Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20251014


Dossier : IMM-11638-22

Référence : 2025 CF 1690

Ottawa (Ontario), le 14 octobre 2025

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

BAYANI BIRON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, M. Bayani Biron, sollicite le contrôle judiciaire d’un rapport d’interdiction de territoire fondé sur les articles 36 et 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. Je rejette sa demande, puisque le délégué du ministre a raisonnablement considéré que les facteurs humanitaires invoqués par M. Biron ne contrebalançaient pas la gravité de l’infraction.

I. Contexte

[2] Monsieur Biron est citoyen des Philippines et résident permanent du Canada depuis 2016. Il habite à Montréal avec sa conjointe et leurs deux filles.

[3] En 2021, M. Biron a plaidé coupable à une accusation d’agression sexuelle sur une mineure. Il a été condamné à purger une peine de 20 mois de prison.

[4] En mai 2022, M. Biron a été avisé qu’un rapport selon le paragraphe 44(1) de la Loi avait été préparé, alléguant qu’il pourrait être interdit de territoire pour grande criminalité selon l’alinéa 36(1)a) de la Loi. Il a été invité à présenter des observations écrites exposant les motifs pour lesquels un tel rapport ne devrait pas être dressé et qu’il devrait être autorisé à demeurer au Canada.

[5] Par l’entremise de son avocat, M. Biron a présenté ses observations en juillet 2022. Il a exprimé ses remords. En s’appuyant sur le rapport présentenciel et sur une expertise sexologique, il a soutenu qu’il présentait un faible risque de récidive. Il a affirmé qu’il entreprenait une thérapie et qu’il avait réduit sa consommation d’alcool. Enfin, il a souligné qu’il s’était trouvé un nouvel emploi, qu’il apportait un soutien financier et émotif essentiel à son épouse et à leurs deux filles et qu’il recevait le soutien de sa famille élargie.

[6] Le 4 août 2022, un agent a examiné les prétentions écrites de M. Biron et les documents à l’appui. Après avoir fourni un résumé détaillé de ces prétentions, l’agent a formulé la recommandation suivante :

En considérant la présente infraction criminelle, en tenant compte de la peine imposée par le tribunal judiciaire, en tenant compte des soumissions du client et en sous-pesant les considérations humanitaires contenues dans les soumissions (tel la présence de sa famille au Canada et l’intérêt supérieur de ses filles), je recommande la tenue d’une enquête dans ce dossier étant donné les circonstances et le caractère de l’infraction criminelle décrite ci-dessous. Les soumissions démontrent plusieurs faits louables en faveur du client, mais ne renversent pas la gravité et la nature de l’infraction subit par la victime d’âge mineur. [sic]

[7] Le 12 août 2022, un délégué du ministre s’est penché sur l’affaire et a déféré le dossier de M. Biron à la Section de l’immigration [SI] en vertu du pouvoir que lui confère le paragraphe 44(2) de la Loi. Les motifs du délégué du ministre se lisent ainsi :

[traduction]

Après avoir pris en considération tous les éléments concernant l’intéressé au Canada, le rapport selon l’article 44 #N000736038, l’historique de criminalité, le degré d’établissement au Canada, les prétentions de l’intéressé et les notes de l’agent, je conclus que le rapport selon l’article 44 est bien fondé en faits et en droit et j’accepte la recommandation de l’agent de déférer le dossier pour une audience d’interdiction de territoire pour grande criminalité au Canada, selon l’alinéa 36(1)(a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Tenant compte de la déclaration de culpabilité et de la gravité de l’infraction criminelle, et particulièrement des circonstances du crime, je défère ce rapport pour une audience d’interdiction de territoire.

[8] Monsieur Biron sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision du délégué du ministre. Vu la nature du dossier, une ordonnance de confidentialité a été rendue afin de protéger l’identité de la victime.

[9] L’audience de la présente demande a été fixée au 1er octobre 2025. Quelques jours auparavant, M. Biron a communiqué avec le greffe pour demander une remise, puisque son avocat n’était pas disponible et que ses démarches pour trouver un autre avocat avaient été infructueuses. À la suggestion de la Cour, les deux parties ont accepté que la demande soit tranchée sans audience, sur le seul fondement des prétentions écrites que les parties ont versées au dossier.

II. Analyse

[10] Je rejette la demande de contrôle judiciaire. Pour les motifs qui suivent, et contrairement aux prétentions de M. Biron, la décision était suffisamment motivée et le délégué du ministre a raisonnablement pondéré les facteurs pertinents.

[11] Bien que l’article 44 de la Loi n’en fasse pas explicitement mention, les agents et les délégués du ministre possèdent la discrétion de ne pas exercer le pouvoir de déférer à la SI le cas d’une personne susceptible d’être déclarée interdite de territoire, notamment lorsque des considérations d’ordre humanitaire s’opposent au renvoi. À ce sujet, je n’ai rien d’utile à ajouter aux motifs de mon collègue le juge Nicholas McHaffie dans l’affaire Compère c Canada (Sécurité publique), 2025 CF 299.

[12] Lors du contrôle judiciaire, le rôle de notre Cour n’est pas d’exercer à nouveau ce pouvoir discrétionnaire ou de se substituer au délégué du ministre. La Cour se borne à vérifier si la décision du délégué du ministre est raisonnable, c’est-à-dire que celui-ci a considéré les facteurs pertinents et que sa décision s’appuie sur la preuve qui lui a été présentée. La tâche du délégué du ministre est essentiellement une question d’appréciation des faits, au sujet de laquelle la Cour ne peut intervenir que « si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au paragraphe 126, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov].

[13] Le premier argument soulevé par M. Biron a trait à la suffisance des motifs du délégué du ministre. Or, ces motifs doivent être lus dans leur contexte. La jurisprudence de notre Cour établit que les motifs donnés par l’agent dans le rapport selon le paragraphe 44(1) font partie de la décision du délégué du ministre selon le paragraphe 44(2); voir, à titre d’exemple, Huang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 28 au paragraphe 88; Burton c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 753 aux paragraphes 16 et 17.

[14] Comme je l’ai indiqué plus haut, le rapport de l’agent daté du 4 août 2022 contient un résumé détaillé des considérations humanitaires mises de l’avant par M. Biron, notamment son plaidoyer de culpabilité, ses remords et son faible risque de récidive, ainsi que le soutien de sa famille et l’intérêt de ses deux enfants. L’agent a pris en compte les facteurs favorables à M. Biron, mais a conclu qu’ils ne suffisaient pas à contrebalancer « la gravité et la nature de l’infraction subi[e] par la victime d’âge mineur ». Le délégué du ministre a souscrit à la recommandation de l’agent, estimant lui aussi que la gravité et les circonstances du crime justifiaient le déféré à la SI.

[15] À mon avis, les motifs donnés par l’agent et par le délégué du ministre sont suffisants, car ils permettent de comprendre pourquoi la décision a été prise et démontrent que les décideurs ont bien compris les arguments présentés par M. Biron. On ne peut s’attendre à un degré de détail semblable à celui que l’on retrouve dans les décisions d’un tribunal administratif. Par conséquent, le délégué du ministre n’avait pas à fournir une appréciation détaillée de chaque motif invoqué par M. Biron.

[16] Monsieur Biron s’appuie sur la décision Melendez c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 1363, [2017] 3 RCF 354 [Melendez], pour affirmer que le délégué du ministre devait fournir une justification détaillée du rejet de chacun des facteurs d’ordre humanitaire qu’il invoquait. Cependant, dans cette affaire, il semble que le contenu du rapport de l’agent ne permettait pas de comprendre adéquatement les motifs de la décision du délégué du ministre ni de démontrer que celui-ci avait véritablement pris en considération les facteurs d’ordre humanitaire invoqués. Dans le cas de M. Biron, comme je l’ai indiqué plus haut, le rapport de l’agent montre que les facteurs d’ordre humanitaire ont été compris et considérés.

[17] De toute manière, dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 91, la Cour suprême a statué que l’insuffisance des motifs ne constitue pas un motif indépendant de contrôle judiciaire. Dans la mesure où la décision Melendez s’écarte de ce principe, je ne peux la suivre. Cependant, des motifs insuffisants peuvent rendre une décision inintelligible et, de ce fait, déraisonnable. Je me penche maintenant sur cette question.

[18] J’estime que la décision du délégué du ministre était raisonnable. Il appartenait à ce dernier de soupeser les considérations humanitaires invoquées par M. Biron et de déterminer si celles-ci étaient suffisamment importantes pour faire obstacle au déféré à la SI. Dans cet exercice, la gravité de l’infraction est un facteur primordial.

[19] Il ne faut pas perdre de vue que M. Biron a commis une infraction de nature sexuelle à l’égard d’un enfant. Il ne faut jamais minimiser la gravité de telles infractions, comme l’a tout récemment rappelé la Cour suprême du Canada : R c Sheppard, 2025 CSC 29 aux paragraphes 72 et 73. Il est difficile d’accepter que les gestes dont M. Biron s’est rendu coupable constituent un acte isolé ou qu’ils puissent être expliqués ou excusés par sa consommation excessive d’alcool. De plus, les renseignements dont disposait le délégué du ministre montraient que l’infraction dont M. Biron a été déclaré coupable s’est échelonnée sur plus d’un an et que les actes qu’on lui reprochait étaient de nature répétitive. Enfin, M. Biron a été condamné à purger une peine de prison significative.

[20] Après avoir pris connaissance du dossier, j’estime que le délégué du ministre pouvait raisonnablement conclure que la gravité de l’infraction était telle qu’elle contrebalançait les considérations humanitaires que M. Biron a fait valoir. Contrairement aux prétentions de M. Biron, le délégué du ministre n’a pas ignoré les considérations d’ordre humanitaire qu’il faisait valoir. Au contraire, le délégué du ministre a soupesé les considérations d’ordre humanitaire et la gravité de l’infraction et a conclu que celle-ci l’emportait.

[21] Par conséquent, M. Biron n’a pas démontré que le délégué du ministre « s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte », pour reprendre les mots employés par la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov. La décision est donc raisonnable.

[22] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-11638-22

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-11638-22

 

INTITULÉ :

BAYANI BIRON c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE CONSIDÉRÉE SUR LA BASE DES PRÉTENTIONS ÉCRITES À OTTAWA, ONTARIO, avec l’accord CONJOINT DES PARTIES.

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 14 octobre 2025

 

PRÉTENTIONS ÉCRITES PAR :

Marine Cournier

 

Pour le demandeur

 

Suzanne Trudel

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hasa Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.