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Date : 20251110


Dossiers : ITA-4634-25

ITA-4635-25

Référence : 2025 CF 1807

Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2025

En présence de l'honorable madame la juge Ngo

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI DE L’IMPÔT SUR LE REVENU,

et

DANS L’AFFAIRE D’UNE COTISATION OU DES COTISATIONS ÉTABLIES PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL EN VERTU D’UNE OU PLUSIEURS DES LOIS SUIVANTES : LA LOI DE L’IMPÔT SUR LE REVENU, LE RÉGIME DE PENSIONS DU CANADA, LA LOI SUR L’ASSURANCE-EMPLOI,

CONTRE :

GESTION VALIQUETTE OAKES INC.

90, chemin de la Côte Sud

Boisbriand (Québec) J7E 4H5

Débitrice judiciaire

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte et faits pertinents

[1] La débitrice judiciaire Gestion Valiquette Oakes Inc. [débitrice judiciaire] présente une requête par écrit selon la règle 369 des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106) [Règles] cherchant la rétractation d’une ordonnance pour délaissement forcé rendue par le juge adjoint Shannon datée du 8 octobre 2025 [Ordonnance]. La demande de la débitrice judiciaire d’un sursis à l’exécution de l’Ordonnance a été refusée par le juge Grammond le 24 octobre 2025 (Gestion Valiquette Oakes Inc. (24 octobre 2025), Ottawa ITA-4634-25, ITA-4635-25 (CF) [Décision de Sursis]). Je suis saisie de la requête visant la rétractation de l’Ordonnance.

[2] La débitrice judiciaire soumet que la Cour devrait lui accorder la rétractation de l’Ordonnance, car la présidente de la débitrice judiciaire, Mme Annie Valiquette, n’a jamais eu connaissance de la requête pour délaissement forcé.

[3] J’adopte les faits et dates pertinents que le juge Grammond a résumés dans la Décision de Sursis aux paragraphes 2 à 4, et 8:

  • a)Le 3 septembre 2025, Sa Majesté le Roi du chef du Canada [Sa Majesté] signifie à la débitrice judiciaire des brefs de saisie-exécution visant un immeuble situé à Boisbriand (Québec), suite au dépôt de deux certificats attestant des dettes fiscales de la débitrice judiciaire, selon l’article 223 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [LIR]. Ces certificats découlent d’une ordonnance rendue le 9 juillet 2025 par le juge Lafrenière dans le dossier T-2282-25 autorisant Sa Majesté à entreprendre le recouvrement immédiat de ces dettes selon l’article 225.2 de la LIR. La débitrice judiciaire n’a pas exercé son droit de demander la révision de cette ordonnance selon le paragraphe 225.2(8) de la LIR.

  • b)Le 10 septembre 2025, un avis de vente sous contrôle de justice est signifié à la débitrice judiciaire. La débitrice judiciaire n’a pas comparu à l’instance et n’a fait aucune démarche pour s’opposer à la saisie.

  • c)Le 2 octobre 2025, Sa Majesté signifie à la débitrice judiciaire une requête visant à obtenir une ordonnance de délaissement forcé, car celle-ci n’a pas délaissé l’immeuble volontairement.

  • d)Le 8 octobre 2025, le juge adjoint Shannon entend la requête pour délaissement forcé. Il constate le défaut de la débitrice judiciaire en notant dans l’Ordonnance que la débitrice judiciaire n’était pas présente et que la requête lui a été signifiée le 2 octobre 2025. Il a émis l’Ordonnance visée par la présente requête le même jour.

[4] La débitrice judiciaire dit avoir pris connaissance de l’Ordonnance le 10 octobre 2025. Le 17 octobre 2025, elle dépose son dossier de requête pour la rétractation de l’Ordonnance. Sa Majesté dépose son dossier de réponse à la requête de la débitrice judiciaire le 24 octobre 2025.

II. Analyse

[5] D’emblée, quoique je cite affirmativement l’analyse et certaines conclusions du juge Grammond dans sa Décision de Sursis, j’ai étudié de façon indépendante le dossier devant moi pour arriver à ma propre conclusion dans ce jugement.

[6] Dans son dossier de requête, la débitrice judiciaire ne précise pas le fondement de sa demande de rétractation de l’Ordonnance ni les critères à appliquer. Je suis d’accord avec le juge Grammond (Décision de Sursis au para 6), qu’il s’agit dans cette requête d’un recours sous la Règle 399(1)(b) :

Annulation sur preuve prima facie

399 (1) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier l’une des ordonnances suivantes, si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n’aurait pas dû être rendue :

a) toute ordonnance rendue sur requête ex parte;

b) toute ordonnance rendue en l’absence d’une partie qui n’a pas comparu par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur ou à cause d’un avis insuffisant de l’instance.

Annulation

(2) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l’ordonnance a été rendue;

b) l’ordonnance a été obtenue par fraude.

Effet de l’ordonnance

(3) Sauf ordonnance contraire de la Cour, l’annulation ou la modification d’une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2) ne porte pas atteinte à la validité ou à la nature des actes ou omissions antérieurs à cette annulation ou modification.

Setting aside or variance

399 (1) On motion, the Court may set aside or vary an order that was made

(a) ex parte; or

(b) in the absence of a party who failed to appear by accident or mistake or by reason of insufficient notice of the proceeding,

if the party against whom the order is made discloses a prima facie case why the order should not have been made.

Setting aside or variance

(2) On motion, the Court may set aside or vary an order

(a) by reason of a matter that arose or was discovered subsequent to the making of the order; or

(b) where the order was obtained by fraud.

Effect of order

(3) Unless the Court orders otherwise, the setting aside or variance of an order under subsection (1) or (2) does not affect the validity or character of anything done or not done before the order was set aside or varied.

(je souligne)

[7] Selon la Règle 399(1)(b), la Cour peut annuler l’Ordonnance si la débitrice judiciaire présente une preuve prima facie que le juge adjoint Shannon n’aurait pas dû rendre l’Ordonnance de délaissement forcé. Elle doit également démontrer qu’elle n’a pas comparu le 8 octobre 2025 devant la Cour en réponse à la requête pour délaissement forcé par suite « d’un événement fortuit ou d’une erreur ou à cause d’un avis insuffisant de l’instance ».

[8] Sa Majesté souligne l’enseignement de la Cour d’appel fédérale quant aux critères applicables pour obtenir l’annulation d’une ordonnance citant Babis (Domenic Pub) c Premium Sports Broadcasting Inc., 2013 CAF 288 [Babis]. Dans ces circonstances, un demandeur doit satisfaire trois volets en démontrant : (i) qu’il a une explication raisonnable de son omission de déposer une défense; (ii) qu’il a une défense prima facie sur le fond à opposer à la réclamation; et (iii) qu’il a agi promptement ou dans un délai raisonnable pour faire annuler le jugement par défaut (Babis au para 5).

[9] Le critère est conjonctif et l’incapacité de la partie requérante à satisfaire à l’un des trois volets se traduit nécessairement par le maintien de l’Ordonnance rendue initialement (Dunns Famous International Holdings Inc. c Devine, 2023 CF 908 au para 17, citant Babis au para 5; UBS Group AG c Yones, 2022 CF 487 au para 17; Moroccanoil Israel Ltd c Laboratoires parisiens Canada (1989) inc, 2012 CF 962 au para 20).

[10] Sa Majesté ne présente pas d’arguments quant au troisième volet mais fait valoir que la débitrice judiciaire ne répond pas aux deux premiers volets décrits dans l’arrêt Babis.

[11] Dans son dossier de requête, la débitrice judiciaire soumet qu’elle n’a jamais eu connaissance de la requête de délaissement forcé. Elle dit être représentée par procureur au dossier ITA-3984-25 et avoir été sous l’impression que toutes les procédures judiciaires instituées par Sa Majesté, incluant les présents dossiers ITA-4634-25 et ITA-4635-25, seraient tous acheminés aux mêmes procureurs. Elle fait valoir qu’elle souhaite s’opposer à son avis de cotisation. Mme Valiquette indique également qu’elle souffre de problèmes de santé et de problèmes causés par ses médicaments.

[12] Or, même s’il y a des procureurs au dossier ITA-3984-25, aucun avocat n’est inscrit aux présents dossiers ITA-4634-25 et ITA-4635-25. Je suis donc d’accord avec Sa Majesté que la Règle 126.1(1)(b), qui prévoit la signification de documents à l’avocat de la partie, ne s’appliquerait pas en l’espèce car il n’y a aucune adresse de procureurs aux fins de signification selon cette Règle pour les deux dossiers pertinents.

[13] De plus, la Règle 139 prévoit les divers modes de signification de documents lorsque la signification en personne n’est pas obligatoire. Cette Règle s’applique en l’espèce car la requête de délaissement n’est pas une procédure introductive d’instance. Selon la Règle 139(3)(b), comme il n’y avait pas d’adresse de procureurs aux fins de signification au moment de la signification de la requête, celle-ci peut s’effectuer à l’adresse principale ou à la dernière adresse connue de la débitrice judiciaire. La Règle 139(3)(b) n’exige pas que la remise du document à l’adresse connue de la personne morale soit faite à une personne en particulier. Finalement, il n’y a aucune preuve devant moi indiquant que l’adresse utilisée par Sa Majesté pour la signification ne fût pas la bonne adresse.

[14] La preuve au dossier démontre que la débitrice judiciaire a reçu la signification de documents qui ont précédé cette présente requête. Comme l’a conclu le juge Grammond, « [l]a lecture de l’ensemble du dossier démontre que la débitrice était bien au fait des démarches de recouvrement et ne s’est manifestée qu’au tout dernier moment » (Décision de Sursis au para 11). Je suis du même avis.

[15] Je conclus que la signification par Sa Majesté de la requête qui a mené à l’Ordonnance visée est valide.

[16] Sur la base de ce qui précède, je conclus que la débitrice judiciaire n’a pas démontré qu’elle n’a pas comparu à l’audition le 8 octobre 2025 devant le juge adjoint Shannon par suite d’une « erreur » ou que son défaut était le résultat « d’un avis insuffisant de l’instance » selon la Règle 399(1)(b) qui s’impose. Elle ne décrit également pas un « événement fortuit » comme le prévoit la Règle.

[17] La débitrice judiciaire n’a pas satisfait le premier volet du test énoncé dans l’arrêt Babis. Il n’a pas d’explication raisonnable de son omission de déposer une défense à la requête de Sa Majesté. Comme les critères énoncés dans Babis sont conjonctifs, cette conclusion à elle seule est déterminante afin de rejeter la requête de la débitrice judiciaire.

[18] Cependant, par souci d’exhaustivité, j’ai aussi considéré le deuxième volet de Babis et la Règle 399(1) qui exige que la débitrice judiciaire présente une preuve prima facie que le juge adjoint n’aurait pas dû rendre l’Ordonnance de délaissement forcé.

[19] Sur cette question, la débitrice judiciaire fait valoir qu’elle a l’intention de s’opposer à ses cotisations, une contestation sérieuse à la requête de Sa Majesté pour délaissement forcé.

[20] De sa part, Sa Majesté soumet que l’intention de la débitrice judiciaire de s’opposer à ses cotisations n’est d’aucune pertinence et ne démontre pas un motif de défense à l’encontre de la requête pour délaissement forcé. À l’appui de cet argument, Sa Majesté souligne que les dettes fiscales font l’objet d’une ordonnance d’exécution immédiate (certifiées par la Cour en vertu du paragraphe 225.2(2) de la LIR, dans le dossier T-2285-25 le 9 juillet 2025). En raison de cette ordonnance, le recouvrement des dettes fiscales de la débitrice judiciaire ne fait l’objet d’aucune des restrictions au recouvrement imposées par l’article 225.1 de la LIR. Les dettes fiscales certifiées par la Cour sont pleinement exécutables selon le paragraphe 152(8) de la LIR. De plus, la débitrice judiciaire n’a pas contesté cette ordonnance dans les délais prévus par l'article 225.2(8) de la LIR.

[21] Je ne peux faire mieux que de citer le juge Grammond : « Sa Majesté pouvait déposer un certificat et entreprendre son exécution forcée malgré l’intention de la débitrice judiciaire de contester la cotisation sous-jacente » (Décision de Sursis au para 8).

[22] L’intention de la débitrice judiciaire de contester les cotisations n’est donc pas une défense prima facie sur le fond pour s’opposer à la réclamation de la requête pour délaissement forcé. En considérant les références à la LIR ci-dessus, je suis d’avis que l’Ordonnance du juge adjoint Shannon découle de procédures pleinement exécutables sous la LIR. La débitrice judiciaire n’a pas présenté une preuve prima facie que le juge adjoint Shannon n’aurait pas dû rendre l’Ordonnance de délaissement forcé. La débitrice judiciaire ne répond ni au deuxième volet dans Babis, ni à la Règle 399(1)(b).

[23] Pour les motifs ci-dessus, je rejette la demande de rétractation de l’Ordonnance du juge adjoint Shannon.

[24] Finalement, Sa Majesté demande des dépens de 3000 $ car la requête de la débitrice judiciaire est vexatoire et dilatoire, et ne sert qu’à retarder les procédures d’exécution. À l’appui de sa réclamation, Sa Majesté cite la Décision de Sursis aux paragraphes 11 et 12, octroyant 3000 $ en dépens, notant que la requête de la débitrice judiciaire en sursis de l’exécution de l’Ordonnance était de « caractère dilatoire » et qu’il s’agissait « manifestement d’une manœuvre visant simplement à retarder l’inévitable. » Sa Majesté a également fourni un mémoire de frais sous le Tarif B (colonne III – 5 unités) pour les honoraires des avocats quant à la réparation et dépôt d’une requête contestée. Le total des honoraires et déboursés est de 900.00 $.

[25] La requête est de caractère dilatoire. En considérant la discrétion de la Cour selon de la Règle 400, je suis d’avis qu’un montant forfaitaire de 2000 $ est raisonnable en l’espèce.


JUGEMENT dans ITA-4634-25 et ITA-4635-25

LA COUR STATUE que :

  1. La requête de la débitrice judiciaire demandant la rétractation de l’Ordonnance rendue par le juge adjoint Shannon datée du 8 octobre 2025 est rejetée.

  2. La débitrice judiciaire doit payer la somme de 2000 $ en dépens.

« Phuong T.V. Ngo »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

ITA-4634-25

ITA-4635-25

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LE ROI c GESTION VALIQUETTE OAKES INC.

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) CONFORMÉMENT À LA RÈGLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE NGO

DATE DE L’ORDONNANCE :

LE 10 NOVEMBRE 2025

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Me Jean-François Brière

POUR LA DÉBITRICE JUDICIAIRE

Me Stéphanie Côté

Me Guillaume Turcotte

POUR SA MAJESTÉ LE ROI

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goulet Brière S.N.

Avocats

Laval (Québec)

POUR LA DÉBITRICE JUDICIAIRE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR SA MAJESTÉ LE ROI

 

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