Date : 20251031
Dossier : IMM-20425-24
Référence : 2025 CF 1761
Ottawa (Ontario), le 31 octobre 2025
En présence de l'honorable madame la juge Ngo
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ENTRE : |
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MARCELO AMULEK VALIS OLIVARES |
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Partie demanderesse |
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et |
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MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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Partie défenderesse |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Contexte
[1] Le demandeur, Marcelo Amulek Valis Olivares [demandeur], sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] rejetant sa demande d’asile [Décision]. Dans la Décision, la SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] en concluant que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personne à protéger puisqu’il existe une possibilité de refuge intérieur [PRI]. La SAR a également confirmé que la SPR n’a pas violé l’équité procédurale lors de l’audience.
[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le demandeur n’a pas démontré que la Décision était déraisonnable.
II. Faits pertinents et Décision sous contrôle
[3] Le demandeur est citoyen du Mexique. Le 15 mars 2022, il a commencé à travailler dans un restaurant dans la ville de San Juan Bautista Tuxtepex. À la demande de son patron, il livrait des paiements mensuels à deux hommes au nom de son employeur. Le 23 septembre 2022, il allègue avoir été menacé, volé, battu, et enfermé dans l’entrepôt de son patron par ces deux hommes. Lors de l’attaque, ces hommes l’ont informé qu’ils font partie du cartel Jalisco Nuevo Generation [CJNG] et qu’ils étaient à la recherche de son patron. Cet incident l’a poussé à déménager dans la ville de Playa Del Carmen à la fin de septembre 2022, où il se trouve un nouvel emploi dans un hôtel. Le demandeur dit avoir a vu des membres du cartel à Playa Del Carmen en se rendant à son travail. Cet évènement l’a incité à fuir le Mexique.
[4] Le 17 janvier 2023, le demandeur est arrivé au Canada et a demandé l’asile à son entrée. Le demandeur décrit qu’il a tenté de se trouver un avocat, mais n’a pas pu en trouver un disponible pour la date d’audience. Les audiences devant la SPR ont été suspendues en novembre 2023 et avril 2024. Une audience virtuelle a eu lieu le 6 juin 2024 devant la SPR. Le demandeur n’était pas représenté par un avocat dans ses démarches menant à l’audience ni à l’audience devant la SPR. Lors de l’audience, il y avait un interprète qui traduisait l’anglais et l’espagnol.
[5] La SPR a trouvé que le demandeur n’avait pas le statut de réfugié ni de personne en besoin de protection en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] parce qu’il avait un PRI valide dans la ville de Mérida, au Mexique. Elle a rejeté ses allégations que les hommes le cherchaient à Playa del Carmen et que le magasin de sa mère était cambriolé à cause de sa relation avec le demandeur. La SPR les a considérés comme des embellissements parce que ces allégations n’étaient ni soutenues par la preuve ni décrites dans son formulaire du demandeur d’asile [FDA]. Devant la SPR, le demandeur avait décrit qu’une semaine avant de quitter le Mexique, il a vu des membres du CJNG montrer sa photo à ses collègues pour le trouver. Il a donc su qu’ils le cherchaient. Il avait aussi témoigné qu’en février 2024, le magasin de sa mère dans sa ville d’origine fut cambriolé par des membres du CJNG. Ceux-ci n’étaient pas au courant de la relation entre le demandeur et sa mère.
[6] Finalement, il a expliqué que les membres du CJNG ont probablement pu le suivre à Playa Del Carmen en utilisant son numéro d’assurance social retrouvé dans ses effets personnels volés lors de l’incident du 23 septembre 2022. Ces informations n’étaient pas incluses dans le FDA du demandeur et n’étaient pas étayées par des preuves lors de l’audience. La SPR avait conclu également que le demandeur disposait d’une PRI à Mérida, qui était déterminante.
A. La décision de la SAR
[7] Le demandeur a porté la décision de la SPR en appel. Devant la SAR, le demandeur a souligné un manquement d’équité procédurale, dont quatre enjeux liés à l’audience devant la SPR. D’emblée, le demandeur explique qu’il n’était pas représenté par un avocat et donc, ne comprenait pas l’importance des enjeux entourant le FDA et la PRI. Il soutient que les fautes de traduction par l’interprète et les questions posées par la SPR lui ont prêté à la confusion et l’ont privé d’une audience équitable.
[8] Le demandeur a premièrement souligné à la SAR que lorsque la SPR lui a demandé pourquoi il n’avait pas décrit l’incident du CJNG qui montrait sa photo à ses collègues à Playa Del Carmen dans son FDA, l’expression « fondement de la demande »
, ou « basis of claim »
, a été mal traduite comme « bases de l’application »
. Cette mauvaise traduction l’a mené à croire que la SPR cherchait à savoir pourquoi il n’avait pas inclus des preuves pour étayer cet incident dans sa demande de façon générale. Il fait valoir qu’il n’avait pas compris que l’emphase de cette question portait sur cette omission dans son narratif dans le FDA.
[9] Deuxièmement, le demandeur soulève que l’interprète avait mal traduit une question sur le deuxième volet de la PRI, celui de savoir si la PRI était raisonnable. La SPR lui avait demandé s’il y avait des raisons qui rendraient la relocalisation à Mérida « déraisonnable ou dangereuse »
. L’interprète a seulement traduit la question pour lui demander s’il y avait des raisons qui rendrait la PRI « insécure »
, ainsi limitant la portée de la question au premier volet du PRI, celui du danger. Le demandeur n’a donc pas pu se prononcer sur si la PRI était raisonnable.
[10] Troisièmement, le demandeur souligne le peu de temps passé lors de l’audience sur la question du PRI. De la durée totale de l’audience d’une heure et demie, seulement huit minutes ont été dédiées à cet enjeu déterminant. En conséquence, le demandeur n’a pas compris l’importance de l’interrogatoire sur le PRI.
[11] Quatrièmement, le demandeur explique que la PRI a été mal identifiée par la SPR à plusieurs reprises lors de l’audience. Ceci a créé de la confusion à savoir si la PRI était la ville de Mérida qui se trouve dans l’état du Yucatan au Mexique, ou la péninsule du Yucatan qui comprend une partie du Mexique ainsi que des régions du Guatemala et du Bélize. Par cette confusion, le demandeur ne connaissait pas la preuve à réfuter concernant la PRI, et n’a pas pu y répondre.
[12] Le demandeur a aussi plaidé que la conclusion de la SPR sur le PRI était incorrecte et déraisonnable, notamment parce que la SPR n’a pas étudié le risque auquel le demandeur était exposé, a ignoré les preuves au dossier, et a erré dans son analyse des deux volets de la PRI.
[13] La SAR a confirmé la décision de la SPR et a conclu qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale. La SAR a également conclu qu’il y avait une PRI viable à Mérida. La SAR a confirmé qu’il y a eu des problèmes de traduction en ce qui concerne les questions identifiées par le demandeur. Cependant, la SAR a lu la transcription et écouté l’enregistrement audio de l’audience devant la SPR. Elle a jugé que ces problèmes de traduction ne constituaient pas des manquements à l’équité procédurale parce que l’échange entre la SPR et le demandeur démontrait que le demandeur avait saisi la distinction entre le terme mal traduit, et la question posée par la SPR. En d’autres mots, la considération du contexte global de l’audience lui permettait de conclure que le demandeur comprenait les questions posées ou lui-même avait fait référence au bon terme au cours de l’audience.
[14] La SAR avait également identifié que le demandeur s’est fait poser une autre question sur le deuxième volet du PRI, lui permettant de se prononcer dessus. La question de la SPR visait les raisons qui rendraient déraisonnable la relocalisation du demandeur dans la PRI, et non seulement le volet sécurité. Devant la SPR, en réponse à cette question et de sa propre volonté, le demandeur avait soumis qu’aucun endroit au Mexique ne pouvait servir de PRI. La SAR a d’ailleurs conclu que la décision sur la PRI était correcte, puisque le demandeur n’a pas réfuté la présomption du PRI en prouvant que ses agents de persécution auraient la motivation de le chercher à Mérida, ou que sa relocalisation à Mérida serait déraisonnable. La Décision de la SAR fait l’objet du présent contrôle judiciaire.
III. Question en litige et la norme de contrôle
[15] Les parties ont identifié que les questions en litige s’agissent de déterminer si la SAR a erré en concluant (1) qu’il n’y a pas eu de manquement d’équité procédural devant la SPR, et (2) qu’il y avait une PRI.
[16] Quant à la deuxième conclusion de la SAR—portant sur la PRI—les parties s’entendent que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique aux motifs de la Décision sur cette conclusion.
[17] Cependant, elles sont en désaccord quant à la norme de contrôle applicable à la première conclusion, traitant l’allégation d’un manquement à l’équité procédurale devant la SPR.
[18] Selon le demandeur, cette question doit être révisée selon la norme de la décision correcte (citant Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35 [Association canadienne]; Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1028 au para 58; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1161 au para 2; Licao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 89 au para 18).
[19] Pour faciliter l’analyse, je reproduis le passage que le demandeur a cité de l’arrêt Association canadienne, où le juge de Montigny a écrit :
[35] Ni l’arrêt Vavilov ni, à ce sujet, l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, n’ont abordé la question de la norme applicable pour déterminer si le décideur a respecté l’obligation d’équité procédurale. Dans ces circonstances, je préfère m’en remettre à l’abondante jurisprudence, de la Cour suprême et de notre Cour, selon laquelle la norme de contrôle concernant l’équité procédurale demeure celle de la décision correcte : voir Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, au paragraphe 79; Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 198, [2008] 1 R.C.F. 385 (arrêt Thamotharem), au paragraphe 33; Ré :Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, [2015] 2 R.C.F. 170, au paragraphe 34; Wsáneć School Board c. Colombie-Britannique, 2017 CAF 210, aux paragraphes 22 et 23; Johnny c. Bande indienne d’Adams Lake, 2017 CAF 146, au paragraphe 19; Therrien c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 14, au paragraphe 2; El-Helou c. Service administratif des tribunaux judiciaires, 2016 CAF 273, au paragraphe 43; Arsenault c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 179, au paragraphe 11; Henri c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 38, au paragraphe 16; Abi-Mansour c. Canada (Affaires étrangères et Commerce international Canada), 2015 CAF 135, au paragraphe 6; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 121, aux paragraphes 33 à 56. En fait, la raison pour laquelle nous continuons d’évaluer les questions touchant l’équité procédurale dans le cadre du contrôle judiciaire n’est pas claire pour moi, étant donné que l’équité procédurale concerne la manière avec laquelle une décision a été rendue, plutôt que l’essence de la décision, comme l’a à juste titre observé le juge Binnie dans l’arrêt S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 102. Ce qui importe, en fin de compte, c’est de savoir si l’équité procédurale a été respectée ou non.
(mon soulignement)
[20] Le demandeur a identifié que selon la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Association canadienne, les allégations de manquement d’équité procédurale sont analysées selon la norme de la décision correcte. De surcroit, il fait valoir que la décision d’une cour supérieure, la Cour d’appel fédérale, supplante la jurisprudence de la Cour fédérale citée par le défendeur.
[21] Le défendeur, quant à lui, exprime que les conclusions de la SAR à l’égard des manquements allégués d’équité procédurale par la SPR sont révisables selon la norme de la décision raisonnable, cette situation ayant déjà été tranchée par la Cour à maintes reprises (Patel v Canada (Citizenship and Immigration), 2024 FC 912 au para 13 [Patel] ; Ayub v Canada (Citizenship and Immigration), 2024 FC 1382 au para 14 [Ayub]; Rodriguez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 774 aux para 16–19 [Rodriguez]; Ahmad c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 214 au para 13; Omirigbe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 787 au para 25).
[22] Je ne conteste pas ce que la Cour d’appel a enseigné dans l’arrêt Association canadienne au paragraphe 35, cité par le demandeur. Toutefois, cet arrêt (et la jurisprudence qui le suit) s’applique pour déterminer si le décideur, lui-même, a respecté l’obligation d’équité procédurale. En d’autres mots, la norme de la décision correcte s’appliquerait si l’allégation du demandeur était que la SAR a manqué à l’équité procédurale quant à la manière avec laquelle sa Décision a été rendue.
[23] Ce n’est pas le cas à l’instance.
[24] Plutôt, il s’agit d’étudier la conclusion de la SAR selon laquelle il n’y avait pas eu manquement à l’équité procédurale devant la SPR. Dans ces circonstances, la jurisprudence de la Cour a clarifié que les conclusions de la SAR concernant des allégations d’un manquement d’équité procédurale par la SPR sont révisées selon la norme de la décision raisonnable (Patel au para 13 citant Rodriguez aux para 16–19; Vavilov aux para 23, 25).
[25] Ce principe a aussi récemment été considéré par la juge Saint-Fleur dans Singh c Canada, 2025 FC 993 [Singh] qui a résumé la jurisprudence récente de la Cour en adoptant la norme de la décision raisonnable quant aux conclusions de la SAR relativement aux allégations de manquement d’équité procédurale par la SPR (Singh au para 27, citant Patel au para 12; Lokhande c Canada (Cioyenneté et Immigration), 2023 CF 1362 at para 7; Ayub au para 14; Imafidon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1592 aux para 24–25; Rodas Tejeda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2025 CF 215 aux para 47–51; Rodriguez aux para 14–20; Vavilov, aux para 23, 25).
[26] Ainsi, j’adopte la norme de la décision raisonnable quant aux motifs de la Décision concernant les deux questions en litige.
[27] En appliquant la norme de la décision raisonnable en contrôle judiciaire, la Cour doit faire l’analyse et déterminer si une décision fait preuve des caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99). Une décision raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision faisant l'objet du contrôle (Vavilov au para 90). Une décision pourrait se qualifier de déraisonnable, si le décideur administratif a mal interprété la preuve au dossier (Vavilov aux para 125-126). La partie qui conteste la décision a le fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable (Vavilov au para 100).
IV. Analyse
A. L’analyse de la SAR portant sur le manquement d’équité procédural devant la SPR n’était pas déraisonnable
[28] Il importe de souligner que la SAR a appliqué la norme de la décision correcte et a conduit sa propre analyse et a examiné la preuve soumise par le demandeur à ce sujet, comme lui prescrit la jurisprudence (Huruglica c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 93 au para 78 [Huruglica]).
[29] En contrôle judiciaire, le demandeur soulève des enjeux d’équité procédurale qui n’ont pas été adéquatement traités par la SAR. Selon lui, les erreurs de traduction par l’interprète, les erreurs de désignation de PRI par la SPR, et la courte durée de l’audience l’ont empêché de cerner l’importance des questions posées et d’y répondre adéquatement durant l’audition devant la SPR.
[30] Le demandeur a allégué devant la SAR que l’erreur de traduction constitue un manquement à l’équité procédurale parce qu’il n’a pas été accordé l’opportunité d’expliquer ou de justifier l’omission de l’incident concerné dans son FDA. En conséquence, la SPR n’a pas accordé la crédibilité à cette information, ce qui a nui au droit du demandeur à corroborer l’intérêt de l’agent de préjudice—un aspect fondamental dans l’analyse de la PRI.
[31] La SAR a considéré la jurisprudence appropriée quant aux allégations de traduction erronée. Quoique la traduction n’a pas à être parfaite, elle doit être fidèle, compétente, impartiale, et concomitante (R c Tran, 1994 CanLII 56 (CSC), [1994] 2 RCS 951, à la p 987 [Tran]).
[32] Afin de déterminer si une erreur de traduction mène à un manquement à l’équité procédurale, le demandeur doit prouver que l’erreur « [est] grave et [a joué] un rôle déterminant dans les conclusions de la SPR »
et qu’elle est suffisamment sérieuse, réelle et importante (Aseervatham c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1006 au para 23, citations omises; Paulo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 990, aux para 28-29 [Paulo]). Il n’est cependant pas obligé de prouver que l’erreur lui a causé un préjudice réel (Paulo au para 30). En somme, l’erreur doit avoir nui à la capacité du demandeur « de faire connaître ses prétentions et de répondre aux questions »
et avoir « joué un rôle important dans les conclusions de la SAR »
(Paulo au para 32).
[33] Le défendeur soutient également que la SAR a raisonnablement traité de la confusion entre la PRI, Mérida, et l’État où elle est située, le Yucatan. Selon la SAR, les réponses fournies par le demandeur permettent de déterminer qu’il a saisi la portée de la question posée par la SPR. Or, cette erreur dans la désignation n’invalide pas la décision de la SPR dans son ensemble.
[34] Je suis d’accord avec les arguments du défendeur. La SAR a raisonnablement considéré l’impact des erreurs de traduction en examinant le dossier et la preuve dans son ensemble. Elle a expliqué dans les motifs sa conclusion que le demandeur comprenait tout de même la différence entre son FDA et les preuves présentées à l’appui de sa demande en se référant au témoignage au cours de l’audition. La SAR a également soulevé les propos du demandeur et ses réponses qui démontraient que celui-ci a eu l’opportunité d’expliquer pourquoi Mérida serait un PRI déraisonnable. De plus, il est clair que le demandeur avait exprimé qu’aucun endroit au Mexique ne pouvait servir de PRI.
[35] Le demandeur soulève de plus que la SAR a erré en omettant de considérer l’effet cumulatif des erreurs de traduction. Je ne peux retenir cet argument non plus car il est évident à la lecture de la Décision que la SAR a considéré les arguments et le dossier dans son entièreté.
[36] La conclusion de la SAR que les erreurs d’interprétation n’étaient pas suffisamment sérieuses, réelles ou importantes afin de nuire à la capacité du demandeur de répondre aux questions de la SPR et de présenter sa demande d’asile est ancrée dans le dossier devant elle. Je ne peux conclure que la SAR était déraisonnable lorsqu’elle a conclu que les erreurs de traduction n’ont pas enfreint l’habilité du demandeur de faire connaître ses prétentions et ne constituent donc pas une atteinte à l’équité procédurale (Paulo au para 32).
[37] Enfin, le demandeur souligne le fait qu’il se représentait seul lors de cette audience devant la SPR, n’ayant pu trouver un avocat à temps. Ce fait a amplifié l’impact des erreurs de traduction sur l’équité procédurale de l’audience.
[38] Je reconnais qu’il existe de nombreuses circonstances où un demandeur ne peut se présenter devant un tribunal avec un avocat. Il s’agit d’une dure réalité qui soulève des défis pour la partie et le tribunal. Toutefois, comme l’a discuté le juge Grammond, une personne physique est libre de choisir de se représenter elle-même ou de recourir aux services d’un avocat (Ait Elhocine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1068 au para 15, autres citations omises [Ait Elhocine]). Cela n’affecte pas nécessairement, ou toujours, le niveau d’équité procédurale due à la partie, et la question centrale demeure de savoir si le demandeur a eu l’opportunité de « participer utilement »
à l’audience en présentant son point de vue et sa preuve (Ait Elhocine au para 15; Thompson c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 808 aux para 12–13).
[39] Dans le cas en l’espèce, la SAR s’est raisonnablement et dûment penchée sur l’analyse du processus devant la SPR afin de déterminer si le demandeur a eu l’occasion de présenter sa position et ses préoccupations à l’audience, même s’il ne fût pas représenté par un avocat. Elle a noté que le demandeur a reçu les explications dont but de l’audience et les questions à trancher – notamment la PRI. Il n’y a rien devant moi qui indique que la SAR n’était pas sensible à la situation du demandeur. Dans leur ensemble, les arguments du demandeur sur l’équité procédurale demandent à la Cour de soupeser la preuve pour en arriver à une conclusion différente à celle de la SAR.
B. L’analyse de la question de la PRI n’est pas déraisonnable
(1) Principes de droit
[40] La Cour d’appel fédérale a formulé deux volets qui permettent de déterminer si un demandeur d’asile peut se prévaloir d’une PRI (Rasaratnam c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 1991 CanLII 13517 (CAF), [1992] 1 CF 706; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589):
-
Il n’y a aucune possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté (au titre de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27) [LIPR]), ou qu’il ne soit pas exposé à un danger ou à un risque au titre de l’article 97 de la LIPR (selon une norme du
« plus probable que le contraire »
) dans la région où la PRI est envisagée; -
Les conditions qui ont cours dans ladite région doivent être telles qu’il n’est pas déraisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances, y compris les circonstances propres au demandeur d’asile, qu’il y trouve refuge.
[41] Pour le premier volet du test, le demandeur doit démontrer qu’il continuerait à être menacé dans les PRIs proposées par la même personne ou par les mêmes agents de persécution que ceux qui l’ont mis en danger à l'origine. Pour ce faire, le demandeur doit démontrer, selon la balance des probabilités, que les agents de persécution ont à la fois les « moyens »
et la « motivation »
de nuire au demandeur d'asile dans les PRIs. Cette évaluation est une analyse prospective qui doit être considérée du point de vue des agents de persécution, et non du point de vue du demandeur d'asile (Hidalgo Cahuich v Canada (Citizenship and Immigration), 2024 FC 1963 au para 23 [Hidalgo Cahuich]).
[42] Pour le second volet du test concernant le caractère raisonnable des PRIs proposées, le seuil est très élevé. Le demandeur doit présenter des preuves réelles et concrètes de conditions qui mettraient leur vie ou sécurité en danger s'il tentait de s'installer dans cette partie du pays (Hidalgo Cahuich au para 24).
(2) Analyse
a) Premier volet de la PRI
[43] Le demandeur plaide que la conclusion de la PRI était déraisonnable. Il plaide que l’évaluation par la SAR de la motivation des agents de persécution de chercher le demandeur n’est pas raisonnable, et contient des contradictions quant à la crédibilité accordée au témoignage de sa mère.
[44] Le défendeur soutient que la décision de la SAR sur ce volet est raisonnable. La SAR, en considérant la preuve dans son ensemble, n’a pas trouvé que le CJNG avait la motivation de retrouver le demandeur à Mérida. Le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau, et son argumentation s’est plutôt concentré sur l’habilité du CJNG de le retrouver—un fait admis par la SAR—plutôt que sa volonté de le faire.
[45] Il est reconnu par la jurisprudence qu’afin de réfuter une PRI, un demandeur d’asile doit prouver que ses agents de persécution ont la motivation ainsi que les ressources (ou les moyens) d’aller le chercher dans la PRI (Chatrath v Canada (Citizenship and Immigration), 2024 FC 958 au para 20, citant Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 996 au para 8). Le fait que des membres du CJNG le cherchaient encore dans sa ville d’origine n’établit pas, sans preuve additionnelle, qu’ils exerceraient les efforts pour le trouver dans une autre ville au Mexique (Vishist v Canada (Citizenship and Immigration), 2024 FC 1908 au para 35).
[46] Comme le juge McHaffie a expliqué, « [i]l n’y a pas de risque sérieux de persécution pour un demandeur dans la région du pays où il existe une PRI lorsqu’il n’y a pas de preuve de l’intérêt des persécuteurs de le poursuivre, malgré la portée de ces groupes criminels »
(Leon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 428 au para 15).
[47] J’ai attentivement lu les soumissions du demandeur et entendu ses prestations orales à l’audience. Je ne peux pas conclure qu’il a soulevé de lacunes graves dans la Décision ou avec le raisonnement de la SAR. Avec respect, les motifs de la SAR résument les événements décrits par le demandeur puis considèrent ses circonstances personnelles qui relèvent du dossier afin de conclure que même si le CNJG a les moyens de le suivre, le demandeur n’a pas le profil d’une personne qui la motiverait de le suivre à la PRI (Malik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 FC 429 au para 31). Je ne décèle aucune raison justifiant l’intervention de la Cour à cet égard.
b) Deuxième volet de la PRI
[48] Sur le deuxième volet de la PRI, le demandeur soulève que l’analyse de la SAR ne peut forcément être raisonnable puisqu’il n’a pas pu se prononcer sur si un PRI à Mérida était raisonnable à cause des erreurs de traduction lors de l’audience devant la SPR. Il prétend que son interrogatoire devant la SPR n’a traité d’aucun des aspects sur lesquels la SAR s’est penchée en se prononçant sur le deuxième critère.
[49] L’argument du demandeur doit également être rejeté. La SAR a considéré les arguments soulevés par le demandeur lors de l’appel, comme le fait que la SPR n’avait pas étudié le profil du demandeur comparé à la population de la PRI et des facteurs comme les opportunités d’emploi, l’accès aux services, et la possibilité de voir sa famille. La SAR a considéré les arguments qui lui ont été présentés et a conclu qu’une erreur a été commise par la SPR, puis l’a corrigé en conduisant une analyse rigoureuse et adaptée au contexte. La Décision démontre que la SAR était d’accord avec les facteurs que le demandeur a identifiés quant au deuxième volet de la PRI, et elle a raisonnablement procédé à sa propre analyse comme lui indique la jurisprudence (Huruglica aux para 78–79). Ce faisant, la SAR a considéré l’information au dossier, incluant les réponses du demandeur dans le FDA, les soumissions dans la demande d’appel, et les conditions générales de la PRI.
[50] Je ne peux pas conclure qu’une telle analyse est déraisonnable. La SAR n’était pas limitée aux soumissions à l’audience du demandeur, et s’est penchée sur d’autres preuves au dossier devant elle. Ne trouvant rien qui, en considération de la situation du demandeur, rendrait la PRI déraisonnable, la SAR a rejeté les arguments du demandeur. De plus, le demandeur n’a pas identifié de lacunes graves dans le raisonnement et la conclusion de la SAR quant au deuxième volet.
[51] La Décision constitue une issue raisonnable. En appliquant la norme de la décision raisonnable, la Décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence et elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85).
V. Conclusion
[52] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Les parties ont confirmé qu’il n’y avait aucune question à certifier et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-20425-24
LA COUR STATUE que
-
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
-
Il n’y a aucune question à certifier.
« Phuong T.V. Ngo »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIER : |
IMM-20425-24 |
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INTITULÉ : |
MARCELO AMULEK VALIS OLIVARES c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
MONTRÉAL (QUÉBEC) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 27 OCTOBRE 2025 |
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JUGEMENT ET MOTIFS |
LA JUGE NGO |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 31 OCTOBRE 2025 |
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COMPARUTIONS :
|
Fabiola Ferreyra Coral |
Pour le demandeur |
|
Suzanne Trudel |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
|
ROA Services Juridiques Avocats Toronto (Ontario) |
Pour le demandeur |
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Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
Pour le défendeur |