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Date : 20251106


Dossier : T-3263-25

Référence : 2025 CF 1789

Ottawa (Ontario), le 6 novembre 2025

En présence de l'honorable madame la juge Ngo

ENTRE :

EVENS BAPTISTE

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Le défendeur demande dans sa requête par écrit, en vertu de la règle 369 des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106) [Règles], le rejet de l’avis de demande de contrôle judiciaire du demandeur sans possibilité de modification. Les motifs de la demande sont :

  • 1)L’avis de demande n’identifie pas clairement les particularités de la décision administrative attaquée et semble même viser plus d’une décision dans le même avis de demande sans avoir obtenu l’autorisation de la Cour;

  • 2)L’avis de demande ne présente pas un énoncé complet et concis des motifs invoqués.

[2] Le demandeur a été signifié avec la présente requête le 20 octobre 2025, tel qu’il appert de l’attestation de signification qui apparait au dossier. Le demandeur n’a ni signifié ni déposé un dossier de réponse à la présente requête, ni formulé de demande de prorogation de délai pour se faire. Cette requête sera donc tranchée sans les représentations du demandeur.

[3] La requête du défendeur est accueillie. L’avis de demande est radié sans autorisation de modification et la demande du demandeur est rejeté.

II. Le droit applicable aux demandes de radiation d’avis de demande

[4] Je retiens le droit applicable aux requêtes en radiation d’un avis de demande de contrôle judiciaire qu’a résumé le juge Pentney dans l’arrêt Regroupement des pêcheurs professionnels du sud de la Gaspésie c. Premières Nations de Listuguj Mi’gmaq, 2023 CF 1206 aux paragraphes 52 à 54 [Regroupement] (citant entre autres, la Cour d’appel fédérale dans JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c Canada (Revenu national), 2013 CAF 250 [JP Morgan] aux paragraphes 47 à 48) :

  • a)La Cour n’accepte de radier un avis de demande de contrôle judiciaire que s’il est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli ». Elle doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande (Regroupement au para 52, autres citations omises)

  • b)Lorsqu’elle examine un avis de demande de contrôle judiciaire, la Cour doit faire une « appréciation réaliste » de la « nature essentielle » de la demande en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme (Regroupement, au para 53, autres citations omises)

  • c)Les affidavits ne sont généralement pas admissibles à l’appui de requêtes en radiation d’une demande de contrôle judiciaire, essentiellement parce que le vice dans l’avis de demande doit être fondamental et manifeste.Les faits allégués dans l’avis de demande de contrôle judiciaire sont tenus pour avérés à condition qu’ils puissent être prouvés devant un tribunal. Puisque le demandeur est tenu de présenter l’ensemble de ses motifs dans son avis de demande, il n’a pas besoin de déposer d’affidavit pour compléter sa version des faits (Regroupement, au para 54, autres citations omises)

[5] Le test applicable, sans égard aux mots utilisés pour le décrire, exige qu’il soit manifeste et évident que l’avis de demande soit voué à l’échec (Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 au para 33 [Wenham]). La Cour d’appel fédérale a également décrit dans Wenham au paragraphe 36 qu’une demande peut être vouée à l’échec à une au l’autre de ces trois étapes :

I. Objections préliminaires. Une demande qui n'est pas autorisée par la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F‑7, ou qui ne vise pas des questions de droit public peut être annulée dès le départ : JP Morgan, au paragraphe 68; Highwood Congregation of Jehovah's Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26, [2018] 1 R.C.S. 750; Air Canada c. Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347, [2013] 3 R.C.F. 605. Les demandes qui ne sont pas présentées en temps opportun peuvent être prescrites en vertu du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales. Les contrôles judiciaires qui portent sur des questions qui ne sont pas justiciables peuvent également être interdits : Première nation des Hupacasath c. Ministre des Affaires étrangères, 2015 CAF 4. Parmi les autres interdictions possibles, mentionnons la chose jugée, la préclusion découlant d'une question déjà tranchée et l'abus de procédure (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77), l'existence d'un autre recours à un autre tribunal (caractère prématuré) (C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332; JP Morgan, aux paragraphes 81 à 90), et le caractère théorique (Borowski c. Canada (Procureur général), 1989 CanLII 123 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 342).

II. Le bien-fondé de l'examen. Les décisions administratives peuvent comporter des erreurs de fond, des erreurs de procédure ou les deux. Les erreurs de fond sont évaluées conformément à l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; les erreurs de procédure sont évaluées en grande partie selon Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 817. Dans certaines circonstances, la demande est vouée à l'échec dès le départ. Par exemple, une demande fondée sur des vices de procédure qui ont fait l'objet d'une renonciation n'a aucune chance d'être accueillie : Irving Shipbuilding Inc. c. Canada (Procureur général), [2010] 2 R.C.F. 488, 2009 CAF 116.

III. La réparation. Dans certains cas, la réparation demandée n'est pas disponible en droit (JP Morgan, aux paragraphes 92 à 94), et la demande peut donc être annulée en tout ou en partie pour cette raison.

[6] La présente requête soulève une objection en matière de procédure de base. Le défendeur fait valoir que le demandeur ne plaide ni les faits matériels nécessaires à la viabilité de l’instance, ni un énoncé complet et concis des motifs qu’il entend invoquer. De plus, l’avis de demande semble viser possiblement plus d’une décision administrative, contrairement aux exigences de la Règle 302.

III. L’avis de demande dans la présente affaire

[7] Selon le cadre énoncé dans l’arrêt JP Morgan, il faut d’abord examiner l’avis de demande afin d’obtenir une appréciation réaliste de sa nature essentielle. Pour ce faire, il faut adopter une approche pratique qui ne s’attache pas aux questions de forme, mais qui cherche plutôt à repérer les éléments essentiels de l’allégation présentée par le demandeur dans une affaire en particulier (Regroupement au para 56).

[8] Je note que le demandeur se représente seul et qu’il a rempli à la main une formule de la Cour fédérale (Formules 66 et 301) [Formule]. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire découlant d’une lettre de l’Agence du revenu du Canada [ARC] datée du 30 juillet 2025. Il note que la demande de contrôle judiciaire « conteste une décision prise par Revenu Canada 30 juillet 2025 » avec un numéro de dossier, reçu le 4 août 2025.

[9] Dans la section « l’objet de la demande » de la Formule quant à la réparation précise demandée, le demandeur écrit : « révision de l’examen de la demande de prestations demande envoyé le 30 juillet 2025 reçue le 4 août 2025 ». Il énonce qu’il a fait parvenir des déclarations d’impôts et fournit des chiffres dans ses T4A 2019 et T4A 2020.

[10] Dans la section « motifs de la demande » du Formule, le demandeur indique que « la demande de prestation a été transmise » en mars 2020 « correspondant à l’entrée en vigueur du programme », mais ne précise pas de quel programme il s’agit. Les autres notes dans la Formule énumèrent des documents que le demandeur présentera à l’appui de la demande.

[11] D’après le dossier de requête, le défendeur précise que la lettre de l’ARC datée du 30 juillet 2025 a communiqué trois décisions quant à l’inadmissibilité du demandeur à la Prestation canadienne d’Urgence [PCU], à la Prestation canadienne de relance économique [PCRE] et à la Prestation canadienne pour les travailleurs en cas de confinement [PCTCC]. Les prestations ne sont pas identifiées ni décrites dans l’avis de demande.

[12] Il n’est pas possible de déterminer avec certitude laquelle des prestations parmi la PCU, la PCRE et la PCTCC est visée par l’avis de demande. L’avis de demande ne fournit aucune information substantielle sur le contenu de la ou des décisions dont le contrôle judiciaire est demandé. Il n’y a aucune particularité de la décision qui fait l’objet de la demande. Il n’y a également pas de détails dans l’avis de demande du contenu de la lettre de l’ARC. Le demandeur n’identifie pas et ne plaide pas comment ou pour quels motifs l’ARC aurait erré dans sa décision.

IV. Analyse

[13] Le défendeur fait valoir qu’un avis de demande qui ne contient pas de détails de la décision attaquée doit être rejeté en vertu de la Règle 301(c)(ii). L’ambiguïté quant à l’identification de la ou des décision(s) visée(s) par l’avis de demande en l’espèce devrait également mener au rejet de l’avis de demande de contrôle judiciaire (citant Coalition canadienne pour les droits aux armes à feu c Canada (Procureur général), 2021 CF 447, aux para 30 et 31). De plus, si le demandeur avait l’intention de contester les trois décisions contenues dans la lettre du 30 juillet 2025, son avis de demande enfreint la Règle 302, qui exige qu’un demandeur obtienne l’autorisation de la Cour, ce qu’il n’a pas fait (citant Merzouki c Canada (Procureur général), 2025 CF 1443 aux para 15 à 16 [Merzouki]).

[14] L’avis de demande fait également défaut de présenter un énoncé complet et concis des motifs que le demandeur doit invoquer au soutien de sa demande, comme l’exige la Règle 301(e). Le demandeur a énuméré dans l’avis de demande des documents, déclarations de revenus et feuillets T4A pour les années 2019 et 2020. Le demandeur conclut par la suite « le montant est supérieur aux $5000 requis ». Le défendeur cite Empire Company Limited c Canada (Attorney General), 2024 CF 810 [Empire Company] pour étayer sa position que la « conclusion » du demandeur ne suffit pas pour identifier quels motifs de la décision de l’ARC serait déraisonnable.

[15] Je suis d’accord avec les arguments du défendeur.

[16] L’avis de demande ne rencontre pas les exigences de la Règle 301(c)(ii), nécessitant les particularités de l’ordonnance qui fait l’objet de la demande. Je ne peux identifier quelle décision fait l’objet de la demande ni laquelle des prestations parmi la PCU, la PCRE et la PCTCC est visée par l’avis de demande. L’usage du singulier (e.g., « du programme » et « la demande de prestation ») et du pluriel (e.g., « l’examen de la demande de prestations ») dans l’avis de demande complique davantage la situation.

[17] De plus, le demandeur a fait défaut de présenter un énoncé complet et concis des motifs qu’il invoque au soutien de sa demande, et ce contraire à la Règle 301(e). En ce faisant, celui-ci tombe en deçà des exigences de la procédure écrite. Le défaut de formuler adéquatement les allégations qui, si elles sont avérées, pourraient amener le tribunal à exercer son pouvoir discrétionnaire en matière de contrôle judiciaire porte un coup fatal à une demande de contrôle judiciaire (Merzouki au para 14, citant Couture c Canada (Agence du revenu), 2024 CF 1283 au para 12, conf par 2025 CF 67; JP Morgan aux para 38 à 46; Soprema Inc c Canada (Procureur général), 2021 CF 732 aux para 37 à 39, conf par 2022 CAF 103; Blair c Canada (Procureur général), 2022 CF 957 [Blair] au para 10).

[18] Pour espérer avoir gain de cause, le demandeur devait soulever un point de droit quelconque, propre à justifier l’existence d’une action recevable en droit administrative (JP Morgan au para 80). Il n’y a aucun motif identifié dans l’avis de demande à cet égard.

[19] Même interprété de façon large et libérale, je conclus que l’avis de demande ne contient pas les éléments essentiels ou minimaux nécessaires pour qu’il puisse avoir une chance de succès (Merzouki au para 17, citant JP Morgan aux para 38 à 40; Blair au para 10). En l’espèce, la « conclusion » dans l’avis de demande que le montant soumit « est supérieur aux $5000 requis » n’est pas suffisante pour rencontrer les exigences de la Règle 301. La simple affirmation d'une conclusion sur laquelle la Cour est appelée à se prononcer ne constitue pas une allégation de faits matériels pour les fins d’un avis de demande (Empire Company au para 23).

[20] Pour les motifs ci-dessus, je conclus que l’avis de demande de contrôle judiciaire formulé par le demandeur est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli. Comme l’objet même de la demande est irrégulier et ne peut être accordé par la Cour en contrôle judicaire, il n’y a pas lieu d’accorder l’autorisation de modifier l’avis de demande (Merzouki au para 18, citant Al Omani c Canada, 2017 CF 786 au para 18).


JUGEMENT dans T-3263-25

LA COUR STATUE que

  1. La requête du défendeur est accueillie.

  2. L’avis de demande du demandeur est radié en son entièreté sans autorisation de modification.

  3. La demande du demandeur est rejetée en vertu de la Règle 168 des Règles.

  4. Le demandeur doit payer au défendeur ses dépens, fixés à une somme de 250 $, tout inclus.

« Phuong T.V. Ngo »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER:

T-3263-25

INTITULÉ:

EVENS BAPTISTE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

REQUÊTE ÉCRITE CONSIDÉRÉE À OTTAWA, ONTARIO EN VERTU DES RÈGLES 168 ET 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS:

LA JUGE NGO

DATE DES MOTIFS:

LE 6 NOVEMBRE 2025

SOUMISSION ÉCRITE PAR:

Simon-Gabriel Morin

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER:

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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