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Date : 20251003

Dossier : IMM-15863-24

Référence : 2025 CF 1640

Montréal, Québec, le 3 octobre 2025

En présence de l'honorable madame la juge Ferron

ENTRE :

OMAR MAGANA AGUILAR

RODRIGO ARTURO MAGANA VILLALVOZO

MIGUEL ANGEL MAGANA VILLALVAZO

MARIA REGINA VILLALVAZO RIOS

CARLOS AMADOR BAUTISTA VILLALVAZO

Demandeurs

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] M. Omar Magana Aguilar, le demandeur principal, ainsi que son épouse Maria Regina Villalvazo, leurs deux fils et le fils de son épouse [collectivement les demandeurs] demandent le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [SAR] le 7 août 2024 [Décision]. La SAR a rejeté l’appel des demandeurs de la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejetant leur demande de statut de réfugié au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 28 juillet 1951, 189 RTNU 137 [Convention] et de l’article 96 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] ou de qualité de personne à protéger au sens de l’article 97 LIPR, en raison de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Mérida, au Mexique.

[2] Les demandeurs soumettent essentiellement que la Décision est déraisonnable faute d’intelligibilité et de cohérence, en plus de ne pas être justifiée, car elle fait fi des contraintes juridiques applicables.

[3] Premièrement, selon les demandeurs, la SAR ne pouvait pas conclure à la fois que leurs témoignages étaient crédibles et les documents qu’ils produisaient probants, pour ensuite conclure qu’ils n’avaient pas prouvé que leurs agents de préjudice [le syndicaliste HHRC, et d’autres membres du syndicat] avaient la motivation de les poursuivre jusqu’à Mérida, ni qu’une plainte visant l’agent de préjudice avait effectivement été déposée et était en cours d’instruction.

[4] Deuxièmement, quant à l’état d’avancement des procédures impliquant HHRC et le syndicat, la SAR aurait erré en concluant que les demandeurs devaient l’établir selon la prépondérance des probabilités, alors qu’ils avaient établi avoir diligemment tenté d’obtenir toutes les informations possibles via une demande d’accès à l’information.

[5] Enfin, la SAR aurait aussi ignoré les contraintes juridiques applicables en omettant de prendre connaissance d’office du Cartable National de Documentation [CND] afin de mieux cerner le fonctionnement de la procédure criminelle au Mexique.

[6] De son côté, le Procureur Général du Canada [PGC], qui représente le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [Ministre], affirme plutôt que la Décision est le produit logique et cohérent d’une évaluation et d’une pondération de la force probante de tous les éléments de preuve soumis par les demandeurs. Pour le PGC, la SAR a raisonnablement conclu que (a) les agents de préjudice des demandeurs n’ont pas la motivation de les poursuivre jusqu’à Mérida, au Yucatán, dans le sud-est du Mexique, et (b) les demandeurs ne se sont pas acquittés du lourd fardeau qui reposait sur leurs épaules de démontrer le caractère déraisonnable d’une réinstallation à Mérida.

[7] En sus et à titre préliminaire, le PGC propose également que la présente demande devrait être rejetée sur le fondement du sous-alinéa 10(2)a)(v) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22 [Règles], car le seul affidavit produit par les demandeurs est signé par Genny Gomez, adjointe administrative de leur procureur.

[8] Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accordée.

II. Contexte

[9] La SPR a jugé crédibles les allégations des demandeurs, que la SAR accepte également et qu’elle résume comme suit, au paragraphe 2 de la Décision :

[Le demandeur] principal était policier au Mexique. Dans le cadre de ses fonctions, il a subi une attaque violente infligée par un syndicaliste, [HHRC]. Il a déposé une plainte criminelle contre ce dernier, qui a été arrêté et accusé de tentative de meurtre. Dans les mois suivants, [le demandeur] principal a fait l’objet de menace de la part du syndicat, qui l’a menacé de retirer sa plainte.

[10] Les demandeurs associés sont des membres de la famille de M. Aguilar, précisément son épouse et ses enfants mineurs. Leur crainte de persécution est entièrement fondée sur leur lien avec le demandeur principal.

[11] Le 30 janvier 2023, la Commission de l’Immigration et du Statut de Réfugié reçoit la demande d’asile des demandeurs. Suite à une audience intervenue le 11 décembre 2023, dans une décision datée du 2 janvier 2024, mais notifiée le 20 février 2024, la SPR rejette cette demande d’asile.

[12] Le 11 avril 2024, les demandeurs portent la décision de la SPR en appel devant la SAR, qui, le 7 août 2024, après avoir constaté certaines erreurs commises par la SPR, et après avoir indiqué qu’elle juge les allégations des demandeurs et les documents qu’ils ont soumis crédibles, rejette malgré tout elle aussi leur demande, par le biais de la Décision. La SAR conclut que les demandeurs n’ont ni la qualité de réfugié au sens de la Convention sous 96 LIPR, ni celle de personne à protéger sous 97 LIPR. La SAR résume notamment le cadre juridique applicable à l’évaluation des PRI, et l’applique au cas d’espèce. Quant à savoir s’il existe une possibilité sérieuse que les demandeurs soient exposés au type de risque qui justifierait leur protection au titre de 97 LIPR s’ils déménageaient à Mérida, la SAR affirme que ce n’est pas le cas, en concluant que la preuve ne démontre pas que le syndicat aurait la motivation de pourchasser les demandeurs jusqu’à Mérida. Cette conclusion s’appuie sur deux prémisses : 1) il y a absence de menaces récentes et 2) absence de preuve qu’une poursuite criminelle est en cours contre HHRC.

[13] Ainsi, puisque la SAR conclut que les demandeurs n’ont pas prouvé que les agents de préjudice auraient la motivation de les poursuivre jusqu’à Mérida, elle détermine qu’« il n’est pas nécessaire d’examiner leur capacité » à agir jusqu’à Mérida. Notons toutefois que, sur ce point, la SPR avait conclu que les agents de préjudice avaient la capacité de poursuivre les demandeurs jusqu’à Mérida.

[14] Enfin, la SAR affirme que les arguments relatifs aux risques accrus auxquels le demandeur principal et son épouse feraient face, en raison de son statut de policier (ou ex-policier) pour lui, et de son genre pour elle, sont dépourvus de mérite, car aucunement corroborés par des éléments de preuve portant sur la situation spécifique des demandeurs, et ce bien que la SAR reconnaisse que les CND indiquent que ces groupes font face à des risques singuliers.

[15] Quant à savoir si, compte tenu de leurs circonstances particulières et de la situation au Mexique, il serait déraisonnable pour les demandeurs de se réfugier à Mérida, la SAR affirme que ce n’est pas le cas. Elle fonde cette conclusion sur le fait que, même en admettant qu’il s’exposerait s’il prenait un emploi comme policier, le demandeur principal pourrait trouver un autre emploi étant donné le faible taux de chômage à Mérida. Ainsi, elle juge qu’il ne serait pas déraisonnable pour lui de choisir un autre emploi.

III. Position des parties

[16] Notons que, devant cette Cour, les Demandeurs ne contestent pas la raisonnabilité d’une relocalisation à Mérida autrement que sur le point de la motivation de leurs agents de préjudice.

[17] Selon les demandeurs, la Décision est déraisonnable, car, ayant souligné accorder « plein poids » aux témoignages, articles de presse et documents gouvernementaux qu’ils ont soumis – dont l’avis de comparution adressé au demandeur principal qui identifie M. Aguilar comme « victime » et lui impose de venir témoigner contre le syndicat – la SAR ne pouvait pas, sans plus d’explication, logiquement, conclure que les demandeurs n’avaient pas prouvé la motivation de leurs agents de préjudice en soulevant « un doute hautement technique sur des points procéduraux » contre la preuve soumise. La Décision manquerait d’intelligibilité sur ce point.

[18] Selon les demandeurs, étant donné ses conclusions quant à la crédibilité de leurs témoignages et la force probante de leurs documents, la SAR ne pouvait que constater que le demandeur principal fait face à un risque réel puisqu’il est pris entre d’un côté, son obligation légale de témoigner sous serment contre certains membres du syndicat, et de l’autre, le fait que ces membres ont intérêt à empêcher tout témoignage.

[19] Les demandeurs ajoutent que la SAR ne pouvait pas non plus émettre de doute quant à la qualité de plaignant du demandeur principal et à l’identité des personnes faisant l’objet de l’enquête policière, alors qu’elle avait préalablement indiqué qu’elle acceptait le témoignage du demandeur principal sur ces points et la force probante des articles de presse établissant qu’HHRC était impliqué dans des procédures judiciaires.

[20] Les demandeurs soumettent également que la SAR a erré en droit en concluant qu’ils devaient prouver, selon la prépondérance des probabilités, l’état des procédures criminelles impliquant les membres du syndicat, soit spécifiquement qu’elles étaient toujours en cours, alors même que les demandeurs ont démontré avoir diligemment tenté d’obtenir tous les documents afférents à ces poursuites via une demande d’accès à l’information. Ils citent au soutien de leur prétention, quatre décisions : Luo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 823 [Luo]; Senadheerage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 968 [Senadheerage] ; Triana Aguirre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 571 [Aguire] ; Khamdamov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1148 [Khamdamov]. Vu ceci, ils soumettent que la Décision ne serait pas justifiée eu égard aux contraintes juridiques applicables.

[21] Enfin, pour les demandeurs, la SAR aurait aussi commis une erreur en omettant de se référer au CND pour le Mexique afin de s’informer sur le fonctionnement de la procédure pénale mexicaine, alors même qu’elle explique ne pas être en mesure de cerner à quel stade procédural la procédure impliquant le syndicat à laquelle les articles de presse réfèrent est rendue.

[22] Le PGC, quant à lui, soulève d’abord un moyen préliminaire relatif à l’absence d’affidavit personnel du demandeur principal fondé sur le sous-alinéa 10(2)a)(v) des Règles (en citant Debbaneh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 FC 865 [Debbaneh] au para 9 ; Fatima c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 FC 1086 [Fatima] au para 5).

[23] Le PGC propose ensuite que la Décision est fondée sur une analyse complète des éléments de preuve soumis par les demandeurs et raisonnable puisque (a) l’absence de menaces ou de preuve que le syndicat tentait de trouver les demandeurs dans les six mois suivant l’exil du demandeur principal et (b) l’absence d’éléments établissant que l’instruction de la plainte du demandeur principal est encore en cours, sont deux prémisses qui soutiennent logiquement la conclusion à l’effet que le syndicat n’a pas la motivation de retracer les demandeurs jusqu’à Mérida. Pour établir que ces deux prémisses répondent aux contraintes factuelles applicables, le PGC reprend le raisonnement explicité par la SAR dans sa décision, en rappelant qu’un demandeur qui veut prouver (a) qu’il fera face à un risque sérieux dans a région visée par la PRI ou (b) qu’une PRI est déraisonnable eu égard à ses circonstances personnelles (Rasaratnam c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 1991 CanLII 13517 (CAF), [1992] 1 CF 706 [Rasaratnam] aux pp 710-11 ; Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF) [Thirunavukkarasu]) fait face à un fardeau très important (Brahim c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 503 [Brahim] au para 27).

[24] Le PGC souligne notamment le fait que les articles de presse couvrant les procédures judiciaires en cours ne mentionnent pas spécifiquement HHRC. Il en est de même pour la conclusion de la SAR à l’effet que, dans les documents que le demandeur principal a obtenu à la suite d’une demande d’information qui comprenait spécifiquement le numéro du dossier dans lequel il a été cité à comparaître à titre de victime, on ne retrouve « aucun document provenant d’un procès criminel contre HCR (HHRC) ». Le PGC rappelle aussi que bien que la SAR ait jugé les demandeurs crédibles et conclut qu’ils ont prouvé que des poursuites sont en cours contre certains membres du syndicat d’HHRC, et que M. Aguilar a été appelé à témoigner à titre de « victime », la SAR considère que l’existence d’une plainte contre HHRC à proprement parler n’a pas été prouvée.

[25] Quant à la conclusion de la SAR qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la capacité des agents de persécution à agir jusqu’à Mérida, le PGC réfère la Cour à la décision Alvarez Calderon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1647 au para 30, qui confirme cette position.

[26] Quant à la possibilité qu’eu égard à leurs circonstances personnelles, il puisse être déraisonnable pour les demandeurs de déménager à Mérida spécifiquement, le PGC indique que les demandeurs devaient apporter une preuve « réelle et concrète » de l’existence de condition rendant la PRI déraisonnable. Il cite notamment le paragraphe 15 de Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2000 CanLII 16789 (CAF) où le juge Létourneau de la Cour fédérale écrivait : « Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions. ». Il affirme que la SAR pouvait raisonnablement conclure que les demandeurs n’avaient pas prouvé le caractère déraisonnable d’une réinstallation à Mérida, après avoir consulté le Cartable National de Documentation pertinent, puisque les demandeurs sont hispanophones et n’auraient pas de mal à y trouver un emploi et un logement.

IV. Analyse

A. Question préliminaire : Défaut de produire un affidavit

[27] Le PGC soumet, d’entrée de jeu, que la demande doit être rejetée, car les demandeurs n’ont pas produit d’affidavit au soutien de cette dernière.

[28] Il est vrai qu’une certaine jurisprudence indique que la demande de contrôle judiciaire peut être rejetée pour manquement au paragraphe 10(2) des Règles lorsque, comme en l’espèce, le demandeur n’a pas pallié ce vice de forme en soumettant une requête pour produire un nouvel affidavit après l’accueil de la demande d’autorisation (Fatima au para 5; Debbaneh au para 9; Mahamat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1360 au para 9).

[29] Toutefois, contrairement à ces décisions, la Cour est d’avis qu’elle peut aussi accepter d’entendre une demande de contrôle judiciaire même en l’absence d’affidavit du demandeur. Dans Singh c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 455, au paragraphe 18, le juge LeBlanc explique ce qui suit :

Il est vrai que notre Cour a déjà jugé que les irrégularités d’un affidavit, comme l’affidavit d’un ancien avocat ou l’affidavit d’un enfant du demandeur, ou le fait de ne pas déposer d’affidavit, peuvent amener la Cour à rejeter sommairement une demande d’autorisation (Fatima c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1086, au paragraphe 5; Dhillon c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 614, aux paragraphes 5, 6 et 9; Metodieva c. Canada (Emploi et Immigration), [1991] A.C.F. no 629, 132 N.R. 38 (CAF), 1991, CarswellNat 843, au paragraphe 7). Toutefois, ce n’est pas toujours le cas. Notre Cour a, à de nombreuses occasions, examiné le mérite de cette affaire lorsque la demande d’autorisation a été accordée malgré l’absence d’affidavit (Bakenge c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 517, aux paragraphes 3 et 4), ou a refusé de rejeter la demande de contrôle judiciaire pour avoir omis de soumettre un affidavit au moment où le dossier certifié du tribunal (DCT) peut être invoqué pour examiner les faits allégués par le demandeur (Ali c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1247, au paragraphe 58). [soulignement ajouté]

[30] Dans Aduwo c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CF 899 au paragraphe 12, la juge Fuhrer note que la jurisprudence de la Cour fédérale demeure « assez contradictoire » quant à la question de savoir si le défaut de produite une déclaration du demandeur dûment assermentée peut ou doit toujours être fatale. Elle cite notamment deux décisions où la demande de contrôle judiciaire a été entendue, malgré un affidavit défaillant, au motif que le Dossier Certifié du Tribunal [DCT] suffisait à asseoir son asile factuelle (Krah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 361 au paragraphe 16 ; Conka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 532 aux paragraphes 13-15).

[31] En l’espèce, la Cour est d’avis que le mérite des allégations des demandeurs peut être évalué au seul regard du DCT. Cela dit, toute erreur avancée par les demandeurs doit apparaître à la lecture du DCT, et ils ne pourront plaider que ce dernier (Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 490, aux para 9-11; Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 619 aux para 22-23 cité dans Samuel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 223 au para 25).

[32] Quant à l’affidavit produit par Mme Genny Gomez, bien qu’il contrevienne prima facie au paragraphe 82(1) des Règles des cours fédérales, DORS/98-106 [Règles], dont notre Cour d’appel a élargi la portée aux employés des avocats, car il est rédigé par une employée du cabinet de l’avocat des demandeurs (Toys “R” Us (Canada) Ltd. c Herbs “R” Us Wellness Society, 2020 CF 682 [Toys “R” Us] aux para 9-11 citant Cross‑Canada Auto Body Supply (Windsor) Ltd. c Hyundai Auto Canada, 2006 CAF 133), il est admissible en l’espèce. En effet, son contenu ne porte sur aucun fait controversé, de telle sorte qu’il ne viole donc pas l’esprit de cette règle (Polaris Industries Inc. c Victory Cycle Ltd., 2007 CAF 259 au para 8 ; Pluri Vox Media Corp c Canada, 2012 CAF 18, aux para 3-14 ; Toys “R” Us aux para 11-13 citant AB Hassle c Apotex Inc., 2008 CF 184 aux para 45-46 conf par 2008 CAF 416 ; McEwing c Canada (Procureur général), 2013 CF 525 aux para 101-106). Il se limite à quatre paragraphes extrêmement succincts qui, en substance, ne font que dire que le procureur a préparé le dossier de demande, et comprend une seule pièce jointe, le mémoire des demandeurs. La situation doit être distinguée du cas d’une demande de contrôle judiciaire qui reposerait exclusivement, par exemple, sur un bris d’équité procédurale indécelable à la lecture du DCT et dont l’assise factuelle ne pourrait être mise en preuve que par le biais de l’affidavit du demandeur.

[33] Vu ce qui précède, le moyen préliminaire soulevé par le PGC est rejeté.

B. Norme de contrôle

[34] Les parties soumettent, et la Cour est d’accord, que la norme de la décision raisonnable s’applique (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16, 23, 65 [Vavilov]). Aucune des situations justifiant le renversement de cette présomption ne se présente dans le cadre du présent contrôle judiciaire (Vavilov aux paras 25, 33, 53; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67 au para 27). Il faut ainsi déterminer si la Décision est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85).

C. Le cadre juridique applicable aux analyses de PRI

[35] L’existence d’une PRI au Mexique exclurait les demandeurs de la protection de la LIPR car l’asile n’est dû « que dans les cas où le pays d’origine est incapable de fournir à la personne qui demande l’asile une protection adéquate partout sur son territoire » (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 350 au para 26) [soulignement ajouté]. Si un demandeur d’asile dispose d’une PRI viable, sa demande d’asile sera rejetée, peu importe le bien-fondé des autres aspects de la demande (Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 au para 7 [Olusola]).

[36] Pour l’évaluation des PRI, la jurisprudence a établi un test à deux volets (Rasaratnam aux pp 710-11; Thirunavukkarasu aux pp 596-599).

[37] Ainsi, la SAR a raison lorsqu’elle indique qu’une fois que la question de la PRI est soulevée et que des PRI potentiellement viables sont identifiées, c’est au demandeur d’asile de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’un ou l’autre des critères établis par la jurisprudence n’est pas rempli. Ainsi, comme elle l’écrit, en l’occurrence, les demandeurs devaient démontrer soit :

qu’il y a une possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés dans la partie du pays où il existe une PRI, ou qu’ils soient personnellement exposés soit à une menace à leurs vies ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités, soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumis à la torture, selon la prépondérance des probabilités, dans le lieu proposé comme PRI ; ou

(que) (l)a situation dans la partie du pays considérée comme une PRI (est) telle qu’il serait déraisonnable pour les appelants, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles leur étant particulières, de s’y réfugier.

[38] Comme la SAR le note également, et à juste titre, le fardeau qui repose sur l’épaule du demandeur qui tente de prouver qu’une PRI est déraisonnable est très élevé (Munoz Ramirez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 221 au para 19 ; Olusola au para 9 citant Thirunavukkarasu aux pp 594-595; Salaudeen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 39 au para 26; Brahim au para 27; Manitas Vargas Ingrid c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 543 au para 14).

D. La Décision est déraisonnable

[39] Comme l’affirme notre Cour suprême dans Vavilov, « (p)our être raisonnable, une décision doit être fondée sur un raisonnement à la fois rationnel et logique. (…) la cour de révision doit être en mesure de suivre le raisonnement du décideur sans buter sur une faille décisive dans la logique globale ». Ainsi, « une décision sera déraisonnable lorsque, lus dans leur ensemble, les motifs ne font pas état d’une analyse rationnelle ou montrent que la décision est fondée sur une analyse irrationnelle (…) Une décision sera également déraisonnable si la conclusion tirée ne peut prendre sa source dans l’analyse effectuée (…) ou qu’il est impossible de comprendre, lorsqu’on lit les motifs en corrélation avec le dossier, le raisonnement du décideur sur un point central » (Vavilov aux para 102-103).

[40] La Cour suprême explique aussi « (l)e décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » (citations omises) » (Vavilov au para 125). Toujours est-il qu’« une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits (…) Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui a une incidence sur sa décision et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments (…) Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. » (Vavilov au para 126). Ainsi, notre Cour a jugé déraisonnables des décisions entachées par une conclusion ne pouvant être supportée par la preuve au dossier, même lorsque le décideur avait dûment considéré tous les éléments pertinents (voir par exemple Camero v Canada (Citizenship and Immigration), 2025 FC 1310 aux para 13-14 ; Musa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2025 CF 367 aux para 10, 18 ; Gurses c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 83 au para 6).

[41] En l’espèce, la Cour est d’avis que la Décision manque d’intelligibilité, elle ne révèle pas un raisonnement rationnel en ce que ses conclusions finales ne découlent pas logiquement de ses conclusions de fait ni des contraintes juridiques applicables. La Décision est donc déraisonnable.

[42] Tout d’abord, alors qu’elle dit juger le témoignage des défendeurs crédibles, la SAR exige malgré tout, des éléments documentaires à même de corroborer les allégations faites par les demandeurs dans leurs-dits témoignages, sans expliquer pourquoi une telle corroboration serait nécessaire en l’instance. Comme l’indique la Cour, dans Luo :

[19] Cependant, lorsque le demandeur d’asile jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1979 CanLII 4098 (CAF), [1980] 2 CF 302 (CAF) (Maldonado); voir aussi He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 2, aux paragraphes 22 à 25 (He)). Il en va ainsi parce que, par exemple, le réfugié peut avoir été obligé de s’enfuir de chez lui précipitamment, sans rien emporter ou presque, de sorte qu’il lui serait impossible de produire des éléments de preuve documentaire au soutien de sa demande d’asile, ou qu’il serait déraisonnable de s’attendre à ce qu’il produise de tels éléments de preuve. Donc, il n’existe pas d’obligation générale pour les demandeurs d’asile de produire des documents corroborants.

(…)

[22] La réponse à la question de savoir s’il est raisonnable d’exiger des éléments de preuve corroborants dépend des faits de chaque espèce (Lopera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 653, au paragraphe 31).

[Soulignement ajouté]

[43] Dans Senadheerage, le juge Grammond indique ce qui suit quant à la nécessité de corroboration, aux paragraphes 34 à 36 :

Les décideurs doivent expliquer les raisons pour lesquelles ils exigent que des éléments soient corroborés. Lorsque c’est pour des raisons de crédibilité ou d’invraisemblance, il va sans dire qu’ils doivent fournir des motifs pour étayer ces conclusions : Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1991 CanLII 14469 (FCA), [1991] A.C.F. no 228 (QL) (C.A.). Toutefois, cela est aussi vrai lorsque d’autres raisons sont invoqués (sic). L’obligation de fournir des motifs empêche que l’obligation de corroboration ne devienne l’expression voilée d’une incrédulité non fondée.

(…)

Bien que la règle 11 impose au demandeur d’asile le fardeau de présenter des « documents acceptables » ou d’expliquer pourquoi ceux-ci n’étaient pas accessibles, il ne définit pas en quoi consistent ces documents et quels « autres éléments de sa demande d’asile » doivent être étayés. Pourtant, comme notre Cour l’a fréquemment souligné, il n’existe pas d’obligation générale de corroboration. Par conséquent, les demandeurs d’asile peuvent ne pas connaître d’avance les éléments que le décideur voudra voir corroborés. Exiger la corroboration sans préavis peut donner l’impression d’une cible qui se déplace sans cesse. Par conséquent, le décideur qui estime qu’un élément en particulier doit être corroboré doit le faire savoir au demandeur d’asile pendant l’audience.

En résumé, le décideur ne peut exiger des éléments de preuve corroborants que dans les cas suivants :

1. Il établit clairement un motif indépendant pour exiger la corroboration, comme des doutes quant à la crédibilité du demandeur d’asile, l’invraisemblance du témoignage du demandeur d’asile ou le fait qu’une grande partie de la demande d’asile repose sur le ouï-dire;

2. On pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les éléments de preuve soient accessibles et, après avoir été invité à le faire, le demandeur d’asile a omis de donner une explication raisonnable pour ne pas avoir pu les obtenir.

[Soulignement ajouté]

[44] Ensuite, bien qu’elle affirme accorder « plein poids » à la preuve documentaire produite par les demandeurs, et considère établit que (a) HHCR fait partie des syndicalistes qui ont été arrêtés en 2019, (b) l’avis de comparution obligeait M. Aguilar à témoigner dans le cadre d’une procédure impliquant des syndicalistes et (c) des poursuites criminelles sont en cours contre certains syndicalistes, la SAR conclut néanmoins que les agents de préjudice n’auraient pas la motivation nécessaire de poursuivre les demandeurs jusqu’à Mérida.

[45] Pour arriver à cette conclusion, la SAR s’appuie sur trois éléments : (1) l’état exact des procédures contre HHRC n’est pas connu; (2) certains éléments manquent dans les éléments de preuve documentaire – plus précisément que HHRC n’est pas expressément nommé dans le dernier article de presse ni dans la citation à comparaître; (3) les documents obtenus en réponse à la demande d’information ne sont pas clairement liés à une procédure criminelle impliquant HHRC; et (4) il n’y a aucune preuve montrant que les agents de préjudice ont tenté de localiser les demandeurs entre avril et octobre 2022.

[46] La SAR n’explique toutefois pas en quoi ces éléments peuvent, à eux seuls, contrebalancer la force probante des témoignages des demandeurs et des documents qu’ils soumettent et qu’elle a préalablement jugé entièrement crédibles, particulièrement eu égard à l’existence d’une plainte déposée au nom de M. Aguilar et visant HHRC. Malgré cela, la SAR remet ensuite en cause l’existence même d’une plainte déposée au nom de M. Aguilar, malgré son témoignage clair sur ce point (et celui de son épouse) et le fait que la déclaration de la policière qui a interviewé M. Aguilar est adressée « à l’attention du procureur général de l’État ». La SAR a par ailleurs minimisé l’importance de cette déclaration de la policière sans vraiment expliquer pourquoi. La Cour considère incohérent de dire que l’on accepte les témoignages de M. et Mme Aguilar sur l’existence de la plainte et la force probante de la déclaration de la policière, pour ensuite prétendre qu’il n’est pas clair qu’il y aurait eu dénonciation en bonne et due forme – surtout étant donné les documents obtenus en réponse à la demande d’information. D’abondant, au lieu de considérer ce que les éléments de preuve indiquent, la SAR met l’emphase sur ce que ceux-ci n’indiquent pas, pour conclure à l’insuffisance de la preuve de motivation.

[47] Quant à l’état exact des procédures criminelles possiblement intentées contre HHRC, à la fin 2023, il est vrai qu’à l’audience devant la SPR, le demandeur principal a semblé indiquer que sa croyance à l’effet que sa plainte est encore en cours d’instruction se fonde principalement voire exclusivement sur les articles de presse qu’il a produit, et dont la SAR a fait sa propre lecture. Néanmoins, par la suite, le membre de la SPR dirigeant l’audience s’est fourvoyé dans une série de questions visant à établir si le demandeur principal aurait pu retirer sa plainte, série de questions que la SAR juge, à bon escient, foncièrement inopportune. Ni la SPR ni la SAR n’ont questionné les demandeurs plus en avant sur les fondements objectifs de leur croyance quant à l’état d’avancement des procédures. La SAR n’explique pas non plus quels éléments de preuves les demandeurs auraient pu fournir pour corroborer leur témoignage plus en avant. Leur demande d’accès à l’information d’août 2023 semble établir qu’ils ont fait tout ce qu’on pouvait raisonnablement exiger d’eux pour obtenir une corroboration documentaire. Si la SAR jugeait ces démarches insuffisantes, elle devait clairement expliciter son raisonnement (Senadheerage au para 36; Luo au para 30 a contrario).

[48] En l’instance, la SAR ne semble pas avoir considéré l’explication donnée par les demandeurs relativement à leur incapacité à obtenir des documents prouvant à quel stade les poursuites contre HHRC et les autres membres du syndicat étaient rendues. Elle n’évoque leur demande d’accès à l’information qu’avec circonspection, pour noter que la réponse ne contient « aucune mention d’une plainte criminelle contre HHRC ». Exiger une corroboration de témoignages qu’elle jugeait crédibles sans traiter de la raisonnabilité de l’explication avancée par les demandeurs quant à leur manque de preuve « corroborantes » n’est pas justifié en l’instance.

[49] Il est vrai, comme le PGC le souligne en citant directement la Décision, que dans les documents reçus en réponse à la demande d’information que le demandeur principal a fait en août 2023 pour en savoir plus sur l’avancée de sa plainte « il n’y avait aucune mention d’une plainte criminelle contre HHRC dans la réponse à sa requête ». Néanmoins, comme la SAR le souligne elle-même, ces documents, obtenus en réponse à une demande dans laquelle le demandeur principal fournissait spécifiquement le numéro de la citation à comparaître qu’il a reçue en mai 2022, comprenaient notamment la carte nationale d’électeur d’HHRC.

[50] La SAR n’explique pas comment elle peut conclure qu’aucune preuve qu’une plainte contre HHRC a été déposée n’a été apportée alors même qu’elle accepte qu’une procureure a cité le demandeur principal à comparaître, en tant que victime, dans le cadre d’une procédure judiciaire dont le dossier comprend la carte d’identité de son agresseur. Une fois que la présence d’un de ses documents d’identité dans le dossier relatif à la citation à comparaître est établie, le fait qu’HHRC ne soit pas nommément identifié dans cette citation à comparaître ne peut pas avoir l’importance que la SAR semble lui donner.

[51] Mis côte à côte avec la déclaration de la policière ayant rapporté l’agression dont le demandeur principal a été victime, datée du 9 mars 2020, qui est adressée au procureur général de l’État. Ces éléments rendent aussi déraisonnables les doutes que la SAR émet (1) quant à la qualité de plaignant, ou de victime impliquée dans une enquête policière, voire une instruction judiciaire, du demandeur principal, et (2) quant à l’implication d’HHRC dans une procédure pénale – encore une fois, après avoir accepté son témoignage sur ces points, et après avoir accepté ces documents comme probants. Lorsque la preuve est regardée dans son ensemble, le fait que la déclaration de la policière soit consignée dans un document intitulé « entrevue de témoin » (entrevista a testigo ou witness interview) plutôt que plainte ne peut pas avoir l’importance que la SAR lui accorde.

[52] Bien que l’article daté du 30 mai 2023 ne mentionne pas HHRC spécifiquement, avec égard, la SAR ne pouvait pas donner à cette absence l’importance qu’elle lui accorde sans plus d’explication. En effet, l’absence du nom d’un individu spécifique dans un article de journal ne peut pas, à elle seule, être déterminante. L’article de « Paco Rivera Noticias » en date du 10 mars 2020 parle bien de vingt-cinq (25) professeur(e)s arrêtés après une attaque violente dans le cadre de laquelle le demandeur principal dit avoir été agressé, en identifiant nommément HHRC parmi les individus détenus. Pourtant, à l’heure de les identifier, l’auteur ne donne pas chacun vingt-cinq noms.

[53] De la même façon, malgré le fait que les documents obtenus en réponse à la demande d’information des demandeurs comprennent la carte nationale d’électeur d’HHRC et portent spécifiquement sur la citation à comparaître du demandeur principal, la SAR reproche aux demandeurs l’absence de documents clairement liés à une procédure criminelle impliquant HHRC. Le fait d’évaluer la force probante d’éléments de preuve en fonction de ce qu’ils ne contiennent pas, plutôt que de se concentrer sur leur contenu, constitue une erreur de droit. Ce principe a régulièrement été rappelé par notre Cour (Arachchilage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 994 au para 36 citant Nagarasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 313 au para 23 ; Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14 aux para 49-50 citant notamment Sitnikova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 464 aux para 22-24 ; Belek c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 205 au para 21). Or, c’est ce que la SAR fait, notamment lorsqu’elle évalue la force probante des documents obtenus en réponse à la demande d’information.

[54] Enfin, étant donné qu’elle accorde plein crédit à la citation à comparaître datée de mai 2022 et visant une comparution le 1er août 2022, le fait qu’il n’y ait aucune preuve montrant que les agents de préjudice ont tenté de localiser les demandeurs associés entre avril et octobre 2022 ne peut pas non plus, à lui seul, être déterminant pour la question de la motivation. En effet, bien qu’il soit l’un des motifs allégués par la SAR, il n’est pas indiqué comme étant à lui seul déterminant. Ainsi, à partir du moment où la Cour met de côté les doutes de la SAR quant à l’existence d’une plainte et à l’état actuel des procédures contre HHCR, la détermination concernant l’absence de motivation du syndicat se trouve dépourvue de fondement suffisant pour appuyer la conclusion de la SAR.

[55] Il est vrai que notre Cour a reconnu que le fait que la famille d’un demandeur parvienne à vivre quelques mois sans aucune preuve que les agents de préjudice ont tenté de la localiser peut être le fondement d’une conclusion raisonnable à l’effet que ces derniers n’ont pas la motivation de traquer ou persécuter les demandeurs (voir notamment Trevino Zavala c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 370 au para 15). Cependant, le fait que les agents de persécution ne se manifestent pas, même pendant plusieurs mois, n’est pas toujours à lui seul déterminant (Hernandez Cortez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1392 ; Chitsinde c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1066). Rappelons qu’en l’espèce, la SPR et la SAR ont jugés crédibles les témoignages dans lesquels les demandeurs établissaient que les agents de persécution de M. Aguilar l’ont menacé à plusieurs reprises, en personnes et par téléphone, en plus de le poursuivre, en voiture, pour tenter de provoquer une sortie de route. Ces évènements se sont étalés sur plus de dix-huit (18) mois. La SPR a également reconnu le fait qu’en inscrivant leurs enfants à l’école dans une autre région du pays, les demandeurs risqueraient d’être retrouvés par leurs agents de préjudice. Sur ce dernier point, le paragraphe suivant de la décision de la SPR est pertinent :

[19] Les demandeurs, qui craignent que les membres du syndicat soient en mesure de les retrouver s’ils inscrivent leurs enfants à l’école dans une autre région du pays. Le tribunal considère que ceci est crédible. De plus, la preuve au CDN souligne que les bases de données gouvernementales et privés sont facilement accessibles par des individus mal intentionnés dans le but d’obtenir des informations personnelles. Ainsi, le tribunal est d’avis que, selon la prépondérance des probabilités, les agents de préjudice des demandeurs ont la capacité de les retrouver.

[56] En l’instance, la SAR accepte le témoignage que les demandeurs associés avaient alors pris des mesures pour changer d’adresse et n’avaient pas avisé l’école des enfants de leur nouveau lieu de résidence. En écrivant « ce qu’ils allèguent explique le manque de visites », la SAR semble reconnaître que c’est la discrétion des demandeurs associés qui « explique » pourquoi les membres du syndicat ne leur ont pas rendu visite pendant les six mois précédant leur fuite vers le Canada. Par la suite, elle souligne néanmoins que le dossier ne démontre pas que les membres du syndicat ont tenté de les localiser et explique que, malgré leur discrétion, ils ne vivaient pas à proprement parler dans la « clandestinité ». Ces conclusions sont incompatibles entre elles, et difficilement compatibles avec la conclusion à l’effet que les agents de persécution n’avaient de toute façon plus aucun intérêt pour les demandeurs. Logiquement, soit les agents de persécution n’avait plus aucun intérêt pour M. Aguilar et sa famille, auquel cas les mesures que les demandeurs associés ont prises pour dissimuler leur localisation n’ont eu aucun impact sur l’absence de visites, puisque de toute façon, ils n’étaient pas recherchés; soit les précautions prises expliquent le manque de visite. La Décision manque de cohérence sur ce point.

V. Conclusion

[57] La demande de contrôle judiciaire est accordée. La Décision manque d’intelligibilité et de justification à la fois sur le plan des faits et quant aux contraintes juridiques applicables. La Cour retourne donc le dossier à la SAR pour un nouvel examen.


JUGEMENT au dossier IMM-15863-24

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accordée.

  2. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Danielle Ferron »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-15863-24

 

INTITULÉ :

OMAR MAGANA AGUILAR et al. c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 SEPTEMBRE 2025

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE FERRON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 octobre 2025

 

COMPARUTIONS :

Me Felipe Morales

 

Pour LES DEMANDEURS

 

 

Me Camille Bédard-Châteauneuf

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocats Semperlex, S.A.R.F.

Montréal (Québec)

 

Pour LES DEMANDEURS

 

Justice Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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