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Date : 20251106


Dossier : T-670-25

Référence : 2025 CF 1792

Ottawa (Ontario), le 6 novembre 2025

En présence de madame la juge en chef par intérim St-Louis

ENTRE :

ROGER FAFARD

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Apercu

[1] Pour les périodes s’étendant du 10 mai au 26 septembre 2020, M. Roger Fafard, le demandeur, reçoit un total de 10 000 $ en prestation canadienne d’urgence [PCU] au titre de la Loi sur la prestation canadienne d’urgence, LC 2020, c 5, art 8 [Loi PCU].

[2] Le 29 mars 2022, l’Agence de revenu du Canada [Agence] transmet à M. Fafard une lettre l’informant que son dossier a été sélectionné pour faire l’objet d’un examen et demande à M. Fafard de lui transmettre, entre autres, ses talons de paie. Le 9 mai 2022, M. Fafard transmet à l’Agence des documents, dont ses talons de paie pour les mois d’août et de septembre 2022.

[3] Le 30 juin 2023, après un premier examen de l’admissibilité, l’Agence informe M. Fafard qu’il est inadmissible à la PCU. L’un des motifs de refus est que M. Fafard a gagné plus de 1 000 $ de revenus provenant d’un emploi pendant la période de paiement applicable ce qui le rend inadmissible selon l’article 1 du Règlement sur l’allocation de soutien du revenu (revenu nominal soustrait), DORS/2020-90 (Règlement).

[4] Le 28 juillet 2023, M. Fafard demande un second examen de son dossier. Il souligne alors à l’Agence que son employeur a ajouté par erreur le montant payé pour les congés fériés et les vacances à son revenu « gagné » en soulignant aussi que ceci contreviendrait aux articles 73 et 75 de la Loi sur les normes du travail, RLRQ c N-1.1.

[5] Le 7 août 2024, l’Agence maintient l’inadmissibilité de M. Fafard, mais cette fois, seulement pour les périodes 6 et 7, lesquelles s’étendent du 2 août au 26 septembre 2025. L’Agence conclut que M. Fafard a gagné plus de 1 000 $ de revenus pour chacune de ces périodes, ce qui le rend inadmissible. M. Fafard demande le contrôle judiciaire de cette décision (dossier T 2290-24), mais il s’en désiste ensuite puisque les parties en arrivent à une entente. En effet, le 6 décembre 2024, les parties signent une transaction et elles conviennent entre autres que (1) la décision de l’Agence est déraisonnable; (2) le procureur général du Canada [PGC], après le dépôt du désistement au dossier de la Cour, renverra le dossier pour un nouvel examen de l’admissibilité de M. Fafard à la PCU; (3) ce nouvel examen sera réalisé par un agent de l’Agence qui n’a pas été préalablement impliqué dans le traitement des demandes de PCU de M. Fafard et ce dernier aura l’opportunité, s’il le souhaite, de transmettre à ce nouvel agent tous les documents et les représentations qu’il jugera à propos; et (4) M. Fafard pourra se prévaloir de son droit de demander le contrôle judiciaire de la nouvelle décision de l’Agence.

[6] Le 20 janvier 2025, un agent de l’Agence s’entretient avec M. Fafard et, selon les notes au dossier, M. Fafard souligne notamment que les vacances payées mentionnées sur ses talons de paie ne doivent pas être considérées comme du revenu provenant d’un emploi puisqu’elles sont des indemnités.

[7] Le 30 janvier 2025, l’Agent détermine de nouveau que M. Fafard est inadmissible à la PCU pour les périodes 6 et 7 parce qu’il a gagné plus de 1 000 $ de revenus d’emploi ou de travail indépendant pendant la période de paiement applicable. Cette décision du 30 janvier 2025 fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire et M. Fafard demande notamment à la Cour d’accueillir sa demande et d’annuler la décision de l’Agence.

[8] Devant la Cour, M. Fafard soutient que (1) la décision de l’Agence est déraisonnable puisque l’Agence a inclus, dans son calcul des revenus gagnés pendant chacune des périodes, le paiement versé en indemnité de remplacement de droit au congé annuel (vacances payées) alors que ce paiement ne constitue pas du revenu gagné, mais constitue du revenu payé; et (2) la transaction conclue entre lui et l’Agence est opposable à l’Agence et ne permet pas à cette dernière d’en arriver à la même conclusion.

[9] Le PGC répond quant à lui que la décision de l’Agence est raisonnable et que la transaction n’est pas opposable à l’Agence.

[10] La Cour éprouve certes de la sympathie pour la situation de M. Fafard. Cependant, la Cour conclut que ce dernier n’a malheureusement pas démontré que la décision de l’Agence est déraisonnable, selon la norme de contrôle applicable, vu les faits et le droit ou que la transaction conclue entre lui et l’Agence prohibe cette dernière d’en arriver à sa décision. La Cour rejettera conséquemment la demande de contrôle judiciaire.

II. Analyse

[11] La norme de contrôle applicable à la présente demande de contrôle judiciaire est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov]; Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 16 [Aryan]; He c Canada (Procureur général), 2022 CF 1503 au para 20; Lajoie c Canada (Procureur général), 2022 CF 1088 au para 12).

[12] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une Cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85). La Cour de révision doit tenir compte « du résultat de la décision administrative eu égard au raisonnement sous-jacent à celle-ci afin de s’assurer que la décision dans son ensemble est transparente, intelligible et justifiée » (Vavilov au para 15). La Cour suprême du Canada a souligné, au paragraphe 83 de Vavilov que :

Le rôle des cours de justice consiste, en pareil cas, à réviser la décision et, en général à tout le moins, à s’abstenir de trancher elles‑mêmes la question en litige. Une cour de justice qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable ne se demande donc pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo, et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème. Dans l’arrêt Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117, la Cour d’appel fédérale a signalé que « le juge réformateur n’établit pas son propre critère pour ensuite jauger ce qu’a fait l’administrateur » : par. 28 (CanLII); voir aussi Ryan, par. 50‑51. La cour de révision n’est plutôt appelée qu’à décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif — ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu.

[13] Il ne s’agit donc pas de déterminer si la soussignée ou si un autre décideur aurait pris la même décision que celle prise en l’instance par l’Agence, mais de déterminer si M. Fafard a rempli son fardeau de démontrer que la décision de l’Agence est déraisonnable. La Cour n’interviendra pas sur la base de simples erreurs superficielles ou accessoires; M. Fafard porte le fardeau de démontrer que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov au para 100).

[14] La PCU fait partie d’un ensemble de mesures introduites par le gouvernement du Canada en réponse aux impacts de la pandémie de COVID-19. La Loi PCU exige, au titre des critères d’admissibilité, qu’une personne ait gagné au moins 5 000 $ pendant la période de référence et elle prévoit le type de revenu se qualifiant pour être admissible (Loi PCU, art 2 dans la définition de « travailleur »). Les critères d’admissibilité au programme sont énoncés à l’article 6 de la Loi PCU. Ces critères sont cumulatifs de sorte que si un travailleur ne satisfait pas l’un ou l’autre de ces critères, il sera inadmissible.

[15] Le sous-alinéa 6(1)(b)(i) de la Loi PCU prévoit qu’un travailleur est admissible à l’allocation s’il ne reçoit pas, pour les jours consécutifs pendant lesquels il cesse d’exercer son emploi, de « revenus provenant d’un emploi » (..), sous réserve des règlements.

[16] L’article 1 du Règlement prévoit quant à lui que les revenus du travailleur provenant d’un emploi (..) sont soustraits à l’application du sous alinéa 6(1)(b)(i) de la Loi PCU à condition que le total de tels revenus soit de mille dollars ou moins pour les jours consécutifs pendant lesquels il cesse d’exercer son emploi. L’expression « revenu provenant d’un emploi » n’est pas définie dans la Loi PCU ou dans le Règlement et ces derniers ne prescrivent pas de méthode de calcul.

[17] M. Fafard portait le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il satisfaisait les critères d’admissibilité pour recevoir les prestations de PCU (Desautels c Canada (Procureur général), 2022 CF 1774 au para 41, citant Walker c Canada (Procureur général), 2022 CF 381 au para 55).

[18] La Cour note aussi que le rapport d’examen préparé par l’Agence fait partie des motifs de sa décision (Aryan au para 22; Larocque c Canada (Procureur général), 2022 CF 613 au para 17).

[19] Selon le dossier, le décideur a expliqué à M. Fafard de vive-voix, et a inscrit dans ses notes relatives à son examen, que les montants reçus identifiés comme des « vacances payées » font partie du revenu provenant d’un emploi aux fins de la Loi PCU et des règlements sur la PCU. Le décideur a aussi consigné dans les notes de sa décision que les vacances, indemnités de vacances, les paies de vacances, le 4% ou 6% sont des synonymes de rémunération et sont compris dans le revenu provenant d’un emploi.

[20] Les talons de paie de M. Fafard pour les périodes visées confirment que ce dernier a reçu de son employeur un montant supérieur à 1 000 $ pour la période 6 (2 au 29 août 2020) et pour la période 7 (30 août au 26 septembre 2020). Le dépassement s’explique par l’inclusion dans les « revenus provenant d’un emploi » des montants identifiés en tant que « vacances payées » par l’employeur, sur les fiches de paie de M. Fafard pour les périodes en cause.

[21] Les parties conviennent que n’eut été du paiement de ces vacances, le revenu de M. Fafard pour ces périodes aurait été inférieur aux mille dollars prévus au Règlement; l’inclusion de ces vacances payées dans le calcul est donc déterminante. Ainsi, alors que l’Agence inclut en tant que « revenus provenant d’un emploi » les montants identifiés en tant que vacances payées sur les fiches de paie pour les périodes en cause, M. Fafard soutient que ces montants doivent être exclus du calcul.

[22] M. Fafard souligne que la décision de l’Agence d’inclure les vacances payées est déraisonnable, soutenant que le revenu provenant d’un emploi est le revenu gagné et que ce dernier ne correspond pas au revenu payé. M. Fafard souligne en outre qu’il est ici important d’exclure les vacances payées vu l’existence de potentielles violations à la Loi sur les Normes du Travail du Québec. Il précise que (1) les montants identifiés comme des vacances payées sur ses talons de paie sont, en vertu de la Loi sur les Normes des indemnités compensatoires de remplacement du congé annuel; (2) selon l’article 70 de la Loi sur les Normes du Travail, le congé annuel doit être pris dans les 12 mois qui suivent l’année de référence et non au fur et à mesure; (3) il est interdit à l’employeur, selon l’article 73 de la Loi sur les Normes du Travail, de remplacer le congé annuel par une indemnité compensatoire; (4) selon l’article 75 de la Loi sur les Normes du Travail, l’indemnité de remplacement du droit au congé annuel doit être versé en un seul versement; (5) les dispositions de la Loi sur les Normes du Travail, en vertu de l’article 93 sont d’ordre public; et (6) les paiements effectués par l’employeur sont donc contraires aux dispositions de la Loi sur les Normes du Travail.

[23] La Cour note, tel que le souligne le PGC, que l’Agence n’a pas la responsabilité d’appliquer la Loi sur les Normes du Travail, ni celle de déterminer si un employeur en a violé des dispositions. En outre, et tel que souligné lors de l’audience, il n’y a aucune indication que les talons de paie de M. Fafard aient été amendés, ou que des efforts aient été entrepris dans ce sens, depuis 2020, pour corriger ce qu’il allègue être une erreur.

[24] La Cour note aussi que la jurisprudence a déjà confirmé, dans Girard-Lortie c Canada (procureur général), 2025 CF 871 que l’intention du parlement est de laisser la méthode de calcul du revenu aux fins de la PCRE pour déterminer l’admissibilité des personnes au programme aux administrateurs qui administrent le programme, et ce, à la lumière des mots utilisés dans la législation habilitante (para 11). La Cour est convaincue que cet énoncé s’applique aussi aux fins du calcul du revenant provenant d’un emploi de la Loi PCU.

[25] La Cour a déjà discuté le sous-alinéa 6(1)(b)(i) de la Loi PCU dans la décision Montoute v Canada (Attorney general) 2025 FC 375 [Montoute] et semble y avoir avalisé une méthode de calcul qui serait fondée sur le moment auquel le montant en question est gagné plutôt que le moment auquel il est payé, ce qui, à première vue, semble rejoindre la proposition de M. Fafard. Cependant, les circonstances de cette affaire sont difficilement transposables en l’instance puisqu’il faut ici déterminer s’il est raisonnable d’inclure les vacances payées dans le revenu provenant d’un emploi, ce qui n’était pas en jeu dans Montoute. Au surplus, la Cour dans Montoute confirme que la demanderesse n’avait pas fourni ses talons de paie à l’Agence, alors qu’en l’instance, M. Fafard les a fournis et c’est justement sur lesdits talons qu’on y trouve la confirmation du paiement des vacances. Le clivage entre le moment où les revenus sont gagnés et les revenus payés de Montoute n’ont en l’instance pas été établis.

[26] Tel que le PGC le soulève, l’agent a comptabilisé les vacances payées de la même façon que les sommes reçues pour les heures travaillées; c’est-à-dire selon le moment où ces sommes ont été gagnées en fonction des relevés de paie et des feuilles de temps de M. Fafard. Il a aussi accordé un traitement équivalent et cohérent à l’ensemble des montants figurant aux talons de paie, soit les heures régulières, les congés fériés et les vacances payées.

[27] M. Fafard peut certes être en désaccord avec l’interprétation de l’Agence, mais il n’a pas convaincu la Cour que cette interprétation est déraisonnable et qu’elle ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

[28] Enfin, la transaction du 6 décembre 2024 confirme certes que les parties conviennent que la décision de l’Agence était déraisonnable, mais elle ne donne aucun détail et n’impose aucune restriction. Le PGC signale que le caractère déraisonnable de cette décision peut avoir été lié à son raisonnement et/ou à son résultat, ce qui n’apparait pas dans le dossier et je conclus que le dossier ne me permet pas de conclure que l’Agence ne pouvait en arriver au même résultat.

III. Conclusion

[29] M. Fafard n’a pas démontré que la décision de l’Agence ne possède pas les attributs requis de transparence, de justification et d’intelligibilité et la Cour conclut que la décision n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

[30] Aucuns dépens ne sont accordés.

 


JUGEMENT dans le dossier T-670-25

LA COUR STATUE que:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucun dépens n’est accordé.

« Martine St-Louis »

Juge en chef par intérim

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-670-25

 

INTITULÉ :

ROGER FAFARD c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 septembre 2025

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF par intérim ST-LOUIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 novembre 2025

 

COMPARUTIONS :

Roger Fafard

 

Pour le demandeur

 

Guillaume Lafleur Marcotte

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Roger Fafard

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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