Date : 20251022
Dossier : IMM-16031-23
Référence : 2025 CF 1712
Ottawa (Ontario), le 22 octobre, 2025
En présence de l’honorable juge Roy
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ENTRE : |
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demandeur |
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et |
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MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Cette demande de contrôle judiciaire autorisée aux termes de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], doit être rejetée sommairement après l’audition des parties. Voici pourquoi.
La SPR et la SAR
[2] Tant la Section de la protection des réfugiés [SPR] que la Section d’appel des réfugiés [SAR] en sont venues à la conclusion que le demandeur n’a jamais été en mesure d’établir son identité à titre personnel et comme citoyen de la République démocratique du Congo [RDC] où il prétend devoir craindre pour sa sécurité.
[3] C’est que le demandeur prétend avoir fui son pays de nationalité pour l’Angola le 4 juin 2009. De fait, d’autres documents situent son départ pour l’Angola au 15 décembre 2007. En outre le narratif de l’incident ayant provoqué son départ varie de façon sensible d’une version à l’autre. Il se serait obtenu des documents en Angola lui permettant d’y résider et d’y travailler. Cela inclut le passeport angolais utilisé pour entrer aux États-Unis. Ces documents auraient été frauduleux, si bien qu’il fut arrêté par les autorités angolaises en décembre 2018, mais aurait réussi à fuir avec son passeport angolais, se retrouvant aux États-Unis le 27 décembre 2018 pour finalement arriver au Canada le même jour. Il ne s’était pas présenté à un point d’entrée, entrant au pays par Roxham Road, au Québec.
[4] Tant la SPR que la SAR n’ont pas été satisfaits des pièces d’identité que le demandeur a pu produire. Le demandeur possédait un passeport de l’Angola à son arrivée au pays. Il a produit d’autres documents éventuellement qui ont tous été rejetés à cause de déficiences multiples :
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-acte de naissance
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-copie intégrale d’acte de naissance
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-jugement supplétif
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-certificat de nationalité
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-certificat de baptême et preuves dites scolaires
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-acte de mariage
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-lettre du père du demandeur
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-attestation des pertes de pièces d’identité
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-certificats de formation et diplômes d’état
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-certificat de naissance de l’hôpital
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-passeport congolais obtenu après l’arrivée au Canada.
[5] Pour tous et chacun desdits documents, la SPR et la SAR ont identifié des difficultés significatives. Entre autres, un acte de naissance rédigé après l’arrivée au Canada qui contient des informations différentes d’un « jugement supplétif »
avec une date de naissance de la mère qui varie selon les documents de quatre ans. De fait, les documents auraient été produits après l’arrivée au Canada sur simple déclaration.
[6] Dans un extrait de naissance, le nom de la mère varie du nom présenté lors de son témoignage par le demandeur. Le certificat de citoyenneté, délivré en 2022 contient ses propres irrégularités. En effet, on y déclare la résidence du demandeur comme étant en RDC qu’il a quittée en 2009 ou 2007. De fait, il n’a pas été obtenu directement par le demandeur mais plutôt, selon le demandeur, par ses parents sur production d’un acte de naissance. Or, ce document n’a aucune valeur probante selon les tribunaux administratifs.
[7] Ni le certificat de baptême ni les relevés scolaires ne comportent des caractéristiques minimales de sécurité. De fait, l’année de naissance du demandeur varie. L’acte de mariage souffre d’incongruités du même acabit. Il témoigne s’être marié à une date donnée, mais l’acte de mariage présenté porte une autre date tandis qu’un formulaire d’immigration porte une troisième date. Dans le même ordre d’idée, la date de naissance de son épouse a été crûment modifiée. À l’audience, le demandeur prétend que c’était pour corriger une erreur. Pourtant, le fondement de la demande d’asile du demandeur indique la date qui aurait été erronée et requérant une modification à la main de l’acte de mariage. En plus, l’acte de mariage omet le prénom du demandeur.
[8] Le témoignage du père est en fait une lettre manuscrite qui ne peut constituer un document d’identité quelconque. On n’y retrouve même pas le nom complet, la date et le lieu de naissance, et la citoyenneté du demandeur. L’attestation de la perte des pièces d’identité ne mérite aucune valeur probante puisque ce type du document n’est plus produit depuis 2006.
[9] Les certificats de formation et diplômes ne sont d’aucune utilité sans établir le lien entre eux et le demandeur. Le certificat de naissance de l’hôpital n’est pas davantage utile alors que le nom de l’enfant n’y apparaît pas.
[10] Enfin, les tribunaux administratifs étaient confrontés à deux passeports. L’un, un passeport angolais, utilisé par le demandeur pour obtenir accès au visa américain l’amenant en sol nord-américain, d’où il a choisi d’entrer illégalement au Canada, et l’autre obtenu de l’ambassade au Canada de la RDC après son arrivée au Canada. Le demandeur a prétendu que c’est le passeport angolais qui était faux. Pour justifier son assertion, le demandeur dit ne répondre à aucune condition lui permettant d’avoir un tel passeport.
[11] La SAR a reproduit les huit paragraphes provenant de la décision de la SPR (au para 23). Non seulement la SAR endosse l’analyse dite « minutieuse »
de la SPR, mais elle procède à sa propre analyse du passeport angolais pour se satisfaire que le demandeur n’a pas réussi à en réfuter la présomption de validité. Cela constitue une preuve de citoyenneté si la présomption tient : le fardeau d’en démontrer la fausseté est sur le demandeur. Ce fardeau n’est pas déchargé par la seule affirmation d’un demandeur qui a utilisé le titre de voyage et a obtenu un visa des États-Unis sur cette base. Le détenteur du passeport est présumé citoyen du pays d’émission. La SAR écrit :
[35] Selon ma propre analyse de votre dossier, la SPR ne pouvait pas conclure que vous avez établi votre identité en tant que citoyen de la RDC, alors que vous avez utilisé, pendant des années, un passeport angolais et que vous avez obtenu des autorités américaines un visa vous identifiant comme étant de nationalité angolaise. Vous n’avez pas établi d’une manière crédible que vous n’êtes pas un citoyen angolais. Le fait que vous ayez fourni des documents à l’appui de votre allégation selon laquelle vous êtes un citoyen de la RDC ne permettait pas de résoudre l’impasse, alors que plusieurs de ces documents contenaient des irrégularités ou qu’il n’était pas possible de leur accorder une valeur probante.
La prétention et l’analyse
[12] Pour seul argument, le demandeur prétend que la décision ne serait pas raisonnable. Pour ce faire, il se réclame de l’arrêt Maldonado c Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1980] 2 CF 302, où la Cour d’appel fédérale déclarait tout simplement que qui témoigne devrait être cru, à moins bien sûr qu’il « n’existe des raisons d’en douter »
(p 305). Les raisons d’en douter ont pour effet de faire tomber cette présomption qui, ultimement, n’est rien d’autre qu’une reconnaissance des fardeaux applicables lorsqu’une preuve est produite. On ne commence pas avec une présomption que la preuve est illégale ou sans valeur probante (R c Leboucan, 2010 CSC 12, [2010] 1 RSC 397). La règle de Common Law est plutôt que le juge des faits apprécie le témoignage de chaque témoin en tenant compte de tous les éléments de preuve (R c Thain, 2009 ONCA 223; R c Clark, 2012 CACM 3; cités à répétition depuis).
[13] À défaut de contrecarrer les différentes raisons données pour lesquelles le demandeur ne devrait pas être cru, la décision de la SAR sera retenue.
[14] Selon ce que démontre le défendeur, la SAR avait amplement de raisons de réfuter les preuves documentaires et testimoniales de ce demandeur. Sa décision est raisonnable.
[15] Le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau sur contrôle juidiciaire. C’était à lui de démontrer que la décision devant la Cour était déraisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653, au para 100). Or, en ces matières, il est bien connu et reconnu que l’identité est un élément primordial pour qui fait une demande d’asile. La crédibilité est essentielle sur cette question de fait (Hodanu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 474). Qui plus est, des documents acceptables qui permettent d’établir l’identité ont une importance toute particulière vu l’article 106 de la LIPR (Hadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 590, Singh c Canada (ministre de la citoyenneté et de l'immigration), 2003 CFPI 556). Ces passages tirés de Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Gebrewold, 2018 CF 374, me semblent très parlants et n’ont pas été contestés :
[21] Comme j’ai eu l’occasion de le rappeler encore récemment, l’identité, suivant une jurisprudence constante de cette Cour, demeure la pierre d’assise du régime canadien d’immigration (Bah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 373 au para 7; voir aussi Canada (Ministre de la de Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2004 CF 1634 au para 38; Canada (Citoyenneté et Immigration) c X, 2010 CF 1095 au para 23, 375 FTR 204). Il en est ainsi parce que plusieurs éléments importants de la mise en œuvre de ce régime, tels l’admissibilité au Canada, l’évaluation du besoin de protection, l’appréciation du danger pour la sécurité publique au Canada ou la propension à se plier ou non aux contrôles exigés par la Loi, en dépendent.
[22] D’ailleurs, suivant l’article 106 de la Loi, le fait pour l’étranger qui se présente au Canada sans papiers d’identité acceptables de ne pouvoir ni en justifier la raison ni démontrer avoir pris les mesures voulues pour s’en procurer, peut affecter sa crédibilité auprès de la SPR.
Le genre de détermination au sujet de l’identité de quelqu’un qui prétend être un réfugié est au cœur de l’expertise d’un décideur administratif comme la SPR. La SAR s’est déclarée en complet accord et il eut fallu une démonstration convaincante du demandeur pour s’éviter la déférence due (Vavilov, au para 85).
[16] Cette démonstration n’est jamais venue. Au mieux, le demandeur a invoqué à l’appui de sa prétention à son identité les mêmes éléments qui ont été jugés déficients, mais sans jamais expliquer en quoi les déficiences, nombreuses et significatives, ne sont pas avérées et déterminantes. Il n’a pas été établi que la décision administrative n’était pas raisonnable.
[17] Il ne peut en résulter que la conclusion doive être que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT au dossier IMM-16031-23
LA COUR STATUE ce qui suit :
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La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
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Aucune question n’est à être certifiée en vertu de l’article 74 de la LIPR.
« Yvan Roy »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIER : |
IMM-16031-23 |
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INTITULÉ : |
OLIVIER MAKEZA MBUBI c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
montréal (québec) |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 20 octobre 2025 |
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE Roy |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 22 octobre, 2025 |
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COMPARUTIONS :
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Me Martin Lotard Bayigwalag |
Pour lA demanderESSE |
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Me Mario Blanchard |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
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MBL Avocat Montréal, Québec |
Pour lA demanderESSE |
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Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour le défendeur |