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Date : 20250925


Dossier : IMM-10009-24

Référence : 2025 CF 1576

Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2025

En présence de monsieur le juge Sébastien Grammond

ENTRE :

REBECCA NAMA KAJI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Madame Kaji, une citoyenne de la République démocratique du Congo, a demandé un permis d’études pour entreprendre un baccalauréat en ingénierie à l’Université du Québec à Chicoutimi. Un agent des visas a refusé sa demande parce qu’elle n’a pas démontré qu’elle disposait des ressources financières suffisantes pour acquitter ses frais de scolarité et subvenir à ses besoins, comme l’exige l’article 220 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement]. Plus précisément, l’agent a relevé « Limited evidence of regular and sustained sufficient income to observe economic establishment through transaction history – unclear source of funds ».

[2] Madame Kaji sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de l’agent. Dans ses prétentions écrites, elle soutient que l’agent aurait dû donner des motifs plus élaborés et ne pas se borner à employer des « gabarits » pour énoncer les motifs de refus. Lors de l’audience, elle a insisté sur le fait qu’elle rêve de devenir ingénieure et que ses parents économisent depuis longtemps afin de lui permettre de faire ses études au Canada. Elle soutient que si l’agent avait des doutes quant à la suffisance des ressources financières, il aurait dû l’aviser de ses préoccupations et lui demander de fournir des preuves additionnelles.

[3] Je rejette la demande de contrôle judiciaire. D’entrée de jeu, il convient de préciser le rôle de la Cour lors d’une telle demande. La Cour doit décider si la décision prise par l’agent des visas est raisonnable, c’est-à-dire si elle peut logiquement se fonder sur la preuve dont disposait l’agent. L’appréciation de la preuve comporte une marge de discrétion, et il appartient à l’agent d’exercer celle-ci. Lors du contrôle judiciaire, la Cour ne s’engage pas à nouveau dans cet exercice. De plus, la demande de contrôle judiciaire se fonde uniquement sur la preuve présentée à l’agent : Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 au paragraphe 86. Le demandeur ne peut présenter des preuves additionnelles afin de demander à la Cour de rendre une décision différente.

[4] Contrairement aux prétentions de Mme Kaji, l’agent n’avait pas à fournir des motifs plus détaillés. Il est bien connu que les agents des visas ne sont pas tenus de fournir des motifs élaborés : Sayyar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 494 au paragraphe 10 [Sayyar]. Les agents des visas peuvent utiliser des gabarits, pourvu que la Cour puisse comprendre le fondement de la décision : Safarian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 775 au paragraphe 3. De plus, dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au paragraphe 94, [2019] 4 RCS 653, la Cour suprême du Canada affirme que le tribunal qui tranche une demande de contrôle judiciaire « peut considérer, par exemple, la preuve dont disposait le décideur [et] les observations des parties ». Par conséquent, les motifs de l’agent des visas ne doivent pas être lus isolément, mais plutôt à la lumière de la demande et de la preuve qui l’accompagnait.

[5] L’agent des visas a pris une décision raisonnable en constatant l’insuffisance de la preuve des ressources financières de Mme Kaji. À cet égard, le rôle de l’agent a été décrit ainsi dans la décision Sayyar, au paragraphe 12 :

[…] il ne s’agit pas simplement d’examiner le relevé bancaire des demandeurs pour vérifier s’ils disposent de fonds suffisants et de leur accorder un permis; l’agent des visas doit effectuer une analyse plus détaillée et exhaustive sur la source, la nature et la stabilité des fonds […]

[6] En particulier, lorsqu’un relevé bancaire fait état du dépôt de sommes importantes sans que le demandeur ait fourni d’explications, il est raisonnable de conclure que la source des sommes en cause n’a pas été démontrée : Nasimi v Canada (Citizenship and Immigration), 2024 FC 2049 au paragraphe 7; Ugorji v Canada (Citizenship and Immigration), 2025 FC 571 aux paragraphes 14 et 15.

[7] En l’espèce, la principale preuve fournie à l’agent était le relevé du compte d’épargne de la mère de Mme Kaji. Ce relevé fait état de dépôts et de retraits occasionnels pour des montants importants, mais ne démontre pas que les parents de Mme Kaji reçoivent un salaire régulier. L’agent a donc rendu une décision raisonnable lorsqu’il a conclu que la source des fonds n’avait pas été démontrée et qu’il n’y avait aucun historique de transactions. Voir, à titre de comparaison, Mohebban v Canada (Citizenship and Immigration), 2024 FC 819 au paragraphe 30 [Mohebban]. Par ailleurs, l’agent pouvait raisonnablement exiger que des relevés bancaires soient fournis pour corroborer les attestations d’emploi des parents de Mme Kaji.

[8] À l’audience, Mme Kaji a affirmé que ses parents possédaient un compte d’épargne et un compte courant et que c’est dans ce dernier que l’on pourrait observer les transactions courantes tels les dépôts de salaire. De plus, elle a affirmé qu’une partie de l’argent déposé dans le compte d’épargne provenait d’un prêt obtenu par sa mère. Or, Mme Kaji n’a pas présenté ces renseignements au soutien de sa demande de permis d’études. Puisque l’agent des visas ne disposait pas de ces preuves, Mme Kaji ne peut les présenter à la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

[9] Madame Kaji soutient également que l’agent des visas aurait dû l’aviser de ses préoccupations et lui donner une occasion de fournir des renseignements additionnels. Or, il incombe au demandeur de fournir toute la preuve nécessaire à l’examen de sa demande de permis d’études. L’agent des visas n’est pas tenu de signaler la présence de lacunes dans la preuve, ni de donner au demandeur l’occasion de compléter sa preuve : voir, par exemple, Roopchan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1342 au paragraphe 15; Nourani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 732 au paragraphe 50; Mohebban au paragraphe 23. En l’espèce, les préoccupations de l’agent avaient trait à la suffisance de la preuve et non à la crédibilité.

[10] Madame Kaji a également reproché à l’agent d’avoir passé sous silence la preuve concernant les revenus locatifs de ses parents. Or, l’agent est présumé avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée, même s’il n’en fait pas état dans ses motifs. Ce n’est que lorsqu’une preuve aurait pu à elle seule entraîner une décision différente que l’omission d’en traiter explicitement peut rendre une décision déraisonnable. En l’espèce, la principale source des ressources financières alléguées par Mme Kaji était le compte d’épargne de sa mère. Les revenus locatifs n’occupent qu’une place secondaire et auraient été insuffisants, à eux seuls, pour financer les études de Mme Kaji. De toute manière, il aurait fallu déduire les dépenses afférentes à ces logements pour obtenir les revenus locatifs nets. La preuve présentée à l’agent était silencieuse à cet égard.

[11] Selon l’article 220 du Règlement, l’absence de preuve de ressources financières suffisantes fait obstacle à l’émission d’un permis d’études. Il n’est donc pas nécessaire que j’examine les autres aspects de la décision de l’agent, notamment la conclusion selon laquelle Mme Kaji ne quitterait pas le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

[12] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de Mme Kaji sera rejetée.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM-10009-24

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-10009-24

INTITULÉ :

REBECCA NAMA KAJI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 septembre 2025

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 septembre 2025

 

COMPARUTIONS :

Rebecca Nama Kaji

 

POUR LA DEMANDERESSE

(Pour SON PROPRE COMPTE)

 

Alex Dalcourt

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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