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Date : 20251002


Dossier : T-1643-23

Référence : 2025 CF 1625

Ottawa, Ontario, le 2 octobre 2025

En présence de l'honorable madame la juge Ferron

ENTRE :

MICHEL THIBODEAU

partie demanderesse (Intimé)

et

SA MAJESTÉ LE ROI

(TRANSPORTS CANADA)

partie défenderesse (Requérante)

et

COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

Intervenant

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Comme l’indique à juste titre la Cour d’appel fédérale, « la protection des droits linguistiques constitue un objectif constitutionnel fondamental et requiert une vigilance particulière de la part des tribunaux et (…) ces derniers doivent interpréter avec générosité les textes qui confèrent ces droits (…) » (Forum des maires c Canada, 2004 CAF 263 [Forum des maires] au para 39).

I. Aperçu

[2] La partie défenderesse, Sa Majesté Le Roi (Transports Canada) [TC], dépose une requête en radiation à l’encontre de l’avis de demande déposé par le demandeur Michel Thibodeau en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles, LRC (1985) c31 (4e supp), telle que parue le 21 septembre 2017 [LLO]. L’avis de demande fait suite à huit (8) plaintes que M. Thibodeau a soumises en 2017 et 2018 [Plaintes] auprès du Commissaire aux langues officielles [Commissaire] « au sujet » de logos, slogans et adresses URL unilingues anglais, de certains aéroports canadiens. Aucune des Plaintes ne mentionne spécifiquement TC.

[3] Le Commissaire a enquêté les Plaintes et rendu son rapport final le 5 juin 2023 [Rapport]. Après avoir indiqué que les huit (8) aéroports visés sont détenus par à TC, mais exploités par des administrations aéroportuaires [Administrations], le Commissaire précise dans son Rapport qu’il a procédé à neuf (9) enquêtes distinctes suite aux huit (8) Plaintes, soit huit (8) enquêtes ciblant les Administrations en lien avec leurs obligations linguistiques prévues par la partie IV de la LLO, et une (1) enquête ciblant TC en lien avec ses « obligations prévues par la partie VII de la [LLO] et, plus précisément, si l’institution avait pris des mesures positives pour satisfaire à ses obligations linguistiques prévues par cette partie, soit promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne ».

[4] La Rapport indique également que « cinq (5) des aéroports visés par les enquêtes ont été nommés par [TC] avant que leur gestion soit transférée à des [A]dministrations », alors que « trois autres ont changé de nom officiel à la demande des [A]dministrations ». Enfin, le Rapport indique que « seul l’Aéroport international de Calgary a actuellement un nom bilingue ».

[5] À la suite des enquêtes, le Commissaire conclut que les Administrations ont contrevenu à leurs obligations en vertu de la partie IV de la LLO, alors que TC aurait contrevenu à ses obligations en vertu de la partie VII de la LLO.

[6] Par le biais de sa requête en radiation, TC soumet que la Cour fédérale n’a pas la compétence d’entendre le recours de M. Thibodeau puisque celui-ci ne serait pas basé sur ses Plaintes mais serait plutôt basé sur le contenu du Rapport du Commissaire, dont les enquêtes auraient dépassé le contenu des Plaintes. TC soumet en effet que ce sont les Plaintes qui donnent compétence à cette Cour d’entendre le recours et non le Rapport du Commissaire.

[7] Pour les motifs qui suivent, la requête en radiation est rejetée.

II. Contexte

[8] Le passage suivant du jugement du juge Grammond dans un autre dossier impliquant M. Thibodeau (Thibodeau c Administration de l’aéroport international de St. John’s, 2022 CF 563 [Thibodeau c St. John’s 2022] au para 12 (conf par 2024 CAF 197, autorisation de pourvoi à la CSC accordée, 41651 (28 août 2025)), fournit un bon résumé du contexte de ce dossier:

[12] Jusque dans les années 1990, un grand nombre d’aéroports canadiens étaient exploités par le ministère des Transports, une institution fédérale assujettie à la Loi. Cependant, le gouvernement a souhaité confier l’exploitation de ces aéroports à des organisations locales. Le Parlement a donc adopté la Loi relative aux cessions d’aéroports, LC 1992, c 5, qui permet au gouvernement de céder un aéroport à une « administration aéroportuaire désignée » et qui précise les modalités de l’application de certaines lois à cette administration. En particulier, en ce qui a trait aux langues officielles, le paragraphe 4(1) de cette loi prévoit ce qui suit :

4 (1) À la date de cession par bail d’un aéroport à une administration aéroportuaire désignée, les parties IV, V, VI, VIII, IX et X de la Loi sur les langues officielles s’appliquent, avec les adaptations nécessaires, à cette administration, pour ce qui est de l’aéroport, au même titre que s’il s’agissait d’une institution fédérale, et l’aéroport est assimilé aux bureaux de cette institution, à l’exclusion de son siège ou de son administration centrale.

4 (1) Where the Minister has leased an airport to a designated airport authority, on and after the transfer date Parts IV, V, VI, VIII, IX and X of the Official Languages Act apply, with such modifications as the circumstances require, to the authority in relation to the airport as if

(a) the authority were a federal institution; and

(b) the airport were an office or facility of that institution, other than its head or central office.

III. Résumé des faits

[9] Entre novembre 2017 et janvier 2018, M. Thibodeau a intenté huit (8) Plaintes visant essentiellement des enjeux d’affichages dans huit (8) aéroports. Dans l’objet de ses Plaintes, il réfère notamment à l’utilisation de logos, slogans et/ou adresses URL unilingues anglophones par les aéroports internationaux de Halifax, St-John’s, Victoria, Vancouver, Calgary, Edmonton, Saskatoon et Winnipeg. Certains des logos et slogans fournis en preuve incluent le nom unilingue anglophone des aéroports, mais pas tous. Aucune de ces Plaintes ne mentionne TC.

[10] M. Thibodeau soumet dans ses Plaintes au Commissaire qu’il se sent lésé dans ses droits face à une telle inégalité de service et/ou inégalité d’affichage dans les deux langues officielles. M. Thibodeau n’indique toutefois pas spécifiquement l’enjeu des noms eux-mêmes des aéroports, ni qui serait le (ou les) responsable(s) des enjeux qu’il soulève ou quelles parties de la LLO seraient applicables. Toutefois, deux des Plaintes font spécifiquement référence à l’Administration impliquée. De plus, dans celle visant l’aéroport de Saskatoon, il traite spécifiquement de la nouvelle marque « Skyxe », que l’Administration présente comme son nom (« our name »).

[11] Cela dit, et bien que M. Thibodeau ne l’ait pas spécifiquement indiqué de cette façon dans ses Plaintes, dans son Rapport, le Commissaire décrit les Plaintes comme « concernant le nom en anglais seulement d’aéroports qui appartiennent à Transports Canada (…) ». Le Commissaire indique également ce qui suit quant à la position des plaignants :

Les plaignants estiment que les [A]dministrations ont enfreint leurs obligations linguistiques en communiquant au public le nom de leur aéroport en anglais uniquement. Ils estiment aussi que [TC] n’a pas favorisé la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne, en permettant aux administrations aéroportuaires de communiquer le nom des aéroports en anglais seulement.

[12] Quant à la position des Administrations, le Commissaire indique dans son Rapport qu’elles reconnaissent toutes qu’elles utilisent des noms d’aéroports uniquement en anglais à plusieurs endroits, au moins par moment, notamment sur leurs immeubles ainsi que sur certains logos et bandeaux présents dans leurs documents officiels et sur leur site web. Elles admettent aussi (1) que chaque aéroport est une « installation d’une institution fédérale », de telle sorte que les aéroports doivent respecter certaines des obligations imposées par la Partie IV de la LLO -ces dernières leur étant rendu opposables par la Loi relative aux cessions d’aéroport, LC 1992, c 5 à l’article 4 ; et (2) que tous les aéroports visés sont désignés bilingues au titre des paragraphes 7(3) ou 7(5) du Règlement sur les langues officielles — communications avec le public et prestation des services, DORS/92-48, tel que paru le 31 juillet 2007. Néanmoins, la position des Administrations se divisent ensuite en trois groupes. Certaines affirment que rien ne les oblige à communiquer le nom de leur aéroport dans les deux langues officielles, car c’est TC qui a établi le nom de leur aéroport en anglais seulement, et qu’il s’agit d’une image de marque. D’autres affirment plutôt qu’elles ont bien pour politique de communiquer le nom du ou des aéroports dont elles sont responsables, dans les deux langues officielles, tout en admettant que cette politique ne soit pas toujours respectée. Enfin, certaines ont prétendu ignorer qu’elles devaient communiquer le nom de leur aéroport dans les deux langues officielles.

[13] Le Commissaire résume ensuite la position de TC, à l’effet que ce sont les Administrations qui ont l’obligation de respecter la LLO, notamment en ce qui a trait au nom bilingue des aéroports désignés bilingues, à l’affichage et aux communications avec le public, et ce, même si les baux ne comprennent aucune exigence à ce sujet. Ainsi, bien que TC confirme qu’il doit approuver la modification des noms des aéroports faisant l’objet d’un bail, TC indique qu’il n’a pas l’autorité de changer unilatéralement les noms.

[14] Tel que susmentionné, à la suite de ses enquêtes, le Commissaire conclut que les Administrations ont contrevenu à leurs obligations en vertu de la partie IV de la LLO, alors que TC aurait contrevenu à ses obligations en vertu de la partie VII de la LLO.

[15] Le 4 août 2023, M. Thibodeau intente devant cette Cour sept (7) recours (T-1636-23, T‑1637-23, T-1638-23, T‑1639-23, T-1640-23, T-1641-23, T-1642-23) contre les Administrations (il y a eu un règlement hors cour contre l’une (1) des huit (8) Administrations), leur réclamant chacune 1) un jugement déclaratoire, 2) des dommages-intérêts de 1500 $ et 3) une lettre d’excuse. De plus, M. Thibodeau intente un recours distinct contre TC (T-1643-23), ce dernier faisant l’objet de la présente demande en radiation. Le recours contre TC inclut une réclamation en dommages-intérêts de 12 000 $, ainsi que la demande d’un jugement déclaratoire constatant toutes les violations commises par TC, et une « lettre d’excuses pour avoir violé ses droits linguistiques ».

[16] Notons que les dossiers T-1640-23 concernant l’Administration de l’aéroport de Winnipeg et T-1642-23 concernant l’Administration de l’aéroport de Victoria, ont par la suite été réglés hors cour.

IV. Contexte législatif

[17] Comme l’indique le juge Grammond dans le dossier Thibodeau c St. John’s 2022:

[5] L’article 16 de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit que le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada. Il consacre au sein de la constitution une caractéristique fondamentale du Canada. (…)

[6] La Loi a été adopté notamment afin de mettre en œuvre les droits garantis au articles 17 à 20 de la Charte. (…)

[18] Le recours de M. Thibodeau est basé sur le paragraphe 77(1) de la LLO, en vigueur au moment du dépôt des Plaintes (Moreau c Air Canada 2025 CF 675, au para 33) (donc avant l’adoption de la Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada, LC 2023 c15, et qui se lisait ainsi :

Recours

Application for remedy

77 (1) Quiconque a saisi le commissaire d’une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV, V, ou VII, ou fondés sur l’article 91, peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie.

77 (1) Any person who has made a complaint to the Commissioner in respect of a right or duty under sections 4 to 7, sections 10 to 13 or Part IV, V or VII, or in respect of section 91, may apply to the Court for a remedy under this Part.

Délai

Limitation period

(2) Sauf délai supérieur accordé par le tribunal sur demande présentée ou non avant l’expiration du délai normal, le recours est formé dans les soixante jours qui suivent la communication au plaignant des conclusions de l’enquête, des recommandations visées au paragraphe 64(2) ou de l’avis de refus d’ouverture ou de poursuite d’une enquête donné au titre du paragraphe 58(5)

(2) An application may be made under subsection (1) within sixty days after

(a) the results of an investigation of the complaint by the Commissioner are reported to the complainant under subsection 64(1),

(b) the complainant is informed of the recommendations of the Commissioner under subsection 64(2), or

(c) the complainant is informed of the Commissioner’s decision to refuse or cease to investigate the complaint under subsection 58(5),

or within such further time as the Court may, either before or after the expiration of those sixty days, fix or allow.

Autre délai

Application six months after complaint

(3) Si, dans les six mois suivants le dépôt d’une plainte, il n’est pas avisé des conclusions de l’enquête, des recommandations visées au paragraphe 64(2) ou du refus opposé au titre du paragraphe 58(5), le plaignant peut former le recours à l’expiration de ces six mois.

(3) Where a complaint is made to the Commissioner under this Act but the complainant is not informed of the results of the investigation of the complaint under subsection 64(1), of the recommendations of the Commissioner under subsection 64(2) or of a decision under subsection 58(5) within six months after the complaint is made, the complainant may make an application under subsection (1) at any time thereafter.

Ordonnance

Order of Court

(4) Le tribunal peut, s’il estime qu’une institution fédérale ne s’est pas conformée à la présente loi, accorder la réparation qu’il estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

(4) Where, in proceedings under subsection (1), the Court concludes that a federal institution has failed to comply with this Act, the Court may grant such remedy as it considers appropriate and just in the circumstances.

Précision

Other rights of action

(5) Le présent article ne porte atteinte à aucun autre droit d’action.

1985, ch. 31 (4e suppl.), art. 772005, ch. 41, art. 2.

(5) Nothing in this section abrogates or derogates from any right of action a person might have other than the right of action set out in this section.

1985, c. 31 (4th Supp.), s. 772005, c. 41, s. 2.

[19] Plusieurs autres articles de la LLO en vigueur à l’époque sont également pertinents au présent débat. Ceux-ci ont été reproduits en annexe au présent jugement et en font partie intégrante.

V. Prétentions des parties

A. Partie requérante

[20] En vertu des dispositions législatives applicables, TC soumet que la Cour fédérale peut seulement entendre un recours intenté sous l’article 77 (1) LLO si celui-ci découle d’une plainte au Commissaire. TC indique en effet que le recours selon l’article 77 « doit se faire à l’intérieur du cadre établi par les plaintes du demandeur », et c’est la plainte qui encadre la compétence de cette Cour. Ces principes auraient été articulés par notre Cour, notamment dans Forum des maires et Canada (Commissioner of Official Languages) c Air Canada, 1997 CanLII 5843 (CF) [Air Canada 1997] au para 20.

[21] TC rappelle d’ailleurs que bien que le Commissaire ait le pouvoir d’enquêter de son propre chef (article 56(2) LLO), une telle enquête n’ouvre pas la porte à un recours devant la Cour. Ce n’est que dans le contexte d’une plainte que le recours sous 77(1) de la LLO peut trouver application. La qualité de demandeur devant cette Cour découle donc de la qualité de plaignant devant la Commission (Forum des maires au para 17).

[22] Ainsi, en faisant abstraction du contenu du Rapport mais en concentrant l’analyse sur le contenu des Plaintes de M. Thibodeau, TC soumet qu’il est évident que le recours de M. Thibodeau ne découle pas de ses Plaintes et/ou que le recours ne se situerait pas à « l'intérieur des cadres établis par les plaintes originales et les autres plaintes de même nature concernant la même institution » (Air Canada 1997, au para 20). TC appuie son raisonnement sur 1) le fait qu’aucune des Plaintes n’a été faite à l’encontre de TC, 2) que celles-ci concernent des institutions différentes, 3) qu’elles touchent un sujet différent qui n’est pas lié au nom officiel des aéroports et 4) qu’elles visent des manquements à la LLO de nature différente à ce qui est reproché à TC. Ainsi, selon TC, le recours de M. Thibodeau est voué à échec en raison d’un vice de compétence.

[23] Notamment, TC soumet que le présent recours de M. Thibodeau viserait le défaut allégué de TC « de prendre des mesures positives pour promouvoir l’engagement du gouvernement du Canada de promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne tel que le prévoit la partie VII de la LLO », alors que ses Plaintes visaient plutôt « des manquements allégués à la partie IV de la LLO par huit (8) [Administrations], en l’occurrence des inégalités de services et affichages de certains aéroports en raison de logos, slogan ou adresses URL unilingues anglophones ».

[24] TC soumet donc que le recours de TC n’est pas suffisamment lié aux Plaintes et qu’ainsi, à défaut de plainte, le paragraphe 77(1) LLO ne peut trouver application. Conséquemment, TC soumet que la Cour n’a pas la compétence d’entendre le recours.

[25] Dans la mesure où la Cour conclut qu’elle n’a pas la compétence d’entendre le recours de M. Thibodeau, il en découlerait un vice « manifeste et évident » du recours, qui supporte la radiation (JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c Canada (Revenu national), 2013 CAF 250 [JP Morgan] aux para 47-53 citant David Bull Laboratories (Canada) Inc. c Pharmacia Inc., 1994 CanLII 3529 (CAF) [David Bull] aux pp 596-600 ; Alliance nationale de l’industrie musicale c Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, 2021 CF 942 au para 7 ; Amsel c Canada (Procureur général), 2020 CF 853 [Amsel] au para 11).

[26] D’abondant et subsidiairement, TC soumet que l’article 77 de la LLO empêche le fractionnement d’une plainte en plusieurs recours. Ainsi, puisque M. Thibodeau a déposé un recours contre chacune des Administrations visées et un autre contre TC en lien avec l’ensemble des aéroports visés, il y aurait ici deux recours par Plainte, ce qui, selon TC, ne serait pas permis. TC soumet également que ceci serait contraire à l’objet de l’article 77 de la LLO, aux principes d’économie judiciaire, à la prévention de la multiplication et du fractionnement des procédures et aux règles empêchant le double recouvrement. TC ne soumet toutefois aucune autorité pour supporter son argument subsidiaire.

B. Intervenant

[27] Le Commissaire, qui a obtenu l’autorisation d’intervenir en l’instance, soumet quant à lui que le paragraphe 77(1) de la LLO doit, comme pour toutes les dispositions mettant en place des mécanismes procéduraux afférents aux droits linguistiques, être interprété largement (Fédération des francophones de la Colombie-Britannique c Canada (Emploi et Développement social), 2018 CF 530 [Fédération des francophones] au para 51, inf en partie pour d’autres motifs par Canada (Commissaire aux langues officielles) c Canada (Emploi et Développement social), 2022 CAF 14 [Fédération des francophones CAF], autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 40114 (2 mars 2023)).

[28] Le Commissaire ajoute que « le paragraphe 77(1) de la LLO n’impose aucune condition formaliste ni substantive aux allégations initiales d’un plaignant, sauf pour le fait que celles-ci doivent « viser » « une obligation ou un droit » énumérés dans la disposition ». Ainsi, il soumet que le seuil pour se prévaloir d’un recours sous 77(1) de la LLO est très bas et qu’aucun critère précis n’est imposé vis-à-vis les allégations que doit contenir une plainte. Le Commissaire liste, au soutien de ses prétentions, la jurisprudence relative à l’article 77 de la LLO, pour démontrer que bien que cet article ait été analysé sur plusieurs aspects, la question des obligations du plaignant quant au contenu de sa plainte, n’a jamais été analysée par la Cour.

[29] Le Commissaire rappelle par ailleurs qu’il y va de l’objectif même de la LLO et de l’intention du législateur que la loi ait des dents (Thibodeau c Air Canada, 2014 CSC 67 au para 115), y compris « au-delà des recommandations que le commissaire peut émettre », afin que les droits qu’elle consacre et les obligations qu’elle impose ne restent pas lettre morte (Thibodeau c St. John’s 2022 aux para 22, 68; Forum des maires au para 17; DesRochers c Canada (Industrie), 2009 CSC 8 [Desrochers] au para 35). Quant à l’intention du législateur, le Commissaire extrait et cite plusieurs passages des débats parlementaires ayant entouré l’adoption de l’article 77 de la LLO, qui a remplacé une disposition d’ordre déclaratoire afin de permettre à un plaignant d’apporter les enjeux qu’il soulève devant la Cour fédérale pour obtenir réparation (voir notamment Débats de la Chambre des communes, 33-2, vol X (8 février 1988) aux pp 12706 et 12712 (Hon Ray Hnatyshyn, Hon Jean-Robert Gauthier), en ligne: https://parl.canadiana.ca/view/oop.debates_CDC3302_10/978).

[30] D’abondant, le Commissaire soumet que ce n’est pas le rôle du plaignant d’étoffer sa plainte mais plutôt celui du Commissaire d’enquêter le ou les enjeux soulevés par une plainte et « d’aller au fond des choses » en utilisant les vastes pouvoirs et la grande marge procédurale que le législateur lui a octroyés (St-Onge c Canada (Commissariat aux langues officielles), 1992 CanLII 14790 (CAF) [St-Onge] à la p 288; voir aussi les articles 61 et 62(1) de la LLO). Il rappelle que ce sont les faits derrière une plainte qui sont pertinents et non les mots utilisés dans celle-ci. Il est donc loisible pour le Commissaire de déterminer, dans le cadre de son enquête, qui sont les parties visées par la plainte ou quelles obligations en découlent.

[31] D’ailleurs, bien que le Commissaire concède que c’est la qualité de plaignant qui confère ensuite celle de demandeur devant la Cour et que l’objectif du recours judiciaire est de déterminer le bien-fondé de la plainte et non celui du rapport, la Commissaire rappelle que « (l)e rapport de la commissaire n’en est pas moins la source ou le prétexte du recours » (Forum des maires au para 17). La Cour suprême du Canada a aussi confirmé que « la plainte déposée auprès du commissaire et les conclusions de son enquête sont donc à l’origine du recours prévu à l’art. 77 » (Desrochers au para 34 citant Forum des maires).

[32] D’abondant, puisque le recours constitue une audition de novo et non une révision judiciaire du Rapport, le Commissaire rappelle que la Cour peut analyser tous les faits et éléments de preuve pertinents aux Plaintes, que ceux-ci soient inclus ou non dans le Rapport, afin de cerner le « fondement réel » des Plaintes (Desrochers aux para 34-37 ; Forum des maires aux para 19-21 ; Fédération des francophones CAF au para 170). La Cour peut aussi admettre « en preuve (…) les renseignements portant sur des plaintes de même nature concernant une même institution fédérale » (article 79 de la LLO). Pour le Commissaire, si ces éléments de preuve nouveaux et plaintes connexes ouvrent la porte à des obligations qui dépassent le contenu d’une plainte, la Cour n’y est pas limitée, le but étant qu’elle puisse avoir une vue d’ensemble sur les violations de nature systémique, et y remédier. Le Commissaire souligne d’ailleurs que la Cour peut même être saisie dans les cas où le Commissaire n’a pas mené d’enquête ou juge que l’institution fédérale visée a remédié au problème, ou avant que son rapport d’enquête ne soit communiqué aux parties (77(2) et 77(3) de la LLO ; Dionne c Canada (Procureur général), 2015 CF 862).

[33] Enfin, le Commissaire rappelle que pour que la requête en radiation de TC soit accueillie, il doit être « évident » que le recours de M. Thibodeau est mal fondé. Il cite la décision de la Cour d’appel dans Norton c Via Rail Canada Inc, 2005 CAF 205 [Norton] au para 15, où la juge Sharlow explique (traduction non officielle et comportant des erreurs typographiques) « (u)ne demande faite en application de l'article 77 de la LLO ne devrait pas être radiée à moins qu'il n=y a aucune possibilité que le juge qui entend cette demande accorde une réparation ». Ainsi, puisque l’interprétation du paragraphe 77(1) de la LLO est une question inédite, qu’elle est au cœur de la requête en radiation, et puisqu’il existe au moins deux interprétations plausibles de celui-ci (celle de TC et celle soumise par le Commissaire), il n’est pas « évident » que le recours n’a aucune chance de succès.

C. Partie intimée

[34] Quant à M. Thibodeau, il soumet que ses Plaintes vont plus loin ce que TC prétend. Bien que celles-ci ne mentionnent pas spécifiquement le fait que les « noms » des aéroports visés étaient eux-mêmes unilingues anglophones, selon lui, ceci découle aisément du contenu des Plaintes et de la preuve qu’il a soumise.

[35] D’abondant, il soumet que plusieurs enjeux peuvent découler d’une même plainte et qu’il n’était pas de sa responsabilité de savoir que certains des enjeux d’affichage qu’il a soulevés découleraient du fait que les noms officiels des aéroports visés étaient uniquement en anglais, ou encore que ceci tomberait sous la responsabilité de TC. Il souligne aussi que ce n’est pas la responsabilité d’un plaignant d’identifier toutes les causes ou raisons derrière les enjeux soulevés, en citant notamment l’ordonnance accueillant la demande d’intervention du Commissaire rendue la juge adjointe Molgat dans la présente instance, où elle écrit « (l)es droits linguistiques prévus dans plusieurs parties de la LLO et applicables dans une enquête ne sont pas toujours faciles à identifier par un plaignant » (Thibodeau c Transport Canada (31 juillet 2025), Ottawa, T-1643-23 (CF)).

[36] Ainsi, il soumet que bien que certains faits aient été découverts à la suite de l’enquête du Commissaire, tels que détaillés dans le Rapport, ces faits découlent selon lui des Plaintes qu’il a déposées ou sont suffisamment liés à celles-ci.

[37] M. Thibodeau rappelle par ailleurs que pour que la requête en radiation soit accueillie, il doit être « évident et manifeste » que son recours est mal fondé. La Cour doit constater un vice « fondamental et manifeste » tel que sa demande « n’a aucune chance d’être accueillie » (Berenguer c Sata Internacional - Azores Airlines, S.A., 2023 CAF 176 au para 24 ; JP Morgan au para 47 citant David Bull à la page 600).

[38] Puisque l’interprétation du paragraphe 77(1) de la LLO est au cœur de la requête en radiation, et puisqu’il existe au moins deux interprétations valides de celui-ci (celle de TC et celle soumise par le Commissaire), il n’est pas « évident et manifeste » que son recours n’a aucune chance raisonnable de succès. À ce stade, « (l)a seule tâche (de la Cour) consiste à déterminer s’il existe une interprétation conflictuelle qui mérite d’être prise en considération ou qui a une chance raisonnable de succès » (Mohr c Ligue nationale de hockey, 2022 CAF 145 [Mohr] aux para 45-52, demande de pourvoi à la CSC rejetée, 40426 (20 avril 2023)).

[39] Sur ce dernier point, à l’audience, TC répond que la décision dans Mohr ne devrait pas être suivie lorsque la question d’interprétation législative porte sur la compétence même de la Cour. Selon TC, le juge saisi de la requête en radiation devrait trancher la question de la compétence de la Cour fédérale de façon complète et définitive, et non différer le tout au juge qui entendra le mérite de l’affaire.

VI. L’analyse

A. Question préliminaire

[40] Bien que les parties aient soulevé un enjeu quant à l’admissibilité en preuve de l’affidavit d’un représentant de TC, lors de l’audience, le débat sur le sujet fut limité. En effet, les parties conviennent que normalement, dans la mesure où une requête en radiation vise un vice « évident et manifeste » d’un avis de demande, aucune preuve au soutien de la requête n’est admissible (JP Morgan au para 51). Toutefois, les parties s’entendent également pour dire que lorsque l’avis de demande réfère à un ou plusieurs faits ou éléments de preuve, ceux-ci sont incorporés par renvoi sans qu’il soit nécessaire de les inclure par affidavit (JP Morgan au para 54 ; Moreau v Commissioner of Official Languages (14 avril 2005), Ottawa T-3666-24 (CF), aux pages 7-8 conf par 2025 FCA 130). En l’instance, l’avis de demande réfère aux Plaintes et au Rapport. La Cour juge donc que ces éléments de preuve sont admissibles et pertinents pour les fins de la requête en radiation (JP Morgan au para 54).

[41] Par ailleurs, TC soumet que lorsque le vice allégué en est un de compétence, la preuve par affidavit peut être introduite lorsqu’elle porte sur la question de la compétence de la Cour (Cobb c Canada (Procureur général), 2025 CF 74 au para 4 ; Aquavita International S.A. c M/V Pantelis (Navire), 2015 CF 180 au para 4 citant MIL Davie Inc c Société d’exploitation et de développement Hibernia Ltée, 1998 CanLII 7789 (CAF) au para 8). En l’instance, bien que les autres parties ne soient pas en accord avec les prétentions de TC, le débat sur ce sujet fut limité puisque toutes les parties conviennent que la balance du contenu de l’affidavit de TC ne vise pas la compétence de la Cour et n’est donc pas pertinente pour les fins de ma décision. Ainsi, la Cour n’en tiendra pas compte.

B. Principes guidant l’interprétation des droits linguistiques

[42] Vu les questions soulevées par la présente requête en radiation, il est important de prendre le temps de considérer les principes devant guider la Cour quant à l’interprétation des droits linguistiques au Canada.

[43] La Cour d’appel fédérale dans le dossier Thibodeau c St. John’s 2022 (2024 CAF 197) débute son jugement ainsi :

[1] Les conclusions tirées dans le présent appel sont une illustration de l’interprétation large et généreuse qu’il faut donner à la Loi sur les langues officielles, L.R.C. 1985, c. 31 (4e suppl.) (LLO), et de toute autre loi connexe à celle-ci, afin d’assurer la protection des langues officielles au Canada. Toute interprétation indûment restrictive des obligations linguistiques mise de l’avant par une institution fédérale est révolue et ne saurait être retenue.

(Soulignement ajouté)

[44] La Cour d’appel fédérale indique également ce qui suit :

[70] Qu’il s’agisse du paragraphe 4(1) de la LCA ou de l’article 23 de la LLO, l’approche interprétative demeure la même (Rizzo). Toutefois, il y a lieu aussi de rappeler que la signification de ce qu’est un voyageur et l’ampleur des services ou communications qui s’adressent à ces derniers au sens de l’article 23 de la LLO doit recevoir une interprétation conforme avec l’objectif de la LLO qui est de favoriser le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle (Beaulac au para. 25; DesRochers au para. 31).

[71] C’est d’ailleurs cette approche interprétative qu’a privilégiée la Cour fédérale en l’espèce. Elle a effectivement bien étayé les objectifs de la LLO poursuivis par le législateur dans le contexte particulier des voyageurs comme suit :

[47] La [LLO] vise à favoriser l’épanouissement des collectivités de langue officielle et la progression vers l’égalité d’usage du français et de l’anglais partout au pays. Afin de réaliser ces objectifs, il est important que les Canadiennes et les Canadiens puissent voyager d’un bout à l’autre du pays en recevant des services dans la langue de leur choix. C’est pourquoi les critères de la demande importante relatifs à l’article 23 tiennent compte non seulement de la population locale, mais aussi de l’achalandage de l’aéroport et du fait qu’au moins un aéroport dans chaque province ou territoire devrait offrir des services dans les deux langues. Il y a donc lieu de favoriser une interprétation généreuse de l’article 23, afin d’assurer, autant que possible, une expérience de voyage dans la langue officielle choisie par le voyageur.

(…)

[73] Dans le même ordre d’idées, notre Cour a récemment rappelé dans l’affaire Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Bureau du surintendant des institutions financières2021 CAF 159, [2022] 1 R.C.F. 105, qu’une interprétation indûment restrictive d’une disposition de la  LLO  « fait violence aux objectifs des droits linguistiques » (au para. 46). Cette affaire portait sur l’interprétation d'un article de la Partie V de la LLO qui confère le droit de travailler dans la langue officielle de son choix. À cet égard, notre Cour a affirmé qu’il faut éviter d’imposer des critères «ambigüe[s] et arbitraire[s] » à l’exercice d’un droit prévu par la LLO puisque de tels critères sont susceptibles de « restrein[dre] arbitrairement la portée de [la LLO] de manière contraire à l’interprétation large, libérale et téléologique requise » (au para. 79).

(Soulignement ajouté)

[45] Dans l’affaire Fédération des francophones, le juge Gascon fournit une excellente description des principes devant guider l’interprétation des droits linguistiques. La Cour se permet de les reprendre ici :

[46] Les droits linguistiques, il faut le souligner, constituent une pierre d’assise de la société canadienne. La LLO s’affiche comme une loi fondamentale du pays, étroitement liée aux valeurs et aux droits prévus par la Constitution canadienne, et notamment par la Charte. La Cour suprême lui a reconnu un statut quasi constitutionnel (Thibodeau CSC, au paragraphe 12; DesRochers c. Canada (Industrie), 2009 CSC 8, [2009] 1 R.C.S. 194 (DesRochers CSC), au paragraphe 2; Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, [2002] 2 R.C.S. 773 (Lavigne CSC), au paragraphe 25; R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768 (Beaulac), au paragraphe 21). De nombreuses parties de la LLO ont d’ailleurs un ancrage constitutionnel, par exemple le paragraphe 20(1) de la Charte pour la langue de service et le paragraphe 16(1) pour la langue de travail. Le paragraphe 20(1) de la Charte se lit ainsi :

Procédures devant les tribunaux du Nouveau-Brunswick

20. (1) Le public a, au Canada, droit à l’emploi du français ou de l’anglais pour communiquer avec le siège ou l’administration centrale des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services; il a le même droit à l’égard de tout autre bureau de ces institutions là où, selon le cas :

a) l’emploi du français ou de l’anglais fait l’objet d’une demande importante;

b) l’emploi du français et de l’anglais se justifie par la vocation du bureau.

(…)

[48] Les droits linguistiques au Canada « visent à protéger les minorités de langue officielle du pays et à assurer l’égalité de statut du français et de l’anglais » et ils « doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle » [souligné dans l’original] (Beaulac, aux paragraphe 25 et 41; DesRochers CSC, au paragraphe 31). Les tribunaux sont donc tenus d’interpréter la LLO, une loi quasi constitutionnelle, de façon libérale et téléologique (DesRochers CSC, au paragraphe 31; Thibodeau c. Air Canada, 2012 CAF 246, [2013] 2 R.C.F. 155 (Thibodeau CAF), au paragraphe 12). Les droits linguistiques doivent ainsi bénéficier d’une interprétation large et libérale et ce, de manière à favoriser la survie et l’épanouissement des minorités de langue officielle au Canada (DesRochers CSC, au paragraphe 31; Beaulac, au paragraphe 25). Dans le Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, à la page 744, la Cour suprême, à l’unanimité, expliquait ainsi le rôle que jouent les droits linguistiques au sein de la société canadienne :

[…] L’importance des droits en matière linguistique est fondée sur le rôle essentiel que joue la langue dans l’existence, le développement et la dignité de l’être humain. C’est par le langage que nous pouvons former des concepts, structurer et ordonner le monde autour de nous. Le langage constitue le pont entre l’isolement et la collectivité, qui permet aux êtres humains de délimiter les droits et obligations qu’ils ont les uns envers les autres, et ainsi, de vivre en société.

[49] Dans l’arrêt Beaulac, au paragraphe 24, la Cour suprême a de plus consacré le principe directeur selon lequel la LLO protège et vise une égalité réelle au niveau des droits linguistiques au Canada :

[…] Ce principe d’égalité réelle a une signification. Il signifie notamment que les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent, en conséquence, des obligations pour l’État […] Il signifie également que l’exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d’accommodement.

[50] Par conséquent, depuis l’arrêt Beaulac, « l’interprétation stricte des droits linguistiques a été écartée en faveur d’une approche téléologique fondée sur le principe de l’égalité réelle » (Canada (Procureur général) c. Shakov, 2017 CAF 250 (Shakov), au paragraphe 116 (motifs dissidents, mais non sur ce point); DesRochers CSC, au paragraphe 31; Lavigne CSC, au paragraphe 22). (…)

[51] Tant les droits et obligations de fond prévus à la LLO que les mécanismes procéduraux entourant les droits linguistiques doivent être interprétés de façon large et libérale. C’est le cas pour le paragraphe 77(2) de la LLO (Dionne c. Canada (Procureur général), 2015 CF 862, au paragraphe 17). Dans le même esprit, le paragraphe 77(4) de la LLO, qui confère un vaste pouvoir de réparation aux tribunaux, doit « recevoir une interprétation généreuse afin que se réalise son objet » (Thibodeau CSC, au paragraphe 112). Cette approche est conforme avec la vision selon laquelle les droits linguistiques doivent être interprétés « comme un outil essentiel au maintien et à la protection des collectivités de langue officielle là où ils s’appliquent », ce qui est uniquement réalisable si les mécanismes procéduraux bénéficient de cette approche large et libérale (Beaulac, au paragraphe 25).

[52] Cela ne signifie cependant pas que les règles d’interprétation législative ordinaires n’ont plus leur place lorsqu’il s’agit d’interpréter la LLO (Thibodeau CSC, au paragraphe 112; Charlebois c. Saint John (Ville), 2005 CSC 74, [2005] 3 R.C.S. 563 (Charlebois), au paragraphe 23; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559 (Bell ExpressVu), au paragraphe 62). Tout au contraire, l’approche moderne d’interprétation des lois, selon laquelle il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur, continue toujours de s’appliquer même en matière de droits linguistiques (Caron c. Alberta, 2015 CSC 56, [2015] 3 R.C.S. 511, au paragraphe 38; Thibodeau CSC, au paragraphe 112; Lavigne CSC, au paragraphe 25, citant Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2 e éd. Toronto : Butterworths, 1983, à la page 87; voir aussi, au sujet de l’approche moderne d’interprétation des lois, Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, [2017] 2 R.C.S. 289, au paragraphe 23; et Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27 (Rizzo), au paragraphe 21).

(Soulignement ajouté)

[46] La Cour d’appel fédérale dans le même dossier (Fédération des francophones CAF, 2022 CAF 14) indique ce qui suit quant aux principes d’interprétation des droits linguistiques :

[110] Le juge de première instance a rappelé en début d’analyse les principes d’interprétation applicables en matière de droits linguistiques (motifs, aux paragraphes 46 à 53). Il a précisé que la LLO est une loi fondamentale étroitement liée aux valeurs et droits prévus par la Constitution et notamment par la Charte à ses paragraphes 20(1) et 16(1), qui traitent de la langue de service et de la langue de travail.

[111] Il s’agit donc « dans tous les cas » d’interpréter les droits linguistiques « en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle » (motifs, au paragraphe 48; citant Beaulac, au paragraphe 25). Cela dit, l’approche moderne d’interprétation des lois, selon laquelle il faut lire les termes de la loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical des mots de façon harmonieuse avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur demeure applicable en matière de droits linguistiques (motifs, au paragraphe 52; citant à l’appui les arrêts Caron c. Alberta, 2015 CSC 56, [2015] 3 R.C.S. 511, au paragraphe 38; Thibodeau c. Air Canada, 2014 CSC 67, [2014] 3 R.C.S. 340, au paragraphe 112; Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), 2002 CSC 53, [2002] 2 R.C.S. 773 (Lavigne CSC), au paragraphe 25; Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, [2017] 2 R.C.S. 289 et Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837, au paragraphe 21).

[47] Les passages suivants de la décision du juge Grammond dans Thibodeau c St. John’s 2022 sont au même effet :

[22] Dans l’arrêt Forum des maires de la Péninsule acadienne c Canada (Agence d'inspection des aliments), 2004 CAF 263, [2004] 4 RCF 276 [Forum des maires], le juge Robert Décary de la Cour d’appel fédérale a souligné les principales caractéristiques du recours fondé sur l’article 77 de la Loi; voir aussi DesRochers c Canada (Industrie), 2009 CSC 8 aux paragraphes 32 à 37, [2009] 1 RCS 194 [DesRochers]. Ce recours vise à assurer l’efficacité de la Loi en lui donnant des « dents ». Il ne s’agit pas (sic) une demande de contrôle judiciaire du rapport du Commissaire, mais d’un recours distinct. Notre Cour doit effectuer sa propre évaluation des faits, même si elle peut s’appuyer sur le rapport du Commissaire. Le demandeur doit établir une violation de la Loi au moment de sa plainte, mais la Cour peut tenir compte des faits subséquents, notamment des efforts du défendeur pour se conformer à la Loi, au moment de déterminer la réparation appropriée.

[23] En statuant sur une telle demande, la Cour peut être appelée à trancher des difficultés d’interprétation de la Loi. On affirme souvent qu’en raison de son statut quasi constitutionnel, la Loi doit recevoir une interprétation « libérale et téléologique » : DesRochers, au paragraphe 31, citant R c Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 RCS 768, au paragraphe 25 [Beaulac]. L’interprétation doit tout de même obéir à la méthode habituelle, qui exige la prise en compte du texte, du contexte global, de l’économie de la loi et de l’objectif poursuivi par le législateur : Thibodeau c Air Canada, 2014 CSC 67 au paragraphe 112, [2014] 3 RCS 340 [Thibodeau (CSC)]. Néanmoins, cet objectif, qui est de favoriser l’épanouissement des collectivités de langue officielle, doit se voir accorder tout le poids qu’il mérite : DesRochers, au paragraphe 31. De plus, le principe de l’interprétation libérale et téléologique de la Loi se traduit par une présomption résiduelle : si l’application des méthodes habituelles ne permet pas de trancher entre deux interprétations possibles de la Loi, on doit choisir l’interprétation qui accorde une portée plus large aux droits linguistiques. Une présomption semblable s’applique à la Charte : voir, par exemple, R c Rodgers, 2006 CSC 15, aux paragraphes 18 et 19, [2006] 1 RCS 554. Puisque la Loi vise à mettre en œuvre certains droits garantis par la Charte, il est logique qu’elle bénéficie de la même présomption.

(Soulignement ajouté)

C. Principes entourant un recours fondé sur l’article 77 de la LLO

[48] En plus des principes généraux susmentionnés, dans la décision Forum des maires, la Cour d’appel fédérale établit les principes entourant la nature et la portée du recours intenté en vertu de l’article 77 de la LLO. Ces principes ont par la suite été cités avec approbation par la Cour suprême du Canada dans DesRochers et sont résumés comme suit :

  1. Bien que le recours fondé sur l’article 77 de la LLO ne soit pas une demande de contrôle judiciaire, sur le plan procédural, il est régi par les Règles applicables à ce type de demande (DesRochers au para 32; Forum des maires au para 15) et Règles des Cours fédérales, DORS 98/106, à l’alinéa 300b [Règles des Cours fédérales]));

  2. B.Le paragraphe 77(1) est clair et explicite; il ne vise que les plaintes visant un droit ou une obligation prévue à certains articles ou parties de la LLO expressément identifiés (Forum des maires aux para 25 et 27-28) (voir également DesRochers aux para 32-33, notant que depuis 2005, le paragraphe 77(1) vise les articles 4 à 7, 10 à 13 et 91 ainsi que les parties IV, V et VII de la LLO);

  3. Le Commissaire n’est pas un tribunal et ne rend donc pas une décision; il reçoit les plaintes, mène une enquête puis fait un rapport auquel il peut inclure des recommandations (LLO, arts 63(1), (3); Forum des maires au para 16);

  4. Puisque l’absence de suite des recommandations formulées dans le rapport du Commissaire ne mène qu’à un remède politique, et pour s’assurer que la LLO « ait des dents » et que « les droits ou obligations qu’elle reconnaît ou impose ne demeurent pas lettre morte », le législateur a prévu un recours devant cette Cour permettant ainsi au Commissaire ou au plaignant d’obtenir des redressements à la discrétion de la Cour (LLO, art 77-78; DesRochers au para 35; Forum des maires aux para 16-18);

  5. C’est la qualité de plaignant devant le Commissaire qui permet la qualité de demandeur devant cette Cour; le rapport du Commissaire est ainsi la source ou le prérequis à l’exercice du recours et la date de communication du rapport correspond au point de départ aux fins des délais (LLO, art 77(1); DesRochers au para 34; Forum des maires au para 17);

  6. Ce recours vise à vérifier le bien-fondé de la plainte, ou plus précisément des prétentions avancées par le plaignant, et non celui du rapport du Commissaire (DesRochers au para 34; Forum des maires au para 17; voir aussi Bossé c Canada (Agence de la santé publique), 2023 CAF 199 [Bossé] au para 15 );

  7. Le bien-fondé d’une plainte est examiné en fonction du moment de la violation alléguée et ce sont donc les faits qui existaient à la date du dépôt de la plainte auprès du Commissaire qui sont déterminants quant à l’issue du recours (DesRochers aux para 34, 37, 42; Forum des maires aux para 20, 53);

  8. La Cour entend le recours de novo et elle peut examiner toute preuve admissible, dont le rapport du Commissaire; la Cour n’est toutefois pas liée par ce rapport, qui peut être contredit par toute preuve (DesRochers au para 36; Forum des maires aux para 20-21) -et elle peut même, exceptionnellement, prendre connaissance d’éléments de preuve qui n’avaient pas été portés à la connaissance du Commissaire (LLO, art 79);

  9. Afin d’accorder des réparations au demandeur, la Cour doit d’abord être satisfaite qu’une institution fédérale a fait défaut de se conformer à la LLO (LLO, para 77(4); Forum des maires aux para 20-21; Canada (Commissaire aux langues officielles) c CBC/Radio-Canada, 2015 CAF 251 aux para 43, 48);

  10. Toute réparation recherchée par un demandeur doit être justifiée par les faits existants au moment de la décision de la Cour et des circonstances qui prévalent à ce moment (DesRochers aux para 34, 37, 42; Forum des maires aux para 20, 53);

  11. K.Enfin, la Cour doit « exercer son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur son appréciation prudente de la nature du droit et de la violation en cause, sur les faits et sur l’application des principes juridiques pertinents » (Forum des maires au para 57, citant la Cour suprême du Canada dans Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse, 2003 CSC 62 aux para 52-55).

[49] C’est donc sous l’éclairage de ces principes que la Cour doit trancher la demande en radiation.

D. Test applicable à une requête en radiation d’un avis de demande de contrôle judiciaire

[50] Toutes les parties sont en accord que le test applicable en matière de requête en radiation fondée sur l’article 221 des Règles des cours fédérales est celui établi par la Cour fédérale d’appel dans l’arrêt JP Morgan au para 47:

La Cour n’accepte de radier un avis de demande de contrôle judiciaire que s’il est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucun (sic) chance d’être accueilli » [note en bas de page omise] : David Bull Laboratories (Canada) inc. c. Pharmacia inc, (1985) 1 C.F. 588 (C.A.), à la page 600. Elle doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande : Rahman c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117, au paragraphe 7; Donaldson c. Western Grain Storage By-Products, 2012 CAF 286, au paragraphe 6; Hunt c. Carey Canada inc., [1990] 2 R.C.S. 959.

[51] La Cour est du même avis. De plus, la Cour partage la position de TC qu’un vice de compétence peut constituer un cas « manifeste et évident » de dossier voué à l’échec (Amsel au para 11 ; Norton aux para 15-16 ; Moreau v Canada (Office of the Commissionner of Official Languages), 2025 FCA 130 notamment aux para 10, 21-25 ; Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 au para 36 ; JP Morgan aux para 66 et 92).

E. Le cas spécifique des requêtes en radiation pour défaut de compétence

[52] Lorsque la requête en radiation est fondée sur l’absence de compétence de la Cour, ce défaut de compétence doit lui-même être « manifeste et évident » (Hodgson c Bande indienne d'Ermineskin no 942, 2000 CanLII 15066 (CF) [Hodgson] aux para 9-10 conf par 2000 CanLII 16686 (CAF), demande de pourvoi à la CSC refusée, 28413 (6 septembre 2001), cité dans Windsor (City) c Canadian Transit Co, 2016 CSC 54 [Windsor] au para 24).

[53] Dans Hodgson, la juge Reed expliquait qu’il convenait de distinguer les cas où les questions de compétence « ne peuvent être facilement tranchées avant que tous les éléments de preuve n'aient été produits », de celles qui « peuvent être facilement tranchées dans le cadre d'une requête en radiation » (Hodgson au para 10). Dans le dossier Hodgson, puisque la compétence de la Cour dépendait de questions hautement factuelles, il était clair que le juge saisi du fond du dossier était mieux placé pour la traiter pleinement et en disposer de façon définitive.

[54] En l’instance, TC soumet que le juge qui entendra le mérite de la demande de M. Thibodeau ne sera pas mieux placé que je ne le suis pour dire si la Cour fédérale a compétence. TC soumet en effet que les éléments clés pour en décider sont inclus dans les Plaintes et le Rapport, qui sont déjà devant moi. Toutefois, puisqu’il s’agit d’une audition de novo, le juge du mérite pourra prendre connaissance de tout élément de preuve additionnel qu’il jugerait pertinent à l’issue du litige. Ainsi, bien que le dossier procédural soit avancé, et que la Cour dispose dès à présent de plusieurs éléments pertinents pour déterminer le sort de la requête en radiation, il n’est pas impossible que d’autres éléments de preuve pertinents au présent débat soient soumis par les parties avant l’audition au mérite.

[55] Par ailleurs, les parties admettent qu’aucune jurisprudence précise n’existe sur la question de la compétence de la Cour telle que celle qui est soulevée en l’instance, incluant les questions d’interprétation de l’article 77 de la LLO. Comme la Cour l’a déjà confirmé, les requêtes en radiation ne sont pas le moyen approprié pour rendre des conclusions finales sur des questions d’interprétation statutaire complexes (Canada (Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires) c Colombie-Britannique (Finances), 2012 CF 725 au para 27 ; Zanin c Ooma, Inc., 2025 CF 51 au para 306).

[56] Ainsi, puisque la requête en radiation soulève une question d’interprétation statutaire, il convient, comme M. Thibodeau le propose, de suivre les enseignements de la Cour d’appel fédérale dans Mohr aux para 45-52, qui rappelle que le rôle du juge saisi de la requête en radiation « consiste à déterminer s’il existe une interprétation conflictuelle qui mérite d’être prise en considération ou qui a une chance raisonnable de succès » et assoirait la compétence de la Cour.

[57] Ce faisant, dans la mesure où les interprétations de l’article 77 de la LLO, portées par TC d’un côté et par M. Thibodeau et le Commissaire de l’autre, « méritent » toutes deux d’être prises en considération et sont susceptibles d’être retenues par le juge du fond, il n’est pas manifeste et évident que la Cour n’a pas compétence.

F. Il n’est pas manifeste et évident que le recours est voué à l’échec

[58] Sur la base des faits et éléments de preuve disponibles à ce stade, il n’est pas non plus manifeste et évident que le recours de M. Thibodeau ne découle pas des Plaintes ou n’est pas suffisamment lié aux Plaintes.

[59] Comme l’indique la Cour d’appel fédérale dans JP Morgan « lorsqu’elle est saisie d’une requête en radiation, la Cour doit lire l’avis de demande de manière à saisir la véritable nature de la demande » (au para 49) et pour ce faire, «(l)a Cour doit faire une « appréciation réaliste » de la « nature essentielle » de la demande en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme » (au para 50, citant Canada c Domtar inc., 2009 CAF 218 au para 28; Canada c Roitman, 2006 CAF 266 au para 16 et Canada (Procureur général) c TeleZone Inc., 2010 CSC 62 au para 78; voir aussi Windsor au para 26).

[60] Dans le cadre d’une requête en radiation, les faits mentionnés à l’avis de demande de M. Thibodeau doivent être pris pour avérés (Condon c Canada, 2015 CAF 159 au para 13; JP Morgan au para 52, citant Chrysler Canada inc. c Canada, 2008 CF 727, au para 20, conf par 2008 CAF 1049). De plus, comme l’admet TC, l’avis de demande de M. Thibodeau doit être interprété de manière « aussi libérale que possible » (as generously as possible) (Robert Aquilini Successor Trust v Canada (Attorney General), 2021 CanLII 46435 (CF) au para 20 cité dans Première Nation de Dakota Plains c Smoke, 2022 CF 911 au para 7).

[61] La Cour est d’accord avec la position de TC que ce n’est pas le Rapport ou les enquêtes du Commissaire qui ouvrent la porte à un recours devant cette Cour, et ce, même si le Rapport fait partie du dossier et est mentionné dans l’avis de demande. Ce sont bien les Plaintes de M. Thibodeau qui ouvrent la porte à des recours devant la Cour fédérale (Desrochers aux para 34-36; Forum des maires aux para 16-17 & 20-21). Comme l’indique la Cour d’appel fédérale dans Bossé quant au rapport du Commissaire: « Ce rapport n’est cependant pas l’objet du recours; c’est au bien-fondé de la plainte que doit plutôt s’intéresser la Cour fédérale, le rapport du Commissaire n’étant en quelque sorte qu’une condition préalable à l’exercice du recours prévu à l’article 77 » (Bossé au para 15) (voir aussi DesRochers au para 34; Forum des maires au para 17). Reste que, comme le Commissaire le souligne à bon escient, la Cour suprême du Canada a aussi confirmé que « la plainte déposée auprès du commissaire et les conclusions de son enquête sont donc à l’origine du recours prévu à l’art. 77 » (Desrochers au para 34 citant Forum des maires).

[62] Ainsi, TC suggère que lorsque l’on fait abstraction du contenu du Rapport et de la caractérisation des Plaintes faite par le Commissaire, pour n’analyser que le contenu des Plaintes elles-mêmes, la « véritable nature » de celles-ci ne concerneraient qu’une absence ou une inégalité de services et d’affichage en français, et donc un manquement à la partie IV de la LLO commis par les Administrations. Les Plaintes ne porteraient pas sur le nom officiel des aéroports, et encore moins sur le défaut allégué de TC à prendre des mesures positives pour promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne en vertu de la partie VII de la LLO.

[63] Avec égard, la Cour ne partage pas cette analyse restrictive des Plaintes. Les Plaintes de M. Thibodeau indiquent une absence ou une inégalité de services et d’affichage en français, sans aucunement restreindre leur fondement à la partie IV de la LLO. Bien que M. Thibodeau mentionne parfois une Administration en particulier, pour souligner qu’il s’étonne qu’elle viole encore la LLO malgré ce qu’il décrit comme des rappels répétés du Commissaire, dans ses Plaintes, M. Thibodeau se limite principalement à des allégations de faits, sans caractérisation juridique. Il n’identifie pas non plus les personnes responsables des enjeux qu’il soulève et encore moins les causes derrière ceux-ci.

[64] La Cour partage la position du Commissaire et de M. Thibodeau qu’il n’est pas de la responsabilité du plaignant d’identifier les auteurs, ni les causes de la situation dont il se plaint. C’est en effet le rôle du Commissaire, dans le cadre de son enquête, de faire la lumière sur ceux-ci. Comme la Cour d’appel fédérale l’a indiqué, si le Commissaire dispose de pouvoirs exceptionnels à la fois en matière d’enquête et pour faire respecter « l’esprit » de la LLO, c’est parce que « le Parlement lui dicte expressément, lorsqu’il reçoit une plainte, d’aller au fond des choses » (St-Onge aux pp 299-300, voir aussi les articles 56(1), 61 et 62(1) de la LLO). C’est ce que le Commissaire a fait ici, et son Rapport, valablement devant la Cour, permet d’établir que TC pourrait être responsable de certaines violations de la LLO.

[65] La Cour est également en accord avec les propos de la juge adjointe Molgat, responsable de la gestion de l’instance, qui indique, dans le cadre de la demande en intervention du Commissaire en l’instance, que « les droits linguistiques prévus dans plusieurs parties de la LLO et applicables dans une enquête ne sont pas toujours faciles à identifier par un plaignant » (Thibodeau c Transport Canada (31 juillet 2025), Ottawa, T-1643-23 (CF)).

[66] Il est vrai que le Commissaire dispose d’un vaste pouvoir d’enquête. Il est également vrai que le Commissaire peut même enquêter d’office (article 56(2) de la LLO). Dans un tel cas toutefois, cette enquête n’ouvrira pas la porte à un recours sous l’article 77 de la LLO, ni à une saisine de la Cour fédérale par le Commissaire lui-même au titre de l’article 78 de la LLO. Toutefois, en l’instance, la Cour est d’avis que TC confond une enquête qui va « au fond des choses » suite à des Plaintes déposées, à une enquête qui serait faite d’office par le Commissaire. Il ne semble pas anormal que l’enquête du Commissaire dépasse le contenu des Plaintes et identifie des éléments de preuve additionnels à ceux initialement identifiés par le plaignant, de même que les causes et les personnes responsables des enjeux soulevés dans les Plaintes.

[67] À la lecture des Plaintes et des éléments de preuve soumis à leur appui, force est de constater que plusieurs des exemples fournis par M. Thibodeau incluent le nom des aéroports eux-mêmes, qui apparaissent en anglais seulement. Ce faisant, la Cour n’a pas besoin de faire une interprétation très libérale pour en déduire que les faits qui sous-tendent les Plaintes semblent également viser le nom unilingue anglais des aéroports en cause. C’est d’ailleurs également ainsi que le Commissaire a qualifié les Plaintes dans son Rapport. Ainsi, bien qu’il soit vrai qu’une partie du contenu de l’avis de demande de M. Thibodeau contre TC découle d’informations contenues dans le Rapport, ce dernier semble quant à lui découler des Plaintes et des enquêtes faites par le Commissaire en lien avec celles-ci.

[68] Reste à savoir si la responsabilité de TC découle suffisamment des Plaintes pour que M. Thibodeau puisse instituer un recours contre TC devant la Cour. Ce sera au juge du mérite de déterminer si la demande de M. Thibodeau contre TC est suffisamment rattachée aux Plaintes. Cela dit, il n’est pas « manifeste et évident » qu’elle ne l’est pas.

[69] De plus, rappelons que rien dans la LLO n’empêche un plaignant d’utiliser tous les éléments de preuve pertinents à ses plaintes pour intenter son recours devant cette Cour. Au contraire, la LLO et la jurisprudence sont claires que la Cour, qui siège alors de novo, peut considérer l’ensemble des éléments de preuve pertinents pour cerner les enjeux que le plaignant a soulevés, et vérifier s’il y avait ou non eu violation de la LLO au moment de la plainte (Desrochers aux para 34-37 ; Forum des maires aux para 19-21 ; Fédération des francophones CAF au para 170). Elle peut aussi admettre « en preuve (…) les renseignements portant sur des plaintes de même nature concernant une même institution fédérale » (article 79 LLO).

[70] En l’instance, il est tout à fait pertinent de savoir qui sont les parties potentiellement responsables des enjeux soulevés par les Plaintes de M. Thibodeau et d’en connaitre les potentielles causes. Ce sera au juge du mérite de déterminer si les conclusions du Rapport sont justes à ces sujets ou si d’autres éléments de preuve viennent apporter un éclairage pertinent. Le juge pourra également déterminer, si malgré le fait que TC est une institution fédérale différente des Administrations, et que la cause d’action contre TC serait fondée sur des sections différentes de la LLO que celles mobilisées contre les Administrations, TC peut malgré tout faire l’objet d’un recours par M. Thibodeau en lien avec les Plaintes qu’il a déposées.

[71] La situation est en ce sens analogue à celles qui prévalaient dans Canada (Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires) c Colombie-Britannique (Finances), 2012 CF 725 et dans Toney c Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2011 CF 1440 conf par 2012 CAF 167). Notamment, dans Toney, la Cour d’appel fédérale a confirmé que le juge de première instance avait eu raison de rejeter la requête en radiation introduite par la Gendarmerie Royale, au motif que les arguments présentés par les demandeurs pour asseoir la compétence de la Cour étaient novateurs, en ce qu’ils n’avaient pas encore été tranchés par les tribunaux (au para 5). En l’instance, l’interprétation que TC propose de donner à l’article 77 de la LLO, quant à l’impact qu’un rapport « dépassant les confins » des plaintes d’un demandeur peut avoir sur la compétence de notre Cour, est tout aussi nouvelle. Aucune jurisprudence claire ne rend son rejet, ou son accueil, évident.

[72] La requête en radiation sera donc rejetée puisqu’il n’est pas « manifeste et évident » que la Cour fédérale n’a pas compétence, ni que le recours de M. Thibodeau est voué à l’échec.

G. Fractionnement d’une plainte en plusieurs recours

[73] TC soumet qu’une seule plainte ne peut pas soutenir plusieurs recours. Pour soutenir cet argument, TC présente une lecture très littérale des mots employés à l’article 77 de la LLO, notamment « Quiconque a saisi le commissaire d’une plainte (…), peut former un recours » (soulignement ajouté), pour supporter son argument que l’intention du législateur est à l’effet que l’ensemble des manquements pour chaque plainte doit procéder par le biais d’un seul recours. TC ne soumet toutefois aucune jurisprudence pour appuyer ses prétentions.

[74] Force est de constater que ce même article indique également « une plainte visant une obligation ou un droit » (soulignement ajouté). Pourtant, personne ne soumet ici qu’une même plainte ne pourrait pas viser plus d’une obligation ou plus d’un droit ou même les deux. Ainsi, la Cour est d’avis que l’usage du singulier n’évoque pas ici l’intention du législateur à limiter le nombre d’obligations, de droits ou de recours découlant d’une même plainte.

[75] Un autre exemple de ceci se retrouve au paragraphe 58(1) de la LLO, qui prévoit quant à lui que le Commissaire instruit toute plainte portant sur « un acte ou une omission » et faisant état « d’un cas précis de non-reconnaissance du statut d’une langue officielle » ou de manquement à une loi ou un règlement traitant des langues officielles, ou au texte ou à l’esprit de la LLO. Pourtant, personne ne prétend ici que M. Thibodeau ne pouvait pas soulever plusieurs actes et omissions susceptibles de constituer plusieurs violations de la LLO, ce qu’il a fait. L’inverse reviendrait à suggérer que les plaignants doivent, par exemple, soumettre une plainte pour chaque panneau et chaque document unilingue qu’ils observent, pour chaque adresse URL unilingue, et pour chaque interaction dans le cadre de laquelle ils constatent que le service offert n'est pas de qualité égale dans les deux langues officielles, même lorsque tous leurs griefs visent la même institution fédérale. L’exiger semble déraisonnable. Outre les inefficiences administratives que cela créerait pour le Commissaire, le fardeau imposé à chaque plaignant serait néfaste en termes d’accès à cet ombudsman.

[76] D’ailleurs, le paragraphe 33(2) de la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I-21, qui prévoit que le singulier englobe le pluriel et vice-versa, fait prima facie obstacle à la prétention de TC. Rien n’indique que le législateur a souhaité repousser cette présomption, qui est régulièrement appliquée par nos tribunaux pour interpréter des dispositions de nature procédurale et donc comparables au paragraphe 77(1) de la LLO (voir notamment la décision unanime de la Cour suprême du Canada dans R c TJM, 2021 CSC 6 au para 17, quant au sens du terme « proceeding » ou « procès » dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, LC 2002, c 1; ou encore la décision de la Cour d’appel fédérale dans Brake c Canada, 2019 CAF 274 au para 33 quant au sens du terme « instance » dans les Règles des cours fédérales).

[77] TC appuie également ses prétentions sur des « principes de saine administration de la justice, de l’économie des ressources judiciaires, de la prévention de la multiplication et du fractionnement des procédures » et sur des « règles visant à empêcher un demandeur de scinder sa plainte et d’intenter plusieurs recours pour la même situation factuelle ou du même fait, de multiplier les réclamations pour le paiement de dommages-intérêts ». Encore ici, TC ne soumet aucune jurisprudence pour appuyer ses prétentions.

[78] D’abord, rappelons que nous ne sommes pas ici devant un recours en responsabilité, tel qu’encadré par le Code civil du Québec, mais bien face à une action pour violation de la LLO. Les dommages et intérêts réclamés en l’instance sont plus de la nature d’une pénalité visant à dissuader toute violation et à promouvoir la défense des droits linguistiques; ils ne visent pas à compenser un individu en indemnisant un préjudice spécifique (Thibodeau c St. John’s 2022 aux paras 81-88).

[79] Ainsi, si le juge du mérite détermine que TC est lui-même responsable de certaines des violations de la LLO découlant des Plaintes, il pourrait juger opportun d’octroyer des dommages-intérêts contre TC, et ce, même si certaines Administrations sont, elles aussi, séparément jugées responsables de certaines violations.

[80] Dans Thibodeau c Administration des aéroports régionaux d'Edmonton, 2022 CF 565, alors que l’administration aéroportuaire s’opposait à la demande de dommages-intérêts de M. Thibodeau en pointant son activisme et sa supposée « marchandisation des droits linguistiques », le juge Grammond qualifie ces prétentions de « scandaleuses » et explique, au para 31 : « l’efficacité du recours prévu par l’article 77 dépend de la ténacité de plaignants privés. Vu les efforts considérables qui sont nécessaires pour mener à son terme une demande selon cette disposition, on ne doit pas se surprendre que très peu de gens s’engagent dans cette voie. Dans ce contexte, une institution fédérale assujettie à la Loi ne saurait se plaindre du nombre de recours qu’un individu comme M. Thibodeau intente à l’encontre d’autres institutions. »

[81] La Cour est d’avis qu’il serait contraire à l’économie judiciaire d’accorder la requête en radiation sur ce chef, tout en permettant à M. Thibodeau d’amender ses sept (7) recours contre les Administrations pour y ajouter TC comme partie défenderesse, comme le propose TC, et de le forcer à intenter des recours distincts contre TC dans les dossiers où il y a eu règlement hors cour avec certaines Administrations pour les manquements qui leur étaient reprochés. Ceci est d’autant plus vrai que le 30 décembre 2024, les recours ont tous faits l’objet d’une réunion partielle des instances en ce qui concerne le dossier de preuve et d’une ordonnance visant à ce qu’elles soient instruites conjointement et tranchées par le même juge.

VII. Conclusions

[82] La requête en radiation est rejetée. Il n’est pas manifeste et évident que la Cour fédérale n’a pas compétence pour entendre de la demande de M. Thibodeau contre TC. Il n’est pas non plus « manifeste et évident » que la demande intentée par M. Thibodeau contre TC ne découle pas des Plaintes qu’il a déposées. Enfin, la Cour n’est pas convaincue par les soumissions de TC que le fractionnement d’une plainte en plusieurs recours ne serait pas permis.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1. La requête en radiation de l’avis de demande est rejetée, avec dépens.

« Danielle Ferron »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1643-23

 

INTITULÉ :

MICHEL THIDOEAU ET SA MAJESTÉ LE ROI (TRANSPORTS CANADA) ET COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 août 2025

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE FERRON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 OCTOBRE 2025

 

COMPARUTIONS :

Albert Brunet

partie demanderesse (Intimé)

Stéphanie Dion

partie défenderesse (Requérante)

 

Isabelle Hardy

Kenza Salah

Intervenant

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Albert Brunet

Caza Saikaley s.r.l./LLP

Ottawa (Ontario)

partie demanderesse (Intimé)

Stéphanie Dionne

Ministère de la Justice du Canada

Ottawa (Ontario)

partie défenderesse (Requérante)

 

Isabelle Hardy

Kenza Salah

Commissariat aux langues officielles du Canada

Gatineau (Québec)

Intervenant


ANNEXE : Dispositions législatives pertinentes

 

Préambule

Attendu : que la Constitution dispose que le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada et qu’ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada;

qu’elle prévoit l’universalité d’accès dans ces deux langues en ce qui a trait au Parlement et à ses lois ainsi qu’aux tribunaux établis par celui-ci;

qu’elle prévoit en outre des garanties quant au droit du public à l’emploi de l’une ou l’autre de ces langues pour communiquer avec les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ou pour en recevoir les services;

qu’il convient que les agents des institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada aient l’égale possibilité d’utiliser la langue officielle de leur choix dans la mise en oeuvre commune des objectifs de celles-ci;

qu’il convient que les Canadiens d’expression française et d’expression anglaise, sans distinction d’origine ethnique ni égard à la première langue apprise, aient des chances égales d’emploi dans les institutions du Parlement ou du gouvernement du Canada;

que le gouvernement fédéral s’est engagé à réaliser, dans le strict respect du principe du mérite en matière de sélection, la pleine participation des Canadiens d’expression française et d’expression anglaise à ses institutions;

qu’il s’est engagé à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones, au titre de leur appartenance aux deux collectivités de langue officielle, et à appuyer leur développement et à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne;

qu’il s’est engagé à collaborer avec les institutions et gouvernements provinciaux en vue d’appuyer le développement des minorités francophones et anglophones, d’offrir des services en français et en anglais, de respecter les garanties constitutionnelles sur les droits à l’instruction dans la langue de la minorité et de faciliter pour tous l’apprentissage du français et de l’anglais;

qu’il s’est engagé à promouvoir le caractère bilingue de la région de la capitale nationale et à encourager les entreprises, les organisations patronales et syndicales, ainsi que les organismes bénévoles canadiens à promouvoir la reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais;

qu’il reconnaît l’importance, parallèlement à l’affirmation du statut des langues officielles et à l’élargissement de leur usage, de maintenir et de valoriser l’usage des autres langues,

Sa Majesté, sur l’avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes du Canada, édicte :

 

Preamble

WHEREAS the Constitution of Canada provides that English and French are the official languages of Canada and have equality of status and equal rights and privileges as to their use in all institutions of the Parliament and government of Canada;

AND WHEREAS the Constitution of Canada provides for full and equal access to Parliament, to the laws of Canada and to courts established by Parliament in both official languages;

AND WHEREAS the Constitution of Canada also provides for guarantees relating to the right of any member of the public to communicate with, and to receive available services from, any institution of the Parliament or government of Canada in either official language;

AND WHEREAS officers and employees of institutions of the Parliament or government of Canada should have equal opportunities to use the official language of their choice while working together in pursuing the goals of those institutions;

AND WHEREAS English-speaking Canadians and French-speaking Canadians should, without regard to their ethnic origin or first language learned, have equal opportunities to obtain employment in the institutions of the Parliament or government of Canada;

AND WHEREAS the Government of Canada is committed to achieving, with due regard to the principle of selection of personnel according to merit, full participation of English-speaking Canadians and French-speaking Canadians in its institutions;

AND WHEREAS the Government of Canada is committed to enhancing the vitality and supporting the development of English and French linguistic minority communities, as an integral part of the two official language communities of Canada, and to fostering full recognition and use of English and French in Canadian society;

AND WHEREAS the Government of Canada is committed to cooperating with provincial governments and their institutions to support the development of English and French linguistic minority communities, to provide services in both English and French, to respect the constitutional guarantees of minority language educational rights and to enhance opportunities for all to learn both English and French;

AND WHEREAS the Government of Canada is committed to enhancing the bilingual character of the National Capital Region and to encouraging the business community, labour organizations and voluntary organizations in Canada to foster the recognition and use of English and French;

AND WHEREAS the Government of Canada recognizes the importance of preserving and enhancing the use of languages other than English and French while strengthening the status and use of the official languages;

NOW, THEREFORE, Her Majesty, by and with the advice and consent of the Senate and House of Commons of Canada, enacts as follows:

Langues des communications et services

22 Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leur siège ou leur administration centrale, et en recevoir les services, dans l’une ou l’autre des langues officielles. Cette obligation vaut également pour leurs bureaux — auxquels sont assimilés, pour l’application de la présente partie, tous autres lieux où ces institutions offrent des services — situés soit dans la région de la capitale nationale, soit là où, au Canada comme à l’étranger, l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante.

Voyageurs

23 (1) Il est entendu qu’il incombe aux institutions fédérales offrant des services aux voyageurs de veiller à ce que ceux-ci puissent, dans l’une ou l’autre des langues officielles, communiquer avec leurs bureaux et en recevoir les services, là où, au Canada comme à l’étranger, l’emploi de cette langue fait l’objet d’une demande importante.

Where communications and services must be in both official languages

22 Every federal institution has the duty to ensure that any member of the public can communicate with and obtain available services from its head or central office in either official language, and has the same duty with respect to any of its other offices or facilities

(a) within the National Capital Region; or

(b) in Canada or elsewhere, where there is significant demand for communications with and services from that office or facility in that language.

Travelling public

23 (1) For greater certainty, every federal institution that provides services or makes them available to the travelling public has the duty to ensure that any member of the travelling public can communicate with and obtain those services in either official language from any office or facility of the institution in Canada or elsewhere where there is significant demand for those services in that language.

Promotion du français et de l’anglais

Engagement

41 (1) Le gouvernement fédéral s’engage à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne.

Obligations des institutions fédérales

(2) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises des mesures positives pour mettre en oeuvre cet engagement. Il demeure entendu que cette mise en oeuvre se fait dans le respect des champs de compétence et des pouvoirs des provinces.

Advancement of English and French

Government policy

41 (1) The Government of Canada is committed to

(a) enhancing the vitality of the English and French linguistic minority communities in Canada and supporting and assisting their development; and

(b) fostering the full recognition and use of both English and French in Canadian society.

Duty of federal institutions

(2) Every federal institution has the duty to ensure that positive measures are taken for the implementation of the commitments under subsection (1). For greater certainty, this implementation shall be carried out while respecting the jurisdiction and powers of the provinces.


 

Mission

56 (1) Il incombe au commissaire de prendre, dans le cadre de sa compétence, toutes les mesures visant à assurer la reconnaissance du statut de chacune des langues officielles et à faire respecter l’esprit de la présente loi et l’intention du législateur en ce qui touche l’administration des affaires des institutions fédérales, et notamment la promotion du français et de l’anglais dans la société canadienne.

Enquêtes

(2) Pour s’acquitter de cette mission, le commissaire procède à des enquêtes, soit de sa propre initiative, soit à la suite des plaintes qu’il reçoit, et présente ses rapports et recommandations conformément à la présente loi.

Duty of Commissioner under Act

56 (1) It is the duty of the Commissioner to take all actions and measures within the authority of the Commissioner with a view to ensuring recognition of the status of each of the official languages and compliance with the spirit and intent of this Act in the administration of the affairs of federal institutions, including any of their activities relating to the advancement of English and French in Canadian society.

Idem

(2) It is the duty of the Commissioner, for the purpose set out in subsection (1), to conduct and carry out investigations either on his own initiative or pursuant to any complaint made to the Commissioner and to report and make recommendations with respect thereto as provided in this Act.

Plaintes et enquêtes

Plaintes

58 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le commissaire instruit toute plainte reçue — sur un acte ou une omission — et faisant état, dans l’administration d’une institution fédérale, d’un cas précis de non-reconnaissance du statut d’une langue officielle, de manquement à une loi ou un règlement fédéraux sur le statut ou l’usage des deux langues officielles ou encore à l’esprit de la présente loi et à l’intention du législateur.

 

 

 

 

 

 

Dépôt d’une plainte

(2) Tout individu ou groupe a le droit de porter plainte devant le commissaire, indépendamment de la langue officielle parlée par le ou les plaignants.

Interruption de l’instruction

(3) Le commissaire peut, à son appréciation, interrompre toute enquête qu’il estime, compte tenu des circonstances, inutile de poursuivre.

Refus d’instruire

(4) Le commissaire peut, à son appréciation, refuser ou cesser d’instruire une plainte dans l’un ou l’autre des cas suivants :

a) elle est sans importance;

b) elle est futile ou vexatoire ou n’est pas faite de bonne foi;

c) son objet ne constitue pas une contravention à la présente loi ou une violation de son esprit et de l’intention du législateur ou, pour toute autre raison, ne relève pas de la compétence du commissaire.

Avis au plaignant

(5) En cas de refus d’ouvrir une enquête ou de la poursuivre, le commissaire donne au plaignant un avis motivé.

Préavis d’enquête

59 Le commissaire donne un préavis de son intention d’enquêter à l’administrateur général ou à tout autre responsable administratif de l’institution fédérale concernée.

Secret des enquêtes

60 (1) Les enquêtes menées par le commissaire sont secrètes.

Droit de réponse

(2) Le commissaire n’est pas obligé de tenir d’audience, et nul n’est en droit d’exiger d’être entendu par lui. Toutefois, si au cours de l’enquête, il estime qu’il peut y avoir des motifs suffisants pour faire un rapport ou une recommandation susceptibles de nuire à un particulier ou à une institution fédérale, il prend, avant de clore l’enquête, les mesures indiquées pour leur donner toute possibilité de répondre aux critiques dont ils font l’objet et, à cette fin, de se faire représenter par un avocat.

Procédure

61 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le commissaire peut établir la procédure à suivre pour ses enquêtes.

Délégation pour la collecte de renseignements

(2) Le commissaire peut, dans les limites qu’il fixe, déléguer en tout ou en partie à un cadre du commissariat nommé au titre de l’article 51 les attributions que lui confère la présente loi en ce qui concerne la collecte des renseignements utiles à l’enquête.

Pouvoir d’enquête

62 (1) Pour les enquêtes, à l’exclusion de celles relatives à la partie III, qu’il mène en vertu de la présente loi, le commissaire a le pouvoir :

a) de la même manière et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives, d’assigner des témoins et de les contraindre à comparaître devant lui et à déposer sous serment, verbalement ou par écrit, ainsi qu’à produire les documents et autres pièces qu’il estime indispensables pour instruire à fond toute question relevant de sa compétence aux termes de la présente loi;

b) de faire prêter serment;

c) de recevoir et d’accepter, notamment par voie de déposition ou d’affidavit, les éléments de preuve et autres renseignements qu’il juge indiqués, indépendamment de leur admissibilité devant les tribunaux;

d) sous réserve des restrictions que peut prescrire, par règlement, le gouverneur en conseil pour des raisons de défense ou de sécurité, de pénétrer dans les locaux d’une institution fédérale et d’y procéder, dans le cadre de la compétence que lui confère la présente loi, aux enquêtes qu’il juge à propos.

(…)

Clôture de l’enquête

63 (1) Au terme de l’enquête, le commissaire transmet un rapport motivé au président du Conseil du Trésor ainsi qu’à l’administrateur général ou à tout autre responsable administratif de l’institution fédérale concernée, s’il est d’avis :

a) soit que le cas en question doit être renvoyé à celle-ci pour examen et suite à donner si nécessaire;

b) soit que des lois ou règlements ou des instructions du gouverneur en conseil ou du Conseil du Trésor devraient être reconsidérés, ou encore qu’un usage aboutissant à la violation de la présente loi ou risquant d’y aboutir devrait être modifié ou abandonné;

c) soit que d’autres mesures devraient être prises.

(…)

Recommandations

(3) Le commissaire peut faire les recommandations qu’il juge indiquées dans son rapport; il peut également demander aux administrateurs généraux ou aux autres responsables administratifs de l’institution fédérale concernée de lui faire savoir, dans le délai qu’il fixe, les mesures envisagées pour donner suite à ses recommandations.

Information des intéressés

64 (1) Au terme de l’enquête, le commissaire communique, dans le délai et de la manière qu’il juge indiqués, ses conclusions au plaignant ainsi qu’aux particuliers ou institutions fédérales qui ont exercé le droit de réponse prévu au paragraphe 60(2).

Suivi

(2) Il peut, quand (sic) aux termes du paragraphe 63(3) il a fait des recommandations auxquelles, à son avis, il n’a pas été donné suite dans un délai raisonnable par des mesures appropriées, en informer le plaignant et faire à leur sujet les commentaires qu’il juge à propos; le cas échéant, il fait parvenir le texte de ses recommandations et commentaires aux personnes visées au paragraphe (1).

 

Investigations

Investigation of complaints

58 (1) Subject to this Act, the Commissioner shall investigate any complaint made to the Commissioner arising from any act or omission to the effect that, in any particular instance or case,

(a) the status of an official language was not or is not being recognized,

(b) any provision of any Act of Parliament or regulation relating to the status or use of the official languages was not or is not being complied with, or

(c) the spirit and intent of this Act was not or is not being complied with

in the administration of the affairs of any federal institution.

 

Who may make complaint

(2) A complaint may be made to the Commissioner by any person or group of persons, whether or not they speak, or represent a group speaking, the official language the status or use of which is at issue.

Discontinuance of investigation

(3) If in the course of investigating any complaint it appears to the Commissioner that, having regard to all the circumstances of the case, any further investigation is unnecessary, the Commissioner may refuse to investigate the matter further.

Right of Commissioner to refuse or cease investigation

(4) The Commissioner may refuse to investigate or cease to investigate any complaint if in the opinion of the Commissioner

(a) the subject-matter of the complaint is trivial;

(b) the complaint is frivolous or vexatious or is not made in good faith; or

(c) the subject-matter of the complaint does not involve a contravention or failure to comply with the spirit and intent of this Act, or does not for any other reason come within the authority of the Commissioner under this Act.

Complainant to be notified

(5) Where the Commissioner decides to refuse to investigate or cease to investigate any complaint, the Commissioner shall inform the complainant of that decision and shall give the reasons therefor.

Notice of intention to investigate

59 Before carrying out an investigation under this Act, the Commissioner shall inform the deputy head or other administrative head of any federal institution concerned of his intention to carry out the investigation.

Investigation to be conducted in private

60 (1) Every investigation by the Commissioner under this Act shall be conducted in private.

Opportunity to answer allegations and criticisms

(2) It is not necessary for the Commissioner to hold any hearing and no person is entitled as of right to be heard by the Commissioner, but if at any time during the course of an investigation it appears to the Commissioner that there may be sufficient grounds to make a report or recommendation that may adversely affect any individual or any federal institution, the Commissioner shall, before completing the investigation, take every reasonable measure to give to that individual or institution a full and ample opportunity to answer any adverse allegation or criticism, and to be assisted or represented by counsel for that purpose.

Procedure

61 (1) Subject to this Act, the Commissioner may determine the procedure to be followed in carrying out any investigation under this Act.

Receiving and obtaining of information by officer designated

(2) The Commissioner may direct that information relating to any investigation under this Act be received or obtained, in whole or in part, by any officer of the office of the Commissioner appointed under section 51 and that officer shall, subject to such restrictions or limitations as the Commissioner may specify, have all the powers and duties of the Commissioner under this Act in relation to the receiving or obtaining of that information.

Powers of Commissioner in carrying out investigations

62 (1) The Commissioner has, in relation to the carrying out of any investigation under this Act, other than an investigation in relation to Part III, power

(a) to summon and enforce the attendance of witnesses and compel them to give oral or written evidence on oath, and to produce such documents and things as the Commissioner deems requisite to the full investigation and consideration of any matter within his authority under this Act, in the same manner and to the same extent as a superior court of record;

(b) to administer oaths;

(c) to receive and accept such evidence and other information, whether on oath or by affidavit or otherwise, as in his discretion the Commissioner sees fit, whether or not the evidence or information is or would be admissible in a court of law; and

(d) subject to such limitation as may in the interests of defence or security be prescribed by regulation of the Governor in Council, to enter any premises occupied by any federal institution and carry out therein such inquiries within his authority under this Act as the Commissioner sees fit.

(…)

Conclusion of investigation

63 (1) If, after carrying out an investigation under this Act, the Commissioner is of the opinion that

(a) the act or omission that was the subject of the investigation should be referred to any federal institution concerned for consideration and action if necessary,

(b) any Act or regulations thereunder, or any directive of the Governor in Council or the Treasury Board, should be reconsidered or any practice that leads or is likely to lead to a contravention of this Act should be altered or discontinued, or

(c) any other action should be taken,

the Commissioner shall report that opinion and the reasons therefor to the President of the Treasury Board and the deputy head or other administrative head of any institution concerned.

(…)

Recommendations

(3) The Commissioner may

(a) in a report under subsection (1) make such recommendations as he thinks fit; and

(b) request the deputy head or other administrative head of the federal institution concerned to notify the Commissioner within a specified time of the action, if any, that the institution proposes to take to give effect to those recommendations.

Where investigation carried out pursuant to complaint

64 (1) Where the Commissioner carries out an investigation pursuant to a complaint, the Commissioner shall inform the complainant and any individual by whom or on behalf of whom, or the deputy head or other administrative head of any federal institution by which or on behalf of which, an answer relating to the complaint has been made pursuant to subsection 60(2), in such manner and at such time as the Commissioner thinks proper, of the results of the investigation.

Where recommendations made

(2) Where recommendations have been made by the Commissioner under subsection 63(3) but adequate and appropriate action has not, in the opinion of the Commissioner, been taken thereon within a reasonable time after the recommendations are made, the Commissioner may inform the complainant of those recommendations and make such comments thereon as he thinks proper, and shall provide a copy of the recommendations and comments to any individual, deputy head or administrative head whom the Commissioner is required under subsection (1) to inform of the results of the investigation.

 

Recours

77 (1) Quiconque a saisi le commissaire d’une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV, V, ou VII, ou fondée sur l’article 91, peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie.

Application for remedy

77 (1) Any person who has made a complaint to the Commissioner in respect of a right or duty under sections 4 to 7, sections 10 to 13 or Part IV, V or VII, or in respect of section 91, may apply to the Court for a remedy under this Part.

Exercice de recours par le commissaire

78 (1) Le commissaire peut selon le cas :

a) exercer lui-même le recours, dans les soixante jours qui suivent la communication au plaignant des conclusions de l’enquête ou des recommandations visées au paragraphe 64(2) ou dans le délai supérieur accordé au titre du paragraphe 77(2), si le plaignant y consent;

b) comparaître devant le tribunal pour le compte de l’auteur d’un recours;

c) comparaître, avec l’autorisation du tribunal, comme partie à une instance engagée sur le fondement de la présente partie.

Comparution de l’auteur du recours

(2) Dans le cas prévu à l’alinéa (1)a), le plaignant peut comparaître comme partie à l’instance.

Pouvoir d’intervenir

(3) Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte au pouvoir du commissaire de demander l’autorisation d’intervenir dans toute instance judiciaire relative au statut ou à l’usage du français ou de l’anglais.

Preuve — plainte de même nature

79 Sont recevables en preuve dans les recours les renseignements portant sur des plaintes de même nature concernant une même institution fédérale.

Procédure sommaire

80 Le recours est entendu et jugé en procédure sommaire, conformément aux règles de pratique spéciales adoptées à cet égard en vertu de l’article 46 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

Commissioner may apply or appear

78 (1) The Commissioner may

(a) within the time limits prescribed by paragraph 77(2)(a) or (b), apply to the Court for a remedy under this Part in relation to a complaint investigated by the Commissioner if the Commissioner has the consent of the complainant;

(b) appear before the Court on behalf of any person who has applied under section 77 for a remedy under this Part; or

(c) with leave of the Court, appear as a party to any proceedings under this Part.

Complainant may appear as party

(2) Where the Commissioner makes an application under paragraph (1)(a), the complainant may appear as a party to any proceedings resulting from the application.

Capacity to intervene

(3) Nothing in this section abrogates or derogates from the capacity of the Commissioner to seek leave to intervene in any adjudicative proceedings relating to the status or use of English or French.

Evidence relating to similar complaint

79 In proceedings under this Part relating to a complaint against a federal institution, the Court may admit as evidence information relating to any similar complaint under this Act in respect of the same federal institution.

Hearing in summary manner

80 An application made under section 77 shall be heard and determined in a summary manner in accordance with any special rules made in respect of such applications pursuant to section 46 of the Federal Courts Act.

 

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