Date: 20251024
Dossier: IMM-17789-24
Référence: 2025 CF 1723
Montréal, Québec, le 24 octobre 2025
En présence de madame la juge Azmudeh
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ENTRE: |
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SAMUEL GERAR AMAYA VEGA |
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Demandeur |
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et |
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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Défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Le demandeur est citoyen de la Colombie. Il conteste la décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 30 août 2024. Celle-ci confirmait la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) à l’effet que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention sous l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection du réfugié, SC 2001 c 27 [LIPR], ni une personne à protéger sous l’article 97(1) de la LIPR. La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs suivants.
I. Aperçu
[2] En résumé, devant la SPR, le demandeur a déclaré craindre les membres dissidents des « Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia »
(FARC) parce qu'il avait tenté de récupérer une propriété dont il avait été contraint de se séparer en 2007. La SPR a évalué la demande en vertu de l'article 97(1) de la LIPR et a conclu qu'il disposait d'une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable à Barranquilla et à Carthagène.
[3] Devant la SAR, le demandeur a présenté de nouveaux éléments de preuve. Ceux-ci n'avaient pas été présentés devant la SPR et concernaient son orientation sexuelle en tant qu'homme gai et/ou bisexuel. La SAR a accepté ces preuves en vertu de l'article 110(4) de la LIPR. La SAR a également accepté la crédibilité du demandeur quant à son orientation sexuelle et a évalué la demande en vertu des articles 96 et 97(1).
[4] La SAR a conclu que, même si les minorités sexuelles pouvaient être victimes de discrimination en Colombie, il n'y avait pas de risque sérieux de persécution dans les milieux urbains pour son profil. La SAR a alors convenu que le demandeur pouvait partir en toute sécurité dans les PRI.
II. Analyse
A. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable
[5] La norme de contrôle applicable à la décision du SAR est celle de la décision raisonnable. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est une évaluation disciplinée cherchant à savoir si une décision administrative, eu égard à son raisonnement, est transparente, intelligible, et justifiée (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux paras 12-13, 15 [Vavilov]; Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 aux paras 8, 63).
B. La décision de la SAR est-elle raisonnable ?
[6] Le demandeur a soulevé trois points pouvant être résumés comme suit:
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La SAR a-t-elle commis une erreur dans son traitement des nouveaux éléments de preuve documentaire?
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La SAR a-t-elle fait une évaluation sélective de la preuve ?
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La conclusion relative à la PRI émise par la SAR est-elle raisonnable ?
[7] La SAR a examiné l'ensemble du dossier qui lui a été soumis et a évalué la décision de la SPR selon la norme appropriée pour conclure qu'elle était correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93; Rozas del Solar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145).
[8] Étant donné que la SAR a accepté les nouveaux éléments de preuve relatifs à l'orientation sexuelle du demandeur et les a jugés crédibles, elle a correctement évalué la demande en vertu de l'article 96, ainsi qu'en vertu du paragraphe 97(1) de la LIPR.
(1) Le traitement réservé par la SAR aux nouveaux éléments de preuve a-t-il rendu la décision déraisonnable?
[9] Le traitement des nouveaux éléments de preuve par la SAR était juridiquement correct et les explications fournies par la SAR pour en accepter certains et en rejeter d'autres étaient raisonnables. Tout d'abord, la SAR a accepté tous les nouveaux documents déposés concernant l'orientation sexuelle du demandeur et a reconnu la véracité de leur contenu, à savoir que le demandeur est un homme gai et/ou bisexuel colombien.
[10] Le paragraphe 110(4) de la LIPR s'applique aux éléments de preuve que la personne visée par l'appel peut présenter à la SAR. Le paragraphe 110(4) de la LIPR limite l'admission de nouveaux éléments de preuve en appel aux trois circonstances suivantes : i) lorsque les éléments de preuve sont survenus après le rejet de la demande; ii) lorsque la preuve n'était pas normalement accessible au moment du rejet de la demande; ou iii) lorsque la preuve ne pouvait normalement être présentée au moment du rejet de la demande (Soto c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 665 au para 18).
[11] La Cour d'appel fédérale a jugé que ces conditions légales « ne laissent place à aucune discrétion de la part de la SAR »
et que cette disposition doit « être interprétée de manière restrictive »
, car elle déroge à la règle générale que la SAR se fonde sur le dossier de la SPR (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, au para 35 [Singh]). En effet, « le rôle de la SAR ne consiste pas à fournir la possibilité de compléter une preuve déficiente devant la SPR »
(Singh au para 54). Il incombe aux demandeurs de convaincre la SAR que leurs nouveaux éléments de preuve sont admissibles (Abdi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 54 au para 24).
[12] Dans cette affaire, comme elle doit le faire, la SAR a évalué les documents pertinents concernant la crainte des dissidents des FARC à la lumière des exigences de l'article 110(4) de la LIPR. Ces documents comprenaient des déclarations des membres de la famille sur le déménagement de la famille après avoir reçu une menace des FARC. La SAR a expliqué pourquoi ces documents ne répondaient pas à l'exigence selon laquelle le demandeur devait démontrer qu'ils n’étaient pas accessibles à la SPR, et ces raisons sont justifiables, transparentes et intelligibles. La SAR a aussi expliqué pourquoi ces documents ne permettraient pas d'établir les moyens et la motivation des dissidents des FARC pour retrouver le demandeur dans le PRI, même s'ils étaient acceptés.
[13] Puisque la viabilité de la PRI était la question déterminante relative à ces documents, les raisons invoquées par la SAR pour montrer pourquoi ils ne seraient pas pertinents ou déterminants étaient raisonnables.
(2) L'évaluation par la SAR des conditions dans le pays concernant les minorités sexuelles a-t-elle rendu la décision déraisonnable?
[14] Le demandeur présente deux arguments dans cette section. Premièrement, il fait valoir que la SAR avait déclaré avoir examiné la dernière version du Cartable national de documentation (CND), comme elle était tenue de le faire, mais que son analyse était en fait inexacte, et que la SAR avait évalué certains documents plus anciens.
[15] J'ai demandé à l'avocate de me montrer les documents plus récents qui pourraient raisonnablement mener à une conclusion différente de celle de la SAR, mais l'avocate n’a pas démontré quelles informations précises auraient mené à une différente conclusion. Je ne peux donc ni raisonnablement conclure que les documents qu’a évalués la SAR ne reflétaient pas la situation actuelle du pays ni que la situation des minorités sexuelles s'était détériorée au moment de la publication du dernier CND.
[16] Deuxièmement, le demandeur fait valoir que la SAR avait fait preuve de sélectivité. Elle ne se serait référée qu'aux documents nationaux qui soulignaient les efforts déployés par les autorités colombiennes pour améliorer la situation des minorités sexuelles, mais n’aurait pas tenu compte du fait que les problèmes liés à la mise en œuvre de ces lois n'avaient ni permis d'améliorer la situation des minorités sexuelles ni contribué à améliorer les attitudes de la société.
[17] Je ne suis pas d'accord avec la description du demandeur du traitement sélectif des conditions dans le pays par le SAR. Le SAR a examiné les lois favorables aux minorités sexuelles (au para 22 des motifs de la SAR) et la manière dont celles-ci ont amélioré la vie des minorités sexuelles dans les centres urbains (au para 23). Toutefois, la SAR a concédé que l'existence de lois favorables n’établit pas que l'État offre une protection adéquate aux victimes de persécution en raison de leur orientation sexuelle. La SAR a évalué l'ensemble des preuves afin de comprendre le degré de mise en œuvre concrète, l'efficacité et la durabilité des améliorations législatives. En bref, la SAR a évalué la manière dont les autorités publiques et la société en général continuent de traiter les minorités sexuelles (aux para 24-27).
[18] Son évaluation de la situation dans le pays a amené la SAR à conclure que les minorités sexuelles continuaient de souffrir de discrimination en Colombie, mais que cette discrimination n'était ni systématique ni uniforme et qu'elle ne constituait pas une persécution (au para 27).
[19] Je constate que l'évaluation par la SAR des conditions dans le pays était conforme à l'ensemble des preuves dont elle disposait et que leur raisonnement est clairement exposé. Les motifs de la SAR ayant trait à la situation dans le pays des minorités sexuelles en Colombie sont donc transparents, intelligibles et justifiés.
[20] Il est bien établi que les décideurs administratifs sont présumés avoir évalué l'ensemble du dossier qui leur est présenté et qu'ils ne sont pas tenus de mentionner chaque élément de preuve (Burai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 966 au para 38, citant Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF) aux para 15, 17). Ils ne sont pas non plus tenus de répondre à chaque argument ou ligne d'analyse possible, mais le fait de ne pas aborder de manière significative les questions clés ou les arguments centraux peut remettre en question le fait que le décideur ait été « effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise »
(Vavilov au para 128).
[21] En l’espèce, malgré mes questions visant à mettre en évidence des éléments de preuve qui contrediraient la conclusion de la SAR, le demandeur n'a fait référence qu'aux documents montrant que la situation n'est pas idéale pour les minorités sexuelles en Colombie. La SAR avait accepté cet argument et montré pourquoi cela constituait une discrimination, mais pas une persécution. Le demandeur souhaite en fait que la Cour réévalue les éléments de preuve, ce qui n'est pas le rôle de cette Cour dans le cadre d'un contrôle judiciaire.
(3) La conclusion relative à la PRI émise par la SAR est-elle raisonnable?
[22] La conclusion de la SAR concernant le manque de moyens et de motivation des membres dissidents des FARC était fondée sur la menace qu’a reçue le père du demandeur et sur le fait que la famille s'était depuis réinstallée dans le pays sans preuve de danger. La SAR a examiné l'ensemble des preuves pour conclure ainsi.
[23] Le demandeur soutient que la SAR n'a pas évalué la viabilité de la PRI dans le contexte de son orientation sexuelle. Je ne suis pas d'accord. Comme l’a mentionné la SAR:
[28] Je ne crois pas non plus que l’appelant atteigne le niveau du risque sérieux de persécution de façon cumulative en additionnant la menace du groupe dissident des FARC et son orientation sexuelle, car j’estime qu’il n’est pas à risque d’être pourchassé par le groupe dissident des FARC dans les PRI proposées.
[24] La SAR avait déjà expliqué en détail pourquoi elle ne considérait pas que le demandeur serait persécuté en Colombie. Pour parvenir à cette conclusion, elle a notamment conclu que les conditions dans les centres urbains sont favorables aux minorités sexuelles, et que les PRI proposés sont des centres urbains. Une fois que la question de la PRI est soulevée, comme cela a été également le cas devant la SPR, il incombe au demandeur de démontrer pourquoi une PRI ne serait pas viable. Les motifs invoqués par la SAR montrent qu'elle comprenait le profil du demandeur, à la fois en tant que membre d'une minorité sexuelle et en tant que membre d'une famille menacée par les dissidents des FARC dans le cadre d'un conflit territorial. La SAR a fourni un raisonnement clair expliquant pourquoi le PRI était viable.
[25] Vu les motifs raisonnables de la SAR, rien ne justifie l’intervention de cette Cour.
III. Conclusion
[26] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.
[27] Il n'y a aucune question certifiée dans cette affaire.
JUGEMENT dans le dossier IMM-17789-24
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
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La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
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Il n'y a pas de question à certifier.
« Negar Azmudeh »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIER : |
IMM-17789-24 |
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INTITULÉ : |
SAMUEL GERAR AMAYA VEGA c. MCI |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
MONTRÉAL (QUÉBEC) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
Le 20 octobre 2025 |
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE AZMUDEH |
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DATE DES MOTIFS : |
Le 24 octobre 2025 |
COMPARUTIONS:
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Me Fabiola Ferreyra Coral |
Pour le demandeur |
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Me Aboubacar Touré |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Me Fabiola Ferreyra Coral ROA SERVICES JURIDIQUES Montréal (Québec) |
Pour le demandeur |
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Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour le défendeur |