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Date : 20060914

Dossier : T-891-06

Référence : 2006 CF 1095

Ottawa (Ontario), le 14 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

 

ENTRE :

38867227 Canada Inc.

demanderesse

et

 

Eagle Pack Pet Foods Inc.

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une requête présentée par la défenderesse Eagle Pack Pet Foods, Inc. (la défenderesse) en vue d’obtenir une ordonnance radiant les paragraphes 8 et 10 de la déclaration de 38867227 Canada Inc. (la demanderesse) conformément à l’article 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/1998‑106, ou, subsidiairement, une ordonnance enjoignant à la demanderesse de fournir des précisions au sujet des paragraphes 8 et 10 de la déclaration conformément au paragraphe 181(2) des Règles des Cours fédérales. De plus, une demande a également été présentée afin d’obtenir l’autorisation de déposer, le cas échéant, une défense dans les 30 jours suivant la date de la présente décision.

 

I.  Contexte

 

[2]               La demanderesse est titulaire du droit afférent à la marque de commerce déposée au Canada portant le numéro LMC545282 et enregistrée le 17 mai 2001, soit les mots HOLISTIC BLEND aux fins de leur emploi en liaison avec des marchandises constituées de produits pour la santé des animaux de compagnie, nommément de la nourriture, des vitamines, minéraux et suppléments à base d’herbes, et des articles de toilette pour animaux de compagnie. La demanderesse emploie les mots HOLISTIC BLEND en liaison avec des produits pour la santé pour animaux de compagnie depuis le 15 octobre 1998. De son côté, la défenderesse est propriétaire de la marque de commerce déposée LMC595709, c’est‑à‑dire le mot HOLISTIX employé en liaison avec des marchandises, à savoir de la nourriture pour animaux de compagnie.

 

[3]               La demanderesse allègue que la marque déposée LMC595709 de la défenderesse n’était pas enregistrable à la date de son enregistrement parce qu’elle créait de la confusion avec sa propre marque de commerce et que la défenderesse, en raison de ses activités, viole son droit à la marque de commerce déposée parce qu’elle appelle l’attention sur ses marchandises de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion avec ses propres marchandises.

 

II.  Requêtes

A.  Requête en radiation

[4]               La défenderesse allègue que les paragraphes 8 et 10 n’énoncent pas de faits substantiels étant donné qu’ils reprennent simplement le texte de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13, et qu’ils devraient donc être radiés. L’article 175 des Règles des Cours fédérales prévoit ce qui suit :

 

175. Une partie peut, dans un acte de procédure, soulever des points de droit.

175. A party may raise any point of law in a pleading.

 

Si les Règles permettent expressément de plaider des points de droit, je ne vois pas pourquoi la défenderesse croit que les paragraphes en question devraient être radiés.

 

[5]               De plus, dans l’arrêt Brantford Chemicals Inc. c. Merck & Co., 2004 CAF 223, la Cour d’appel fédérale a établi que, lorsqu’un acte de procédure renferme suffisamment d’éléments pour permettre à la partie adverse de savoir avec une certaine certitude ce qu’elle doit prouver, cet acte de procédure ne devrait pas être radié. En l’espèce, la défenderesse reconnaît que la demanderesse allègue une usurpation de sa marque et cherche à faire radier la marque de commerce déposée LMC595709 appartenant à la défenderesse. Par conséquent, il n’a pas été satisfait au critère établi dans l’arrêt Brantfort Chemicals puisque la défenderesse reconnaît en fait les allégations à l’égard desquelles une défense doit être présentée.

 

[6]               Je rejette donc la demande de radiation des paragraphes 8 et 10 qu’a présentée la défenderesse étant donné qu’elle n’a pas démontré pourquoi les faits plaidés dans la déclaration devraient être radiés.

 

B.  Requête pour précisions

[7]               Une requête pour précisions ne sera accueillie que si le défendeur établit que les précisions demandées lui sont nécessaires pour plaider sa cause et qu’il ne les connaît pas (Flexi‑Coil Ltd. c. F.P. Bourgault Industries Air Seeder Division Ltd. (1988), 19 C.P.R. 3(d) 125n (C.F. 1re inst.), Tommy Hilfiger Licensing Inc. c. 2970‑0085 Quebec Inc. (2000), 6 C.P.R. (4th) 374 (C.F. 1re inst.), Astra AB c. Inflazyme Pharmaceuticals Inc., 61 C.P.R. (3d) 178 (C.F. 1re inst.)). Pour établir qu’il lui faut les précisions demandées afin de plaider sa cause et qu’il ne les connaît pas, le défendeur doit préciser dans l’affidavit à l’appui d’une requête pour précisions les renseignements nécessaires et la raison pour laquelle, en l’absence de ces renseignements, il ne serait pas en mesure de donner des instructions à son avocat pour que celui‑ci puisse répondre à la déclaration (Telemedia Corp c. 624654 Ont. Ltd. (1987), 17 C.P.R. (3d) 355 (C.F. 1re inst.)).

 

[8]               En l’espèce, la défenderesse soutient que la demanderesse allègue deux causes d’action. La première est que la marque de commerce de la défenderesse devrait être radiée puisqu’elle n’aurait jamais dû être accordée étant donné qu’elle cause de la confusion avec la marque de commerce de la demanderesse (paragraphe 8 de la déclaration) et la seconde est qu’il y a usurpation, c’est‑à‑dire que l’emploi de la marque de commerce de la défenderesse cause ou risque de causer de la confusion avec la marque de commerce déposée de la demanderesse (paragraphe 10 de la déclaration).

 

(1) Paragraphe 8

[9]               En ce qui concerne la radiation de la marque de commerce déposée de la défenderesse parce qu’elle créait de la confusion lors de l’enregistrement, tel qu’il est allégué au paragraphe 8 de la déclaration, l’affidavit à l’appui de la requête pour précisions contient ce qui suit :

[traduction] Au paragraphe 8 de sa déclaration, la demanderesse allègue que la marque LMC595709 n’était pas enregistrable à la date où elle a été enregistrée parce qu’elle « créait de la confusion avec [sa propre] marque de commerce déposée ». L’examen de la déclaration ne me permet pas de connaître les faits substantiels sur lesquels se fonde la demanderesse à l’appui de cette conclusion. Je ne suis donc pas en mesure de donner des instructions à mon avocat au sujet d’une défense.

 

[Affidavit de John Hart, dossier de la requête de la défenderesse, onglet 2, paragraphe 2]

 

 

[10]           La défenderesse affirme que, suivant la décision Astra AB (Astra AB, précitée, page 186), la demanderesse doit au minimum fournir les faits substantiels en ce qui concerne les marchandises précises, la renommée attachée à la marque de commerce et, notamment, la part de marché et les circonstances créant la confusion réelle, lorsqu’un jugement déclarant l’invalidité d’une marque de commerce est demandé. En réalité, dans la décision Astra AB, la Cour a conclu ce qui suit (Astra AB, précitée, page 186) :

Les renseignements quant à l'emploi antérieur et continu de la marque de commerce des demanderesses, dont les détails ‑ fournis en annexe ‑ de l'enregistrement des marques de commerce Pulmicort et Pneumocort, de même que la confusion alléguée entre les deux marques de commerce, ne laissent aucun doute quant aux arguments auxquels la défenderesse doit faire face.

En résumé, la déclaration et les documents joints en annexe donnent assez de détails à la défenderesse pour qu'elle soit en mesure de connaître les arguments qui seront invoqués à son encontre. Si les demanderesses étaient tenues d'offrir de plus amples informations, il s'agirait au moins d'une recherche à l'aveuglette et pourrait bien toucher la manière dont les arguments seront prouvés.

 

La déclaration en question renferme les mêmes renseignements que ceux qui ont été jugés suffisants dans la décision Astra AB : elle fait l’historique de l’enregistrement des deux marques de commerce et il est possible de comprendre la présumée confusion existant entre les deux marques de commerce à l’aide des mots visés par la marque de commerce, compte tenu des marchandises auxquelles ces mots se rattachent et de l’endroit où les marchandises sont vendues.

 

[11]           Par conséquent, je ne vois pas pourquoi il n’y a pas suffisamment de faits substantiels dans la déclaration pour que des instructions puissent être données à l’avocat, comme il est allégué dans l’affidavit déposé à l’appui de la requête, ni pourquoi la défenderesse ne serait pas en mesure de présenter sa défense compte tenu des renseignements contenus dans la déclaration. En ordonnant que des précisions soient fournies au sujet de la renommée attachée à la marque de commerce, de la part de marché de la demanderesse ou des circonstances donnant lieu à la confusion, la Cour permettrait à la défenderesse de faire une recherche à l’aveuglette afin de découvrir l’étendue de la preuve susceptible d’être utilisée contre elle à l’instruction, ou de découvrir certains moyens de défense qu’elle ignore, ce qui constitue une utilisation non permise d’une demande visant à obtenir des précisions (Société canadienne des postes c. Epost Innovations Inc. (1999), 2 C.P.R. (4th) 21 (C.F. 1re inst.).

 

[12]           Je rejette donc la requête pour précisions que la défenderesse a présentée à l’égard du paragraphe 8 de la déclaration étant donné que la défenderesse n’a pas établi que les précisions lui sont nécessaires pour préparer sa défense.

 

(2) Paragraphe 10

[13]           En ce qui concerne l’usurpation, selon l’allégation figurant au paragraphe 10 de la déclaration, l’affidavit à l’appui de la requête pour précisions contient ce qui suit :

[traduction] Au paragraphe 10 de la déclaration, la demanderesse allègue que la défenderesse, par ses activités, a « appelé l’attention du public sur ses marchandises de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada » entre ses marchandises et celles de la demanderesse. L’avocat m’informe que cette déclaration constitue une conclusion de droit. L’examen de la déclaration ne me permet pas de connaître les faits substantiels sur lesquels la demanderesse se fonde pour affirmer qu’il y a confusion ou qu’il risque d’y avoir confusion entre ses marchandises et celles de la défenderesse.

 

[Affidavit de John Hart, dossier de la requête de la défenderesse, onglet 2, paragraphe 3]

 

 

Invoquant les décisions Hudson’s Bay Co. c. Beaumark Mirror Products Inc. (1987), 15 C.P.R. (3d) 38 (C.F. 1re inst.), et Dolomite Svenska Aktiebolag c. Dana Douglas Medical Inc., (1994) 58 C.P.R (3d) 531 (C.F. 1re inst.), la défenderesse affirme que, selon la jurisprudence portant sur ce point, la demanderesse qui allègue l’usurpation doit fournir à tout le moins les faits substantiels précisant qui a été induit en erreur, à quel moment il y a eu confusion et où il y a eu confusion. La défenderesse allègue que la déclaration de la demanderesse n’énonce pas ces faits substantiels et qu’une ordonnance lui enjoignant de fournir des précisions devrait être rendue.

 

[14]           Il est vrai que le paragraphe 10 ne renferme pas de faits substantiels précisant qui a été induit en erreur, à quel moment il y a eu confusion et où il y a eu confusion. Cela dit, on ne saurait lire le paragraphe 10 isolément sans tenir compte de la déclaration dans son ensemble. En l’espèce, même si le paragraphe 10 ne contient pas les faits substantiels demandés par la défenderesse, ces faits sont exposés dans la déclaration. En outre, étant donné que l’affidavit déposé à l’appui de la requête ne dit rien au sujet des renseignements demandés qu’ignore la défenderesse, je puis uniquement supposer que les renseignements qui ne figurent pas dans la déclaration et dont la défenderesse a besoin pour plaider sa cause sont connus de celle‑ci (voir Telemedia Corp., précitée).

 

[15]           Les renseignements demandés par la défenderesse au sujet de la question de savoir qui a été induit en erreur, à quel moment il y a eu confusion et où il y a eu confusion se trouvent dans la déclaration ou sont connus de la défenderesse :

-         des précisions sont données aux paragraphes 6 et 9 de la déclaration au sujet de l’endroit où il y a eu confusion; il s’agit des endroits où la demanderesse et la défenderesse vendaient leurs marchandises respectives ;

-         le moment où il y a eu confusion est indiqué au paragraphe 9, qui précise que la défenderesse a commencé à vendre ses marchandises sous les noms HOLISTIC SELECT, EAGLE PACK HOLISTIC et HOLISTIX en 2003, ainsi qu’aux paragraphes 4 et 5, qui précisent la date à laquelle la demanderesse a enregistré sa marque de commerce HOLISTIC BLEND et la date à laquelle elle a commencé à vendre des produits en employant le nom qui fait maintenant l’objet d’une marque de commerce;

-         quant à la question de savoir qui risquait d’être induit en erreur, ces renseignements sont connus de la défenderesse : il s’agit des consommateurs qui achètent des produits pour animaux de compagnie.

 

[16]           Compte tenu des conclusions qui précèdent, je rejette la requête pour précisions à l’égard du paragraphe 10 de la déclaration étant donné que la défenderesse n’a pas établi que les précisions lui sont nécessaires pour préparer sa défense ou qu’elle ne connaît pas les renseignements demandés, comme l’exige la jurisprudence.

 

III.  Dépens

[17]           Pour les motifs susmentionnés et compte tenu des conclusions qui ont été tirées, les dépens de la présente requête seront adjugés contre la défenderesse conformément à l’alinéa 400(1)a) et au paragraphe 400(6) des Règles des Cours fédérales.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

-         La requête que la défenderesse a présentée afin de faire radier les paragraphes 8 et 10 de la déclaration est rejetée.

-         La requête pour précisions de la défenderesse est rejetée.

-         La défenderesse aura un délai de 30 jours à compter de la date de la présente ordonnance pour signifier et déposer sa défense.

-         Les dépens de la présente requête sont adjugés contre la défenderesse.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-891-06

 

INTITULÉ :                                                   3886727 CANADA INC.

                                                                        c.

                                                                        EAGLE PACK PET FOODS, INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 12 SEPTEMBRE 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 14 SEPTEMBRE 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marcel R. Banasinski

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jenifer Aitken

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BANASINSKI & ASSOCIATES

Avocats

Mississauga (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

BORDEN LADNER GERVAIS LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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