Dossier : IMM-12623-24
Référence : 2025 CF 1602
Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2025
En présence de madame la juge en chef adjointe St-Louis
ENTRE : |
MOHD FERDOUS KAWSER MASUD |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Introduction
[1] M. Mohd Ferdous Kawser Masud, citoyen du Bangladesh, demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 27 juin 2024 par un agent de la section d’immigration du Haut-commissariat du Canada à Singapour et rejetant sa demande de résidence permanente au Canada présentée dans la catégorie des investisseurs (Québec). L’agent indique ne pas être convaincu que M. Masud a l’intention de s’établir au Québec et que M. Masud ne satisfait donc pas les exigences statutaires, citant les paragraphes 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [Loi] et 90(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement].
[2] M. Masud demande à la Cour d’infirmer la décision de l’agent, de renvoyer le dossier à un autre agent pour qu’une nouvelle décision soit rendue et de l’autoriser à présenter des documents additionnels, le cas échéant. En bref, M. Masud soutient que l’agent a violé les principes d’équité procédurale et que sa décision est déraisonnable puisque dans sa lettre du 8 mai 2024 convoquant M. Masud à une entrevue le 12 juin 2024, l’agent n’aurait pas étayé ses préoccupations.
[3] M. Masud soutient donc que l’agent a manqué à l’obligation d’équité procédurale en ne l’avisant pas des préoccupations particulières qu’il avait à l’égard de sa demande avant l’entrevue à laquelle il l’a convoqué et en ne permettant pas à son épouse d’être entendue lors de cette entrevue. Il fait également valoir que la décision est déraisonnable compte tenu des éléments de preuve au dossier.
[4] Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [Ministre] répond que l’agent n’a pas violé les règles d’équité procédurale et que la décision de l’agent est raisonnable vu la preuve au dossier.
[5] La présente demande de contrôle judiciaire a été entendue le même jour qu’une autre demande (IMM-12399-24) dont la trame factuelle est semblable et pour laquelle le procureur a soulevé, à peu de choses près, les mêmes arguments. Les motifs sont donc, eux aussi, semblables.
[6] En dépit des efforts louables du procureur de M. Masud, la Cour conclut qu’aucune intervention n’est justifiée. En effet, M. Masud n’a pas démontré que l’agent a violé les principes d’équité procédurale et il n’a pas non plus démontré que la décision est déraisonnable. Au contraire, la décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles l’agent était assujetti. La demande de contrôle judiciaire sera conséquemment rejetée.
II. Analyse
A. Cadre législatif et règlementaire
[7] Les dispositions législatives applicables sont les paragraphes 11(1) et 12(2) de la Loi, ainsi que le paragraphe 90(2) du Règlement.
[8] Ces paragraphes sont ainsi respectivement libellés :
Visa et documents
11(1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.
Immigration économique
12(2) La sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.
Qualité
90(2) Fait partie de la catégorie des investisseurs (Québec) l’étranger qui satisfait aux exigences suivantes :
b) il est visé par un certificat de sélection du Québec délivré par cette province.
[9] Tel que mentionné plus haut, une personne qui demande le statut de résident permanent dans la catégorie des investisseurs (Québec) doit démontrer qu’elle satisfait à deux exigences en vertu du paragraphe 90(2) du Règlement : (1) elle cherche à s’établir au Québec, ou autrement dit, elle a l’intention de s’établir au Québec; et (2) elle a obtenu un Certificat de Sélection du Québec [CSQ].
B. L’agent a respecté les principes d’équité procédurale
(1) Norme de contrôle
[10] En ce qui concerne la question de l’équité procédurale, la norme serait celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79). Cependant, la Cour d’appel fédérale a affirmé que les questions d’équité procédurale ne sont pas réellement soumises à une norme de contrôle particulière et que la Cour doit être convaincue que la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général) 2018 CAF 69 [Canadien Pacifique] au para 54). La Cour d’appel fédérale nous indique aussi que « Peu importe la déférence qui est accordée aux tribunaux administratifs en ce qui concerne l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire de faire des choix de procédure, la question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre »
(Canadien Pacifique au para 56).
(2) Preuve
[11] Le dossier révèle qu’en mars 2020, M. Masud dépose sa demande de résidence permanente dans la catégorie des investisseurs (Québec), prévue à l’article 90 du Règlement, ayant préalablement obtenu le CSQ requis.
[12] Le 26 octobre 2023, un agent consigne des notes au Système mondial de gestion des cas [système GCMS], résume la situation factuelle et confirme avoir des préoccupations quant à l’intention de M. Masud de s’établir au Québec tel que l’exige l’article 90 du Règlement.
[13] Le lendemain, l’agent transmet une missive à M. Masud, lui demandant des informations additionnelles et lui permettant d’aborder les préoccupations en lien avec son intention de s’établir au Québec. L’agent demande à M. Masud de fournir des documents décrivant entre autres (1) les mesures qu’il a prises pour préparer son établissement au Québec, donnant en exemple des documents en lien avec la recherche d’un logis, la recherche d’école, la preuve de cours de français, les lettres de soutien d’amis ou de famille au Québec, les voyages au Québec ou tout autre document pertinent; (2) son plan d’établissement à son arrivée au Québec; et (3) les détails de ses activités d’affaires après son arrivée au Québec.
[14] Le 23 novembre 2023, M. Masud, toujours via sa représentante, répond. Il dépose un affidavit, dans lequel il affirme avoir visité Montréal notamment en 2015, 2018 et 2019, avoir l’intention d’établir son entreprise de vêtements, appelée Maksons, à Montréal, avoir suivi des leçons de français pendant trois mois, en 2021 et avoir l’intention de louer un Airbnb à son arrivée pour chercher ensuite une maison. Il affirme aussi que ses deux enfants étudient au secondaire et qu’il prévoit inscrire son fils à l’Université McGill et sa fille à une école secondaire montréalaise. Enfin, M. Masud transmet alors ce qu’il décrit comme un plan d’affaires lié à son projet d’entreprise de vêtements traditionnels Maksons.
[15] Le 12 janvier 2024, l’agent note que les explications et les documents fournis par M. Masud sont similaires à ceux fournis dans la demande de résidence permanente d’une autre personne représentée par la même représentante. L’agent détermine qu’une entrevue est nécessaire pour évaluer si M. Masud cherche à s’établir au Québec et, le 8 mai 2024, l’agent transmet une lettre à M. Masud, convoquant ce dernier à une entrevue le 12 juin 2024.
[16] La lettre du 8 mai 2024 indique que l’entrevue a pour but de permettre à l’agent de déterminer si M. Masud satisfait les critères de sa catégorie et qu’elle se concentrerait probablement sur l’intention de M. Masud de s’établir au Québec. De plus, l’agent demande à M. Masud d’apporter certains documents, énonce qu’il lui revient de convaincre l’agent qu’il satisfaisait les critères de sa catégorie et précise d’apporter tout document qu’il souhaite présenter à l’appui de sa demande de résidence permanente.
[17] Le 12 juin 2024, l’agent rencontre M. Masud tel que prévu; les notes de l’entrevue se trouvent dans le système GCMS. Selon ces notes, M. Masud confirme notamment (1) avoir deux enfants et une épouse; (2) être allé à Montréal quatre fois; (3) avoir un ami à Montréal; (4) que sa sœur habite à Toronto; (5) certaines informations en lien avec l’établissement de son entreprise; (6) avoir pris des cours de français pendant trois mois en 2022; et (7) que son fils souhaite étudier à l’Université McGill en confirmant qu’aucune étape du processus d’application n’a encore été initiée. Le 12 juin 2024, M. Masud transmet plusieurs documents, dont des états financiers, des relevés bancaires et d’autres documents liés à son entreprise ainsi que des relevés bancaires personnels.
[18] Le 26 juin 2024, l’agent refuse la demande de résidence permanente de M. Masud, n’étant pas convaincu que ce dernier cherche à s’établir dans la province de Québec tel qu’exigé par le paragraphe 90(2) du Règlement.
(3) Discussion
[19] M. Masud soutient que l’agent a violé les principes d’équité procédurale puisqu’il ne lui aurait pas fait part de ses préoccupations exactes avant l’entrevue, en dépit du fait que ces préoccupations aient été notées le 12 janvier 2024 dans le système GCMS. Il soutient que la lettre de convocation à l’entrevue, à laquelle il réfère comme une « lettre d’équité procédurale »,
était vague, qu’il ne pouvait en déduire qu’il restait des incertitudes face à son intention de s’établir au Québec après qu’il eut fourni ses documents en novembre 2023, qu’il n’a ainsi pas été en mesure de se préparer adéquatement pour l’entrevue et qu’il n’a pu répondre aux préoccupations de l’agent.
[20] Or, la preuve révèle, au contraire, que l’agent a informé M. Masud, à trois reprises, des préoccupations en lien avec son intention de s’établir au Québec et que M. Masud a eu l’opportunité de répondre auxdites préoccupations.
[21] M. Masud soutient aussi que l’agent a violé les principes d’équité procédurale en n’autorisant pas son épouse à s’exprimer lors de l’entrevue. Il soutient qu’en conséquence, son épouse n’a pas eu la possibilité de faire valoir son point de vue ni de présenter les éléments de preuve qu’elle aurait pu fournir par son témoignage, bien que la décision la concerne directement.
[22] D’abord, la jurisprudence établit que les agents de visas n’ont pas l’obligation de faire part de leurs préoccupations concernant la preuve présentée à l’appui d’une demande de résidence permanente lorsque ces préoccupations découlent directement des exigences des lois et règlements (Quan c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2022 CF 576 [Quan] au para 33; citant Naboulsi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1651 au para 92; Zeeshan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 248 aux paras 33, 46; Rukmangathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 284 au para 23). Ainsi, il revient aux demandeurs de visas de présenter des demandes convaincantes et de prévoir les inférences défavorables qui peuvent être tirées des éléments de preuve. Une question d’équité procédurale n’est pas soulevée chaque fois qu’un agent a des préoccupations qu’un demandeur ne pouvait raisonnablement prévoir.
[23] Ensuite, tel que le mentionne M. le Juge Denis Gascon dans Quan, l’équité procédurale n’exige pas que les demandeurs aient la possibilité de répondre à des préoccupations concernant les renseignements qu’ils connaissent et qu’ils ont fournis eux-mêmes, et il est bien reconnu que les agents des visas n’ont pas le devoir ou l’obligation juridique de demander des précisions au sujet d’une demande incomplète, de chercher à établir le bien‑fondé de la demande, d’informer le demandeur de leurs préoccupations concernant le respect des exigences législatives ou réglementaires, de fournir au demandeur un résultat provisoire à chaque étape du processus de demande, ou encore de lui offrir d’autres possibilités de répondre à des doutes ou de corriger des lacunes persistantes (Sharma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 381 au para 32).
[24] Ainsi, la Cour est convaincue qu’il revenait à M. Masud de présenter sa demande, de prévoir les inférences défavorables qui pouvaient être tirées des éléments de preuve qu’il a soumis et d’y répondre de façon à démontrer qu’il satisfait les exigences de sa catégorie; une question d’équité procédurale n’est pas soulevée chaque fois qu’un agent formule des préoccupations qu’un demandeur ne pouvait raisonnablement avoir prévues (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 526 au para 52).
[25] Je note que le paragraphe 90(2) du Règlement exige d’un candidat qu’il satisfasse deux éléments pour faire partie de la catégorie des investisseurs (Québec): (1) posséder un CSQ; et (2) avoir l’intention de s’établir au Québec. Puisque M. Masud avait déjà son CSQ, et indépendamment de ses échanges avec l’agent, M. Masud, représenté par avocate, pouvait inférer que les préoccupations de l’agent porteraient sur le deuxième élément à prouver soit, l’intention de s’établir dans la province de Québec.
[26] Au surplus, dans le cas de M. Masud, la preuve révèle que l’agent lui a effectivement fait preuve de ses préoccupations à trois reprises. La première fois en octobre 2023, après avoir noté les préoccupations au GCMS, en transmettant à M. Masud la missive indiquant sa préoccupation et lui permettant de fournir des documents et des informations. La deuxième fois, dans la lettre de convocation du 8 mai 2024 et la troisième fois lors de l’entrevue du 12 juin 2024.
[27] M. Masud s’appuie particulièrement sur les décisions Yaman c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2021 CF 584 [Yaman] et Alsaloussi c Canada (Procureur General) 2020 CF 364 [Alsaloussi]. Dans la décision Yaman, la Cour conclut à un bris d’équité procédurale, cependant, et tel que discuté avec les parties lors de l’audience, cette décision ne mentionne pas l’existence de la transmission d’une missive comme celle adressée à M. Masud en octobre 2023 et la Cour y indique que la lettre de convocation à l’entrevue ne faisait allusion à aucune préoccupation. La situation est différente dans le dossier qui nous occupe, tel que mentionné plus haut, et la décision Yaman n’est conséquemment pas utile. La décision Alsaloussi mettait en jeu l’alinéa 10(2)d) et le paragraphe 10.2(1) du Décret sur les passeports canadiens, TR/81‑86, modifié [Décret sur les passeports] et l’obtention possible d’un passeport au moyen de renseignements faux ou trompeurs; ces enjeux ne sont pas devant la Cour.
[28] M. Masud soutient aussi que l’agent a violé les principes d’équité procédurale en n’autorisant pas son épouse à s’exprimer lors de l’entrevue. Il allègue que, par conséquent, celle-ci n’a pas eu la possibilité de faire valoir son point de vue ni de présenter les éléments de preuve qu’elle aurait pu apporter par son témoignage, bien que la décision l’affecte directement.
[29] Toutefois, les notes détaillées de l’agent, prise le jour même et consignées le lendemain de l’entrevue dans le système GCMS, ne corroborent pas cette allégation. Ces notes indiquent plutôt que, lorsqu’il a été question du nombre d’employés que M. Masud prévoyait embaucher, son épouse est intervenue spontanément pour mentionner qu’elle allait également aider son époux. Rien dans ces notes ne permet de conclure que l’agent aurait lui refusé la parole ou qu’il lui aurait demandé de ne plus intervenir.
[30] À cet égard, la Cour note que les parties n’ont pas cité la décision de la Cour d’appel fédérale Cabral c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2018 CAF 4 dans laquelle il est souligné que les notes de l’agent dans le système GCMS ne font pas nécessairement preuve de la véracité de leur contenu dans tous les cas. La Cour note aussi qu’en l’instance, le demandeur n’a pas détaillé ses représentations et il n’a pas convaincu la Cour que les notes sont inexactes ou peu fiables. Au surplus, et à tout évènement, M. Masud ou son épouse n’ont pas indiqué les éléments additionnels qui auraient pu être avancés, par son épouse, pour établir l’intention de M. Masud de s’établir au Québec. Enfin, il incombait à M. Masud, en tant que demandeur principal, de prouver son intention.
[31] En somme, la Cour ne peut donc pas conclure à un bris d’équité procédurale. M. Masud était représenté, il connaissait l’exigence règlementaire d’avoir l’intention de s’établir au Québec, l’agent a communiqué ses préoccupations et M. Masud a eu la possibilité d’y répondre.
C. La décision n’est pas déraisonnable
(1) Norme de contrôle
[32] Je suis d’accord avec les parties que la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique en l’instance (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Une décision raisonnable est une décision qui est transparente, intelligible et justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes, tandis qu’une décision déraisonnable en est une qui « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
(Vavilov au para 100). Le demandeur est celui qui porte le fardeau de démontrer que la décision est déraisonnable.
(2) Discussion
[33] M. Masud soutient que la décision de l’agent est déraisonnable vu les éléments de preuve et les déclarations de M. Masud, et qu’il était déraisonnable pour l’agent de conclure que malgré toutes les démarches entreprises, M. Masud n’a pas fait la preuve de son intention de s’établir au Québec.
[34] M. Masud soutient que l’agent a mal évalué la preuve et il souligne que (1) il est clair qu’il a fait les démarches nécessaires pour établir son entreprise; (2) la scolarité de ses enfants ne peut pas influer sur l’évaluation de son intention de résider au Québec et au surplus, ses enfants étaient disposés à étudier à Montréal; (3) il a fourni le nom d’un ami proche vivant à Montréal et il n’a pas eu l’occasion de présenter une lettre de soutien; et (4) il a suivi des cours de français.
[35] De plus, M. Masud soutient que l’agent aurait exigé à tort qu’il présente un plan d’affaires et qu’il soit prêt à ouvrir une entreprise dès son arrivée au Québec alors que ceci-ci n’est clairement pas une exigence de la catégorie des investisseurs (Québec), et que ses préparatifs étaient suffisants pour démontrer son intention.
[36] La Cour note que les agents des visas disposent d’un haut degré de discrétion lorsqu’ils évaluent l’intention d’un demandeur de s’établir dans une province, un exercice empreint de subjectivité (Qiao c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2022 CF 247 aux paras 15-16; Fatema v Canada (Citizenship and Immigration) 2025 FC 772 [Fatema] au para 29; Quan au para 24 citant Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 721 au para 33). Les agents peuvent tenir compte de tous les indices à leur disposition pour évaluer cette intention, y compris le comportement antérieur du demandeur, ses circonstances présentes et ses plans futurs. Ils ne sont ainsi pas liés par les déclarations du demandeur.
[37] Ensuite, dans le cas en l’instance, c’est M. Masud lui-même qui a expliqué que son intention était d’établir une entreprise de vêtements à Montréal; rien n’indique que l’agent l’ait exigé. Or, tel que l’a précisé le Ministre, la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’un agent des visas pouvait, dans le cadre d’une entrevue, poser des questions et demander des précisions sur les déclarations d’un demandeur (Quan au para 26; Fatema au para 32; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 [Kisana] au para 29). L’entrevue n’a pas simplement pour objet de contester la crédibilité des déclarations d’un demandeur, mais sert également à vérifier la suffisance de ces déclarations à l’appui d’une demande (Kisana au para 29). Dans ce cas-ci, l’agent pouvait donc explorer l’intention déclarée de M. Masud d’ouvrir une entreprise; malheureusement, M. Masud n’a pas réussi à dissiper les préoccupations de l’agent vu ses démarches et sa connaissance du marché limitées.
[38] Le même principe s’applique en lien avec les études puisque M. Masud lui-même a déclaré que son fils entreprendrait des études postsecondaires à l’Université McGill, mais il n’a toutefois fourni aucune preuve de démarches à cet égard. Enfin, M. Masud a choisi de ne pas présenter de lettre de son ami à Montréal alors que la missive du mois de mai 2023 lui offrait la possibilité de le faire et que la lettre du 8 mai 2024 lui permettait d’apporter tout document qu’il souhaitait présenter à l’appui de sa demande à l’entrevue; il ne peut maintenant reprocher à l’agent d’avoir noté qu’aucune telle lettre n’avait été présentée.
[39] En somme, M. Masud soulève des arguments qui démontre son désaccord avec la décision de l’agent et avec l’appréciation de la preuve par ce dernier. Il n’est pas déraisonnable pour l’agent de conclure que les éléments sur lesquels s’appuie M. Masud pour établir son intention de s’établir au Québec sont insuffisants pour établir cette intention. Au surplus, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve ou de substituer ses propres conclusions à celles des agents des visas.
III. Conclusion
[40] M. Masud n’a pas démontré que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence »
et qu’elle est déraisonnable. Au contraire, selon la preuve au dossier et compte tenu du cadre législatif applicable, tout indique que la décision est raisonnable.
JUGEMENT au dossier IMM-12623-24
LA COUR STATUE que :
-
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
-
Aucune question n’est certifiée.
-
Aucun dépens n’est octroyé.
« Martine St-Louis »
Juge en chef adjointe
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-12623-24 |
|
INTITULÉ : |
MOHD FERDOUS KAWSER MASUD c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
|
LIEU DE L’AUDIENCE : |
MONTRÉAL (QUÉBEC) |
|
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 14 août 2025 |
|
JUGEMENT ET motifs : |
LA JUGE EN CHEF ADJOINTE ST-LOUIS |
|
DATE DES MOTIFS : |
LE 29 septembre 2025 |
|
COMPARUTIONS :
Marc E. Barchichat |
Pour le demandeur |
Mario Blanchard |
Pour le défendeur |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
MEB Légal Inc. Montréal (Québec) |
Pour le demandeur |
Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour le défendeur |