Date : 20250716
Dossiers : T-2313-24
Référence : 2025 CF 1271
Québec (Québec), le 16 juillet 2025
En présence de monsieur le juge Gascon
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ENTRE : |
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MICHAEL MOREAU |
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demandeur |
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et |
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
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défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Le demandeur, Michael Moreau, s’est plaint au Commissariat aux langues officielles [CLO] qu’un panneau de signalisation endommagé [Panneau] appartenant au ministère des Pêches et Océans [MPO] constituerait une violation de ses droits linguistiques prévus à la Loi sur les langues officielles, LRC 1985, c 31 (4e suppl) [LLO]. Après avoir vu sa plainte rejetée sommairement par le CLO, M. Moreau a déposé un recours devant la Cour en vertu du paragraphe 77(1) de la LLO [Demande]. Dans sa Demande, il soumet que la piètre qualité du Panneau représenterait un manquement aux articles 22 et 29 ainsi qu’à la partie VII de la LLO.
[2] Pour les motifs qui suivent, la Demande de M. Moreau sera rejetée, avec dépens. La LLO ne trouve pas application à l’égard de la Demande. L’objet du litige dans la Demande vise un problème d’entretien à l’égard d’un panneau bilingue appartenant à une institution fédérale qui n’a rien à voir avec la LLO, et le Panneau en question a été réparé en temps utile.
II. Contexte
A. Les faits
[3] Le 19 juin 2024, M. Moreau — alors en vacances aux Îles-de-la-Madeleine — constate qu’une enseigne à l’entrée du port de pêche de Grande-Entrée est endommagée, de sorte que, sur l’enseigne bilingue, des mots sont manquants dans les deux langues officielles. Le Panneau semble avoir été scindé en deux. Il y est uniquement écrit « de pêche »
en français et « [
h]arbour »
en anglais. Il manque, à l’évidence, une ou deux planches horizontales dans le haut du Panneau qui auraient permis à M. Moreau de savoir qu’il arrive au port de petits bateaux de pêche (ou «
small fishing craft harbour »
) de Grande-Entrée.
[4] Dans son affidavit, M. Moreau affirme avoir été déçu et incommodé lorsqu’il a vu ce qu’il décrit comme étant « la signalisation unilingue »
du Panneau.
[5] Le 20 juin 2024, M. Moreau porte plainte au CLO en raison du Panneau. Environ deux semaines plus tard, le CLO communique à M. Moreau son refus d’enquêter. De l’avis du CLO, le dommage au Panneau ne concerne pas une contravention de la lettre ou de l’esprit de la LLO dans le contexte de l’administration des affaires d’une institution fédérale, mais concerne plutôt un problème d’entretien. Par ailleurs, le CLO mentionne que le Panneau ne lui permet pas d’identifier clairement l’institution fédérale qui en serait responsable.
[6] Le 16 juillet 2024, M. Moreau communique par courriel avec un employé du MPO. Le lendemain, cet employé confirme que le Panneau sera bientôt réparé, car un nouveau panneau a déjà été commandé et doit être installé prochainement. En effet, un remplacement pour cette enseigne avait été commandé en janvier 2024 en lien avec un programme de remplacement de toutes les affiches pour les havres aux Îles-de-la-Madeleine — et ce, bien avant que M. Moreau ne constate l’existence du Panneau endommagé en juin suivant.
[7] Le 6 septembre 2024, M. Moreau dépose tout de même sa Demande en vertu de l’article 77 de la LLO. Dans sa Demande, il recherche une ordonnance en vertu du paragraphe 77(4) de la LLO déclarant que le MPO a enfreint les parties IV et VII de la LLO, des dommages-intérêts d’un montant de 1 $, et des dépens en vertu du paragraphe 81(2) de la LLO.
[8] Le 2 décembre 2024, le Panneau remis à neuf est mis en place. Il y est maintenant clairement indiqué « Ports pour petits bateaux »
sur la gauche et «
Small Craft Harbours »
sur la droite, au-dessus de la mention « Grande-Entrée »
. Malgré le fait que cette nouvelle enseigne avait été commandée par le MPO en janvier 2024, une erreur du manufacturier avait empêché que celle-ci ne soit installée plus tôt qu’en décembre 2024. Les réparations au Panneau avaient aussi été retardées par un incendie majeur qui a eu lieu au port de Grande-Entrée le 30 juin 2024.
B. Les dispositions pertinentes
[9] Les seules dispositions pertinentes pour les fins du présent jugement sont les articles 2a), 77(1) et 81 de la LLO. Ils se lisent comme suit:
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[10] Il n’est pas nécessaire de citer les autres articles de la LLO invoqués par M. Moreau.
III. Analyse
[11] M. Moreau soumet que, pour deux raisons, le MPO aurait enfreint ses obligations linguistiques sous la LLO en ce qui concerne le Panneau.
[12] Premièrement, il affirme que la piètre qualité du Panneau serait un manquement à l’article 22, car le Panneau serait un « bureau »
au sens de cette disposition. Il mentionne aussi, lors de l’audience devant la Cour, l’article 29 exigeant que tous les panneaux et enseignes signalant les bureaux d’une institution fédérale soient dans les deux langues officielles. Deuxièmement, M. Moreau affirme que le MPO aurait brimé diverses dispositions dans la partie VII en négligeant de prendre des mesures positives — telles que l’entretien des panneaux de signalisation dans les deux langues officielles — afin de promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage des deux langues dans la société canadienne. Au surplus, il ajoute qu’il n’y aurait pas eu de force majeure pour soustraire le MPO à ses obligations sous la partie VII.
[13] Pour les raisons qui suivent, la Cour ne partage pas l’avis de M. Moreau.
A. La LLO ne trouve pas application
[14] La LLO a pour objet « d’assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l’égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales »
(alinéa 2a) de la LLO). À cet égard, la Cour suprême du Canada a affirmé à plusieurs reprises que le concept d’égalité en matière de droits linguistiques doit recevoir son sens véritable. La LLO vise l’égalité réelle des langues officielles, et non simplement l’égalité formelle sans aucune utilité pratique. L’égalité réelle doit donc être la norme et l’exercice des droits linguistiques ne se résume pas à une demande d’accommodement. Il s’agit au contraire d’un droit (DesRochers c Canada (Industrie), 2009 CSC 8 au para 31 [DesRochers]; voir aussi : Arsenault-Cameron c Île‑du‑Prince‑Édouard, 2000 CSC 1 au para 31; R c Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 RCS 768 aux para 22, 24–25 [Beaulac]). Fait important, il s’agit d’un droit aux termes duquel les justiciables peuvent porter plainte au CLO et former un recours devant la Cour.
[15] Cependant, encore faut-il que la LLO trouve application. Or, c’est à ce stade préliminaire que la Demande de M. Moreau échoue. À l’instar du défendeur, le Procureur général du Canada [PGC], la Cour conclut que la LLO ne s’applique tout simplement pas à la Demande.
[16] La LLO vise à promouvoir l’égalité des deux langues officielles, notamment en obligeant les institutions fédérales à offrir des services au public en français et en anglais. Cela dit, la nécessité d’entretenir une enseigne publique ne signifie pas automatiquement qu’une institution fédérale manque à ses obligations dès qu’une enseigne devient endommagée. La LLO ne sert pas en soi à contrôler l’état d’entretien des installations physiques des institutions fédérales simplement parce que ces installations affichent du texte dans les deux langues officielles. Rien dans la LLO n’impose aux institutions fédérales une obligation d’entretien.
[17] Au surplus, dans les faits du présent dossier, le Panneau est et a toujours été dans les deux langues officielles, nonobstant le fait qu’il était endommagé au moment où M. Moreau l’a vu. Cette situation ne dévoile aucun manquement de la part du MPO relativement à ses obligations d’égalité linguistique sous la LLO. En fait, au moment où M. Moreau l’a vu en juin 2024, le Panneau était tout à fait incompréhensible tant en français qu’en anglais. Comme l’a souligné la Cour suprême à l’égard de la partie IV de la LLO, les obligations de la LLO n’imposent aucun seuil minimal de qualité des services offerts par l’État fédéral, pourvu que les services soient de qualité égale dans les deux langues (DesRochers au para 55). Autrement dit, la LLO vise l’égalité réelle des deux langues, mais pas la qualité réelle de celles-ci.
[18] Comme l’explique le PGC, le Panneau a toujours contenu une description dans les deux langues officielles. Le fait qu’il était endommagé pendant quelques mois en 2024 n’a rien à voir avec la LLO ou l’égalité des langues officielles. À cet égard, la Cour est du même avis que le CLO : l’état endommagé du Panneau ne constitue pas une contravention à la LLO. En réalité, comme le CLO l’a déterminé, il s’agit d’un simple problème d’entretien, lequel a d’ailleurs été réglé en temps utile. Or, l’opinion du CLO — l’entité responsable de procéder aux enquêtes sur les plaintes instruites en vertu de la LLO — est une source persuasive que la Cour est habilitée à consulter, malgré qu’elle ne soit pas contraignante (Moreau c Administration portuaire d’Halifax, 2025 CF 345 au para 33, conf par 2025 CAF 120 [Moreau CAF]; voir aussi : FN (Re), 2000 CSC 35 aux para 25–26; Canada (Commissaire aux langues officielles) c Canada (Emploi et Développement social), 2022 CAF 14 au para 161).
[19] Il est également bien établi en matière d’interprétation législative que « le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes »
(Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 RCS 27 au para 27). La LLO existe pour défendre et protéger les deux langues officielles du Canada et les droits linguistiques des Canadiens. Ici, l’interprétation de la LLO proposée par M. Moreau ouvrirait la porte à utiliser la LLO non pas pour corriger une atteinte à des droits linguistiques, mais plutôt pour asseoir un recours basé sur des dommages momentanés à des installations bilingues des institutions fédérales.
[20] Même M. Moreau lui-même ne semble pas savoir à partir de quand et en quoi ses droits linguistiques pourraient être affectés par un affichage endommagé. Par exemple, il a suggéré à l’audience qu’un mois pourrait être la limite de temps maximale pour permettre au gouvernement fédéral de réparer les dommages à une installation bilingue, avant de lui-même admettre que ce délai ne provient que du « plein air »
. En d’autres termes, le délai que M. Moreau a tout bonnement sorti de son chapeau à l’audience pour déclencher une obligation sous la LLO n’a aucun fondement juridique et repose sur un vide total de preuve factuelle.
[21] Avec égards, le législateur ne pouvait souhaiter assujettir les institutions fédérales à des obligations linguistiques fondées sur du « plein air »
. La Cour rejette l’idée qu’une telle obligation ou un tel résultat puisse concorder avec l’intention qu’a eu le législateur en adoptant la LLO. La Cour doit trancher les recours sur la base du fondement juridique des normes établies dans les dispositions législatives, de la jurisprudence ainsi que des faits constatés dans le dossier de la preuve. Contrairement à ce que semble suggérer M. Moreau, la Cour ne peut fonctionner en dehors de ces limites (Trigonakis c Sky Regional Airlines Inc, 2022 CAF 170 au para 9).
[22] La Cour accepte qu’en théorie, on peut imaginer des situations où des dommages à des installations gouvernementales pourraient éventuellement engager des obligations positives en vertu de la LLO. Par exemple, la Cour n’exclut pas qu’un refus catégorique et répété d’une institution fédérale à réparer une enseigne bilingue endommagée de manière à prioriser l’une des deux langues officielles pourrait, dans certaines circonstances, constituer une violation de la LLO. La négligence d’une institution fédérale à réparer de tels dommages à l’intérieur d’un délai raisonnable pourrait également tomber dans le champ d’application de la LLO. Dans de tels scénarios, un problème d’entretien pourrait, à la rigueur, se transformer en violation potentielle des obligations linguistiques édictées par la LLO, en supposant qu’une preuve adéquate soit fournie quant à la norme raisonnable qui s’appliquerait, la teneur de la violation et le comportement répréhensible de l’institution fédérale. Toutefois, rien de tel ne s’est produit dans le cas présent. M. Moreau se plaint au sujet d’un problème très temporaire d’entretien qui n’a pas tardé à être rapidement réglé par le MPO.
[23] Les droits linguistiques sont des droits positifs, ce qui signifie qu’ils ne peuvent être exercés que si les moyens en sont fournis. L’État fédéral doit ainsi prendre des mesures positives pour permettre la réalisation des droits linguistiques (Beaulac au para 20). C’est exactement ce que le MPO a entrepris de faire dès janvier 2024 en commandant la nouvelle enseigne pour remplacer le Panneau endommagé, et ce plusieurs mois avant même que M. Moreau ne remarque les dommages au Panneau lors de ses vacances de juin 2024 aux Îles-de-la-Madeleine.
[24] Pour l’ensemble de ces raisons, la Cour ne décèle strictement aucune violation de la LLO en l’espèce.
B. M. Moreau n’a pas droit à des dépens
[25] Le paragraphe 81(2) de la LLO permet à la Cour d’accorder les dépens à l’auteur d’un recours sous la LLO même s’il est débouté, lorsque la Cour estime que l’objet du recours a soulevé un principe important et nouveau quant à la LLO. En vertu de cette disposition, M. Moreau demande de recevoir une somme de 6 000 $ à titre de dépens, même s’il n’a pas gain de cause dans la Demande. Pour justifier sa position, M. Moreau allègue que sa Demande est la première à être instruite en vertu de la LLO depuis sa modernisation et qu’elle vise la nouvelle partie VII de la LLO, plus précisément l’effet conjugué de l’alinéa 41(1)(b) et du sous-alinéa 41(6)(c)(ii).
[26] La Cour n’est pas d’accord.
[27] Suivant le libellé du paragraphe 81(2), pour avoir droit à des dépens même si son recours échoue, tout demandeur doit démontrer que l’objet de son recours soulève un principe relativement à la LLO qui soit à la fois important et nouveau. Cette disposition permet de récompenser l’énorme investissement personnel qu’exige la poursuite d’une demande sous l’article 77 de la LLO (Thibodeau c Administration des aéroports régionaux d'Edmonton, 2022 CF 565 au para 28, citant Canada (Commissaire aux langues officielles) c Bureau du surintendant des institutions financières, 2021 CAF 159 au para 52).
[28] Sur la base du paragraphe 81(2), la Cour a fréquemment accordé des dépens au demandeur débouté dans plusieurs affaires impliquant des demandes en vertu de la LLO (voir, par exemple : DesRochers au para 5; Thibodeau c Air Canada, 2012 CAF 246 au para 81; Forum des maires de la Péninsule acadienne c Canada (Agence d’inspection des aliments), 2004 CAF 263 au para 83; Fédération des francophones de la Colombie-Britannique c Canada (Emploi et Développement social), 2018 CF 530 aux para 297–298 [FFCB], inf en partie pour d’autres motifs par 2022 CAF 14; Norton c Via Rail Canada, 2009 CF 704 aux para 130–131).
[29] L’importance et la nouveauté du principe en jeu sont toutefois deux conditions distinctes. À défaut de satisfaire chacune de ces exigences, c’est le paragraphe 81(1) de la LLO qui s’applique, lequel énonce que les frais et dépens sont laissés à l’appréciation de la Cour et suivent — sauf ordonnance contraire — le sort du principal (voir aussi le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106).
[30] En l’espèce, la Cour conclut que M. Moreau n’a pas droit à des dépens en vertu du paragraphe 81(2). Au contraire, il devra plutôt en verser au PGC suivant le paragraphe 81(1).
[31] Au niveau de la condition de la nouveauté, il est inexact d’affirmer que la Demande est la première à être instruite sous la LLO modernisée et à traiter de la nouvelle partie VII de la LLO. Le PGC a observé à bon droit que M. Moreau a lui-même déjà intenté un recours sous la nouvelle mouture de la LLO et sa nouvelle partie VII (Moreau c Canada (Commission des libérations conditionnelles), 2024 CF 1280). Cela dit, la Cour accepte que la Demande soulève un principe nouveau dans la mesure où elle porte essentiellement sur l’application de la LLO en ce qui concerne l’entretien d’installations bilingues appartenant à une institution fédérale.
[32] En revanche, la Demande échoue lamentablement sur la condition de l’importance. Cette deuxième condition est essentielle pour prévenir l’octroi de dépens à des demandeurs qui déposent des recours frivoles comme celui qui est présentement devant la Cour.
[33] À l’audience, M. Moreau a suggéré que, même s’il advenait que la LLO ne s’appliquait pas à sa plainte, sa Demande serait importante puisqu’elle servirait à prévenir des recours similaires par d’autres demandeurs. Il affirme qu’il n’aurait lui-même pas déposé sa Demande s’il y avait eu une décision de la Cour indiquant expressément qu’elle était vouée à l’échec. Or, le seul fait de poser une question nouvelle ne veut pas forcément dire qu’il s’agit d’une question qui mérite qu’on s’y attarde. On peut faire un parallèle avec le principe selon lequel un recours devant la Cour peut être dénué de cause d’action valable s’il repose sur une question d’interprétation législative dont la réponse est évidente et manifeste, malgré l’absence de précédents applicables (Zanin c Ooma, Inc, 2025 CF 51 au para 310, citant, inter alia, Trotman v WestJet Airlines Ltd, 2022 BCCA 22 au para 46). En d’autres termes, l’absence de jurisprudence directement applicable n’est pas un motif qui justifie d’intenter un recours manifestement frivole.
[34] Ici, la question de savoir si une enseigne bilingue brièvement endommagée comme le Panneau contrevient à la LLO n’est assurément pas d’une nature importante justifiant de se voir octroyer des dépens. Il ne fait aucun doute qu’il s’agissait d’un problème d’entretien mineur qui ne relève pas de la LLO et auquel le MPO a d’ailleurs remédié de son propre chef en temps utile. De plus, bien avant de déposer sa Demande, M. Moreau avait dûment été informé que le Panneau endommagé était déjà en train d’être réparé. En somme, la Demande de M. Moreau ne trouve aucun fondement juridique dans la LLO et ne revêt même pas un minimum de bon sens dans les circonstances.
[35] M. Moreau n’a donc pas du tout rendu un service aux Canadiens en faisant de la question en litige dans sa Demande l’objet d’un débat public, bien loin de là (voir, a contrario : FFCB au para 298; Picard c Canada (Commissaire aux brevets), 2010 CF 86 au para 84). En réalité, la Demande de M. Moreau représente plutôt un gaspillage malheureux et regrettable des précieuses ressources judiciaires de la Cour et un comportement éminemment abusif et vexatoire que la Cour ne peut que condamner avec vigueur. En effet, « [l]es Cours fédérales disposent de ressources limitées qui ne peuvent pas être dilapidées »
(Canada c Olumide, 2017 CAF 42 au para 19 [Olumide]).
[36] La Demande reflète une attitude qui ne peut être qualifiée que de nuisible au système judiciaire et à ses participants (Bernard c Canada (Procureur général), 2019 CAF 144 au para 16) et possède les attributs des recours frivoles, inutiles ou inappropriés que les cours s’évertuent à décourager et à empêcher (Olumide aux para 32, 34; Canada (Procureur général) c Simon, 2022 CF 1135 au para 27).
[37] La Cour observe également que M. Moreau est demandeur dans 16 dossiers devant la Cour et appelant dans 7 dossiers devant la Cour d’appel fédérale, lesquels portent d’abord et avant tout sur des questions de droits linguistiques. Certains de ses dossiers ont été rejetés sommairement (voir, par exemple : Moreau v Canada (Office of the Commissionner of Official Languages), 2025 FCA 130; Moreau CAF). Comme l’a récemment suggéré la Cour d’appel fédérale, M. Moreau veut sans doute « tester les limites de ses droits linguistiques »
(Moreau CAF au para 17). En principe, il n’y a rien à reprocher à une telle mission. Au contraire, une telle mission peut même s’avérer noble et bénéfique lorsqu’elle contribue aux objectifs de la LLO et à la mise en œuvre des droits et obligations qui y sont prévus. Hélas, dans le présent dossier, la Demande de M. Moreau ne loge pas du tout à cette enseigne et revêt plutôt toutes les apparences d’un abus éhonté du processus judiciaire.
[38] Le ridicule ne tue pas, dit l’adage, mais quand il atteint le niveau de la présente Demande, il finit tout de même par sérieusement indisposer.
[39] La Cour rappelle à M. Moreau et aux autres plaideurs qui pourraient être tentés par des démarches similaires qu’il faut toujours savoir faire preuve de jugement et de discernement avant d’intenter un recours judiciaire — même sous l’égide de la LLO, afin d’éviter de lancer des litiges manifestement frivoles comme c’est le cas pour la Demande en cause.
IV. Conclusion
[40] Pour les motifs qui précèdent, la Demande de M. Moreau est rejetée, avec dépens en faveur du PGC. La Demande ne relève pas du champ d’application de la LLO et concerne plutôt un problème d’entretien à l’égard d’un panneau bilingue. Il n’y a donc aucune raison d’aborder le fond des questions soulevées par M. Moreau, car la LLO ne s’applique pas.
[41] Le PGC a déposé un mémoire de frais qui établit les dépens demandés à 3 240 $. Dans les circonstances, et dans l’exercice de sa discrétion, la Cour est d’avis qu’il convient de condamner M. Moreau à payer au PGC une somme forfaitaire de 2 000 $ à titre de dépens.
JUGEMENT au dossier T-2313-24
LA COUR STATUE que :
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La demande de M. Michael Moreau en vertu de l’article 77 de la Loi sur les langues officielles, LRC 1985, c 31 (4e suppl) est rejetée.
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Des dépens de 2 000 $ sont accordés au Procureur général du Canada.
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L’intitulé de la cause est modifié afin que le Procureur général du Canada soit désigné comme défendeur au lieu du ministère des Pêches et Océans.
« Denis Gascon »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIERS : |
T-2313-24 |
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INTITULÉ : |
MICHAEL MOREAU c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
QUÉBEC (QUÉBEC) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 10 JUILLET 2025 |
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
GASCON J. |
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DATE DES MOTIFS |
LE 16 JUILLET 2025 |
COMPARUTIONS :
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M. Michael Moreau |
POUR LE DEMANDEUR |
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Me Miriam Clouthier |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Procureur général du Canada Québec (Québec) |
POUR LE DÉFENDEUR |