication ne soit pas sans poser de problèmes, de telles mesures ne sont toutefois pas impossibles et constituent même un aspect essentiel du processus honorable de conciliation imposé par l’art. 35. Elles protègent les intérêts autochtones jusqu’au règlement des revendications et favorisent le développement entre les parties d’une relation propice à la négociation, processus à privilégier pour parvenir finalement à la conciliation.

 

[9]               Le processus établi dans l’arrêt Nation haida, précité, comporte essentiellement quatre étapes :

1.                  une divulgation complète, par les demandeurs autochtones, de leurs revendications, notamment de l’étendue et de la nature des droits qu’ils revendiquent et de l’atteinte alléguée à ces droits;

 

2.                  une évaluation préliminaire, par la Couronne, de la solidité de la preuve et de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur le droit ou le titre revendiqué; 

 

3.                  une véritable consultation entre les parties;

 

4.                  s’il y a lieu, un accommodement.

 

[10]           La Cour suprême du Canada a clairement indiqué que les parties doivent faire preuve de bonne foi, mais qu’elles ne sont pas tenues de s’entendre. En outre, l’étendue du devoir de consultation peut varier selon la solidité de la revendication et le risque d’atteinte à un droit. Les renseignements obtenus à la suite de consultations véritables peuvent nécessiter des changements au plan d’action de la Couronne.

 

[11]           La présente instance soulève la question de savoir si la Couronne a correctement évalué la revendication des Coast Tsimshian au moment où elle a engagé le processus de négociation. Comme l’a fait remarquer la juge en chef McLachlin au paragraphe 37 de l’arrêt Nation haïda, précité :

37        Il y a une différence entre une connaissance suffisante pour entraîner l’application de l’obligation de consulter et, s’il y a lieu, d’accommoder, et le contenu ou l’étendue de cette obligation dans une affaire donnée. La connaissance d’une revendication crédible mais non encore établie suffit à faire naître l’obligation de consulter et d’accommoder. Toutefois, le contenu de l’obligation varie selon les circonstances, comme nous le verrons de façon plus approfondie plus loin. Une revendication douteuse ou marginale peut ne requérir qu’une simple obligation d’informer, alors qu’une revendication solide peut faire naître des obligations plus contraignantes. Il est possible en droit de différencier les revendications reposant sur une preuve ténue des revendications reposant sur une preuve à première vue solide et de celles déjà établies. Les parties peuvent examiner la question et, si elles ne réussissent pas à s’entendre, les tribunaux administratifs et judiciaires peuvent leur venir en aide. Il faut régler les problèmes liés à l’absence de preuve et de définition des revendications en délimitant l’obligation de façon appropriée et non en niant son existence.

 

Norme de contrôle

[12]           Quant à la norme de contrôle appropriée, la Cour suprême a formulé les observations suivantes dans Nation haïda, précité, au paragraphe 61 :

Quant aux questions de droit, le décideur doit, en règle générale, rendre une décision correcte : voir, par exemple, Paul c. Colombie‑Britannique (Forest Appeals Commission), [2003] 2 R.C.S. 585, 2003 CSC 55. Par contre, en ce qui a trait aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit, l’organisme de révision peut devoir faire preuve de déférence à l’égard du décideur. L’existence et l’étendue de l’obligation de consulter ou d’accommoder sont des questions de droit en ce sens qu’elles définissent une obligation légale. Cependant, la réponse à ces questions repose habituellement sur l’appréciation des faits. Il se peut donc qu’il convienne de faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de fait du premier décideur. La question de savoir s’il y a lieu de faire montre de déférence et, si oui, le degré de déférence requis dépendent de la nature de la question dont était saisi le tribunal administratif et de la mesure dans laquelle les faits relevaient de son expertise : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20; Paul, précité. En l’absence d’erreur sur des questions de droit, il est possible que le tribunal administratif soit mieux placé que le tribunal de révision pour étudier la question, auquel cas une certaine déférence peut s’imposer. Dans ce cas, la norme de contrôle applicable est vraisemblablement la norme de la décision raisonnable. Dans la mesure où la question est une question de droit pur et peut être isolée des questions de fait, la norme applicable est celle de la décision correcte. Toutefois, lorsque les deux types de questions sont inextricablement liées entre elles, la norme de contrôle applicable est vraisemblablement celle de la décision raisonnable : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748.

 

[13]           Dans le cas présent, la question de l’existence d’un devoir de consulter ne se pose pas; la question réside plutôt dans l’appréciation des faits en vue de déterminer la solidité et l’étendue de la revendication des demandeurs. Suivant l’extrait précité de l’arrêt Nation haïda, il m’apparaît évident que la norme de contrôle applicable à la question en l’espèce, à savoir l’appréciation par la Couronne de la revendication des Coast Tsimshian, est celle de la décision raisonnable.

 

Analyse du processus de consultation

[14]           Il n’est pas contesté que, lors de la rencontre du 24 octobre 2005, les Coast Tsimshian ont pleinement divulgué leurs revendications et l’atteinte que la conversion du terminal porterait, à leur avis, aux droits qu’ils revendiquent. Ils ont présenté des documents, des cartes géographiques et des études historiques totalisant 378 pages. (Voir l’annexe F de l’affidavit de Gary Reece, dossier des demandeurs, aux pages 55 à 433.)

 

[15]           Par ailleurs, la position de la Couronne sur la question de la consultation a évolué au fil du temps, comme le démontre le dossier.

 

[16]           Position initiale  Le 25 juillet 2005, le ministre des Transports a communiqué par écrit avec l’avocat des Coast Tsimshian :

[Traduction] On m’a informé qu’à la fin juin, M. Donald H. Krusel, président et administrateur général de l’Administration portuaire, a communiqué avec des fonctionnaires du ministère et a expliqué que tant l’Administration portuaire que les bandes estimaient qu’il n’était pas nécessaire de procéder à une consultation officielle étant donné que la phase I, la conversion du terminal Fairview, n’était pas considérée comme un changement d’affectation. Transports Canada a demandé à l’Administration portuaire de lui transmettre des documents établissant que la conversion du terminal Fairview ne constitue pas un changement d’affectation. Lorsque Transports Canada aura reçu l’information demandée, le ministère sera en mesure de se prononcer sur l’obligation de consulter.

(Dossier des défendeurs, vol. 3, à la page 824)

 

 

[17]           Deuxième position  Le 27 octobre 2005, M. Robert Prud’homme, négociateur principal pour le compte de Transports Canada, a exposé en ces termes la position de la Couronne sur le processus de consultation :

[Traduction] Le Canada considère que tous les droits, titres et intérêts des bandes sur la composante terrestre en l’espèce ont été cédés à titre absolu par la bande indienne de Metlakatla le 17 août 1906 et par la Première nation de Lax-kw’alaams en vertu de l’accord de règlement en date du 31 mars 2003. En conséquence, nous sommes d’avis que l’obligation légale de consultation de la Couronne n’est pas applicable aux revendications avancées quant au titre, intérêts ou droits portant sur la composante terrestre.

 

Nous reconnaissons que la composante maritime ne fait pas partie des intérêts cédés et souhaitons concentrer nos efforts à la détermination des préoccupations particulières des bandes au regard du développement projeté en ce qui a trait à la zone maritime. Dans cette perspective, nous sommes à examiner la documentation que vous nous avez fait parvenir et nous serons heureux de nous pencher sur toute information additionnelle dont vous pourriez disposer ou sur tout sujet particulier de préoccupation qui nous serait utile dans ce processus de consultation.

(Dossier des demandeurs, aux pages 436 et 437)

 

La Couronne a réitéré sa position dans une lettre que l’avocat de Transports Canada au ministère de la Justice a adressée aux Coast Tsimshian le 21 novembre 2005. La partie de la lettre traitant des positions des parties relativement au titre ancestral est la suivante :

[Traduction] Nous désirons vous informer que M. Prud’homme représente la Couronne dans le cadre des consultations avec vos clients et que les consultations, brièvement, visent à se pencher sur l’incidence potentielle du projet de conversion du terminal Fairview sur le titre et les droits ancestraux revendiqués par vos clients. Ces renseignements sont énoncés dans la lettre de notre client aux vôtres en date du 27 octobre 2005, laquelle précise également que la Couronne n’entend effectuer aucune consultation en ce qui a trait aux droits et titre ancestraux revendiqués à l’égard des terres du terminal Fairview déjà cédées par vos clients. (Non souligné dans l’original)

 

[18]           Troisième position  L’exposé des faits et du droit du défendeur indique au point 5 :

[Traduction]

Le terminal Fairview, qui existe depuis les années 1970, a été construit sur des terres qui avaient auparavant été cédées par les bandes. Une grande partie de la superficie au sol du terminal Fairview est située au-dessous de la laisse de haute mer, c'est-à-dire sur des terres créées par remplissage de sites maritimes. Les terres réservées ne s’étendent pas au-dessous de la laisse de haute mer.

(Dossier des défendeurs, vol. 3, à la page 845)

 

[19]           En résumé, la position de la Couronne a changé, passant de l’opinion qu’il n’existait aucune obligation de consultation avec les Coast Tsimshian à la position selon laquelle le devoir de consulter englobe tant la composante maritime que la plus grande partie de la partie terrestre.

 

[20]           Aucune preuve n’indique que la Couronne a procédé à une évaluation préliminaire adéquate de la solidité de la preuve des Coast Tsimshian après que ces derniers eurent présenté leur revendication à la Couronne, le 24 octobre 2005. La lettre de M. Prud’homme en date du 27 octobre 2005 prouve que l’appréciation, par la Couronne, de la solidité de la preuve des Coast Tsimshian n’était pas fondée sur une analyse des éléments de preuve soumis par les Coast Tsimshian lors de la réunion du 24 octobre 2005.

 

[21]           On peut aussi se demander si la cession et l’accord de règlement ont mis fin aux titres ancestraux. La Couronne n’aborde en rien cette question dans les différentes positions qu’elle a formulées. Si ni la cession ni l’accord de règlement n’ont mis fin aux titres ancestraux, il va de soi que les consultations engloberaient l’ensemble de la composante terrestre. Toutefois, pour les motifs énoncés ci-dessous, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur cette question. 

 

Évaluation de la revendication

[22]           L’on ne saurait qualifier autrement que de déraisonnable la position de la Couronne selon laquelle seule la composante maritime serait assujettie à des consultations. La Couronne reconnaît elle‑même, dans ses observations, que la partie de remplissage se trouve au-dessous de la laisse de haute mer et ne peut donc pas avoir été considérée comme étant comprise dans une cession ou un accord de règlement.

 

[23]           Dès lors, les consultations auraient dû comprendre à tout le moins la composante maritime et la partie de remplissage. Autrement dit, plutôt que de porter sur une superficie de 0,72 hectare, les consultations auraient dû porter sur le total de 0,72 hectare (la composante maritime) et d’environ 17 hectares (la partie de remplissage). En adoptant une position différente et en insistant pour discuter uniquement de la composante maritime, la Couronne a engagé tout le processus de consultation et d’accommodement, essentiellement un processus de négociation, sur une base faussée.

 

[24]           Indépendamment des consultations menées ou des accommodements offerts par la Couronne, la Cour suprême a clairement jugé, dans l’arrêt Nation haida, précité, que l’analyse doit être axée sur le processus de consultation et d’accommodement, et non seulement sur le résultat des consultations. Je ne vois pas comment la Cour pourrait trouver raisonnables la consultation menée et l’accommodement proposé, alors que le processus a été engagé suivant une conception aussi erronée et une telle minimisation de la revendication des Coast Tsimshian. L’accommodement étant, par définition, le fruit d’un processus de négociation, une évaluation raisonnable de la revendication présentée par les Coast Tsimshian s’impose.

 

[25]           Étant donné cette conclusion, il conviendrait normalement d’accorder aux demandeurs la réparation qu’ils sollicitent dans les alinéas b) et d) de leur avis de demande, soit :

[Traduction]

b)         Subsidiairement, une déclaration portant que le Canada a l’obligation de consulter les Coast Tsimshian et de trouver, s’il y a lieu, un accommodement concernant les effets potentiellement préjudiciables de la conversion envisagée du terminal Fairview sur le titre et les droits ancestraux des Coast Tsimshian touchant la partie de la superficie au sol existante du terminal Fairview située au‑dessous de la laisse de haute mer traditionnelle.

 

[…]

 

d)         une déclaration portant que le Canada a l’obligation de consulter les Coast Tsimshian et, au besoin, de trouver un accommodement concernant les effets potentiellement préjudiciables de la conversion envisagée du terminal Fairview sur le titre ancestral des Coast Tsimshian hors de la superficie au sol existante du terminal Fairview.

 

 

Décision en instance

[26]           Toutefois, les demandeurs, en l’espèce, ont porté leur attention sur la mauvaise décision en formulant l’avis de demande. Celui-ci énonce :

[Traduction] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire concernant la décision en instance du ministre des Transports en vue d’autoriser la conversion du terminal Fairview et concernant l’obligation faite à la Couronne, dans les circonstances, de consulter les membres des bandes indiennes de Lax-kw’alaams et de Metlakatla (ci‑après les Coast Tsimshian) et, au besoin, de trouver un accommodement quant aux effets potentiellement préjudiciables de la conversion du terminal Fairview sur le titre et les droits ancestraux revendiqués par les Coast Tsimshian.  (Non souligné dans l’original)

 

[27]           La décision en instance à laquelle réfère la présente demande, n’existe pas. Le ministre des Transports n’est pas tenu d’autoriser la conversion. À titre de ministre compétent, il dirige le processus de consultation. Si le processus porte ses fruits, il donnera lieu à une offre d’accommodement. Les Coast Tsimshian sont libres d’accepter cette offre ou de s’adresser aux tribunaux pour solliciter un contrôle judiciaire. Toutefois, il n’est pas nécessaire que le ministre des Transports prenne la décision d’autoriser le processus de conversion. Au mieux, celui-ci décidera que l’offre d’accommodement présentée par la Couronne est convenable. Cependant, la présente demande ne porte pas sur cette décision, qui, de toute manière, n’a pas encore été prise. 

 

[28]           En un mot, je suis d’accord avec la position de la Couronne énoncée dans la réponse écrite des défendeurs, dont les parties importantes sont reproduites à l’annexe II des présents motifs. 

 

[29]           Les demandeurs auraient pu se fonder, dans l’avis de demande, sur la décision rendue par Transports Canada, au nom de la Couronne, le 27 octobre 2005, portant que la consultation de la Couronne porterait seulement sur la composante maritime de la conversion du terminal. Or, ce n’est pas ce que les demandeurs ont fait; ils n’ont pas non plus présenté une requête visant à modifier leur demande afin de solliciter le contrôle judiciaire de la décision du 27 octobre 2005.

 

[30]           J’estime que le défaut des demandeurs d’invoquer les arguments appropriés dans leur acte de procédure porte un coup fatal à leur demande. En conséquence, je n’ai d’autre choix que de rejeter la présente demande.

 

[31]           Néanmoins, je ferais remarquer qu’il existe d’autres possibilités de réparation pour les demandeurs. En premier lieu, ils peuvent présenter une requête en prorogation du délai de présentation de 30 jours et solliciter le contrôle de la décision du 27 octobre 2005 de n’effectuer de consultation qu’au regard de la composante maritime. Deuxièmement, ils peuvent demander le contrôle judiciaire de l’évaluation environnementale réalisée en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale et des accommodements proposés à ce chapitre. Troisièmement, ils peuvent poursuivre la demande de contrôle judiciaire déjà engagée à la Cour fédérale en ce qui a trait à l’annonce du 15 avril 2005 selon laquelle le gouvernement canadien accorderait un financement de 30 millions de dollars à l’Administration portuaire pour la conversion du terminal Fairview. 

 

[32]           Étant donné que les consultations menées par la Couronne sont déraisonnables mais que, par ailleurs, la demande est rejetée pour vices de procédure, je conclus qu’il convient en l’espèce de n’accorder les dépens à aucune des deux parties.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée. 

 

« Konrad W. von Finckenstein »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

 


 

ANNEXE I

 

Chronologie de la correspondance relative à la consultation

 

No

Date

Description

Classification et dossier

Résumé

1.

30 août 04

Lettre de l’Administration portuaire

Pièce C, affidavit de Reece, dossier des demandeurs, p.49

Lettre de l’Administration portuaire reconnaissant que la Première nation est susceptible d’avoir un intérêt dans le projet de développement du terminal Fairview.

2.

30 mars 05

Lettre de l’avocat de la Première nation au ministre

Pièce E, affidavit de Reece, dossier des demandeurs, p. 53

Demande de consultation.

3.

3 mai 05

Lettre du ministre à l’avocat de la Première nation

Pièce D, affidavit de Prud’homme, dossier des défendeurs (vol. 3), p. 823

Assurance donnée que la Couronne procédera à une consultation.

4.

6 juillet 05

Lettre de l’avocat de la Première nation au ministre

Pièce G, affidavit de Reece, dossier des défendeurs, p. 359

Deuxième demande au ministre.

5.

25 juillet 05

Lettre du ministre à l’avocat de la Première nation

Pièce H, affidavit de Reece, dossier des défendeurs, p. 361

Le ministre attend de recevoir de l’information de l’Administration portuaire avant de se prononcer sur l’obligation de consulter.

6

14 sept. 05

Lettre du ministre au conseil

Pièce L, affidavit de Reece, dossier des défendeurs, p. 367

Le ministre a donné instruction aux fonctionnaires du ministère [traduction] « d’engager une consultation officielle ». La date de la consultation doit être arrêtée [traduction] « sous peu ».

7.

23 sept. 05

Lettre du conseil au ministre

Pièce M, affidavit de Reece, dossier des défendeurs, p. 368

Prend acte de la consultation prochaine. Demande la désignation d’une personne [traduction] « avec pleins pouvoirs du gouvernement » et l’indication des ministères fédéraux participant au projet.

8.

3 oct. 05

Lettre de Transports Canada aux Lax-kwa’alaams

Pièce O, affidavit de Reece, dossier des défendeurs, p. 371

Première lettre de R. Prud’homme demandant d’identifier les questions non réglées.

9.

17 oct. 05

Lettre de Transports Canada à l’avocat de la Première nation

Pièce P, affidavit de M. Reece, dossier des défendeurs, p. 375

Deuxième lettre de R. Prud’homme proposant une première rencontre. Décision du conseil du Trésor déjà prise.

 

10.

24 oct. 05

Première rencontre − Transports Canada

Pièce F, affidavit de Reece, dossier des défendeurs, p. 55 à 433

Renseignements relatifs au titre ancestral fournis par la Première nation.

11.

25 oct. 05

Lettre de suivi du conseil à M. Prud’homme

Pièce G, affidavit de Reece, dossier des demandeurs, p.433

Énonce les modalités de la consultation proposée.

12.

27 oct. 05

Lettre de M. Prud’homme aux Premières nations

Pièce H, affidavit de Reece, dossier des demandeurs, p. 436

Le devoir de consultation de la Couronne ne s’étend pas au titre sur la composante terrestre.

13.

21 nov. 05

Lettre du ministère de la Justice aux avocats des Premières nations

Pièce T, affidavit de Reece, dossier des demandeurs, p. 438

Aucune consultation quant à la composante terrestre.

14.

6 déc. 05

Deuxième rencontre − Transports Canada

Pièce Y, affidavit de Reece, dossier des demandeurs, p. 442

Déclaration de R. Prud’homme : [traduction] « le Canada considère que tous les titres sur la composante terrestre ont été cédés ».

15.

13 déc. 05

Lettre de M. Prud’homme aux Premières nations

Pièce J, affidavit de Reece, dossier des demandeurs, p. 440

Confirmation de la position prise lors de la rencontre du 6 déc. 05.

 


 

ANNEXE II

 

Extrait de la réponse des défendeurs en date du 1er septembre 2006

 

[Traduction]

 

6.         Dans le contexte particulier d’une demande de contrôle judiciaire en Cour fédérale, la « décision » ou « l’objet de la demande », au sens de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, conférant à la Cour fédérale la compétence d’examiner le caractère satisfaisant de la consultation réside dans la conduite gouvernementale susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur le titre ou les droits ancestraux. La « décision » ou « l’objet de la demande » conférant compétence ne consiste pas dans le processus de consultation en soi.

 

7.         C’est la voie qu’ont empruntée tous les cas de consultation autochtone portés devant les tribunaux − une contestation de l’action, décision ou conduite gouvernementale susceptible d’influer défavorablement sur le titre ou les droits ancestraux de la Première nation concernée. Par exemple :

 

(1)               Dans l’arrêt Nation haida même, la Nation haida a déposé une demande visant à contester la décision de la ministre des Forêts de la Colombie-Britannique de remplacer une concession de ferme forestière, conformément à la procédure établie dans la Forest Act;

 

(2)               Dans l’affaire Mikisew Cree First Nation c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien) (2001), 214 F.T.R. 48, la Première nation a déposé une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, sollicitant notamment une ordonnance annulant la décision de la ministre du Patrimoine canadien d’approuver la construction d’une route d’hiver traversant un parc national conformément à la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, au motif que la ministre avait approuvé la route sans avoir d’abord consulté adéquatement la Première nation;

 

(3)               Dans Bande indienne de Musqueam c. Canada, [2004] 4 C.F. 391, la Première nation a demandé le contrôle judiciaire de la décision, ratifiée par le Conseil du Trésor du Canada, de céder certaines terres en les transférant à la Société immobilière du Canada limitée;

 

(4)               Dans Bande indienne de Musqueam c. British Columbia, [2005] B.C.J. no 444, la Première nation a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre responsable de la gestion durable des ressources (Minister of Sustainable Resource Management) a autorisé la vente d’un terrain de golf à la University of British Columbia.

 

8.         Dans chacune de ces affaires, la décision contestée ou l’objet de la demande consistait en la décision gouvernementale susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur le titre ou les droits ancestraux revendiqués. La contestation ne portait pas sur les mesures particulières prises (ou omises) dans le processus même de consultation. L’absence de consultation adéquate était plutôt invoquée à titre de motif étayant la réparation sollicitée dans les demandes.

 

[…]

 

10.       Dans la présente instance, les demandeurs ont formulé leur demande comme étant une contestation d’une [traduction] « décision en instance du ministre des Transports en vue d’autoriser la conversion du terminal Fairview ». Cependant, il n’existe aucune action, décision ou autre conduite envisagée par le ministre des Transports qui soit susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur le titre ancestral des Premières nations des Coast Tsimshian. Il n’existe tout simplement aucune « décision en instance » de la sorte. En l’absence de toute conduite envisagée de la part du ministre des Transports, aucune « décision » ni aucun « objet de la demande » ne confère compétence à la Cour pour examiner quelque aspect que ce soit du processus de consultation.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                        T-89-06

 

INTITULÉ :                                       LEIGHTON ET AL.

                                                            c. SA MAJESTÉ LA REINE ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 22 AOÛT 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE VON FINCKENSTEIN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 SEPTEMBRE 2006

 

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gregory J. McDade, c.r.

Maegen Giltrow

 

POUR LES DEMANDEURS

Sean Gaudet

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ratcliff & Company

North Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS


 

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