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Date : 20060919

Dossier : T-1568-05

Référence : 2006 CF 1119

Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE juge Mosley

 

ENTRE :

COMMUNITY CREDIT UNION LTD.,

demanderesse

 

et

 

REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE,

CENTRALE DES CAISSES DE CRÉDIT DU CANADA et

COMMUNITY SAVINGS CREDIT UNION,

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la « Loi »), en vue de faire infirmer la décision par laquelle, le 13 juillet 2005, le registraire des marques de commerce a rejeté une demande d’enregistrement de la marque de commerce Community Credit Union.

 

[2]               La demanderesse, Community Credit Union Ltd. (« CCU »), était connue auparavant sous le nom de « Medicine Hat Savings & Credit Union Ltd ».  En 1986, comme elle menait ses activités dans d’autres villes du sud de l’Alberta et souhaitait faire une large place à sa clientèle locale, l’entreprise a décidé de créer une nouvelle image ou « marque ».  Elle a choisi le nom de Community Credit Union. La preuve indique que la demanderesse a commencé à utiliser ce nom à la fin de 1986, mais qu’elle n’a modifié sa dénomination sociale que le 11 février 1994.

 

[3]               La défenderesse, la Centrale des caisses de crédit du Canada (la « Centrale »), est l’association commerciale nationale du réseau de caisses de crédit au Canada. 

 

[4]               La défenderesse, la Community Savings Credit Union (« Savings »), a été créée en 1944 sous la dénomination sociale I.W.A. (New Westminster) Credit Union.  Le 12 avril 1979, elle est devenue la I.W.A. and Community Credit Union. Le 16 novembre 1998, elle a changé de nom encore une fois et est devenue la Community Savings Credit Union, nom qu’elle porte encore aujourd’hui.

 

[5]               Le 29 juin 1999, la demanderesse a demandé l’enregistrement de la marque « Community Credit Union » (la « marque ») en vue d’un emploi en liaison avec des services de caisses de crédit.  À l’époque, CCU était propriétaire de la marque de commerce Community Credit Union & Design déposée en février 1996 et enregistrée en septembre 1997.  La demanderesse soutient qu’elle n’a su qu’il y avait désistement à l’égard des mots « Community Credit Union » dans la demande d’enregistrement du dessin qu’après l’enregistrement de la marque de commerce.  C’est ce qui a donné lieu à la demande d’enregistrement de la marque et à la publication à des fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 7 juin 2000.  Le 12 décembre 2000, les deux défenderesses (alors opposantes) ont chacune déposé une déclaration d’opposition à l’encontre de la demande d’enregistrement de la marque.

 

[6]               Les motifs d’opposition, bien qu’ils aient été déposés séparément, sont essentiellement les mêmes et peuvent être résumés comme suit : 

1.      La demande de marque ne satisfaisait pas aux exigences de l’alinéa 30i) de la Loi (motif invoqué par la Centrale seulement).

2.      La demande de marque ne satisfaisait pas aux exigences de l’alinéa 30b) de la Loi au motif que la demanderesse n’avait pas utilisé la marque de commerce alléguée depuis la date déclarée dans la demande.

3.      La marque de commerce alléguée n’était pas enregistrable au sens des alinéas 12(1)b) et c), parce que les mots « Community Credit Union » donnaient une description des services énoncés dans la demande de marque.

4.      La marque de commerce alléguée n’était pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi.

5.      La demanderesse n’était pas la personne qui a droit à l’enregistrement de la marque de commerce en application de l’alinéa 16(1)a) de la Loi (motif invoqué par Savings seulement).

 

[7]                Dans sa décision datée du 13 juillet 2005, la membre de la Commission d’opposition des marques de commerce (la membre) est arrivée aux conclusions suivantes sur chaque motif d’opposition :

1.      Ce motif est rejeté parce que l’opposante n’a pas établi que la demanderesse savait que la marque était clairement descriptive ou non distinctive.

2.      Ce motif est accueilli parce que la demanderesse n’a déposé à l’intention de la Commission aucun élément de preuve qui établisse avec certitude la date déclarée du premier emploi.

3.      Aucune décision n’est prise sur ce motif parce qu’il est inutile de le faire étant donné les autres conclusions.

4.      Ce motif est accueilli parce que les mots « Community Credit Union » n’ont pas un caractère distinctif inhérent, car ils seraient interprétés comme se rapportant aux services d’une caisse de crédit locale, qui répond aux besoins d’une certaine tranche de la population et qui prend en considération des intérêts communautaires.  En outre, aucune preuve n’a été produite pour montrer que la marque a acquis un caractère distinct partout au Canada.

5.      Ce motif est rejeté parce que l’opposante, Savings, ne s’est pas acquittée de la charge qui lui incombait au départ de prouver le non‑abandon.  Savings n’a présenté aucune preuve en vue d’établir qu’elle n’avait pas abandonné la marque à la date de l’annonce de la demande le 7 juin 2000.

 

[8]               Par suite de ces conclusions, le registraire a refusé d’enregistrer la marque en application du paragraphe 38(8) de la Loi.  La demanderesse a déposé deux demandes en vue d’interjeter appel de la décision du registraire, lesquelles ont été réunies, et les deux défenderesses ont été groupées dans la présente instance.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[9]               Les questions suivantes ont été soulevées :

1.      Quelle est la norme de contrôle appropriée?

2.      Le registraire a‑t‑il commis une erreur de fait et de droit en statuant que la demanderesse n’avait pas établi avec certitude la date déclarée du premier emploi?

3.      Le registraire a‑t‑il commis une erreur en ne prenant pas en considération le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)b)?

                                                               i.      Si le registraire a commis une erreur, la marque donne‑t‑elle une description claire de la nature ou de la qualité des services en liaison avec lesquels elle est employée?

4.      Le registraire a‑t‑il commis une erreur de fait et de droit en statuant que la marque n’avait pas un caractère distinctif inhérent au sens de l’article 2 de la Loi?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

 

[10]           Les articles 2 et 30 et les paragraphes 12(1), 38(2) et 56(1) de la Loi disposent :

2. Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2. In this Act,

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

 

“distinctive”, in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them;

 

« marque de commerce » Selon le cas :

a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres;

 

“trade-mark” means

 

(a) a mark that is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others,

b) marque de certification;

(b) a certification mark,

c) signe distinctif;

 

(c) a distinguishing guise, or

 

d) marque de commerce projetée.

(d) a proposed trade-mark;

12. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

 

a) elle est constituée d’un mot n’étant principalement que le nom ou le nom de famille d’un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes;

(a) a word that is primarily merely the name or the surname of an individual who is living or has died within the preceding thirty years;

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

c) elle est constituée du nom, dans une langue, de l’une des marchandises ou de l’un des services à l’égard desquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer;

(c) the name in any language of any of the wares or services in connection with which it is used or proposed to be used;

 

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

(d) confusing with a registered trade-mark;

e) elle est une marque dont l’article 9 ou 10 interdit l’adoption;

(e) a mark of which the adoption is prohibited by section 9 or 10;

f) elle est une dénomination dont l’article 10.1 interdit l’adoption;

(f) a denomination the adoption of which is prohibited by section 10.1;

g) elle est constituée, en tout ou en partie, d’une indication géographique protégée et elle doit être enregistrée en liaison avec un vin dont le lieu d’origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l’indication;

 

(g) in whole or in part a protected geographical indication, where the trade-mark is to be registered in association with a wine not originating in a territory indicated by the geographical indication; and

h) elle est constituée, en tout ou en partie, d’une indication géographique protégée et elle doit être enregistrée en liaison avec un spiritueux dont le lieu d’origine ne se trouve pas sur le territoire visé par l’indication.

 

(h) in whole or in part a protected geographical indication, where the trade-mark is to be registered in association with a spirit not originating in a territory indicated by the geographical indication.

 

30. Quiconque sollicite l’enregistrement d’une marque de commerce produit au bureau du registraire une demande renfermant :

30. An applicant for the registration of a trade-mark shall file with the Registrar an application containing

a) un état, dressé dans les termes ordinaires du commerce, des marchandises ou services spécifiques en liaison avec lesquels la marque a été employée ou sera employée;

(a) a statement in ordinary commercial terms of the specific wares or services in association with which the mark has been or is proposed to be used;

b) dans le cas d’une marque de commerce qui a été employée au Canada, la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont ainsi employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de marchandises ou services décrites dans la demande;

(b) in the case of a trade-mark that has been used in Canada, the date from which the applicant or his named predecessors in title, if any, have so used the trade-mark in association with each of the general classes of wares or services described in the application;

 

c) dans le cas d’une marque de commerce qui n’a pas été employée au Canada mais qui est révélée au Canada, le nom d’un pays de l’Union dans lequel elle a été employée par le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, et la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs l’ont fait connaître au Canada en liaison avec chacune des catégories générales de marchandises ou services décrites dans la demande, ainsi que la manière dont ils l’ont révélée;

(c) in the case of a trade-mark that has not been used in Canada but is made known in Canada, the name of a country of the Union in which it has been used by the applicant or his named predecessors in title, if any, and the date from and the manner in which the applicant or named predecessors in title have made it known in Canada in association with each of the general classes of wares or services described in the application;

d) dans le cas d’une marque de commerce qui est, dans un autre pays de l’Union, ou pour un autre pays de l’Union, l’objet, de la part du requérant ou de son prédécesseur en titre désigné, d’un enregistrement ou d’une demande d’enregistrement sur quoi le requérant fonde son droit à l’enregistrement, les détails de cette demande ou de cet enregistrement et, si la marque n’a été ni employée ni révélée au Canada, le nom d’un pays où le requérant ou son prédécesseur en titre désigné, le cas échéant, l’a employée en liaison avec chacune des catégories générales de marchandises ou services décrites dans la demande;

 

(d) in the case of a trade-mark that is the subject in or for another country of the Union of a registration or an application for registration by the applicant or the applicant’s named predecessor in title on which the applicant bases the applicant’s right to registration, particulars of the application or registration and, if the trade-mark has neither been used in Canada nor made known in Canada, the name of a country in which the trade-mark has been used by the applicant or the applicant’s named predecessor in title, if any, in association with each of the general classes of wares or services described in the application;

 

e) dans le cas d’une marque de commerce projetée, une déclaration portant que le requérant a l’intention de l’employer, au Canada, lui-même ou par l’entremise d’un licencié, ou lui-même et par l’entremise d’un licencié;

(e) in the case of a proposed trade-mark, a statement that the applicant, by itself or through a licensee, or by itself and through a licensee, intends to use the trade-mark in Canada;

f) dans le cas d’une marque de certification, les détails de la norme définie que l’emploi de la marque est destiné à indiquer et une déclaration portant que le requérant ne pratique pas la fabrication, la vente, la location à bail ou le louage de marchandises ou ne se livre pas à l’exécution de services, tels que ceux pour lesquels la marque de certification est employée;

(f) in the case of a certification mark, particulars of the defined standard that the use of the mark is intended to indicate and a statement that the applicant is not engaged in the manufacture, sale, leasing or hiring of wares or the performance of services such as those in association with which the certification mark is used;

 

g) l’adresse du principal bureau ou siège d’affaires du requérant, au Canada, le cas échéant, et si le requérant n’a ni bureau ni siège d’affaires au Canada, l’adresse de son principal bureau ou siège d’affaires à l’étranger et les nom et adresse, au Canada, d’une personne ou firme à qui tout avis concernant la demande ou l’enregistrement peut être envoyé et à qui toute procédure à l’égard de la demande ou de l’enregistrement peut être signifiée avec le même effet que si elle avait été signifiée au requérant ou à l’inscrivant lui-même;

 

(g) the address of the applicant’s principal office or place of business in Canada, if any, and if the applicant has no office or place of business in Canada, the address of his principal office or place of business abroad and the name and address in Canada of a person or firm to whom any notice in respect of the application or registration may be sent, and on whom service of any proceedings in respect of the application or registration may be given or served with the same effect as if they had been given to or served on the applicant or registrant himself;

h) sauf si la demande ne vise que l’enregistrement d’un mot ou de mots non décrits en une forme spéciale, un dessin de la marque de commerce, ainsi que le nombre, qui peut être prescrit, de représentations exactes de cette marque;

 

(h) unless the application is for the registration only of a word or words not depicted in a special form, a drawing of the trade-mark and such number of accurate representations of the trade-mark as may be prescribed; and

i) une déclaration portant que le requérant est convaincu qu’il a droit d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises ou services décrits dans la demande.

(i) a statement that the applicant is satisfied that he is entitled to use the trade-mark in Canada in association with the wares or services described in the application.

38.

38.

(2) Cette opposition peut être fondée sur l’un des motifs suivants :

(2) A statement of opposition may be based on any of the following grounds:

 

a) la demande ne satisfait pas aux exigences de l’article 30;

(a) that the application does not conform to the requirements of section 30;

b) la marque de commerce n’est pas enregistrable;

(b) that the trade-mark is not registrable;

c) le requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement;

d) la marque de commerce n’est pas distinctive.

(c) that the applicant is not the person entitled to registration of the trade-mark; or

(d) that the trade-mark is not distinctive.

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l’avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l’expiration des deux mois.

56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

 

ANALYSE

           

1. Norme de contrôle

 

[11]           Lorsque, en appel, on produit une preuve qui aurait pu avoir un effet significatif sur les conclusions de fait ou de droit du registraire ou sur l’exercice par ce dernier de son pouvoir discrétionnaire, le critère est celui de la décision correcte.  Dans de tels cas, la Cour est habilitée à substituer son opinion à celle du registraire : Telus Corp. c. Orange Personal Communications Services Ltd. (2005), 39 C.P.R. (4e) 389, 2005 CF 590, par. 24.

 

[12]           La qualité des nouveaux éléments de preuve doit être prise en considération.  Si ces éléments de preuve n’ajoutent rien d’important et qu’ils ne font que répéter les éléments déjà mis en preuve sans en accroître la force, la question sera de savoir si le registraire a manifestement commis une erreur.  Pour cette raison, la présence de ces éléments de preuve ne devrait avoir aucun effet sur la norme de contrôle appliquée par la Cour dans le cadre de l’appel : Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co., [1999] A.C.F. no 1763 (QL), 3 C.P.R. (4th) 224 (1re inst.), par. 35 à 37.

 

[13]           Il est établi qu’en raison des connaissances spécialisées que possède le registraire, il faut faire preuve d’une certaine retenue à l’égard de ses décisions.  Dans l’arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, [2000] 3 C.F. 145 (C.A.), par. 29, 5 C.P.R. (4th) 180 [Brasseries Molson citée à la C.F.], la Cour d’appel fédérale a conclu que la norme de contrôle applicable dans le cadre d’un appel à l’encontre d’une décision du registraire était celle du caractère raisonnable.

 

[14]           Les parties s’entendent de manière générale pour dire qu’à l’exception de la question concernant la date déclarée du premier emploi, la décision du registraire devrait être appréciée sur le fondement de la norme du caractère raisonnable.  La demanderesse soutient qu’elle a produit de nouveaux éléments de preuve qui auraient eu un effet significatif sur les conclusions du registraire, ce que les deux défenderesses contestent.  C’est là la seule question qui doit être examinée sur le fondement du critère de la décision correcte si la demanderesse réussit à démontrer que les éléments de preuve sont nouveaux.  En ce qui concerne les autres questions en litige, la Cour ne peut intervenir que s’il n’y a dans les motifs avancés aucune analyse qui ait pu raisonnablement amener la Commission, compte tenu de la preuve dont elle était saisie, à la conclusion à laquelle elle est arrivée : Wrangler Apparel Corp. c. Timberland Co., [2005] A.C.F. no 899,  2005 CF 722, par. 12; Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, par. 55.

 

2. Le registraire a-t-il à tort statué que la demanderesse n’avait pas établi la date déclarée du premier emploi?

 

[15]           L’alinéa 30b) de la Loi prescrit que l’auteur d’une demande d’enregistrement d’une marque de commerce fondée sur l’emploi doit produire au bureau du registraire une demande renfermant la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont ainsi employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de marchandises ou services décrites dans la demande. Ce qui constitue un emploi est une question de droit.  L’auteur de l’affidavit doit établir l’existence de faits sur le fondement desquels l’on peut conclure à l’existence d’un emploi, et les ambiguïtés doivent être résolues à l’encontre du demandeur : Condé Nast Publications Inc. c. Union des Éditions Modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183 (C.F. 1re inst.).

 

[16]           Devant le registraire, la demanderesse avait allégué avoir employé la marque au Canada « dès le mois de novembre 1986 ».  À l’appui de cette allégation, elle a déposé l’affidavit de M. Murray Haubrich, premier vice‑président, auquel était joint notamment le rapport annuel de la demanderesse pour 1986. M. Haubrich a été contre-interrogé relativement à son affidavit et a concédé que le rapport n’avait été imprimé et distribué qu’en janvier ou février 1987.  Il a été incapable de préciser les dates de publication d’autres documents.  En conséquence, la Commission a conclu que les opposantes s’étaient acquittées de leur fardeau de présentation et que, parce qu’elle n’avait déposé aucun élément de preuve établissant clairement la date déclarée du premier emploi, la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau de persuasion.

 

[17]           Les nouveaux éléments de preuve présentés par la demanderesse dans la présente instance consistent en un nouvel affidavit de M. Haubrich et en un affidavit d’un autre dirigeant de la société, Jerry Baytalan, auquel étaient jointes les pièces suivantes : des annonces tirées du Medicine Hat News du 4 et du 11 octobre 1986; des cartes professionnelles utilisées après la date déclarée du premier emploi; des annonces tirées du Medicine Hat News du 12 et du 21 février 1987, du 1er et du 11 février 1988, et du 10 et du 11 février 1990; un document intitulé [traduction] « Objectifs proposés pour 1987 pour Murray H. Haubrich »; un état des taux d’intérêt du 29 octobre 1993; le procès‑verbal de la réunion du conseil d’administration tenue le 31 juillet 1986; et le plan stratégique d’entreprise de 1986‑1987 de la Medicine Hat Credit Union Ltd.

 

[18]           Exception faite des annonces parues dans le Medicine Hat News au mois d’octobre 1986, aucune de ces pièces n’est datée ou ne porte une date qui précède la date déclarée du premier emploi.  Elles ne sont d’aucune utilité pour la demanderesse en ce qui concerne la norme de contrôle ou pour ce qui est de résoudre en sa faveur la question relative à l’alinéa 30b).

 

[19]           Les observations entendues à l’audience portaient donc surtout sur les annonces parues en octobre.  Ces deux annonces démontrent un effort en vue d’utiliser les mots « Community Credit Union » pour s’identifier.  Toutefois, ni l’une ni l’autre n’affichent la marque telle qu’elle a été décrite dans la demande d’enregistrement, c.‑à‑d. qu’elles ne font pas la preuve de l’emploi de Community Credit Union comme marque de commerce.  Dans l’annonce parue le 4 octobre 1986, on peut lire les mots suivants, tous imprimés dans une police identique : [traduction] « la Community Credit Union de Medicine Hat … ».  Dans l’annonce parue le 11 octobre 1986, on peut lire les mots suivants, imprimés là encore dans une police à la taille identique : [traduction] « et évidemment, tous peuvent effectuer leurs transactions bancaires à la Community Credit Union … tirez profit de la possibilité d’effectuer vos transactions bancaires dans une Community Credit Union ». 

 

[20]           L’annonce du 11 octobre 1986 joue davantage en faveur de la demanderesse, car elle renvoie à la Community Credit Union, sans préciser « de Medicine Hat ».  Le format et le libellé utilisés dans les deux annonces ne correspondent cependant pas à la marque par opposition aux pièces qui ont été produites et dont la date est ultérieure à la « date déclarée de l’emploi ».

 

[21]           Bien que la demanderesse ait produit certains éléments de preuve suivant lesquels les mots « Community Credit Union » ont été utilisés dans des annonces précédant la date déclarée du premier emploi, la question est de savoir si ces éléments de preuve auraient eu un effet significatif sur les conclusions du registraire.  La simple existence d’éléments de preuve supplémentaires ne suffit pas à faire tomber la retenue dont il faut faire preuve à l’égard de ses décisions.

 

[22]           Ainsi que l’a indiqué la juge Carolyn Layden-Stevenson dans l’affaire Vivat Holdings Ltd. c.  Levi Strauss & Co. [2005] A.C.F. no 893, 2005 CF 707, au paragraphe 27 :

Pour avoir une incidence sur la norme de contrôle, la nouvelle preuve doit être suffisamment importante. Lorsque la preuve additionnelle ne va pas au-delà de ce qui a déjà été établi devant la Commission et a peu de poids, mais ne consiste qu'à compléter ou tout simplement répéter des éléments déjà mis en preuve, alors l'application d'une norme comportant une moins grande déférence n'est pas justifiée. Le critère en est un de qualité et non de quantité.    [Renvois omis]

 

[23]           À mon avis, les nouveaux éléments de preuve viennent simplement compléter les éléments déjà mis en preuve devant la Commission, selon lesquels la demanderesse était en train de faire le passage d’une identité à une autre à l’automne de 1986, afin d’atténuer ses liens avec la ville de Medicine Hat et de promouvoir son entreprise dans d’autres collectivités comme étant de nature locale.  Elle n’avait pas clairement établi son emploi de la nouvelle « marque » au mois de novembre 1986. Je ne suis pas convaincu que, si la demanderesse avait présenté ces éléments de preuve lors de l’audience sur l’opposition, ceux‑ci auraient eu un effet significatif sur les conclusions de la Commission, ce qui aurait commandé l’application de la norme de contrôle de la décision correcte et la substitution par la Cour de son opinion à celle du registraire.

 

Le registraire a-t-il commis une erreur en omettant de prendre en considération le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)b) (« donne une description claire »)?

 

[24]           La demanderesse soutient que le registraire a commis une erreur de fait et de droit en omettant de déterminer que la marque ne donnait pas une « description claire de la nature ou de la qualité des services ... », car une telle décision aurait joué un rôle instrumental aux fins de toute conclusion de non‑distinctivité selon la définition large de « distinctive » utilisée par le registraire.  La demanderesse soutient que le registraire a excédé la définition de marque « distinctive » énoncée dans la Loi pour y inclure des marques très génériques comme marques non distinctives.

 

[25]           Les défendeurs soutiennent que, parce qu’il a conclu que la marque n’était pas distinctive, le registraire a à juste titre décidé de ne pas prendre en considération d’autres motifs d’opposition, car cela n’aurait fait aucune différence à l’égard de la demanderesse.  Les défendeurs sont d’avis que, s’il avait été examiné par la Commission, le motif aurait été accueilli.

 

[26]           Dans la décision Conseil canadien des ingénieurs professionnels c. APA-Engineered Wood Assn., [2000] A.C.F. no 1027, par. 49, le juge Jack O'Keefe a statué que le registraire avait commis une erreur en statuant qu’un motif d’opposition fondé sur le caractère non distinctif ne faisait que répéter l’argument selon lequel les marques de commerce donnaient une description claire.  Le paragraphe 38(2) indique clairement que les deux motifs d’opposition ne sont pas les mêmes.  Une déclaration d’opposition peut notamment être fondée sur le motif que la marque de commerce n’est pas enregistrable ou qu’elle n’est pas distinctive.  Aux termes de l’alinéa 12(1)b), la marque de commerce est enregistrable sauf si elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse de la  nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée.  Le juge O'Keefe a conclu que la question du caractère distinctif des marques projetées doit être examinée de façon indépendante.  La conclusion relative au caractère descriptif n’a aucune incidence sur la conclusion de non‑distinctivité. Il s’agit de motifs d’opposition distincts qui ne doivent pas nécessairement être plaidés ensemble.

 

[27]           Dans la décision frappée d’appel, la membre de la Commission a suivi et appliqué le raisonnement du juge O'Keefe selon lequel le caractère distinctif de la marque requiert un examen indépendant.  Elle a ensuite conclu qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur le motif parce que la demande était rejetée pour d’autres motifs.  À mon avis, la membre de la Commission n’a pas agi de manière déraisonnable.

 

[28]           Si j’ai tort à cet égard et que le registraire a commis une erreur en ne prenant pas en considération le motif en question, je suis convaincu que la marque donne une description claire de la nature des services qui doivent être fournis en liaison avec son emploi.

 

[29]           La raison pour laquelle les marques descriptives sont interdites est qu’aucun négociant ne peut monopoliser un bien commun que tous ceux qui œuvrent dans le domaine ont le droit d’utiliser : Partlo c. Todd (1888), 17 R.C.S. 196, p. 223.  Aux fins d’appréciation du caractère descriptif de la marque, c’est l’impression immédiate de la marque dans son ensemble qu’il faut analyser et non celle de ses composantes.  L’impression ainsi créée doit être appréciée du point de vue de l’acheteur ou de l’utilisateur ordinaire des marchandises ou des services : Mitel Corp. c. Registraire des marques de commerce (1984), 79 C.P.R. (2d) 202, p. 208 (C.F. 1re inst.).

 

[30]           L’on ne peut obtenir un droit de propriété exclusif sur un mot ordinaire qui décrit adéquatement les services offerts par d’autres.  Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que l’enregistrement de la marque COMMUNITY CREDIT UNION aurait pour effet d’éliminer le mot « community » du vocabulaire que peuvent utiliser d’autres entreprises qui offrent des services de caisse de crédit.

 

Le registraire a-t-il commis une erreur de fait et de droit en statuant que la marque n’avait pas un caractère distinctif inhérent au sens de l’article 2 de la Loi?

 

[31]           La demanderesse a fait valoir plusieurs arguments sur cette question.  Premièrement, que le registraire a à tort conclu que la marque n’avait pas un caractère distinctif inhérent parce qu’elle était « très générique ».  Deuxièmement, que le registraire a à tort conclu que, parce que la  marque ne contient pas un autre mot distinctif de façon indépendante (comme les autres marques déposées en preuve), elle ne crée en fait aucune distinction.  Troisièmement, qu’étant donné la nature vague et ubiquiste du mot « community » et étant donné qu’un fournisseur de n’importe quelle sorte de service aurait un certain lien avec la collectivité dans laquelle il se trouve, l’on ne peut dire du mot qu’il n’a pas un caractère distinctif inhérent.

 

[32]           La preuve présentée par voie d’affidavits par les défendeurs démontre que les mots « Community Credit Union » étaient communs au secteur des caisses de crédit à la date pertinente de décembre 2000 à laquelle la déclaration d’opposition a été déposée, et qu’ils étaient utilisés par de nombreuses caisses de crédit partout au pays depuis des années.  Une recherche sur les registres d’entreprises a permis de démontrer que les mots avaient été utilisés par au moins 58 caisses de crédit au Canada depuis 1980.  Ce qui permet aux consommateurs de distinguer l’une de ces caisses de crédit d’une autre sont les parties de leurs noms autres que « Community Credit Union », comme Greater Vancouver, Cornwall, North York, ou en fait, Medicine Hat. Les mots « Community Credit Union » ne peuvent permettre d’identifier une caisse de crédit par rapport à une autre, car ils sont et ils étaient, à la date pertinente, communs au secteur des caisses de crédit.

 

[33]           Le registraire a noté à juste titre qu’il existe deux types de caractère distinctif : le caractère distinctif inhérent et le caractère distinctif acquis.  Comme on peut le lire dans l’ouvrage Hughes on Trademarks, 2e éd. (Markham : LexisNexis Canada Inc., 2005), à la p. 648 :

[traduction] Une marque est distinctive lorsque rien en elle ne renvoie le consommateur à une multitude de sources.  En conséquence, lorsqu’une marque est un nom unique ou inventé, de telle sorte qu’elle ne peut renvoyer qu’à une chose, il est possible de conclure qu’elle a un caractère distinctif inhérent.

 

[34]           Le registraire a conclu que la marque n’avait pas un caractère distinctif inhérent parce que l’on retrouve dans le nom commercial ou la marque de commerce de nombreuses caisses de crédit du Canada les mots « Community Credit Union ».  Le registraire s’est ensuite demandé si la marque avait acquis un caractère distinct du fait de son emploi partout au Canada.  La membre de la Commission a conclu que la preuve établissait uniquement que la marque pouvait avoir acquis un caractère distinctif dans certains régions de l’Alberta, mais qu’il n’y avait aucune preuve qu’elle avait été utilisée ou qu’elle était devenue connue partout au Canada.

 

[35]             Pour arriver à cette conclusion, la membre de la Commission s’est reportée à la décision que la Commission d’opposition des marques de commerce a rendue dans l’affaire Muffin Houses Inc. c. The Muffin House Bakery Ltd. (1985), 4 C.P.R. (3d) 272. La membre savait que la Cour d’appel fédérale avait dit que, pour conclure au caractère distinctif, il ne fallait pas nécessairement qu’il y ait emploi exclusif : Brasseries Molson, précitée, par. 69.  Toutefois, cette décision permet de soutenir également que l’emploi de la même marque par d’autres en liaison avec des marchandises (ou services) semblables est pertinent pour ce qui est de déterminer si une marque est effectivement distinctive. 

 

[36]           Une marque peut devenir distinctive dans une région géographique donnée.  Cependant, un nombre considérable d’éléments de preuve présentés au registraire et dans la présente instance permettent d’établir que la marque était couramment utilisée dans le domaine dans toutes les régions. Le caractère distinctif est tributaire de toutes les circonstances.  Dans la présente affaire, les circonstances indiquent clairement l’absence de caractère distinctif, et je ne peux conclure que le registraire a commis une erreur à cet égard.

 

[37]           En définitive, je suis convaincu que le raisonnement qui sous‑tend la décision du registraire démontre que celle‑ci n’est pas clairement erronée ou déraisonnable.  Si j’avais déterminé qu’il était justifié de faire preuve d’un degré moindre de déférence, je serais arrivé à la conclusion que la décision était correcte.  L’appel sera par conséquent rejeté.

 

[38]           La défenderesse Savings a demandé l’adjudication des dépens en sa faveur si elle obtient gain de cause, ce que n’a pas fait la Centrale.  La Cour exercera son pouvoir discrétionnaire pour ordonner à chaque partie d’assumer ses frais.

 

LA COUR STATUE QUE l’appel est rejeté.  Les parties assument leurs frais.

 

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                             T-1568-05

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 COMMUNITY CREDIT UNION LTD. ET LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE,

                                                            COMMUNITY SAVINGS CREDIT UNION,

                                                            CENTRALE DES CAISSES DE CRÉDIT DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                     Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                    le 13 septembre 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                 LE JUGE MOSLEY

 

EN DATE DU :                                      19 septembre 2006

 

COMPARUTIONS

 

Neil Kathol

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jane Steinberg

 

 

David Wotherspoon

 

POUR LA DÉFENDERESSE

Centrale des caisses de crédit du Canada

 

POUR LA DÉFENDERESSE

Community Savings Credit Union

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

NEIL KATHOL

Brownlee LLP

Calgary (Alberta)

POUR LA DEMANDERESSE

 

JANE STEINBERG

Gowling Lafleur Henderson LLP

Ottawa (Ontario)

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

Centrale des caisses de crédit du Canada

DAVID WOTHERSPOON

Fasken Martineau DuMoulin LLP

Vancouver (C.-B.)

POUR LA DÉFENDERESSE

Community Savings Credit Union

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

 

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