Date : 20250929
Dossier : T-1372-20
Référence : 2025 CF 1578
Montréal (Québec), le 29 septembre 2025
En présence de l'honorable madame la juge Ferron
ENTRE : |
SOUMAINE DEHKISSIA |
demandeur |
et |
TECHNOLOGIES DU DÉVELOPPEMENT DURABLE CANADA |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] M. Soumaine Dehkissia, le demandeur, a intenté un recours fondé sur l’article 41(1) de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A-1 [LAI] à la suite du refus du Commissariat à l’information du Canada [Commissariat] d’enquêter sa plainte contre la défenderesse, Technologies du développement durable Canada [TDDC]. La plainte allègue que TDDC n’aurait pas effectué de recherche raisonnable, conformément à l’article 30(1)(a) de la LAI [Plainte] dans le cadre de son traitement de la demande d’accès déposée par M. Dehkissia auprès de TDDC le 24 avril 2020 [Demande d’accès].
[2] Dans son avis de demande du 12 novembre 2020, M. Dekhissia décrit son recours ainsi:
La présente est une demande de révision concernant une décision rendue par le commissariat général à l’information du Canada, le 13 octobre 2020, reçue par courriel le 14 octobre 2020, selon l’esprit de l’art. 41(1) de la loi sur l’accès à l’information (réf. Du projet de loi C-58 du parlement).
[3] Pour les nombreux motifs qui suivent, le recours de M. Dehkissia est rejeté.
II. Contexte
[4] M. Dehkissia a travaillé pour Fractal Systems Inc. [Fractal] de septembre 2007 à mai 2016. M. Dehkissia a été congédié le 2 mai 2016. En janvier 2018, il a déposé une demande introductive d’instance en Cour supérieure du Québec contre Fractal, son ancien employeur, pour congédiement sans motif sérieux (dossier no. 450-17-006875-182). Dans le cadre de ce litige, M. Dehkissia a tenté d’utiliser certaines pages (pages 20 et 27) d’une demande de financement que Fractal aurait présentée, le 16 juillet 2014, à TDDC, et dont il indique qu’elle lui aurait été transmise par un collègue de Fractal (le « V-P Engineering »
). Notons que TDDC est une fondation sans but lucratif, établie par le gouvernement du Canada en 2001, qui appuie le développement de nouvelles technologies qui favorisent le développement durable.
[5] Les pages déposées par M. Dehkissia auraient fait l’objet d’un débat quant à la légitimité de leur contenu ce qui aurait amené le juge Tôth, de la Cour supérieure, à suggérer que les parties tentent d’obtenir de TDDC une copie de la demande de financement telle que reçue par cette dernière. Sur ce point, la Cour note immédiatement que contrairement à la prétention de M. Dehkissia qu’il s’agirait ici d’une ordonnance de la Cour supérieure, rien dans le dossier ne démontre qu’une telle ordonnance aurait été rendue. Tout au plus, le juge Tôth semble avoir fait une suggestion aux parties de tenter d’obtenir une copie du document qu’aurait reçu TDDC de la part de Fractal.
[6] Contrairement à la suggestion du juge Tôth que les parties procèdent conjointement à cette démarche, les avocats de Fractal semblent avoir procédé de leur propre chef et communiqué avec TDDC pour obtenir ledit document, et ce, sans toutefois transmettre copie de leurs échanges à M. Dehkissia. Ceci a forcé M. Dehkissia à déposer, le 24 avril 2020, la Demande d’accès auprès de TDDC, afin d’obtenir copie de la demande de financement de juillet 2014.
[7] Le 25 mai 2020, TDDC a transmis à M. Dehkissia une copie caviardée de la demande de financement du 16 juillet 2014 [Demande de financement de juillet 2014] visée par la Demande d’accès, et que TDDC indique être une version provisoire. De plus, TDDC a transmis à M. Dehkissia une copie caviardée de la demande de financement que Fractal aurait soumise le 10 septembre 2014, et que TDDC décrit comme la version finale ayant servi de base à la décision de financement [Demande de financement du 10 septembre 2014]. Selon TDDC, le caviardage était ici requis pour respecter ses obligations en vertu de l’article 20(1)(b) de la LAI.
[8] Le 25 mai 2020, M. Dehkissia a communiqué avec TDDC afin d’obtenir des copies non caviardées de certaines pages de la Demande de financement de juillet 2014 et de la Demande de financement du 10 septembre 2014, soit celles correspondant aux pages 20 et 27 qu’il avait soumises à la Cour supérieure.
[9] Le 26 mai 2020, après avoir obtenu l’accord de Fractal, TDDC a transmis à M. Dehkissia les pages demandées, non caviardées.
[10] Malgré les documents transmis par TDDC suite à la Demande d’accès, M. Dehkissia persiste dans sa position qu’il existerait au moins une autre version des documents pertinents. L’importance de ceci découle du fait qu’il aurait été injustement accusé par Fractal d’avoir induit la Cour supérieure en erreur, en tentant d’introduire en preuve la version de la Demande de financement de juillet 2014 qu’il avait initialement reçue de son collègue, le « VP-Engineering »
, et qui diffère de celle soumise par Fractal, alors que M. Dehkissia prétend que c’est plutôt Fractal qui aurait induit la Cour en erreur, prétendument avec le support et la collusion de TDDC. Selon lui, ceci aurait affecté ses réclamations devant la Cour supérieure, qui a ordonné, le 5 août 2020, le paiement que d’un délai-congé de 1 an, plutôt que les 2 ans qu’il réclamait. Notons que le jugement rendu par le juge Tôth (2020 QCCS 2510) a été maintenu en appel (2022 QCCA 393).
[11] Ainsi, non satisfait des documents transmis par TDDC, M. Dehkissia a déposé une Plainte devant le Commissariat. Tel qu’il appert du compte rendu de la Commissaire à l’information daté du 13 octobre 2020, en application du paragraphe 37(2) de la LAI, la Plainte a été jugée non fondée. En effet, le Commissariat y indique être convaincu que TDDC a effectué une recherche raisonnable.
[12] Les motifs au soutien de l’avis de demande de M. Dehkissia visent le Commissariat, qui selon lui, aurait « violé les règles de justice, en fondant sa décision, non pas sur des faits, mais sur une opinion qu’il s’est faite d’avance (réf. parags 21-22) »
.
[13] Toutefois, dans son mémoire, sur la base de la prémisse que la version qu’il aurait obtenue de son collègue de Fractal est différente à celles qu’il a reçues de TDDC, M. Dehkissia est convaincu qu’il existerait une autre version de la Demande de financement de juillet 2014 et juge donc que TDDC n’a pas respecté ses obligations en vertu de la LAI. Selon lui, TDDC serait en outrage au tribunal d’une prétendue ordonnance du juge Tôth de la Cour supérieure de transmettre la version réelle de la Demande de financement de juillet 2014, et/ou les diverses versions reçues de celle-ci. Par ailleurs, M. Dehkissia s’objecte au caviardage des documents transmis par TDDC, en soumettant que les éléments caviardés n’étaient pas réellement confidentiels. Selon lui, le fait de lui avoir transmis des documents dont le caviardage occultait les pages qui étaient d’intérêt pour lui serait aussi une violation de la LAI. Enfin, M. Dekhissia suggère que TDDC aurait comploté avec Fractal pour nuire à ses droits.
[14] Lors de l’audition, M. Dehkissia ne soulève pas d’enjeu avec le caviardage fait par TDDC, mais suggère plutôt que la Demande de financement de septembre 2014 n’a jamais existé et que le document en question aurait été créé de toute pièce par FTDDC. Dans son mémoire, M. Dehkissia indiquait déjà que le fait que les deux demandes transmises par TDCC, soit celle de juillet 2014 et celle de septembre 2014, avaient apparemment été signées par les responsables de Fractal le même jour, soit le 16 juillet 2014, prouverait selon lui l’existence d’une fraude. Il appuie cette théorie sur quatre autres allégations (1) les avocats de Fractal auraient communiqué avec TDDC sans qu’il soit présent lors des appels ; (2) lors de l’audition devant la Cour supérieure, l’avocate de Fractal aurait indiqué que la Demande de financement de juillet 2014 que Fractal a introduit en preuve était la version finale et officielle ; (3)Fractal n’aurait jamais discuté de la Demande de financement de septembre 2014 lors du dossier devant la Cour supérieure ; et (4) la capture d’écran des documents composant le dossier de TCCD n’inclut pas la Demande de financement de septembre 2014.
[15] Pour lui, ceci est suffisant pour conclure que TDDC aurait comploté avec Fractal et aurait créé un faux document : la Demande de financement de septembre 2014.
[16] TDDC s’oppose au recours de M. Dehkissia. Elle soumet d’abord que la Cour n’aurait pas la compétence d’entendre le recours puisque les demandes de M. Dehkissia dépassent le rôle de la Cour en vertu de l’article 41(1) de la LAI. De plus, quant au mérite du dossier, TDDC soumet essentiellement qu’elle a dûment répondu à la Demande d’accès en effectuant une recherche raisonnable pour localiser les documents demandés et que la prétention de M. Dehkissia qu’il existerait une autre version du document visé par la Demande d’accès ne repose que sur un simple soupçon, sans aucun élément de preuve le supportant. Quant au caviardage effectué sur les documents transmis, TDDC soumet que celui-ci a été fait conformément à ses obligations, en vertu de l’exception prévue à l’article 20(1)(b) de la LAI. À tout événement, TDDC a fait le nécessaire pour accommoder M. Dehkissia en obtenant le consentement de Fractal avant de finalement lui transmettre les documents demandés non caviardés.
[17] Au soutien de sa position, TDDC a déposé un affidavit de la coordonnatrice, dossiers de l’organisation et services de demande d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels (« AIPRP »
) chez TDDC, ayant procédé à la recherche et la transmission des documents, qui indique le processus qu’elle a suivi pour localiser les documents, qui résume ses échanges avec les parties et avec le Commissariat et qui confirme qu’aucune autre version de la Demande de financement de Fractal n’a été reçue par TDDC.
III. Analyse
A. Question préliminaire
[18] Lors de l’audition TDDC a indiqué que l’intitulé de cause en l’instance n’indiquait pas le nom officiel de TDDC et a demandé à la Cour de corriger l’intitulé pour qu’il indique : « Technologies du développement durable Canada »
. M. Dekhissia n’a pas fait de représentation sur ce point. La Cour est d’accord qu’il y a lieu de modifier l’intitulé de cause pour que celui-ci nomme correctement la partie défenderesse.
B. Enjeux procéduraux
[19] M. Dehkissia se représente seul et, malheureusement, son recours fait face à des enjeux procéduraux non négligeables, tel qu’il sera exposé plus amplement ci-après.
(1) Les conclusions demandées dans le mémoire ne concordent pas avec l’avis de demande
[20] L’avis de demande déposé par M. Dehkissia ne fait que demander d’accueillir sa demande de révision [de la décision du Commissariat], d’annuler la décision du Commissariat, d’accorder les frais de sa demande de révision et de rendre toute autre ordonnance que la Cour pourrait juger opportun.
[21] Le mémoire de M. Dehkissia va beaucoup plus loin. Il soumet notamment les trois questions suivantes :
1. « Est-ce que, TDDC et/ou le Commissariat à l’information ainsi que le Juge Alan S. Diner a/ou ont commis une erreur en refusant au demandeur, l’accès au(x) document(s) intégral tel qu’ordonné par le Juge du procès de la Cour Supérieure du Québec, l’honorable François Toth (TDDC-7), laissant ainsi le demandeur avec une blessure profonde due à l’accusation? »
2. « Est-ce que, bien que consciente et avertie (réf. Courriel du demandeur dans TDDC-7 avec copie au Juge et TDDC), le fait pour TDDC de n’avoir pas respecté les termes de l’ordonnance qui la concerne, constitue en plus d’une faute, un outrage au Tribunal? »
3. « Est-ce que, pour avoir collaboré, protégé et participé dans la falsification d’un document officiel, soit, un organigramme dans une demande de subvention en date du 16 juillet 2014, entre autres, TDDC commet ainsi une faute qui devrait être dénoncée au Procureur Général du Canada conformément à l’article 63(2) de la loi sur l’accès à l’information? »
[22] De plus, dans son mémoire, il demande de rejeter les objections faites par TDDC dans le cadre d’un interrogatoire écrit sur l’affidavit déposé par TDDC, d’ordonner la production des engagements demandés, d’annuler les ordonnances précédentes rendues par notre Cour, d’ordonner l’ouverture des pièces sous-scellées P-18, D-14 et D4A sous la garde de la Cour supérieure du Québec et de rendre toute ordonnance appropriée en lien avec les questions en litige en termes de dommages tant moraux que punitifs, à quantifier.
[23] Comme le juge Laskin de la Cour d’appel fédérale l’a rappelé dans Makivik Corporation c Canada (Procureur Général), 2021 CAF 184 : « «(l)a portée d’une demande (de contrôle judiciaire) est déterminée par le demandeur dans son avis de demande, qui doit contenir « un énoncé précis de la réparation demandée » et « un énoncé complet et concis des motifs invoqués » »
(au para 53 citant Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles] à l’article 301(d)-(e), voir aussi JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c Canada (Revenu national), 2013 CAF 250 aux para 38-40).
[24] Bien que la Cour dispose du pouvoir discrétionnaire d’entendre de nouvelles questions jamais soulevées dans l’avis de demande (voir par exemple Obinna c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1152 aux para 12-13 citant Al Mansuri c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 22 aux para 12-13), en l’espèce, rien ne milite en ce sens. Il suffit de noter que M. Dehkissia avait déjà pleinement connaissance, au moment du dépôt de son avis de demande, des éléments nécessaires pour soutenir les demandes qu’il formule pour la première fois dans son mémoire. Il aurait également pu demander l’autorisation de la Cour pour amender son avis de demande bien avant le dépôt de son mémoire (Règles à l’article 76).
[25] Ainsi, et avec égard pour la position de M. Dehkissia, la Cour n’entend pas adresser ses demandes qui vont au-delà de son avis de demande et dépassent largement le cadre qu’il a lui-même initialement fixé, soit celui de l’article 41(1) de la LAI.
[26] Ici, l’avis de demande vise la révision et l’annulation de la décision du Commissariat. Ceci n’est pas couvert par un recours sous l’article 41(1) de la LAI. Un recours présenté en vertu de l’article 41 de la LAI n’est pas une demande de contrôle judiciaire de la décision du Commissariat sur la Plainte, mais bien une audition de novo de la Plainte elle-même (Lukács c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 1142 [Lukács], aux paras 8, 44; voir également l’article 44.1 de la LAI).
[27] Ceci a d’ailleurs déjà été bien expliqué à M. Dehkissia dans la décision rendue par le Juge Diner, en date du 11 février 2021 :
Le paragraphe 41(1) de la Loi sur l’accès indique clairement qu’un un (sic) plaignant ayant déposé une plainte au Commissariat selon les alinéas 30(1)(a) à (e) et ayant reçu un compte rendu en application du paragraphe 37(2) peut « exercer devant la Cour un recours en révision des questions qui font l’objet de sa plainte » [je souligne].
De plus, tel qu’indique le paragraphe 41(5), un plaignant ne peut désigner à titre de défendeur que l’institution fédérale concernée. Pour autant que le demandeur n’ait pas nommé comme défenderesse le Commissariat, il est toutefois évident qu’il demande à la Cour d’intervenir à l’égard de la décision du Commissariat, et non par rapport à TDDC.
Cette stratégie confond le but d’une revue en vertu de l’article 41 de la Loi sur l’accès et le rôle de la Cour qui y découle. Une telle demande de révision ne peut être utilisée pour miner les mérites d’une enquête du Commissariat, puisque sa portée se limite plutôt à la décision de divulgation sujette à la plainte initiale au Commissariat (Blank c Canada (Environnement), 2015 CF 1251 au para 39; Canada (Procureur Général) c Bellemare, [2000] FCJ No 2077, 270 NR 269 (CAF) au para 13; voir aussi Preventous Collaborative Health v Canada (Health), 2020 CallLII 103848 (CF) aux paras 12-13).
[28] Ceci est suffisant pour que le recours de M. Dehkissia, tel que formulé, soit rejeté.
(2) La Plainte de M. Dehkissia n’est pas en preuve
[29] Cela dit, même si la Cour accepte que M. Dehkissia, qui se représente seul, a mal formulé son avis de demande, et que celui-ci aurait plutôt dû requérir de cette Cour qu’elle procède à l’analyse de novo de sa Plainte (Lukács aux paras 8, 44), M. Dehkissia n’a pas mis en preuve sa Plainte qu’il aurait déposée auprès du Commissariat. Le seul document mis en preuve qui traite de la Plainte est le rapport du Commissariat du 13 octobre 2020 qui indique :
La partie plaignante allègue que Technologies du Développement Durable Canada (TDDC) n’a pas effectué une recherche raisonnable, en vertu de l’alinéa 30(1)a) de la Loi sur l’accès à l’information, pour trouver la demande de financement qu’une entreprise leur a soumise le 16 juillet 2014.
[30] Considérant que le rôle de la Cour dans le cadre d’un recours fondé sur le paragraphe 44(1) de la LAI est d’analyser le bien-fondé d’une plainte, le défaut de M. Dehkissia d’inclure une copie de sa Plainte est un vice fatal à son recours. En d’autres mots, la Cour ne peut tout simplement pas exercer son rôle en l’absence de cet élément de preuve crucial (Beniey c. Canada (Agence des services frontaliers), 2025 CF 1445, aux paras 14 à 21).
[31] Encore ici, même si la Cour accepte de palier à cet enjeu procédural important, en présumant que la description faite dans le rapport du Commissariat représente bien le contenu de la Plainte de M. Dehkissia, la seule question que la Cour peut analyser et qui découlerait de la Plainte, est celle de déterminer si TDDC a effectué une recherche raisonnable, en vertu de l’alinéa 30(1)(a) de la LAI pour répondre à la Demande d’accès.
C. Compétence de la Cour
[32] TDDC soumet, et la Cour est d’accord, que « la compétence que l’article 41 de la LAI confère à la Cour a été interprétée de manière étroite de sorte qu’une fois que les renseignements ont été fournis, « la Cour ne peut accorder aucune autre réparation » »
(Sheldon c Canada (Santé), 2015 CF 1385 [Sheldon] au para 17 citant Frezza c Canada (Défense Nationale), 2014 CF 32 aupara 56).
[33] Dans l’affaire Constantinescu c Canada (Service correctionnel), 2021 CF 229 [Constantinescu], le juge Pamel fait une analyse minutieuse de la jurisprudence applicable à la compétence de la Cour en vertu de l’article 41 de la LAI. Les passages suivants méritent d’être cités intégralement vu leur pertinence en l’instance :
En fait, le ministre a refusé de communiquer les documents de travail au motif que ces documents n’existaient pas et il a donné un avis en ce sens à Ethyl conformément à l’alinéa 10(1)a) de la Loi. En vertu de l’alinéa 42(1)a) de la Loi, le Commissaire à l'information a qualité pour exercer le recours en révision pour "refus de communication" d'un document demandé en vertu de la Loi. La Cour a donc compétence pour examiner un refus de communication fondé sur l’allégation d’inexistence de documents. […] [je souligne]
(…)
[47] Selon une jurisprudence constante de notre Cour, en l’absence d’un refus d’accès et en vertu de l’article 41 de la LAI (aujourd’hui le paragraphe 41(1)), notre Cour n’avait pas compétence en révision d’une décision d’une institution fédérale portant sur une question relative à une demande en vertu de la LAI; le refus d’accès à l’information est une condition préalable à une demande aux termes de l’article 41 de la LAI (X c Canada (Ministre de la Défense nationale) (1991), 1990 CanLII 13047 (CF), 41 FTR 73 au para 10 [Re X]). Comme l’a observé le juge Barnes à l’occasion de l’affaire Friesen c Canada (Ministre de la santé), 2017 CF 1152 au para 10 [Friesen] : « [s]ans exception, il a été jugé […] que la Cour fédérale ne peut offrir une réparation à un demandeur qu’en cas de refus illégal de communiquer un document recensé ».
[48] La compétence attribuée à la Cour par l’article 41 de la LAI se rattache au pouvoir d’accorder une mesure de redressement aux termes des articles 49 et 50 de la LAI (Re X au para 10; Wheaton c Société canadienne des postes, [2000] ACF no 1127, 2000 CanLII 15912 (CF) au para 8 [Wheaton]; Blank c Canada (Ministère de l’Environnement), 2000 CanLII 16437 (CF) au para 15 [Blank 2000]; Doyle c Canada (Ressources humaines et Développement des compétences Canada), 2011 CF 471 à la p 9 [Doyle]).
[49] Dans l’affaire Olumide c Canada (Procureur général), 2016 CF 934 [Olumide], cette Cour a déclaré aux paragraphes 18 et 19 :
[18] Dans la mesure où la demande est une demande, en vertu de l’article 41 de la LAI, de contrôle judiciaire du refus de l’ARC de divulguer les relevés téléphoniques demandés, je conclus qu’il est évident qu’elle est vouée à l’échec. La Cour a établi clairement et à différentes reprises que lorsqu’un ministère, en réponse à une demande d’information (que ce soit en vertu de la LAI ou en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, c. P-21), répond que le document n’existe pas, cette réponse ne constitue pas un refus d’accès. En l’absence d’un refus, la Cour n’a pas compétence dans le contrôle judiciaire en vertu de l’article 41 de la LAI ou de la Loi sur la protection des renseignements personnels, à moins qu’il n’existe des éléments de preuve, au-delà d’un simple soupçon, que les documents existent et qu’ils ont été retenus (voir Clancy c Canada (Ministre de la Santé), 2002 A.C.F. no 1825; Wheaton c Société canadienne des postes, 2000 CanLII 15912 (CF), 2000 A.C.F. no 1127; Doyle c Canada (Ressources humaines et Développement des compétences Canada), 2011 CF 471; Blank c Canada (Minister of The Environment), 2000 CanLII 16437 (CF), 2000 ACF no 1620.
[19] Comme je l’ai déjà mentionné, il est évident que le « refus » en l’espèce est fondé sur la conclusion de l’ARC que les documents demandés n’existent pas, et le rapport d’enquête du Commissaire à l’information confirme cette conclusion. Le demandeur n’a fourni aucune preuve ni aucun argument convaincant permettant de conclure que les documents existent ou qu’ils sont retenus. Il est évident que la Cour ne peut avoir aucune compétence en l’espèce aux termes de l’article 41 de la LAI. [Je souligne.]
[50] Je retiens le principe consacré par l’affaire Olumide : en l’absence d’un refus, notre Cour n’a pas compétence dans le contrôle judiciaire en vertu de l’article 41 de la LAI. Toutefois, en ce qui concerne la proposition selon laquelle une réponse de l’institution fédérale indiquant que les documents n’existent pas « ne constitue pas un refus d’accès », il convient d’apporter des précisions supplémentaires.
[51] D’après moi, il faut opérer une distinction entre, d’une part, le cas du refus de communication fondé sur l’allégation d’inexistence de documents au sens de l’alinéa 10(1)a) de la LAI et, d’autre part, le cas où l’institution fédérale a bel et bien communiqué des documents à l’intéressé en réponse à sa demande d’accès et soit que l’intéressé n’est pas satisfait par la divulgation et soupçonne qu’il y a d’autres documents qui sont retenus par l’institution fédérale, soit qu’il s’oppose au caviardage des documents et aux exceptions à la production de l’information par l’institution fédérale.
[52] Comme l’a observé le juge Strayer à l’occasion de l’affaire Re X au paragraphe 13, [traduction] « sauf s’il y a un refus réel et continu de divulguer, qui est en effet susceptible d’une ordonnance de divulguer, ou d’une mesure équivalente, aucune mesure ne peut être accordée par notre Cour » [je souligne].
[53] L’affirmation de l’institution fédérale selon laquelle l’inexistence de document supplémentaire est due au fait qu’elle a déjà communiqué au demandeur tous les documents pertinents et qu’il n’y a plus de documents en réponse à la demande d’accès à l’information, ou au fait que les documents demandés ont été détruits auparavant, ou encore lorsqu’il y a eu retard dans la communication des documents en réponse à la demande d’accès à l’information, mais que les documents demandés auraient été néanmoins communiqués au demandeur avant l’audition de la demande de révision, ne constituent pas des refus permettant l’exercice de la demande de révision prévue à l’article 41 de la LAI (références omises).
[54] Ces derniers cas ne sont pas des cas de refus de communication fondé sur l’allégation d’inexistence de documents tel que prévu par l’alinéa 10(1)a) de la LAI; ils ne sont donc pas des cas de refus « réel et continu » ouvrant le recours prévu à l’article 41 de la LAI. La Cour est plutôt appelée à examiner les preuves afin de vérifier l’affirmation de l’institution fédérale selon laquelle il n’existe pas d’autres documents dans le contexte où la Cour doit déterminer si elle est compétente pour entendre l’affaire. Une partie de cette vérification consiste à déterminer si les soupçons trouvent un appui dans la preuve, ou s’il s’agit simplement de soupçons sans fondement qui « ne résistent pas à un examen minutieux » (Tomar au para 46; Creighton).
[55] S’il n’y a pas de raison valable de remettre en cause l’affirmation de l’institution fédérale selon laquelle il n’existe pas d’autres documents en plus de ceux qui auraient déjà été produits, il n’y a pas refus « réel et continu » de la part de l’institution fédérale de communiquer des documents puisque des documents ont déjà été communiqués; ainsi, sans refus en ce sens, il n’y a pas attribution de compétence à notre Cour aux termes de l’article 41 de la LAI.
[56] Les affaires Wheaton et Blank 2000 ne soulevaient pas une question de refus de communication fondé sur l’allégation d’inexistence de documents. En fait, les demandeurs n’avaient même pas invoqué un refus d’accès. Cependant, ils n’avaient non plus été en mesure de réfuter l’affirmation qu’ils avaient reçu tous les documents dont les institutions fédérales disposaient en réponse à leur demande d’accès à l’information. La Cour a conclu qu’il ressortait de la preuve non réfutée que le demandeur avait reçu tous les documents pertinents en possession de l’institution fédérale, et a donc rejeté la demande de révision, car la condition préalable à la présentation de la demande prévue par l’article 41 de la LAI n’était pas remplie.
[57] Dans l’affaire Doyle également, il y a eu divulgation de documents en réponse à la demande d’accès, mais certaines pages d’un rapport étaient manquantes. Cependant, il n’y avait aucune raison de soupçonner que l’absence de ces pages était suspecte. Le demandeur avait même reconnu qu’il n’y avait pas de motif évident pour que l’institution fédérale fasse disparaître les parties du document qui n’avaient pas été produites, et la Cour a été satisfaite des explications produites par l’institution fédérale quant aux efforts déployés pour retrouver les documents sans succès.
[58] Comme dans les affaires Wheaton et Blank 2000, l’affaire Doyle comportait des éléments de preuve que la Cour a retenus et qui expliquaient la raison pour laquelle les documents dont l’accès était demandé n’existaient pas à la suite de la communication d’autres documents par l’institution fédérale en réponse à la demande d’accès. Citant la jurisprudence Creighton, le juge Barnes a confirmé que le seul soupçon d’abus et de mauvaise foi ne suffit pas à écarter les preuves solides en sens contraire, à savoir que tous les documents qui sont visés par la demande d’accès ont été divulgués. Là encore, en ce qui concerne cette jurisprudence, il n'était nullement question, au moment de l’audience et après examen des preuves devant la Cour, d’un refus au sens de l’article 41 de la LAI.
(…)
[60] Dans l’affaire Tomar, la demanderesse avait également reçu des documents en réponse à sa demande d’accès, mais, soupçonnant qu’il en existait d’autres, elle a demandé à notre Cour d’ordonner à l’institution fédérale d’effectuer une autre recherche dans ses dossiers. Quant à la question de savoir si la Cour était même compétente pour rendre une telle ordonnance, la juge Elliott a conclu que « [n]i les croyances ni les soupçons de Mme Tomar selon lesquels d’autres dossiers existent ne sont appuyés par une preuve. De plus, ils ne résistent pas à un examen minutieux » (Tomar au para 46).
(…)
[62] Je suis plutôt d’avis que cette jurisprudence soutient la proposition bien précise selon laquelle la confirmation par une institution fédérale qu’il n’existe plus de documents après une première divulgation de documents n’est pas, selon les termes employés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Ethyl Canada, un « refus de communication fondé sur l’allégation d’inexistence de documents ». Cette jurisprudence enseigne que dans un tel cas et lorsqu’il y a des preuves allant dans le sens de l’inexistence des documents en cause ou lorsqu’il n’y a qu’une simple suspicion non étayée de l’existence des documents, l’affirmation d’inexistence des documents en cause ne constitue pas un refus et n’est susceptible d’aucun recours devant notre Cour aux termes de l’article 41. La Cour n’a donc pas la compétence pour réviser la décision de l’institution fédérale dans ces circonstances.
[34] Le passage suivant de la décision Sheldon est également pertinent :
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
[21] La demanderesse soutient que la demande de révision n’est pas théorique puisque Santé Canada a seulement répondu en partie à la demande d’accès en divulguant une version expurgée des documents demandés. Elle affirme qu’elle a droit à la version non expurgée des documents et qu’elle sollicite une ordonnance en ce sens dans le cadre de la présente demande. Toutefois, la jurisprudence établit clairement que, à défaut d’une enquête préalable menée par le CIC concernant la façon dont Santé Canada a répondu à la demande d’accès, la Cour n’est pas compétente pour examiner la nature et le contenu de la réponse, aussi imparfaite et incomplète soit‑elle aux yeux de l’auteur de la demande d’accès (Statham, précité, aux paragraphes 23 et 24, 28 à 30; Dagg c Canada (Industrie), 2010 CAF 316 [Dagg], au paragraphe 13; Commissaire à l’information du Canada, précité, au paragraphe 47).
[22] Aux termes du régime établi par la Loi, la demande par laquelle la demanderesse sollicitait une ordonnance enjoignant à Santé Canada de divulguer une version non expurgée des documents demandés est par conséquent prématurée. Dans le cadre d’une demande de révision présentée en vertu de l’article 41 de la Loi sur le fondement d’une plainte portant sur un refus présumé de communication, la Cour ne peut statuer sur l’application de toute dérogation ou exception invoquée en vertu de la Loi tant que le commissaire n’a pas enquêté et rendu compte de ses conclusions au sujet de la dérogation ou de l’exception revendiquée (Statham, précité, au paragraphe 55; Whitty, précité, aux paragraphes 8 et 9, Lukács c Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, 2015 CF 267, au paragraphe 31).
[23] En l’espèce, le CIC a limité son enquête, comme il était tenu de le faire en raison de la nature de la plainte de la demanderesse, en exigeant que Santé Canada réponde à la demande d’accès pour que la demanderesse puisse ensuite examiner le bien‑fondé de la réponse fournie. Si elle n’était pas satisfaite de la réponse, la demanderesse pouvait en retour déposer une autre plainte devant le CIC, ce qu’elle semble avoir fait, pour que celui‑ci examine le bien‑fondé des dérogations ou exceptions invoquées au titre de la Loi par Santé Canada. Comme je l’ai indiqué précédemment, je ne dispose d’aucun élément de preuve démontrant que cette autre plainte a fait l’objet d’une enquête et d’un rapport par le CIC. À l’audience, la demanderesse n’a pas été en mesure de confirmer à quelle étape en était cette plainte.
[24] Par conséquent, je n’ai d’autre choix que de conclure qu’il n’a pas été satisfait à la troisième condition préalable au dépôt d’une demande fondée sur l’article 41 de la Loi concernant les dérogations et les exceptions appliquées par Santé Canada aux documents demandés, soit la délivrance d’un rapport du CIC (Statham, précité, au paragraphe 64). Par conséquent, il est prématuré pour la demanderesse de contester la décision de Santé Canada de ne pas communiquer « l’ensemble » des documents. Ma conclusion est conforme à la logique du régime établi par la Loi, aussi imparfaite et contraignante soit‑elle aux yeux de certaines personnes.
[Soulignement ajouté]
[35] M. Dehkissia avait le fardeau de prouver, par prépondérance des probabilités, que le document recherché existe bel et bien et que TDDC n’aurait pas fait de recherche raisonnable ou qu’elle aurait sciemment caché des documents ou conspirés avec Fractal pour empêcher l’accès à des documents pertinents à M. Dehkissia (Constantinescu au para 66). Il ne s’est pas déchargé de ce fardeau.
[36] En l’instance, il n’y a aucun élément de preuve qui supporte la position de M. Dehkissia que TDDC n’aurait pas fourni le document demandé, soit la Demande de financement du 16 mai 2014. Au contraire, la preuve est à l’effet que TDDC a, le 25 mai 2020, non seulement transmis le document demandé mais que TDDC a également transmis une copie de la version du 10 septembre 2014. Bien que ces documents comportent un certain caviardage, que TDDC a jugé requis en vertu de l’article 20 (1)(b) de la LAI, TDDC a fait des démarches auprès de Fractal, pour transmettre à M. Dehkissia des versions non caviardées le 26 mai 2020.
[37] D’abondant, la Cour est d’accord avec TDDC que la prétention de M. Dehkissia qu’il existerait une autre version du document demandé dans la Demande d’accès n’est fondée que sur des soupçons. Il n’a fourni aucun élément de preuve qui supporterait une telle prétention. Comme l’indique la décision Tomar c Canada (Agence Parcs Canada), 2018 CF 224 [Tomar] au para 45 (citant Olumide au para 18), « un simple soupçon ou une conviction qu’un dossier existe ne constitue pas, en soi, un motif suffisant pour établir la prémisse selon laquelle d’autres dossiers existent »
, des éléments de preuve objectifs doivent être fournis, y compris lorsqu’une falsification ou un comportement grave de ce type est allégué.
[38] Même en acceptant, pour les fins de la présente analyse, la prémisse que quelqu’un chez Fractal aurait transmise à M. Dehkissia une version différente de la Demande de financement de juillet 2014, rien ne permet de conclure que cette version différente aurait été transmise à TDDC.
[39] Ainsi, devant l’inexistence de preuve crédible que TDDC aurait eue possession du document allégué par M. Dehkissia et devant la preuve que les documents demandés ont été fournis par TDDC, « la Cour ne peut accorder aucune autre réparation »
. Le recours de M. Dehkissia doit donc être rejeté.
[40] Bien que ceci dépasse la compétence de la Cour en vertu de l’article 41(1) de la LAI, M. Dehkissia plaide également qu’il n’existerait pas réellement une Demande de financement de septembre 2014 et que celle-ci serait un faux document. Pour reprendre ses mots, « la demande du 10 septembre 2014, curieusement signée le 16 juillet 2014, et qui d’ailleurs ne figure pas dans la liste des documents apparaissant dans la capture de l’écran envoyée au Commissariat (TDDC-9) serait une création artificielle faite par le duo Fractal et TDDC après l’ordonnance intervenue le 16 janvier 2020 »
.
[41] Cette accusation sérieuse n’est encore ici basée que sur des soupçons et conjonctures. Il n’est pas inédit qu’un document préliminaire soit mis à jour et que par erreur, la date de signature demeure inchangée. Cela dit, il s’agirait alors d’une erreur de Fractal. En effet, rien dans la preuve ne permet de conclure que ceci découlerait d’un geste précis de la part de TDDC, qui rappelons-le, n’est que le récipiendaire du document en question. Quant à la capture d’écran à laquelle fait référence M. Dekhissia, celle-ci indique clairement, dans son titre, être la capture d’écran d’un sous-fichier en lien avec la première version de la proposition reçue de Fractal (« 1st version »
), soit celle du 16 juillet 2014, et non, en lien avec la version finale de septembre 2014.
[42] Ainsi, même en acceptant, pour les fins de la discussion, que la Cour aurait compétence pour déterminer si la Demande de financement de septembre 2014 constituait un faux document, M. Dehkissia avait, ici aussi, le fardeau de prouver, par prépondérance des probabilités, les accusations sérieuses qu’il soulève. Il ne s’est pas déchargé de ce fardeau.
D. Les questions soulevées par M. Dehkissia
[43] Bien que non nécessaire, vu ce qui précède, la Cour se permet d’adresser rapidement les autres questions posées par M. Dehkissia dans son mémoire, précitées au paragraphe 22 des présents motifs, car celles-ci comportent des accusations sérieuses, sans aucune preuve à leur appui, que la Cour ne peut passer sous silence.
[44] Quant à la première question, tel que mentionné précédemment, il n’y a aucune preuve devant la Cour que le juge Tôth de la Cour supérieure a « ordonné »
que TCCD, qui n’était pas partie au litige, fasse quoi que ce soit. De plus, la Cour ne siège pas en appel de la décision du juge Diner. Enfin, la preuve ne supporte aucunement la position de M. Dehkissia que l’accès au(x) document(s) demandé(s) n’a pas été satisfaite en l’instance.
[45] Dans cette première question, M. Dekhissia indique qu’il aurait subi une blessure profonde due à l’accusation. La Cour comprend qu’il fait ici référence à l’accusation que Fractal aurait faite à son égard, dans le cadre du dossier devant la Cour supérieure, à l’effet qu’il aurait tenté d’induire la Cour supérieure en erreur, alors qu’il prétend que c’est Fractal qui l’aurait fait, avec le support et la collusion de TDDC. Les passages suivants du jugement de la Cour supérieure sont pertinents :
[87] Lors de l’audience, le demandeur a référé au document P-18. Il s’agit d’une demande de financement auprès de Technologies de Développement Durable du Canada (« TDDC » où le demandeur est décrit comme étant le Lead Process Scientist du projet qui consistait à tester la technologie de Fractal sur une plus graande échelle (1 000 barils par jour). Dans la version du demandeur datée du 8 juillet 2014 (sic), un organigramme illustre la position hiérarchique du demandeur qui relève directement du directeur de projet Michel Chornet.
[87] Le demandeur voulait démontrer l’importance qu’il avait dans l’organisation et surtout le fait qu’il ne répondait pas à l’ingénieur de production M. Chronopoulos.
[88] L’employeur s’est alors étonné que le demandeur ait ce document en sa possession, qui donnera lieu à une procédure de recherche et d’extraction de fichiers de l’ordinateur personnel du demandeur. D’autre part, selon l’employeur, la version du demandeur est inexacte.
(…)
[91] La défense a laissé entendre que le demandeur a voulu induire le Tribunal en erreur avec ce document, ce qui a entraîné un long détour.
[92] Dans une version de l’employeur, qui porte la date du 16 juillet 2014, l’organigramme démontrait plutôt que le demandeur est sous l’autorité du Lead Engineer Chronopoulos qui lui-même répond à Michel Chormet.
[93] Finalement, un exemplaire a été obtenu directement de l’organisme subventionnaire par le demandeur, mais l’organigramme est caviardé. Cette version porte la date du 16 juillet 2014.
[94] L’employeur a aussi obtenu l’exemplaire soumis au TDDC. Le projet de recherche a été soumis le 10 septembre 2014 à l’organisme subventionnaire. En pied de page, la date du 18 septembre 2014 est biffée pour le 22 mai 2022 (ce que le juge indique en note de bas de page être possiblement la date d’impression du document pour le procès). Le projet est prévu pour démarrer le 1er janvier 2015 et se terminer le 31 décembre 2016. Le demandeur y est toujours décrit comme Lead Process Scientist. L’organigramme indique que le demandeur est sous l’autorité de M. Chronopoulos qui est le Lead Sr. Process Engineering. Ce dernier répond à Michel Chormet, le directeur du projet.
(…)
[97] À l’audience, Michel Chormet a expliqué qu’il y avait différentes versions de l’organigramme litigieux (« organigramme corporatif » ou « organigramme de projet »). C’est ce qui expliquerait les variantes. Mais les différentes versions des organigrammes n’ont pas été produites. Au surplus, la hiérarchie chez Fractal était plutôt horizontale.
[98] La seule chose qui a été prouvée, c’est qu’il s’agit de versions différentes faites à des moments différents mais dans les deux cas, le demandeur est le Lead Process Scientist.
[99] Les suspicions de Fractal de falsification par le demandeur n’ont pas été prouvées.
[Soulignement ajouté]
[46] Il appert évident à la lecture de ces passages que la Cour supérieure a conclu que « [l]es suspicions de Fractal de falsification par le demandeur n’ont pas été prouvées »
et donc, qu’elles ne sont pas retenues par la Cour. Rien dans le jugement ne permet de conclure que ceci serait à la base de la décision du juge Tôth d’accorder un an de délai-congé plutôt que les deux ans demandés.
[47] D’ailleurs, ce jugement a été confirmé par la Cour d’appel du Québec, le 16 mars 2022. Dans leur jugement, après avoir noté que le juge de première instance avait rejeté les arguments de Fractal à l’effet que (1) M. Dehkissia aurait été congédié dans le contexte d’une réorganisation corporative et (2) le fait que M. Dekhissia ait eu en sa possession des documents appartenant à l’entreprise, constituait une faute justifiant la résiliation unilatérale et sans préavis de son contrat de travail, les trois juges de la Cour d’appel indiquent notamment ce qui suit quant au délai-congé octroyé :
[12] Puis, tenant compte des circonstances de l’embauche de M. Dehkissia, de la durée de son emploi, de la nature et de l’importance des tâches qui lui ont été confiées au fil des ans, du fait qu’il est âgé de 50 ans au moment de son congédiement, de ses états de service et de la difficulté qu’il aura à se trouver un emploi comparable vu son niveau de spécialisation, le juge conclut que Fractal doit lui payer une indemnité équivalant à un délai de congé de 12 mois.
[48] Ainsi, et ceci dit avec égard, l’acharnement procédural de M. Dekhissia, en lien avec ses demandes envers TDDC, sa Plainte auprès du Commissariat, le recours déposé devant cette Cour, le jugement du juge Diner daté du 11 février 2021, le jugement de la juge adjointe Steele daté du 20 mai 2022, le jugement du juge Pentney daté du 25 juillet 2023, siégeant en appel de la décision de la juge adjointe Steele, et le jugement de la Cour d’appel fédérale du 7 octobre 2024, s’explique mal alors que le fait qu’il y ait eu des « versions différentes faites à des moments différents »
de la Demande de financement déposée par Fractal auprès de TDDC ne semble avoir eu aucune conséquence sur le jugement rendu par le juge Tôth dans le dossier de la Cour supérieure. Jugement qui a par ailleurs été confirmé en appel.
[49] Quant à la deuxième question, la Cour réitère qu’il n’existe aucune preuve que TDDC a manqué à ses obligations en vertu de la LAI. Ses prétentions à ce sujet ne sont basées que sur des soupçons, sans aucune preuve crédible à l’appui. D’abondant, la Cour fédérale n’est pas le bon forum pour soulever un outrage au tribunal en lien avec une ordonnance de la Cour supérieure puisque le pourvoir de sanctionner ceux qui font fi des décisions ou ordonnances d’une Cour est lié aux pouvoirs inhérents de maîtriser sa propre procédure dont jouit chaque Cour (R c Anderson, 2014 CSC 41 au para 58), advenant même qu’une telle ordonnance existerait, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
[50] Enfin, quant à la troisième question, non seulement un recours en vertu de l’article 41(1) de la LAI n’est pas le bon recours pour faire une telle demande, mais, outre les prétentions sans fondement de M. Dehkissia, il n’y a tout simplement pas d’élément de preuve supportant l’accusation sérieuse que TDDC aurait « collaboré, protégé et participé dans la falsification d’un document officiel »
.
IV. Dépens
[51] TDDC réclame à la Cour des dépens. Elle propose qu’une somme globale de 5 000 $ serait raisonnable dans les circonstances. Elle base sa demande sur trois motifs principaux : 1) en vertu de l’article 53 de la LAI, les dépens de toutes les instances sont laissés à l’appréciation de la Cour et suivent, sauf ordonnance contraire, le sort du mérite; 2) TDDC a dû faire face à de nombreuses accusations sérieuses, de falsification de documents et de complot, aucunement étayées par la preuve; et 3) TDDC a dû faire face à des accusations d’outrage au tribunal en vertu d’une prétendue « ordonnance »
de la Cour supérieure, dans un dossier où elle n’était pas une partie, et alors qu’aucune telle ordonnance n’a été émise.
[52] De plus, lors de l’audition, TDDC rappelle que la présente affaire a débuté en novembre 2020, qu’elle a dû faire face à de nombreuses requêtes, appels et démarches de la part de M. Dekhissia et que ce dernier l’a inondé de documents non pertinents, parfois en de nombreuses versions différentes, qu’elle a tout de même dû analyser pour y répondre.
[53] M. Dekhissia répond que lui aussi a dû travailler fort pour défendre ses droits, alors que les procédures devant la Cour fédérale sont compliquées. Il ajoute que son litige avec Fractal et maintenant avec TDDC ont eu des impacts importants sur sa santé, qu’il n’a pas pu travailler depuis son congédiement et qu’il n’a pas les moyens de payer des dépens.
[54] Il est fréquent que la Cour use de sa discrétion et n’accorde pas de dépens, surtout lorsque la partie demanderesse se représente seule. Bien que la Cour ait de l’empathie pour la situation de M. Dehkissia, ses problèmes de santé et ses enjeux financiers, en l’instance, la Cour est d’avis que M. Dehkissia doit subir les conséquences découlant de ses accusations répétées et très sérieuses, alors qu’il savait ou aurait dû savoir, qu’il ne détenait aucune preuve crédible supportant celles-ci.
[55] TDDC suggère de procéder par le biais d’une somme globale au montant de 5 000 $ en citant Nova Chemicals Corporation c Dow Chemical Company, 2017 CAF 25 où la Cour d’appel fédérale a rappelé le droit applicable en la matière (aux para 10-19). TDDC propose que procéder ainsi permettra notamment aux parties d’épargne le temps et l’argent requis pour le processus de taxation des dépens. Vu l’ampleur des procédures dans ce dossier, et les circonstances de cette affaire, la Cour est satisfaite qu’une telle somme est raisonnable. Ainsi, usant de son pouvoir discrétionnaire et en application du paragraphe 400(4) des Règles, la Cour accorde des dépens en faveur de la partie défenderesse pour la somme de 5 000 $.
V. Conclusion
[56] Pour les raisons qui précèdent, le recours de M. Dehkissia est rejeté, avec dépens en faveur de la partie défenderesse pour une somme globale de 5 000 $.
JUGEMENT dans le dossier T-1372-20
LA COUR STATUE que :
-
Le recours de M. Dehkissia en vertu du paragraphe 41(1) de la LAI est rejeté, avec dépens de 5000 $ en faveur de la défenderesse.
-
L’intitulé de cause est modifié pour désigner la défenderesse comme
«
Technologies du développement durable Canada »
.
« Danielle Ferron »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-1372-20 |
|
INTITULÉ : |
SOUMAINE DEHKISSIA c TECHNOLOGIES DU DÉVELOPPEMENT DURABLE CANADA |
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
Montréal (Québec) |
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 23 SEPTEMBRE 2025 |
|
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT : |
LA JUGE FERRON |
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 29 septembre 2025 |
|
COMPARUTIONS :
Soumaine Dehkissia |
DEMANDEUR (POUR SON PROPRE COMPTE) |
Me Julien Morissette Me Marie-Laure Saliah-Linteau |
POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE (TECHNOLOGIES DU DÉVELOPPEMENT DURABLE CANADA) |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Julien Morissette Me Marie-Laure Saliah-Linteau Osler, Hoskin & Harcourt Montréal (Québec) |
Pour la partie défenderesse (TECHNOLOGIES DU DÉVELOPPEMENT DURABLE CANADA) |