Date: 20251030
Dossier: IMM-24516-24
Référence: 2025 CF 1751
Montréal, Québec, le 30 octobre 2025
En présence de madame la juge Azmudeh
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ENTRE: |
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ANGEL SANCHEZ CORONEL JUAN MANUEL SANCHEZ RANGEL MARIA DEL CARMEN RANGEL ESQUIVEL MARIA DE LOS ANGELES SANCHEZ RANGEL KARLA IVON SANCHEZ RANGEL |
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Demandeurs |
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et |
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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Défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Les demandeurs sont tous citoyens du Mexique. Ils contestent la décision de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 9 décembre 2024. Celle-ci confirmait la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) à l’effet que les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention sous l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection du réfugié, SC 2001 c 27 [LIPR], ni des personnes à protéger sous l’article 97(1) de la LIPR.
[2] La demande de contrôle judiciaire est rejetée pour les motifs suivants.
I. Aperçu
[3] En résumé, tous les demandeurs ont été confrontés à des infractions économiques commises par les cartels à différents moments et à des degrés divers. Tous les crimes ont été commis à Hidalgo, la ville des demandeurs. Ceux-ci comprenaient des demandes d'extorsion, des enlèvements contre rançon, des tentatives d'enlèvement ou des menaces téléphoniques.
[4] Pendant deux ans, la famille s'est installée à Oaxaca sans incident. À leur retour à Hidalgo, certains demandeurs n'ont jamais été confrontés à des menaces ou à des risques personnels, tandis que d'autres, comme M. Juan Manuel, ont été victimes d'actes criminels, par exemple lorsqu'il a été enlevé contre rançon. D'autres, comme Mme Maria De Los Angeles, ont reçu des menaces par téléphone. Elle pense que ces menaces provenaient du CJNC, après que son oncle avait été enlevé contre rançon. Les demandeurs estiment que ces activités criminelles ont été commises par le CJNC et/ou le cartel Los Correas.
[5] La SPR et la SAR ont rejeté leur demande d’asile. Bien que la SPR ait soulevé la question de la crédibilité, elle a finalement conclu que la possibilité de refuge intérieur (PRI) à Mérida ou à Campeche était déterminante. La SAR a évalué la demande indépendamment, n'était pas d'accord avec la conclusion de la SPR concernant la crédibilité, mais a convenu que tous les demandeurs avaient une PRI viable dans les villes mentionnées.
[6] Je considère que la SAR a pris une décision raisonnable selon une procédure équitable.
Analyse
A. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable
[7] La Cour doit déterminer si la décision de la SAR est raisonnable et si elle a été rendue dans le respect des normes de procédure équitables.
[8] Le critère de contrôle applicable en l'espèce est celui de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).
[9] Les questions d'équité procédurale sont évaluées selon une norme qui s’approche de la décision correcte. Comme l'a récemment écrit le juge Régimbald dans Nguyen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1617, au paragraphe 11:
Quant aux questions d’équité procédurale, la cour de révision doit être convaincue de l’équité de la procédure au regard des circonstances (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 215 au para 6; Do c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 927 au para 4; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54 [Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée]). Dans Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, la Cour d’appel fédérale a indiqué que l’exercice consistant à « caser la question de l’équité procédurale dans une analyse relative à la norme de contrôle applicable » est non rentable (para 55). La Cour doit plutôt se demander si la partie a eu le droit d’être entendue et la possibilité de connaître les arguments avancés contre elle, et si « l’équité procédurale n’est pas sacrifiée sur l’autel de la déférence » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée au para 56).
B. La SAR a-t-elle violé l’équité procédurale des demandeurs?
[10] Les demandeurs plaident que les interruptions qu’ils ont subi devant la SPR constituent une violation de l'équité procédurale. Je ne suis pas d'accord.
[11] Premièrement, la SAR a déclaré avoir écouté l'enregistrement de l’audience à la SPR et, malgré quelques incohérences, elle estime que les demandeurs ont établi les éléments centraux de leur demande.
[12] Deuxièmement, la SAR a spécifiquement traité la question qu’ont soulevée les demandeurs concernant la procédure de la SPR qui ne leur a pas permis de témoigner complètement sur la situation de leur oncle et de leur cousin au Mexique. Ce choix de procédure aurait affecté leurs arguments sur la disponibilité du PRI.
[13] La SAR a examiné le compte rendu du témoignage sur la situation de l’oncle et du cousin et a mentionné les questions complémentaires pertinentes qu’a posées la commissaire de la SPR. La SAR a également examiné tous les éléments de preuve présentés par les demandeurs sur cette question. Ces éléments incluaient le témoignage des demandeurs selon lequel leur famille au Mexique voulait les protéger en ne les informant pas pleinement de leur situation, et la SAR a estimé qu'ils avaient bénéficié d'une audience complète parce qu'ils étaient représentés par une avocate qui avait eu l’occasion de poser des questions complémentaires.
[14] Je considère que la conclusion de la SAR selon laquelle les demandeurs ont bénéficié d'une audience complète et juste devant la SPR était conforme aux principes de l’équité procédurale et raisonnable. Lors de l’audience, j'ai demandé à l'avocate des demandeurs de signaler les passages pertinents des transcriptions de l’audience devant la SPR où les demandeurs avaient été injustement interrompus et où la SAR les avait ignorés. Elle a indiqué une partie de l'audience lors de laquelle l'un des demandeurs avait longuement témoigné sur la situation d'autres membres de sa famille à Hidalgo. L'avocate a fait valoir que « l'ambiance »
qui régnait dans la salle d'audience avait empêché les demandeurs de témoigner adéquatement, mais que cette ambiance ne pouvait être lue dans la transcription. L'avocate a ensuite déclaré que les demandeurs avaient dû témoigner par phrases courtes pour faciliter l'interprétation, ce qui avait perturbé leur raisonnement et leur capacité à témoigner.
[15] Premièrement, la membre de la SAR a déclaré avoir écouté l'audience. Je présume donc qu'elle était mieux placée que la Cour pour évaluer l'ambiance. Deuxièmement, rien dans le dossier ne suggère que les demandeurs aient été empêchés de fournir toutes les informations qu'ils souhaitaient à la SPR. De plus, lorsqu’un interprète est présent, le fait de témoigner en utilisant des phrases courtes facilite la compréhension du commissaire car cela réduit le risque que l'interprète résume ou oublie le témoignage. Troisièmement, comme l’avocate des demandeurs l'a reconnu pendant l’audience, la procédure de la SPR permet au conseil des demandeurs de poser des questions complémentaires. Aucune n'a été posée devant la SPR pour approfondir la question problématique.
[16] La SAR n'a pas enfreint les principes de l'équité procédurale. J'estime que la SAR a traité de manière raisonnable l'argument relatif à la violation de l'équité procédurale par la SPR et a fourni des motifs qui correspondent pleinement au dossier et suivent un raisonnement clair.
C. La décision de la SAR est-elle raisonnable?
[17] La SAR a examiné l'ensemble du dossier qui lui a été soumis et a évalué la décision de la SPR selon la norme appropriée pour conclure qu'elle était correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93; Rozas del Solar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145).
[18] Je considère que les conclusions de la SAR que les PRI étaient viables étaient raisonnables. La SAR a tenu compte de l'ensemble des faits et a expliqué pourquoi elle ne considérait pas que les gangs avaient la motivation de poursuivre les demandeurs. Lorsque la SAR a été convaincue qu'il n'y avait aucune possibilité sérieuse que les demanderesses soient persécutées en raison de leur sexe dans les PRI, ou que tous les requérants ne couraient pas de risque personnel de préjudice selon la prépondérance des probabilités en vertu de l'article 97(1) de la LIPR, la SAR a expliqué pourquoi les PRI serait raisonnable pour les demandeurs dans leur situation. Les motifs de la SAR sont conformes aux preuves et aux arguments, et le raisonnement qui les sous-tend est clair.
[19] Les demandeurs soutiennent que la SAR n'a pas évalué leurs profils cumulatifs dans son évaluation de la viabilité du PRI. Je ne suis pas d'accord. La SAR a pleinement pris en compte l'ensemble des éléments de preuve, dont le profil complet de chaque demandeur. Sur les questions qui affectaient plus spécifiquement leur profil, la SAR s'est penchée de manière approfondie sur celles-ci, notamment en ce qui concerne le sexe, l'âge ou le niveau d'éducation.
[20] La SAR a analysé la demande des demanderesses sur la base du sexe et a pleinement examiné les allégations de recrutement forcé du fils par les gangs. En évaluant le deuxième volet du PRI, à savoir s'il était raisonnable que les demandeurs se réinstallent compte tenu de toutes les circonstances, les motifs de la SAR sont également pleinement conformes au dossier, et les motifs sont transparents, intelligibles et clairs.
[21] Lors de l'audience, l'avocate des demandeurs a fait valoir que, compte tenu des documents nationaux faisant état d'un taux généralement élevé de violence sexiste, il était déraisonnable de la part de la SAR de penser que les demanderesses seraient en sécurité. La SAR a pleinement examiné les preuves présentées par les demanderesses. Il était raisonnable que la SAR ne suppose pas qu'elles seraient exposées à un risque sérieux de violence sexiste sur la seule base d'informations statistiques dépourvues de contexte. Ces éléments de preuve, seuls, n’établissaient pas une possibilité sérieuse que les demanderesses soient persécutées dans la PRI.
[22] Les demandeurs doivent noter qu’une fois que la PRI est soulevée, il leur incombe de prouver qu'ils n'ont pas de PRI viable. Si la PRI proposée est viable, il incombe aux demandeurs de démontrer soit qu'ils seraient en danger dans la PRI proposée, soit, même s'ils ne seraient pas en danger dans la PRI proposée, qu'il serait déraisonnable à la lumière des circonstances qu'il s'y réinstalle.
[23] Le fardeau de ce deuxième volet, concernant le caractère raisonnable de la PRI, est très lourd. La Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Ranganathan, a statué qu'il ne faut rien de moins que l'existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d'un demandeur en voyageant ou en se réinstallant temporairement dans une zone sûre (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 CanLII 16789 (CAF) au para 15 [Ranganathan]). En outre, il faut des preuves réelles et concrètes de ces conditions. Concernant le développement du critère de la PRI, voir Rasaratnam c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 1991 CanLII 13517 (CAF) à la p 710; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF) aux pp 592-599; Ranganathan aux paras 13-17.
[24] J'ai examiné les éléments de preuve que les demandeurs ont identifiés comme contribuant à leur profil cumulatif. Ils ont notamment mentionné leur origine de l'État de Michoacán, leur niveau de revenu et d'éducation modeste, leur activité professionnelle principalement dans le secteur de l'agriculture et le fait qu'ils ont déjà été victimes de gangs. La SAR a accepté et analysé tous ces facteurs. Certains ont indiqué leur bonne condition physique et leur bonne santé comme raisons pour lesquelles ils pourraient être victimes du recrutement par les gangs.
[25] Il était raisonnable que le SAR ne tienne pas compte de facteurs spéculatifs tels que ceux-ci. Le « profil cumulatif »
des demandeurs est en fait la liste de leurs expériences. La SAR en a tenu compte dans ses motifs, même si ceux-ci n’ont pas présenté la liste de leurs expériences comme l’ont formulé les demandeurs. Puisqu'il incombait à la SAR d'évaluer les preuves et les arguments dans le cadre du critère juridique qui lui était soumis, cette approche était raisonnable.
[26] Vu les motifs raisonnables de la SAR, rien ne justifie l’intervention de cette Cour.
II. Conclusion
[27] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.
[28] Les parties n’ont proposé aucune question certifiée dans cette affaire, et je conviens avec elles qu’aucune ne se pose.
JUGEMENT dans le dossier IMM-24516-24
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
-
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
-
Il n'y a pas de question à certifier.
« Negar Azmudeh »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIER : |
IMM-24516-24 |
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INTITULÉ : |
ANGEL SANCHEZ CORONEL et Al. c. MCI |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
MONTRÉAL (QUÉBEC) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
Le 22 OCTOBRE 2025 |
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LA JUGE AZMUDEH |
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DATE DES MOTIFS : |
Le 30 OCTOBRE 2025 |
COMPARUTIONS:
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Me Fabiola Ferreyra Coral |
Pour leS demandeurS |
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Me Larissa Foucault |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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ROA SERVICES JURIDIQUES Montréal (Québec) |
Pour leS demandeurS |
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Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour le défendeur |