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Date : 20251106 |
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Dossier : IMM-23708-24 Référence : 2025 CF 1780 |
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Ottawa (Ontario), le 6 novembre 2025 |
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En présence de monsieur le juge Diner |
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ENTRE : |
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SALVADOR LECHUGA VARGAS |
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demandeur |
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et |
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETE ET DE L’IMMIGRATION |
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défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Le demandeur, Salvador Lechuga Vargas, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 4 décembre 2024 par la Section d’appel des réfugiés [SAR] rejetant son appel et confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR]. La SAR et la SPR ont toutes deux conclu que la question déterminante était la crédibilité du demandeur et que ce dernier n’avait pas la qualité de réfugié ni de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR]. Tel que je l’ai annoncé à l’audience, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. J'ai annoncé que les motifs suivraient et les voici.
I. Les faits
[2] Le demandeur est citoyen du Mexique. Il allègue être la cible du cartel Santa Rosa de Lima. Le demandeur aurait reçu des menaces par téléphone pour qu’il paie les dettes de ses frères ou bien commence à travailler pour le cartel. Deux de ses frères et un de ses cousins auraient été assassinés par ce cartel en 2015 et 2017. Le demandeur est arrivé au Canada en décembre 2017 et s’est vu octroyer le statut de visiteur. Il a déposé sa demande d’asile trois ans plus tard, en janvier 2020.
[3] Dans sa décision datée de juin 2024, la SPR a conclu que le demandeur n’était pas crédible puisque ses explications concernant les omissions et contradictions importantes entre son témoignage et son Formulaire de Demande d’Asile [FDA] n’étaient pas raisonnables. En appel, le demandeur a notamment soutenu que ces omissions et contradictions avaient été causées par son ancien avocat qui aurait fait défaut de mettre à jour son FDA et à sa nervosité lors de l’audience. La SAR n’a pas accepté de tels arguments et a rejeté l’appel. La SAR a souligné que les contradictions et omissions ne portaient pas sur des faits secondaires ou anodins au narratif du demandeur et que pour plusieurs d’entre elles, aucune justification satisfaisante n’avait été apportée. La SAR a également conclu que le comportement du demandeur laissait « présager
une absence de crainte subjective ».
II. Questions en litige et normes de contrôle applicables
[4] Le demandeur plaide d’abord que son ancien avocat devant la SPR a été négligent. S’agissant là d’une question liée à l’équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35, autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, no 39522 (5 août 2021)). Tel que la Cour d’appel fédérale l’a précédemment indiqué, la Cour doit se demander « si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances »
(Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur Général), 2018 CAF 69 au para 12 [CPR]). Le juge Rennie a écrit : « la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre »
(CPR au para 56).
[5] Le demandeur plaide ensuite que la SAR a erré dans son analyse de sa crédibilité. S’agissant d’une question liée au mérite de la décision de la SAR, la norme de contrôle applicable dans les circonstances est celle de la décision raisonnable comme établi par la Cour suprême dans (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 23 [Vavilov]). Sauf circonstances exceptionnelles, la Cour doit s’abstenir d’apprécier de nouveau la preuve et de renverser les conclusions de fait de la SAR (Vavilov au para 125).
III. Prétentions et analyse
[6] Le demandeur prétend que l’avocat l’ayant représenté devant la SPR a été négligent. Il pointe la Cour à des textos qu’il a échangés avec l’assistante juridique de son ancien avocat quant à des corrections à apporter à son FDA. Le demandeur a d’ailleurs déposé une plainte auprès du Barreau du Québec à cet effet, mais lors de l’audience, a informé la Cour que cette plainte avait été rejetée par l’ordre.
[7] L’incompétence d’un ancien représentant peut entraîner un manquement à l’équité procédurale, mais seulement dans des « circonstances extraordinaires ».
Pour ce faire, trois critères doivent être satisfaits : (1) le représentant visé a eu une possibilité raisonnable de répondre à l’allégation; (2) les actes ou les omissions de ce représentant relèvent de l’incompétence, indépendamment de l’avantage de l’analyse et de la sagesse rétrospectives; et (3) le résultat aurait été différent, n’eût été l’incompétence (Yamdjeu Epse Nguemaleu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2025 CF 1219 au para 23 [Yamdjeu Epse Nguemaleu]; Melgar Morales c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2025 CF 40 au para 8 [Melgar Morales]).
[8] Or, en l’espèce, et comme mentionné à l’audience, l’avocat actuel du demandeur a fait défaut de suivre la procédure de cette Cour prévue dans le protocole intitulé Allégations formulées contre les représentants autorisés dans le cadre d’instances de la Cour fédérale en matière de citoyenneté, d’immigration et des réfugiés [Protocole], lequel est lui-même inclut dans les Lignes directrices consolidées pour les instances d’immigration, de statut de réfugié et de citoyenneté (24 juin 2022) [Lignes directrices]. La Cour attend de toutes les parties qu’elles se conforment aux Lignes directrices, ce qui inclut le Protocole (Yamdjeu Epse Nguemaleu au para 26). Le défaut de s’y conformer n’est ni utile à la Cour ni équitable pour la partie adverse (Yamdjeu Epse Nguemaleu au para 26).
[9] Le Protocole prévoit notamment la notification du représentant visé par une telle allégation. Or, en l’espèce, il est admis qu’aucune notification des allégations d’incompétence n’a été envoyée à l’ancien représentant du demandeur. Ce défaut est en soi fatal, car il ne s’agit pas d’une simple formalité, mais bien d’une condition préalable à l’examen de la question (Yamdjeu Epse Nguemaleu aux paras 36, 39; Melgar Morales au para 10). L’allégation de manquement à l’équité procédurale est donc rejetée.
[10] Quant à l’analyse de sa crédibilité, le demandeur soutient que la SAR n’a pas fait une évaluation de l’ensemble du dossier. Il allègue avoir été dans un état de nervosité important lors de son témoignage devant la SPR lorsqu’ont été portés à son attention les problèmes de son dossier soi-disant causés par son ancien avocat. Il prétend que la SPR et la SAR lui reprochent des omissions et des contradictions, mais que celles-ci étaient hors de son contrôle. Il poursuit en soutenant que la preuve objective appuie sa crainte de persécution par le cartel.
[11] Je suis d’avis qu’il ne serait pas justifié pour la Cour d’intervenir dans le présent cas. La SPR a noté environ 12 omissions ou contradictions dans le dossier du demandeur. Bien que la SAR ait accepté que le demandeur avait soulevé à son ancien avocat des correctifs qui n’ont pas été apportés à son FDA, elle a aussi conclu qu’aucune justification satisfaisante n’avait été apportée pour plusieurs autres éléments relevés par la SPR. La SAR a conclu que la SPR était justifiée de conclure à la crédibilité minée du demandeur. Il s’agit là d’une conclusion à l’égard de laquelle la Cour doit faire preuve d’un degré de déférence élevé compte tenu des connaissances spécialisées de la SPR et de la SAR à cet égard et de leur rôle de juges des faits (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 612 au para 22).
JUGEMENT dans IMM-23708-24
LA COUR STATUE que
- La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
- Aucune question n’a été proposée à des fins de certification et la Cour est d’avis que le présent dossier n’en soulève aucune.
- Aucun dépens ne sont adjugés.
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Blanc |
« Alan S. Diner » |
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blanc |
Juge |
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIER : |
IMM-23708-24 |
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INTITULÉ : |
SALVADOR LECHUGA VARGAS v. MCI |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
Montréal, québec |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 29 octobre 2025 |
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JUGEMENT et motifs : |
LE JUGE DINER |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 6 novembre 2025 |
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COMPARUTIONS :
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Me Armando Rubio |
Pour le demandeur |
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Me Sarah Sbeiti |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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Racine Rubio société nominale d'avocats Montréal (Québec) |
Pour le demandeur |
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Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour le défendeur |