Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

               

 

 

Date : 20060915

Dossier : IMM-6075-05

Référence : 2006 CF 1100

OTTAWA (ONTARIO), le 15 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE VON FINCKENSTEIN

 

ENTRE :

ELLAH ADOMAKO

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La demanderesse est une citoyenne du Ghana âgée de 34 ans qui s’est enfuie au Canada le 19 janvier 2003 parce qu’elle craignait que son ex‑époux lui cause un préjudice grave. Le 24 janvier 2003, elle a demandé l’asile, mais la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande le 11 mai 2004 parce qu’il existait pour la demanderesse une protection de l’État adéquate au Ghana.

 

[2]               Le 13 novembre 2004, la demanderesse a épousé Frederick Apiah‑Danson, un résident permanent du Canada.

 

[3]               Le 18 février 2005, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) a annoncé que les conjoints sans statut de résidents canadiens seraient autorisés à présenter une demande de parrainage depuis le Canada. Toutefois, cette politique ne s’appliquait pas aux cas de demandeurs « prêts au renvoi », c’est‑à‑dire lorsque le demandeur avait reçu les documents nécessaires pour présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Les demandeurs visés par une mesure de renvoi mais qui n’étaient pas « prêts au renvoi » avaient droit à une suspension administrative de 60 jours pendant que leur dossier était traité de façon accélérée.

 

[4]               Le 4 avril 2005, la demanderesse a été convoquée au bureau de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) et on lui a remis un formulaire de demande d’ERAR. À ce moment‑là, la demanderesse était réputée être « prête au renvoi ».

 

[5]               La demanderesse affirme que son mari et elle avaient initialement envisagé de soumettre une demande de parrainage conjugal à l’étranger par l’entremise du bureau du Haut‑commissariat du Canada au Ghana (le HCC au Ghana). Toutefois, une fois que la politique du ministre a été annoncée, ils ont décidé de présenter une demande depuis le Canada. Malheureusement, ils n’avaient pas rassemblé tous les documents nécessaires lorsqu’ils ont été convoqués à l’entrevue relative à l’ERAR le 4 avril 2005. Par la suite, lorsqu’ils ont découvert que la nouvelle politique ne s’appliquait pas aux demandeurs qui étaient « prêts au renvoi », la demanderesse a déposé une demande de parrainage conjugal à l’étranger, au bureau de CIC à Mississauga le 11 avril 2005.

 

[6]               Le 24 juin 2005, le bureau de CIC à Mississauga a conclu que le mari de la demanderesse avait le droit de parrainer la demanderesse. Toutefois, le 11 août 2005, le HCC au Ghana les a informés que le traitement d’une demande de conjoint prenait en moyenne 21 mois.

 

[7]               Le 14 septembre 2005, la demanderesse a reçu une décision défavorable à l’égard de l’ERAR ainsi qu’une directive lui enjoignant de se présenter pour son renvoi le 12 octobre 2005.

 

[8]                 Le 2 octobre 2005, la demanderesse a présenté une demande de suspension de la mesure de renvoi en invoquant des motifs d’ordre humanitaire parce qu’une séparation de longue durée d’avec son mari risquait de leur causer des difficultés excessives. S’appuyant sur la nouvelle politique du ministre, qui visait à atténuer les difficultés dans les cas de parrainage conjugal, l’avocat de la demanderesse a soutenu, dans une lettre datée du 3 octobre 2005, qu’une suspension temporaire de la mesure de renvoi devait être accordée pour des motifs d’ordre humanitaire, et ce, pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

1.                  Permettre à la demanderesse de présenter une demande depuis le Canada conformément au programme des conjoints au Canada.

 

2.                  Permettre à la demanderesse de rester au Canada avec son mari jusqu’à ce que le HCC au Ghana la convoque à une entrevue personnelle au sujet de sa demande de conjoint.

 

Décision

[9]               La demande de suspension a été refusée le 7 octobre 2005. L’agent chargé du renvoi a dit : [traduction] « Étant donné que ni l’une ni l’autre de ces situations n’est reconnue aux fins de la suspension administrative d’une mesure de renvoi en vertu de la LIPR, je ne crois pas que les circonstances de l’affaire justifient une telle suspension. »

 

Question en litige

[10]           La demanderesse soutient que l’agent chargé du renvoi avait le pouvoir discrétionnaire de suspendre la mesure de renvoi (en attendant l’examen d’une demande de conjoint présentée à l’étranger à titre de membre de la catégorie du regroupement familial) jusqu’à ce que la demanderesse soit convoquée à une entrevue personnelle à l’étranger, et que l’agent chargé du renvoi a entravé son pouvoir discrétionnaire à cet égard en se limitant aux situations qui étaient [traduction] « reconnues aux fins de la suspension administrative d’une mesure de renvoi en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ».

 

NORME DE CONTRÔLE

[11]           La Cour a établi que la norme de contrôle applicable à la décision de l’agent chargé du renvoi de refuser de différer une mesure de renvoi est celle de la décision manifestement déraisonnable (Zenunaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 2133).

 

ANALYSE

[12]           Le pouvoir discrétionnaire de l’agent chargé du renvoi est énoncé au paragraphe 48(2) de la LIPR, qui est rédigé comme suit :

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

 

[13]           Le juge Pelletier a analysé ce pouvoir discrétionnaire dans la décision Wang c. Canada (M.C.I.), [2001] A.C.F. no 295. Après avoir examiné les limites logiques du pouvoir de « différer », le juge Pelletier a décrit le pouvoir discrétionnaire comme suit, au paragraphe 48 :

Il est admis qu’il existe un pouvoir discrétionnaire de différer l’exécution du renvoi, bien que les limites de ce pouvoir discrétionnaire ne soient pas définies. L’octroi de ce pouvoir discrétionnaire se trouve dans le même article qui impose l’obligation d’exécuter les mesures de renvoi, une juxtaposition à laquelle il faut accorder tout son sens. Dans son sens le plus large, le pouvoir discrétionnaire de différer ne devrait en toute logique être exercé que dans des circonstances où la procédure à laquelle on défère peut avoir comme résultat que la mesure de renvoi devienne nulle ou de nul effet. Le report dont le seul objectif est de retarder l’échéance ne respecte pas les impératifs de la Loi. Un exemple de politique qui respecte le pouvoir discrétionnaire de différer tout en limitant son application aux cas qui respectent l’économie de la Loi est de réserver l’exercice de ce pouvoir aux affaires où il y a des demandes ou procédures pendantes et où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu’il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain, alors qu’un report pourrait faire que la mesure devienne de nul effet. Dans de telles circonstances, on ne pourrait annuler les conséquences d’un renvoi en réadmettant la personne au pays par suite d’un gain de cause dans sa demande qui était pendante. Les affaires comme celle‑ci, qui causent des difficultés à la famille, sont malheureuses, mais on peut y remédier par une réadmission.

 

[14]           Dans la décision Simoes c. M.C.I, [2000] A.C.F. no 936, le juge Nadon a statué ce qui suit, au paragraphe 12 :

À mon avis, le pouvoir discrétionnaire que l’agent chargé du renvoi peut exercer est fort restreint et, de toute façon, il porte uniquement sur le moment où une mesure de renvoi doit être exécutée. En décidant du moment où il est « raisonnablement possible » d’exécuter une mesure de renvoi, l’agent chargé du renvoi peut tenir compte de divers facteurs comme la maladie, d’autres raisons à l’encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n’ont pas encore été réglées à cause de l’arriéré auquel le système fait face.

 

[15]           L’agent chargé du renvoi en l’espèce a tenu compte de la situation de la demanderesse dans son ensemble. Il était parfaitement au courant de la situation de la demanderesse, de la nouvelle politique du ministre et de la suspension administrative que prévoyait cette politique.

 

[16]           Il ressort clairement de l’affidavit de la demanderesse qu’elle a initialement envisagé de soumettre une demande à l’étranger, mais qu’elle a décidé de tirer parti de la nouvelle politique du ministre l’autorisant à soumettre une demande depuis le Canada; toutefois, elle a tardé à le faire. Une fois qu’elle n’était plus admissible parce qu’elle était « prête au renvoi », la demanderesse a encore une fois changé d’idée et elle a plutôt déposé une demande à l’étranger, tout en sachant fort bien qu’elle devrait quitter le pays. Une fois qu’elle s’est rendu compte que l’arriéré important dans le traitement des demandes de conjoint à Accra entraînerait un délai de 21 mois, elle a demandé une suspension en invoquant des motifs d’ordre humanitaire.

 

[17]           Étant donné que, par définition, une demande présentée à l’étranger signifie en l’espèce un retour volontaire au Ghana, le seul motif que pouvait invoquer la demanderesse dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaires était la séparation de la famille. Une séparation comporte incontestablement des difficultés, mais il a été décidé à maintes reprises dans la jurisprudence que la simple séparation de la famille ne constitue pas un motif suffisant permettant de différer le renvoi pour des motifs d’ordre humanitaire (Voir Wang, précitée, paragraphe 48; Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 1082, paragraphe 18; Rettegi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 194, paragraphe 16.)

 

[18]           Les agents chargés du renvoi possèdent un pouvoir discrétionnaire limité et, par conséquent, leurs motifs de décision sont souvent peu étoffés et ne sont peut‑être pas aussi bien rédigés qu’ils devraient l’être. Il faut lire ces motifs dans leur ensemble au lieu de s’arrêter à une seule phrase et de l’interpréter d’une façon trop littérale. En l’espèce, il ressort de l’examen de la décision dans son ensemble que l’agent chargé du renvoi était au courant de toute la situation et qu’il a tenu compte de tous les facteurs pertinents. J’interprète cette décision comme voulant dire qu’eu égard aux circonstances de l’affaire, la demanderesse n’a pas fait valoir de faits la rendant admissible à un examen fondé sur des motifs d’ordre humanitaire et qu’elle n’a pas non plus établi qu’elle respectait les conditions d’une suspension administrative.

 

[19]           Par conséquent, je conclus que l’agent chargé du renvoi n’a pas entravé son pouvoir discrétionnaire ou qu’il n’est pas arrivé à une décision manifestement déraisonnable. La demande ne peut donc pas être accueillie.

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée.

 

« Konrad W. von Finckenstein »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-6075-05

 

INTITULÉ :                                                   ELLAH ADOMAKO

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 13 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE von FINCKENSTEIN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 15 SEPTEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Korman

POUR LA DEMANDERESSE

 

Negar Hashemi

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.