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Date : 20251029


Dossier : IMM-16734-24

Référence : 2025 CF 1739

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2025

En présence de l'honorable madame la juge Ngo

ENTRE :

EDISON ALEXANDER GONZALEZ ROJAS

Partie demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] Le demandeur, Edison Alexander Gonzalez Rojas [demandeur], sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [SAR], datée du 19 août 2024, qui a rejeté sa demande d’asile [Décision]. Dans sa Décision, la SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] en concluant que le demandeur n’a pas la qualité de personne à protéger puisqu’il n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le demandeur n’a pas démontré que la Décision est déraisonnable.

II. Faits pertinents et Décision sous contrôle

[3] Le demandeur est citoyen du Pérou. De 2018 à 2022, le demandeur allègue qu’il est suivi, menacé et attaqué à plusieurs reprises par un homme connu comme « Pirry », dit associé aux groupes criminels « Sicarios » et « Tren de Aragua » [agent de persécution]. À quatre instances au cours de ces années, le demandeur tente de porter plainte à la police contre l’agent de persécution ou ses acolytes.

[4] Le demandeur décrit qu’il a subi une première attaque le 5 mars 2018. Le 1 mai, 2018, le demandeur est attaqué et poignardé par l’agent de persécution dans la ville de Lima. Le lendemain, le demandeur va à la police pour porter plainte, mais quitte après avoir attendu quatre heures, incertain si sa plainte a été prise ou enregistrée.

[5] Au cours des prochains mois, le demandeur déménage dans trois différentes villes à travers le Pérou, mais il dit avoir été retrouvé à chaque fois par l’agent de persécution et forcé à fuir en conséquence. Le 21 août 2018, le demandeur tente de porter plainte au poste de police à Lima après avoir été poursuivi. Il allègue que les agents de police refusent d’enregistrer sa plainte pour les motifs qu’il ne connaissait pas le nom complet de l’agent de persécution et à cause d’un enjeu de juridiction. Le demandeur attend une heure puis quitte le poste.

[6] De 2018 à 2020, l’agent de persécution est arrêté et incarcéré pour une raison inconnue. Le 14 mars 2020, l’agent de persécution, maintenant en liberté, trouve le demandeur et lui extorque un paiement sur les bases que ce dernier l’a dénoncé. Suivant cette confrontation, le demandeur va au poste de police et dépose une troisième plainte contre l’agent de persécution. Dans cette troisième plainte, le demandeur ne mentionne pas les attaques précédentes en 2018 ni son historique avec l’agent de persécution. Selon le demandeur, il ne fut pas poursuivi par l’agent de persécution lors des deux prochaines années à cause du confinement lié à la COVID-19.

[7] Le 6 mars 2022, le demandeur est agressé et victime de vol par deux individus qui disent être envoyés par l’agent de persécution. La journée même, le demandeur porte plainte au poste de police à Pamplona, dans la ville de Lima, concernant cet évènement. Sa plainte n’identifie pas l’agent de persécution comme l’instigateur de cette attaque. Le 21 mai 2022, le demandeur quitte le Pérou, et arrive au Canada le 16 juin 2022.

[8] Le 5 mars 2024, la demande d’asile du demandeur est rejetée par la SPR. La SPR conclut que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État. La SPR conclut que l’appareil étatique du Pérou n’est pas en situation d’effondrement complet. De ce fait, la présomption que le Pérou peut protéger ces citoyens s’applique. Le demandeur a donc un haut fardeau à réfuter pour démontrer qu’il a épuisé tous les recours auxquels il pouvait accéder au Pérou avant de demander la protection à l’étranger. La SPR conclut que les deux tentatives de plaintes et les deux plaintes déposées ne peuvent pas réfuter la présomption de protection de l’État, ni individuellement, ni considérées ensemble. Le demandeur présente une demande d’appel devant la SAR.

[9] Le 19 août 2024, la SAR confirme la décision de la SPR affirmant que le demandeur n’avait pas la qualité de personne à protéger [Décision]. La SAR note les objections du demandeur citées dans son mémoire d’appel quant aux lacunes du système policier péruvien. Cependant, la SAR constate que, malgré ces défauts, la preuve au dossier démontre que le système demeure fonctionnel et suffisamment efficace.

[10] Analysant les plaintes et tentatives de plaintes, la SAR juge que le demandeur avait plusieurs autres issues vers lesquelles il pouvait se tourner lorsqu’il a décrit que ses demandes d’aide tombaient dans une sourde oreille. Puisqu’il n’a pas essayé d’en bénéficier, entre autres, la SAR a conclu que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État. La Décision de la SAR fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

III. Question en litige

[11] La question en litige est de savoir si la Décision est déraisonnable.

[12] La Cour doit réviser le bien-fondé de la Décision en appliquant la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16-17, 25 [Vavilov]). Je suis d’accord avec les parties que la norme de la décision raisonnable s’applique aux motifs de la Décision.

[13] En contrôle judiciaire, la Cour doit faire l’analyse et déterminer si une décision fait preuve des caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99). Une décision raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision faisant l'objet du contrôle (Vavilov au para 90). Une décision pourrait se qualifier de déraisonnable, si le décideur administratif a mal interprété la preuve au dossier (Vavilov aux para 125-126). La partie qui conteste la décision a le fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable (Vavilov au para 100).

IV. Position des parties

[14] Lors de l’audience et dans ses représentations écrites, le demandeur soumet huit arguments ou erreurs commises par la SAR. Cependant, le fond de son argumentation peut être catégorisé dans deux thématiques.

[15] Premièrement, le demandeur estime que la SAR n’a pas examiné la nature des institutions démocratiques du Pérou, et par conséquent, a mal perçu le niveau de démocratie dans le pays. Ainsi, ayant interprété la démocratie de Pérou comme plus forte qu’elle l’est en réalité, le demandeur fait valoir que la SAR a imposé le mauvais fardeau à réfuter au demandeur. Si elle avait examiné de manière appropriée la place du Pérou dans « l’éventail des démocraties », elle aurait conclu que le fardeau à réfuter était plus bas (Bozik c Canada (Citoyenneté et immigration), 2017 CF 961 au para 28). Il a cité, devant la Cour, de nombreuses références au cartable national de documentation [CND] étayant sa position que la SAR n’aurait pas dû conclure que le Pérou est un État démocratique.

[16] Le défendeur souligne que cet argument—que la SAR n’aurait pas dû conclure que le Pérou est un État démocratique—est un nouvel argument qui n’avait pas été soumis devant la SAR. De plus, le demandeur n’avait pas identifié les nombreux onglets du CND dont il fait référence devant la Cour à la SAR. Or, la SAR a tout de même analysé la démocratie du Pérou, et ne trouvant pas d’effondrement complet des appareils étatiques, a maintenu que le Pérou était une démocratie même s’il y existait des lacunes, donc un haut fardeau à réfuter s’appliquait au demandeur. Le défendeur fait valoir que le demandeur tente de blâmer la SAR en contrôle judiciaire afin de pallier son défaut de satisfaire son propre fardeau de réfuter la présomption de la protection de l’État à l’aide d’une preuve claire et convaincante, ou de pallier son défaut de ne pas avoir soulevé certains arguments devant la SAR.

[17] Le demandeur reconnaît que son premier argument n’était pas présenté de « façon explicite » comme tel au décideur de la SAR. Cependant, il explique que ceci n’est pas une entrave à son analyse par la Cour en contrôle judiciaire. Selon lui, un tel questionnement fait partie de l’analyse propre en droit de l’enjeu de la protection de l’État. Ainsi, ne l’ayant pas faite, la SAR a erré en droit, rendant la décision déraisonnable.

[18] Deuxièmement, le demandeur prétend que la SAR a fait faute d’analyser son argument central selon lequel la police n’a rien fait même quand il a réussi à porter plainte. Selon lui, dans les motifs de la Décision, la SAR traite longuement des suivis avec la police que le demandeur aurait dû faire et des manquements à ses plaintes et à sa façon de procéder, sans aborder ni expliquer le fait que le demandeur n’a reçu aucune aide de la police. Le demandeur soumet que la SAR n’a pas accordé de poids à l’inefficacité de la police péruvienne en concluant que son manque de suivi libèrerait la police de toute obligation.

[19] Enfin, le demandeur identifie les lacunes suivantes dans les raisons de la SAR : la SAR a fait une analyse sélective de la preuve, ignorant les éléments favorables au demandeur; la SAR a émis des conclusions voilées sur la crédibilité du demandeur sans lui donner d’opportunité d’y répondre; la SAR a émis des conclusions basées sur des hypothèses quant au comportement attendu de la police suivant la prise des plaintes; la SAR a seulement considéré les efforts pris par le gouvernement pour combattre la criminalité et la corruption, et non leur efficacité, et; la SAR a refusé déraisonnablement de conclure que le demandeur a pris toutes les mesures raisonnables dans ses circonstances afin d’obtenir la protection de la police.

[20] En revanche, le défendeur argue que le demandeur cherche le remaniement de la preuve, excédant le rôle de la Cour en contrôle judiciaire qui est limité à examiner si la décision est raisonnable. Identifier une interprétation différente de la preuve ne rend pas la décision déraisonnable. La SAR s’est penchée sur tous les arguments soulevés par le demandeur dans son mémoire d’appel et les a traités, fournissant des exemples de l’efficacité de la police pour soutenir la conclusion de l’insuffisance des démarches du demandeur. Malgré son désaccord avec la décision, le demandeur n’a pas identifié de lacunes graves dans le raisonnement de la SAR.

V. Analyse

A. Le droit applicable

[21] Il convient de rappeler les principes juridiques applicables. Je reproduis l’analyse du juge Pentney dans l’affaire Pava c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1239 [Pava]:

[36] Au regard de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, le demandeur d’asile doit établir qu’il craint, de manière subjective et avec raison, d’être persécuté. Toutefois, si une protection adéquate de l’État était raisonnablement accessible à la personne dans son pays d’origine, l’asile lui sera refusé, parce que la crainte subjective n’est pas objectivement raisonnable (Canada (Procureur général) c Ward, 1993 CanLII 105 (CSC), [1993] 2 RCS 689, à la p. 712 [Ward]). Il existe une présomption selon laquelle la protection de l’État est offerte dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile (Ward, p. 724 à 725), particulièrement quand le pays en question est démocratique (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kadenko (1996), 1996 CanLII 3981 (CAF), 124 FTR 160, 143 DLR (4th) 532, à la p. 534 (CAF); Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, au para 57). Comme l’a fait remarquer le juge Alan Diner dans la décision Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 367, au para 19 [Lakatos] : « [c]ependant, toutes les démocraties ne sont pas égales. Il existe toute une gamme, et ce qui est requis pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État varie selon la nature de la démocratie du pays en question » (voir aussi AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 237, au par. 22 [AB], et Alassouli c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 998, aux par. 38 à 42).

[37] C’est au demandeur d’asile que revient le fardeau de produire des éléments de preuve pour réfuter la présomption de la protection de l’État, tout comme lui incombe le fardeau ultime de démontrer au juge, au moyen d’une preuve claire et convaincante, que la protection de l’État est inadéquate (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Flores Carrillo, 2008 CAF 94, aux paras 17 à 21). Habituellement, cela suppose de démontrer soit que le demandeur d’asile a demandé la protection de l’État, mais ne l’a pas obtenue, soit qu’il n’a pas tenté de l’obtenir parce qu’il craignait avec raison de ne pas l’obtenir.

[38] Pour évaluer si la protection de l’État est adéquate, le décideur doit se concentrer sur le caractère adéquat et réel des mesures prises par l’État, plutôt que sur les « efforts » mis de l’avant par le pays pour protéger ses citoyens. Comme l’a déclaré le juge Diner dans la décision Lakatos, au paragraphe 21 : « [a]utrement dit, on ne peut se fier uniquement à la parole de l’État. La protection doit être réelle et adéquate. » Ce critère, comme on l’a souvent répété, ne suppose pas l’existence d’une protection parfaite; il s’agit plutôt simplement d’évaluer si les résultats des mesures prises par l’État sont « adéquats »; bien qu’incontestable, la présomption de la protection de l’État ne permet pas à un décideur d’ignorer les problèmes systémiques qui font en sorte qu’un groupe particulier n’est pas susceptible de bénéficier d’une intervention efficace de l’État face à la persécution (AB, au par. 19; Shaka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 235).

[22] La question de la protection de l’État dans le cas en l’espèce est déterminante car une personne qui peut obtenir la protection de son pays n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention et n’a pas la qualité de personne à protéger (Imloul c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 455 au para 10).

[23] Le point de départ commence à partir de la présomption que l’État peut protéger ses ressortissants. Le demandeur doit ensuite réfuter cette présomption, avec une preuve claire et convaincante, que l’État est incapable ou n’a pas la volonté de le protéger. Ce fardeau impose au demandeur de présenter des éléments de preuve démontrant qu’il a demandé la protection de l’État, mais elle lui a été refusée ou il ne l’a pas obtenue, ou qu’il n’a pas tenté de l’obtenir vu qu’il craignait avec raison de ne pas l’obtenir. Le demandeur doit en convaincre le décideur, selon la prépondérance des probabilités (Lakatos au para 20, citant Ward, à la page 724, Canada (Citoyenneté et Immigration) c Flores Carrillo, 2008 CAF 94, aux para 17-19,21 [Flores Carillo], Orsos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 248, au para 18).

[24] En ce qui a trait au niveau de démocratie et au fardeau de la preuve, le demandeur d’asile provenant d’un pays démocratique devra s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’il n’était pas tenu d’épuiser tous les recours dont il pouvait disposer dans son pays avant de demander l’asile. Donc, il est plus difficile de réfuter la présomption dans certains cas que dans d’autres. En effet, la qualité de la preuve requise pour réfuter la présomption sera proportionnelle au degré de démocratie de l’État (Brzezinski c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 936 au para 23 citant Flores Carillo, au para 26, Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAFR 171 au para 57, Shaka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 235 au para 8).

[25] De son côté, le décideur doit se demander si la revendication de la protection de l’État était raisonnable compte tenu de la situation dans laquelle se trouvait le demandeur. Le décideur doit tenir compte que la notion de protection de l’État peut varier selon la nature de la démocratie du pays en question et du profil du demandeur. Le décideur doit également se concentrer sur le caractère adéquat et réel des mesures prises par l’État, plutôt que sur les « efforts » mis de l’avant par le pays pour protéger ses citoyens. Ce critère, comme on l’a souvent répété, n’exige pas nécessairement l’existence d’une protection parfaite, mais plutôt de savoir si les résultats des mesures prises par l’État sont « adéquats » (Pava au para 38, autres citations omises).

B. L’analyse de la protection de l’État par la SAR n’était pas déraisonnable

[26] En l’espèce, le demandeur avait argumenté devant la SAR qu’il a cherché la protection de l’État et que « malgré les plaintes et tentatives de plainte faites par le demandeur le 1er mai 2018, 21 août 2018, en mars 2020 et en mars 2022 contre l’agent de persécution, la police n'a pas fourni une protection adéquate. » Le demandeur reconnait que l’ agent de persécution a été emprisonné quelque temps après le mois d’août 2018, mais puisqu’il a été libéré à quelque moment avant mars 2020, il a pu attaquer le demandeur à nouveau.

[27] Le demandeur avait plaidé devant la SAR que « [c]es événements témoignent de l'inefficacité de la réponse de la police qui laissé [sic] sortir de prison un criminel notoire » après un an et demi d’incarcération. Le demandeur a fait valoir qu’il avait présenté des raisons valables pour la police d’assurer sa protection et que « [m]algré tout cela, le demandeur n’a eu droit à aucun suivi de la part des forces de l’ordre péruvienne [sic] en ce qui a trait à sa protection. » Le demandeur souligne une défaillance systémique dans la protection des personnes vulnérables et aux témoins vulnérables aux représailles. Il a spécifiquement cité l’onglet 2.1 du CND à cet effet.

[28] L’argument du demandeur quant à la protection de l’État avait ciblé principalement ses entretiens avec la police au Pérou et l’incapacité de la police de pouvoir (ou même vouloir) enquêter et prendre des mesures concrètes à la suite de ses plaintes. Or, l’argument devant la Cour en contrôle judiciaire s’attaque à la qualité d’autres institutions démocratiques pour appuyer son argument que la protection de l’État est « piètre ou presque inexistante ». Il souligne des arguments et d’autres références au CND décrivant le système électoral et le système judiciaire.

[29] Lors de l’audience, le demandeur a concédé avec justesse que sa caractérisation de la démocratie au Pérou telle qu’il l’a présenté devant la Cour n’a pas été présentée à la SAR. Le demandeur n’a également soumis aucun des passages du CND qu’il a cité à la Cour devant la SAR.

[30] Or, il est bien établi par la jurisprudence que, lorsqu’un demandeur d’asile omet de soulever une question devant la SAR, l’argument selon lequel la SAR aurait négligé d’examiner des éléments de preuve relatifs à cette même question ne peut pas soudainement apparaître au stade du contrôle judiciaire et doit être rejeté (Kamara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 13 au para 29, citant Eyitayo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1072 aux para 26-27).

[31] La Cour suprême nous enseigne qu’en contrôle judiciaire, la Cour doit faire l’analyse à savoir si le décideur a réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties afin de déterminer s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise (Vavilov au para 128).

[32] Je ne peux donc souscrire aux arguments du demandeur que son premier argument portant sur l’éventail de la démocratie au Pérou n’était pas un nouvel argument ni que la SAR n’a pas considéré le niveau de démocratie au Pérou du tout dans la Décision sous contrôle. Je conclus que je ne peux considérer ces nouveaux arguments en contrôle judiciaire. La Cour doit se limiter aux arguments que le demandeur a présentés devant la SAR.

[33] Quant à l’analyse qu’a effectuée la SAR, je ne peux également pas souscrire aux arguments du demandeur que la SAR a commis une erreur dans son évaluation de la protection de l’État ou a omis de considérer des facteurs pertinents qu’exige la jurisprudence. À la lecture de la Décision, je suis satisfaite que la SAR ait considéré que le Pérou n’était pas une démocratie parfaite pour concilier les efforts que le demandeur avait décrits, rencontrant donc les exigences des contraintes juridiques et factuelles.

[34] La SAR s’est penchée sur les facteurs pertinents à l’argument que le demandeur lui a présenté. Même si la SAR n’a pas utilisé spécifiquement le terme « éventail » de la démocratie, je suis d’avis que la SAR a considéré le niveau de démocratie au Pérou, concluant que « le Pérou est un pays démocratique doté d'un gouvernement et de services de police imparfaits, certes, mais fonctionnels. » Elle avait noté les problèmes de corruption et que la police ne soit pleinement efficace, mais avait aussi considéré qu’une opération menant à des arrestations en 2022, combiné avec l’incarcération de l’agent de persécution entre 2018 et 2020, démontrent toutefois que l’État peut protéger ses citoyens. Il s’agit d’une référence et considération explicite du niveau de la démocratie au Pérou. De plus, je ne peux conclure qu’il s’agit d’une conclusion déraisonnable.

[35] Dans le cas en l’espèce, la SAR a conclu essentiellement que le demandeur n’a pas suffisamment testé la capacité de l’État de le protéger. Il n’a également pas fourni d’information pertinente pour suffisamment munir la police pour l’aider et il n’a donc pas pu démontrer que la police (ou d’autres agences) ne voulait pas ou ne pouvait pas l’aider. Ainsi, la SAR a conclu que le demandeur n’a pu renverser la présomption de la protection de l’État. Elle fournit sa justification et explique pourquoi elle n’accepte pas les explications du demandeur.

[36] Par exemple, il n’est pas contesté que dans sa plainte à la police en mars 2022, le demandeur n’a fait aucune mention de son agression en 2020 et du fait que ses assaillants travaillaient pour son agent de persécution. Il était loisible à la SAR de conclure que le demandeur n’avait effectivement pas lié ses plaintes et agressions à travers les années au même agent de persécution. Le demandeur avait également tenté d’expliquer devant la SPR pourquoi il n’avait pas fait de suivi auprès de la police en 2018. Cependant, la SAR n’a pas accepté cette explication et avait conclu qu’elle ne pouvait justifier l’absence de retour des autorités policières par un refus d’intervenir allégué. La SAR avait décrit la preuve qui étayait ses conclusions que le demandeur n’avait pas démontré avoir fait des suivis à la suite de ses plaintes ou d’avoir tenté de contacter d’autres autorités.

[37] La Décision constitue une issue raisonnable. En appliquant la norme de la décision raisonnable, la Décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence et elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85).

VI. Conclusion

[38] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[39] Les parties ont confirmé qu’il n’y avait aucune question à certifier et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-16734-24

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Phuong T.V. Ngo »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-16734-24

INTITULÉ :

EDISON ALEXANDER GONZALEZ ROJAS c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 OCTOBRE 2025

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE NGO

DATE DES MOTIFS :

LE 29 OCTOBRE 2025

COMPARUTIONS :

Me Fabiola Ferreyra Coral

Pour le demandeur

Me Larissa Foucault

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ROA SERVICES JURIDIQUES

Avocats

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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