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Date : 20060915

Dossier : T-427-06

Référence : 2006 CF 1101

OTTAWA (Ontario), le 15 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

 

ENTRE :

SOLVAY PHARMA INC. et

ALTANA PHARMA AG

demanderesses

et

 

APOTEX INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I.                    Contexte

[1]               La présente requête découle d’une demande d’ordonnance d’interdiction fondée sur le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (le Règlement). Le 18 janvier 2006, la défenderesse Apotex Inc. (Apotex) a signifié un avis d’allégation dans lequel elle alléguait la non‑contrefaçon des brevets canadiens 2,092,694 (le brevet 694) et 2,089,748 (le brevet 748). Le 9 mars 2006, les demanderesses Pharma Inc. et Altana Pharma AG ont engagé des procédures en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le ministre) de délivrer un avis de conformité à Apotex à l’égard de ses comprimés projetés de pantoprazole sodique de 20 mg et de 40 mg (les comprimés).

[2]               Dans un avis de requête daté du 5 avril 2006, les demanderesses ont demandé à la Cour une ordonnance obligeant Apotex à produire des échantillons des comprimés. Dans une ordonnance datée du 27 juin 2006, la protonotaire Milczynski a ordonné à Apotex de fournir aux demanderesses des précisions au sujet de la formulation des comprimés qu’elle avait déposés auprès du ministre relativement à l’avis d’allégation, notamment la méthodologie de dissolution et les données s’y rapportant. Dans la même ordonnance, la protonotaire a rejeté la requête en production d’échantillons. Les demanderesses ont interjeté appel de la décision de la protonotaire à l’égard de la production d’échantillons. La Cour a rejeté l’appel dans une ordonnance datée du 28 juillet 2006.

 

[3]               La requête du 5 avril 2006 visant la production d’échantillons (la requête concernant les échantillons) a été présentée en vertu du paragraphe 6(7) du Règlement. Il est possible, en vertu du paragraphe 6(7), d’exiger la production d’un échantillon s’il a été soumis au ministre dans le cadre d’une présentation abrégée de drogue nouvelle (la PADN). Apotex n’avait pas soumis d’échantillon au ministre et les demanderesses ne peuvent donc pas se prévaloir du paragraphe 6(7). La présente requête, qui a été introduite par un avis de requête daté du 9 août 2006, vise à obtenir une ordonnance obligeant Apotex à fournir des échantillons des comprimés aux demanderesses. Dans la présente requête, les demanderesses soutiennent que la Cour peut dans l’exercice de sa compétence inhérente exiger la production des comprimés.

 

II.                 Les arguments des demanderesses

[4]               Les demanderesses soutiennent que la jurisprudence antérieure à l’adoption du paragraphe 6(7) du Règlement établit que la Cour a une compétence inhérente lui permettant d’ordonner une production restreinte dans un cas approprié, si la pertinence des renseignements a été établie par la partie demandant la production. Les demanderesses se fondent notamment sur la décision SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc. (1999), 3 C.P.R. (4th) 22 (C.F. 1re inst.), pour soutenir qu’avant que le paragraphe 6(7) soit édicté, la Cour avait le pouvoir discrétionnaire d’ordonner la production de renseignements confidentiels dans une procédure concernant un avis d’allégation. Les demanderesses invoquent également plusieurs autres décisions dans lesquelles la production a été ordonnée sur le fondement de la compétence inhérente de la Cour (Janssen Pharmaceutical Inc. c. Apotex Inc. (1996), 68 C.P.R. (3d) 114 (C.F. 1re inst.), Eli Lilly and Co. c. Novopharm Limited (1996), 69 C.P.R. (3d) 81 (C.F. 1re inst.), et Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1994), 53 C.P.R. (3d) 368 (C.F. 1re inst.) [Merck Frosst]). Les demanderesses soutiennent qu’un tel pouvoir discrétionnaire existe encore même si le paragraphe 6(7) a été édicté.

 

[5]               Les demanderesses affirment que l’arrêt AB Hassle c. Apotex Inc., 2004 CAF 255 [AB Hassle], a établi que la Cour peut ordonner la production d’échantillons avant le contre‑interrogatoire lorsque les échantillons sont mentionnés dans les affidavits. Elles reconnaissent que la conclusion tirée dans l’arrêt Ab Hassle ne s’applique pas directement à la présente requête étant donné qu’Apotex n’a pas encore déposé d’affidavits dans lesquels les échantillons sont mentionnés. Les demanderesses font valoir que le pouvoir discrétionnaire d’ordonner la production qui existait dans la jurisprudence avant l’adoption du paragraphe 6(7) permet à la Cour d’appliquer la conclusion tirée dans l’arrêt AB Hassle pour exiger la production d’échantillons même avant le dépôt d’affidavits dans lesquels il est fait mention des analyses des échantillons. Les demanderesses affirment qu’une telle application de la conclusion tirée dans l’arrêt AB Hassle serait la façon la plus commode de procéder en l’espèce.

 

[6]               En prévision de la présentation par Apotex d’un argument fondé sur la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, les demanderesses soutiennent qu’elles peuvent à bon droit demander une ordonnance de production parce que la présente requête est nouvelle. Elles affirment que la nouvelle preuve avancée dans la présente requête la distingue de la requête concernant les échantillons et que cette preuve devrait changer la nature de la requête. Cette nouvelle preuve est l’affidavit de M. J. McGinity, qui allègue que les données relatives à la méthodologie concernant la dissolution qu’Apotex a fournies aux demanderesses ne sont pas suffisantes pour permettre de déterminer s’il y a contrefaçon du brevet 694 et du brevet 748.

 

III.               Les arguments de la défenderesse

[7]               Selon Apotex, la requête devrait être rejetée parce que les doctrines de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de l’abus de procédure s’appliquent afin d’empêcher les demanderesses de déposer la présente requête étant donné que la requête concernant les échantillons a déjà été entendue et rejetée.

 

[8]               Apotex fait valoir que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée peut être invoquée lorsque trois conditions sont réunies : (1) la question est la même que celle qui a déjà été tranchée dans la décision antérieure, (2) la décision judiciaire antérieure est finale et (3) les parties sont les mêmes dans chacune des instances (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460 [Danyluk]). Apotex affirme que les trois conditions sont réunies. Premièrement, la présente requête est essentiellement la même que la requête concernant les échantillons. Deuxièmement, la décision de la protonotaire était finale. Troisièmement, la requête concernant les échantillons visait une décision entre les mêmes parties que celles qui sont en cause dans la présente requête.

 

[9]               Apotex affirme également que l’octroi de la présente requête constituerait un abus de procédure et que les juges ont un pouvoir discrétionnaire résiduel inhérent leur permettant d’empêcher un abus de la procédure de la cour (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77; AB Hassle c. Apotex Inc. (2005), 38 C.P.R. (4th) 216 (C.F. 1re inst.)). Selon Apotex, l’octroi de la présente requête violerait des principes judiciaires tels que la cohérence, le caractère définitif des instances et l’intégrité de l’administration de la justice étant donné que les questions en litige ont déjà été tranchées par la Cour.

 

[10]           Enfin, Apotex affirme que la Cour n’a pas compétence pour rendre une ordonnance de production d’échantillons à moins que le ministre n’ait un échantillon à sa disposition. Apotex fait valoir qu’il n’y a aucun précédent étayant l’argument des demanderesses selon lequel la Cour a compétence inhérente pour ordonner la production d’échantillons et elle affirme que la jurisprudence indique clairement que la production d’échantillons ne peut être exigée que si des échantillons ont été fournis au ministre. Apotex souligne que, dans tous les cas invoqués par les demanderesses, le ministre avait les renseignements dont la production était exigée.

 

[11]           Apotex soutient en outre que l’adoption du paragraphe 6(7) l’emporte sur tout pouvoir discrétionnaire que la Cour peut avoir possédé. À cet égard, Apotex mentionne la décision Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2003), 24 C.P.R. (4th) 259, paragraphe 26 (C.F. 1re inst.), où la juge Snider de la Cour fédérale a dit que : « Les cas exceptionnels dans lesquels la production est requise sont clairement précisés dans ce paragraphe et leur nombre ne devrait pas être augmenté en l’absence d’une indication claire dans la loi. »

 

IV.              Analyse

[12]           Les parties s’entendent pour dire que la Cour ne peut pas ordonner la production d’échantillons en vertu du paragraphe 6(7) du Règlement à moins que des échantillons n’aient été soumis au ministre dans le cadre de la PADN; toutefois, elles ne s’entendent pas sur la question de savoir s’il est possible d’exiger la production d’échantillons en vertu de quelque autre règle lorsqu’un échantillon n’a pas été soumis au ministre dans le cadre de la PADN.

 

[13]           Dans l’arrêt AB Hassle, la Cour d’appel fédérale a examiné les circonstances dans lesquelles il serait possible d’exiger la production d’échantillons indépendamment du paragraphe 6(7). Dans cette affaire, une partie avait demandé des échantillons à l’autre partie et elle ne les a reçus que lorsque la production des échantillons pouvait être exigée, un témoin ayant fait une déposition et ayant été contre‑interrogé au sujet de l’analyse des échantillons. La Cour d’appel fédérale a statué que, lorsque la production ne pouvait pas être exigée en vertu du paragraphe 6(7), il convenait d’exiger la production des échantillons au moment du contre‑interrogatoire. Répondant aux questions soulevées au sujet de la célérité, la Cour a statué qu’il était possible d’exiger la production des échantillons avant le contre‑interrogatoire. Je cite le passage pertinent de cette décision :

À mon avis, dans des circonstances où l’on ne peut recourir au processus de divulgation prévu au paragraphe 6(7) du Règlement parce que les échantillons n’ont pas été remis au ministre et où la deuxième personne en fait l’analyse et dépose une preuve par affidavit des résultats de ces analyses durant la procédure d’interdiction, le souci de la célérité, de l’équité et de l’intérêt général de la justice donne à la première personne le droit, immédiatement après le dépôt, de demander par voie de requête la production de ces échantillons pour les analyser elle‑même.

(AB Hassle, précité, paragraphe 11)

 

 

[14]           Les demanderesses ne peuvent pas exiger la production en se fondant sur la règle établie dans l’arrêt AB Hassle étant donné qu’Apotex n’a pas déposé d’affidavits portant sur la question de l’analyse des comprimés.

 

[15]           Selon les demanderesses, élargir le souci de la célérité devrait obliger la Cour à utiliser sa compétence inhérente pour l’application de la règle énoncée dans l’arrêt AB Hassle de façon à permettre à la Cour d’ordonner la production d’échantillons même avant le dépôt d’affidavits. À mon avis, le souci de la célérité, même s’il est important, ne peut pas servir à justifier le changement de nature de l’instance et de portée de la divulgation dans les demandes présentées en vertu du Règlement qui visent à empêcher le ministre de délivrer un avis de conformité. Dans l’arrêt AB Hassle, la Cour mentionne certaines décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale dans lesquelles ces dernières ont souligné la portée limitée de la communication de documents dans ce type de procédure (AB Hassle, précité, paragraphe 8, citant Merck Frosst, précité; Hoffman‑La Roche Ltd. c. Ministre de la Santé et du Bien‑être social et al. (1996), 67 C.P.R. (3d) 484). Le prononcé d’une ordonnance de production d’échantillons avant le dépôt d’affidavits change énormément la portée de la communication.

 

[16]           À mon avis, dans ce type d’instance, des échantillons ne peuvent être exigés que dans deux cas : premièrement, en vertu du paragraphe 6(7) du Règlement et, deuxièmement, lorsque la preuve relative à l’analyse des échantillons a été déposée devant la Cour. Étant donné qu’aucun de ces deux cas ne s’applique aux demanderesses, la requête devrait être rejetée.

 

[17]           La requête devrait être rejetée pour les motifs susmentionnés; toutefois, je vais examiner brièvement la question de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée qui a été soulevée par Apotex.

 

[18]           Apotex a fait valoir que les trois conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée qui ont été énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Danyluk sont présentes en l’espèce : 1) la question est la même que celle qui a été tranchée dans la décision antérieure, (2) la décision judiciaire antérieure est finale, et (3) les parties sont les mêmes dans chacune des instances. Je conviens avec Apotex que les trois conditions sont réunies en l’espèce. Dans la présente requête, la question est la même que celle qui se posait dans la requête concernant les échantillons, sauf que la première requête a été présentée en vertu du paragraphe 6(7). La décision de la protonotaire était finale et l’appel de la décision rendue par la protonotaire l’était également. La dernière condition est facilement remplie étant donné que les parties à la première requête sont également parties à la présente requête.

 

[19]           Selon moi, l’argument des demanderesses selon lequel la présente requête est différente de la requête concernant les échantillons n’est pas convaincant. La preuve par affidavit que les demanderesses ont soumise afin de prouver que la production des échantillons est essentielle à leur cause ne change aucunement l’analyse de la question de savoir si la production devrait être ordonnée.

 

[20]           Dans l’arrêt Danyluk, précité, au paragraphe 62, la Cour suprême a statué que, même lorsque les trois conditions qui s’appliquent à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont réunies, la Cour a néanmoins le pouvoir discrétionnaire de déterminer s’il y a lieu d’appliquer la doctrine. Au paragraphe 80, la Cour énumère un certain nombre de facteurs à prendre en compte pour décider si un tribunal devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour appliquer la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, le facteur le plus important étant de savoir si l’application de la doctrine entraîne une injustice dans ce cas particulier. À mon avis, l’application à la présente requête de la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne serait pas injuste parce que les demanderesses pourraient encore exiger la production des échantillons à un stade ultérieur de la demande si des affidavits portant sur l’analyse des échantillons étaient déposés.

 

V.                 Conclusion

[21]           La requête en production d’échantillons que les demanderesses ont présentée est rejetée. Les ordonnances prévoyant la production d’échantillons devraient être autorisées en vertu du paragraphe 6(7) du Règlement ou lorsque des affidavits portant sur l’analyse des échantillons auront été déposés.

 

[22]           La présente requête est également rejetée pour le motif que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique. La question de savoir s’il est possible d’exiger la production d’échantillons a déjà été tranchée par la protonotaire dont la décision a été confirmée en appel. En outre, il n’existe aucun motif impérieux permettant à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire afin de ne pas appliquer en l’espèce la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente requête soit rejetée avec dépens.

 

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-427-06

 

INTITULÉ :                                                   SOLVAY PHARMA INC. et ALTANA PHARMA AG

                                                                        c.

                                                                        APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 14 AOÛT 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 15 SEPTEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ken Clark

POUR LES DEMANDERESSES

 

Andrew Brodkin

Eric Peterson

 

POUR LA DÉFENDERESSE Apotex

POUR LE DÉFENDEUR, le ministre de la Santé

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling, Lafleur, Henderson, LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

 

Goodmans LLP

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE Apotex

 

POUR LE DÉFENDEUR, le ministre de la Santé

 

 

 

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