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Date : 20250929


Dossier : T-1175-23

Référence : 2025 CF 1515

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 septembre 2025

En présence de madame la juge Fuhrer

ENTRE :

CACHE COMPUTER CONSULTING CORP.

demanderesse

et

MINISTRE DES SERVICES PUBLICS ET DE L’APPROVISIONNEMENT

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

(version publique, sans expurgations, de la version confidentielle publiée le 12 septembre 2025)

I. Résumé

[1] Par le présent contrôle judiciaire, la demanderesse, Cache Computer Consulting Corp., cherche à empêcher le défendeur, le ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, de divulguer les noms de ses consultants en réponse à une demande qu’il a reçue au titre de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A-1 [la LAI], visant la communication de documents échangés entre Services publics et Approvisionnement Canada et Cache. Voir l’annexe A plus loin pour les dispositions législatives applicables.

[2] Cache affirme que les documents que le ministre propose de communiquer en réponse à la demande d’accès à l’information contiennent les noms de ses principaux consultants. Elle soutient que sa liste de consultants est la [traduction] « recette secrète » de son succès dans les processus d’approvisionnement du gouvernement du Canada concernant les projets de SAP (systèmes, applications et produits de traitement des données). Ainsi, Cache affirme que les noms de ses consultants ne devraient pas être divulgués au titre du paragraphe 19(1) et des alinéas 20(1)b), c) et d) de la LAI. De plus, selon elle, il lui suffit d’établir l’une des exceptions prévues par la LAI pour obtenir gain de cause en l’espèce.

[3] Quant au ministre, il est d’avis que Cache ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver qu’elle pouvait se prévaloir de l’une ou l’autre des exceptions prévues par les dispositions ci-dessus.

[4] Après avoir examiné les observations écrites des parties et entendu leurs plaidoiries, je juge que les noms des consultants de Cache n’ont pas à être divulgués puisqu’il s’agit de renseignements commerciaux confidentiels et de renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire à la compétitivité de Cache, conformément aux alinéas 20(1)b) et c) de la LAI. Pour les motifs exposés plus en détail ci-dessous, la présente demande est accueillie, et il sera ordonné au ministre de ne pas divulguer les noms des consultants en cause.

II. Contexte

[5] Cache fournit aux ministères et agences du gouvernement du Canada des services professionnels liés aux systèmes de planification des ressources organisationnelles, comme des SAP. Elle soumissionne à diverses demandes de propositions [DP] et, lorsqu’elle obtient les contrats, elle fait appel à ses consultants triés sur le volet pour les mener à bien.

[6] À l’étape de l’approvisionnement d’un projet donné, Cache propose des noms de consultants qualifiés tirés de sa liste de consultants pour répondre aux exigences établies. En plus des noms de ses consultants, elle fournit leurs curriculum vitæ, leurs autorisations de sécurité et leurs qualifications techniques ainsi qu’une cotation numérique par rapport aux exigences de la DP. Cache affirme proposer les services de consultants aux qualifications techniques très élevées de façon à accroître ses chances d’obtenir des contrats plus intéressants.

[7] La demande d’accès à l’information a poussé le ministre d’envoyer à Cache un avis de consultation auprès d’un tiers, conformément au paragraphe 27(1). L’avis contenait en pièces jointes les documents qui seraient communiqués en réponse. Bien que le ministre ait accepté certaines des observations dans la réponse de Cache à l’avis, il estimait que l’identité des individus ayant réalisé des travaux au titre d’un contrat fédéral ne pouvait être protégée, conformément à l’alinéa k) de la définition de « renseignements personnels » à l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21 [la LPRP]. Le ministre a finalement jugé que certains des documents demandés étaient partiellement visés par une exception à la communication au titre du paragraphe 19(1) et des alinéas 20(1)b) et c) de la LAI, mais que les noms des consultants de Cache ne le seraient pas et que, par conséquent, ils seraient divulgués avec d’autres renseignements ne nécessitant pas de caviardage. La divulgation des noms des consultants, c’est-à-dire essentiellement la liste complète des consultants de Cache, est la principale question en litige en l’espèce.

[8] Selon la preuve non contestée de Cache, sa liste de consultants n’est généralement pas communiquée à des parties externes, pas même à des partenaires de projet dans des DP, sauf dans de rares circonstances et de façon limitée, et sa liste constitue, avec ses formules exclusives pour établir ses propositions et ses tarifs journaliers et horaires, l’un des trois éléments d’information les plus précieux pour son entreprise. Cache affirme avoir fait l’objet d’environ sept demandes d’accès à l’information depuis 2018 et que, pour chacune, les noms de ses consultants ont été caviardés dans les documents communiqués.

[9] De plus, selon Cache, sa liste de consultants est un actif dont la constitution a nécessité temps et argent. Elle ajoute que la communication de sa liste aurait une incidence sur la viabilité de son entreprise en raison du risque accru que ses concurrents, environ cinq à dix entreprises pour des DP semblables, débauchent ses consultants. Cache explique qu’elle choisit uniquement des consultants hautement performants, qui obtiennent d’ailleurs régulièrement une cotation technique de 100 % dans diverses DP. Elle soutient que, en obtenant une cotation technique très élevée, elle a de la [traduction] « marge de manœuvre » et, par conséquent, elle peut augmenter les tarifs journaliers et horaires qu’elle facture pour ses consultants tout en demeurant concurrentielle dans les DP.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[10] Les questions soulevées en l’espèce, formulées plus précisément, sont ci-dessous. Elles ont trait à des dispositions précises de la LAI qui, selon Cache, protège sa liste de consultants de la communication :

  • 1)Les noms des consultants de Cache sont-ils visés par l’exception à la divulgation prévue au paragraphe 19(1) de la LAI pour les renseignements personnels?

  • 2)Les noms des consultants de Cache sont-ils visés par l’exception à la divulgation prévue à l’alinéa 20(1)b) de la LAI pour les renseignements commerciaux confidentiels?

  • 3)Les noms des consultants de Cache sont-ils visés par l’exception à la divulgation prévue à l’alinéa 20(1)c) de la LAI pour renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes financières ou de nuire à la compétitivité?

  • 4)Les noms des consultants de Cache sont-ils visés par l’exception à la divulgation prévue à l’alinéa 20(1)d) de la LAI pour les renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver des négociations en vue de contrats ou à d’autres fins?

[11] L’article 44.1 de la LAI dispose que les recours prévus à l’article 44, comme la présente demande de contrôle portant sur les exceptions d’application obligatoire énoncées aux alinéas 20(1)b), c) et d), « sont entendus et jugés comme une nouvelle affaire ». La « nouvelle affaire » dont la Cour est saisie nécessite un nouvel examen, pour lequel peu ou pas de déférence n’est due au ministre : Concord Premium Meats Ltd c Canada (Agence d’inspection des aliments), 2020 CF 1166 au para 43; Perreault c Canada (Affaires étrangères), 2023 CF 1051 [Perrault] au para 27. Contrairement à ce que Cache a soutenu, il ne s’agit pas d’un contrôle selon la norme de la décision correcte : Perrault, au para 31. J’ajoute que la norme de preuve applicable aux questions soulevées au titre du paragraphe 20(1) est celle de la prépondérance des probabilités : HJ Heinz Co of Canada Ltd c Canada (Procureur général), 2003 CFPI 250 [HJ Heinz] au para 31, citant Northern Cruiser Co c Canada (1995), 99 FTR 320n (CAF). Je tiens à souligner que l’arrêt HJ Heinz a été confirmé deux fois en appel, quoique sans mention explicite de la norme de preuve applicable : 2004 CAF 171, conf par 2006 CSC 13.

[12] Toutefois, il faut appliquer une approche différente au paragraphe 19(1) de la LAI. L’article 44, qui renvoie au paragraphe 28(1), lequel à son tour renvoie au paragraphe 27(1), prévoit que l’exception relative aux renseignements personnels prévue au paragraphe 19(1) n’est pas assujettie à l’exigence prévue à l’article 44.1 voulant que l’affaire soit entendue comme une nouvelle affaire.

[13] En dépit de l’exception obligatoire prévue au paragraphe 19(1) de la LAI, le ministre retient néanmoins le pouvoir discrétionnaire de divulguer des renseignements personnels dans les cas prévus au paragraphe 19(2). Comme l’a déclaré le juge Pamel, « une décision discrétionnaire de l’institution fédérale, fondée par exemple sur le paragraphe 19(2) de la [LAI], ne peut être examinée selon la norme de révision de novo; […] l’examen ne peut être que fondé sur la norme de la décision raisonnable » : Perreault, aux para 37 et 41; voir aussi Commissaire à l’information du Canada c Canada (Ressources naturelles), 2014 CF 917 au para 26, citant Dagg c Canada (Ministre des Finances), 1997 CanLII 358 (CSC) aux para 106-111, [1997] 2 RCS 403.

[14] Toutefois, l’exercice possible du pouvoir discrétionnaire ne s’applique pas lorsque les renseignements en cause ne sont pas des renseignements personnels, comme il en est question ci‑dessous.

IV. Analyse

A. Paragraphe 19(1) de la LAI – Renseignements personnels

[15] Je conclus que Cache n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que les noms de ses consultants sont des renseignements personnels. À mon avis, la question porte sur le sens légal du terme « renseignements personnels ».

[16] Cache soutient que le nom de ses consultants est visé par l’exception prévue au paragraphe 19(1) de la LAI parce qu’il s’agit de renseignements personnels et qu’ils ne peuvent être divulgués au titre de l’alinéa k) de la définition de « renseignements personnels » à l’article 3 de la LPRP. Selon Cache, c’est toujours l’entité, et non ses consultants individuels, qui conclut des contrats avec le gouvernement du Canada. Cache fournit des services au titre des contrats qu’elle a conclus avec le gouvernement du Canada. Les consultants ou leurs sociétés sont parties à des contrats avec Cache et fournissent des services à Cache, qui les rémunère; autrement dit, les consultants ne sont pas payés par le gouvernement du Canada. De plus, selon Cache, aucun des cas où la divulgation des renseignements personnels est autorisée suivant le paragraphe 19(2) de la LAI ne s’applique concernant le nom des consultants.

[17] Le ministre ne conteste pas les conclusions de la décision Perrault voulant que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique lorsque l’institution fédérale a un pouvoir discrétionnaire, comme celui prévu au paragraphe 19(2) de la LAI. Cela dit, le ministre soutient que l’article 19 de la LAI ne s’applique pas en l’espèce puisque les renseignements en cause sont visés par l’exception énoncée à l’alinéa k) de la définition de « renseignements personnels » à l’article 3) de la LPRP. J’abonde dans le même sens.

[18] La LPRP exclut expressément des renseignements personnels visés à l’article 19 de la LAI le nom d’un individu identifiable qui, au titre d’un contrat, assure ou a assuré la prestation de services à une institution fédérale et portant sur la nature de la prestation. À mon avis, l’expression « au titre d’un contrat » à l’alinéa k) de la définition de « renseignements personnels » à l’article 3 de la LPRP est issue d’un choix délibéré du législateur; elle ne signifie pas « qui a conclu un contrat avec » et n’est pas interchangeable avec cette expression. Le fait que Cache fournisse les services au titre d’un contrat avec le gouvernement du Canada ne change rien au fait que les services sont fournis par des individus identifiables, c’est-à-dire les consultants, au titre d’un contrat pour une institution fédérale, à savoir le contrat entre Cache et le gouvernement du Canada. Autrement dit, je suis d’avis que le libellé de l’alinéa k) de la définition de « renseignements personnels » à l’article 3 de la LPRP englobe un éventail de relations contractuelles plus large que la relation contractuelle directe invoquée par Cache.

[19] Notre Cour s’est déjà penchée sur la question des relations contractuelles directes et indirectes dans la décision Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Secrétaire d’État aux Affaires extérieures), 1989 CanLII 9478 (CF), [1990] 1 CF 395 [Affaires extérieures]. Cache n’a pas démontré que cette décision ne fait plus jurisprudence.

[20] Dans la décision Affaires extérieures, le juge Dubé a procédé à une interprétation textuelle des versions française et anglaise de l’alinéa k) de la définition de « renseignements personnels » à l’article 3 de la LPRP et a conclu que la version française de la disposition était plus restrictive que la version anglaise. À l’époque, la version française parlait d’un individu « qui a conclu un contrat », alors que dans la version anglaise, qui n’a pas changé, il était question d’un individu « performing services under contract ».

[21] Après avoir examiné les deux versions de la disposition, le juge Dubé a conclu que rien dans le régime de la LPRP n’assurait une plus grande protection des renseignements personnels à la personne qui est engagée par le gouvernement par l’entremise d’une agence de personnel plutôt que directement par le gouvernement. Il a conclu que le passage « qui a conclu un contrat de prestation de services » était simplement une mauvaise traduction : Affaires extérieures, aux pp 400-402.

[22] De même, à mon avis, Cache cherche à assurer aux noms de ses consultants une plus grande protection que celle à laquelle un fonctionnaire aurait droit, simplement parce que Cache est l’entité ayant conclu un contrat avec le gouvernement du Canada.

[23] Je note au passage que la version française d’aujourd’hui de l’alinéa k) de la définition de « renseignements personnels » à l’article 3 de la LPRP a un sens au moins aussi large sinon plus que celui de la version anglaise, puisqu’elle commence par « un individu qui, au titre d’un contrat, assure ou a assuré la prestation de services à une institution fédérale ». Selon moi, les mots « au titre d’un contrat » comprennent, sans toutefois s’y limiter, la relation contractuelle directe entre l’individu qui assure les services et l’institution fédérale. En fin de compte, je ne suis pas convaincue par les observations de Cache sur cette question.

B. Alinéa 20(1)b) de la LAI – Renseignements commerciaux confidentiels

[24] Malgré la conclusion ci-dessus selon laquelle les noms des consultants de Cache ne sont pas des renseignements personnels visés par une exception à la divulgation, je suis convaincue que Cache a démontré qu’il s’agit néanmoins de renseignements commerciaux confidentiels visés par l’exception limitée prévue à l’alinéa 20(1)b) de la LAI au droit du public à la communication des documents de l’administration fédérale énoncé à l’alinéa 2(2)a) de cette même loi. Ce n’est pas parce que certains noms ont figuré et pourraient figurer dans une base de données comme les Services d’annuaires gouvernementaux électroniques [le SAGE] qu’ils perdent automatiquement leur caractère confidentiel, en particulier leur association avec Cache : Janssen-Ortho Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 252 [Janssen-Ortho] au para 6.

[25] Cache soutient que les renseignements en cause en l’espèce satisfont au critère à quatre volets applicable énoncé dans la décision Air Atonabee Ltd c Canada (Ministre des Transports), 1989 CanLII 10334 (CF) [Air Atonabee] à la p 197, [1989] A.C.F. no 453, et font donc l’objet d’une exception à la divulgation.

[26] Bien qu’il se fonde sur une affaire différente (HJ Heinz, au para 32), le ministre ne conteste pas le critère applicable, mais soutient plutôt que Cache n’y satisfait pas. Je ne suis pas de cet avis, pour les motifs suivants.

[27] Pour que les renseignements soient visés par l’exception prévue à l’alinéa 20(1)b), ils doivent :

  • 1)être de nature financière, commerciale, scientifique ou technique;

  • 2)être confidentiels;

  • 3)être fournis à l’institution fédérale par un tiers;

  • 4)avoir été traités de façon constante comme étant confidentiels par le tiers.

[28] J’examine ci-dessous chacun de ces critères.

1) Renseignements commerciaux

[29] Le ministre soutient que Cache n’établit pas en quoi les noms en eux-mêmes sont de nature commerciale ni en quoi sa compétitivité serait affaiblie en cas de divulgation. Là encore, je ne suis pas d’accord.

[30] En ce qui concerne le premier volet du critère, les renseignements en cause doivent être de nature commerciale, au sens lexicographique courant : Merck Frosst Canada Ltée c Canada (Santé), 2012 CSC 3 [Merck Frosst] au para 139, citant Air Atonabee, à la p 198.

[31] Ni l’une ni l’autre des parties n’a produit d’éléments de preuve en bonne et due forme sur la définition lexicographique du mot « commercial » (les observations écrites du ministre sur ce point constituant une preuve indûment déguisée), mais je suis disposée à prendre connaissance d’office que le mot « commercial » a le sens de « se rapportant au commerce » et que le mot « commerce », à son tour, s’entend d’opérations d’achat et de vente (c’est-à-dire l’échange de biens et de services); (voir par exemple la définition de « commerce » de Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Commerce). À mon sens, l’accent mis sur le mot « commerce » dissipe les réserves de Cache concernant la circularité de certaines définitions.

[32] La preuve présentée par Cache à la Cour comprend l’affidavit de Victoria Fisher, cheffe de la direction de Cache. Étant donné que le ministre n’a pas contre-interrogé Mme Fisher, son affidavit est essentiellement incontesté.

[33] Mme Fisher décrit en détail comment les consultants qualifiés, identifiés par leurs noms, jouent un rôle dans le processus d’approvisionnement ainsi que dans la mise en œuvre et la réalisation des projets de SAP. À l’étape des propositions d’un projet donné, Cache soumet une liste de consultants qualifiés pour répondre aux exigences et fournit des informations détaillées sur les consultants, dont leurs noms, curriculum vitae, autorisations de sécurité et qualifications techniques. Les qualifications techniques de chacun comprennent une cotation numérique évaluée en fonction des exigences de la DP en question.

[34] Mme Fisher explique comment la force de la liste de consultants d’une entreprise constitue le fondement de son avantage concurrentiel dans le marché des services-conseils. Plus précisément, selon elle, les contrats gouvernementaux pour des services de SAP exigent des consultants qu’ils satisfassent à des exigences précises, sans quoi les contrats ne peuvent être attribués. De plus, elle explique que la fonction principale de Cache est de choisir, de former et de conserver des consultants qualifiés, ce qui nécessite beaucoup de temps et de ressources.

[35] Il ne fait aucun doute dans mon esprit que, dans le contexte des activités de Cache, les noms de ses consultants sont de nature commerciale, en ce sens qu’ils se rapportent au commerce ou à de l’achat-vente (en l’espèce, à l’échange ou à la vente des services de personnes dont le nom est associé à des qualifications particulières). Comme l’enseigne la Cour suprême du Canada, il n’est pas nécessaire que les renseignements aient une valeur inhérente, comme une liste de clients, pour être commerciaux : Merck Frosst, au para 140.

[36] Je suis d’avis que les arguments du ministre soutenant le contraire ne sont pas convaincants et je ne suis pas non plus convaincue que la Cour doive examiner chaque nom individuellement, comme le fait valoir le ministre. Si ce dernier avait voulu contester la preuve contenue dans l’affidavit de Mme Fisher, il aurait pu contre-interroger celle-ci, mais il ne l’a pas fait, comme je le mentionne plus haut. Un affidavit, qui est souscrit ou fait sous serment, constitue une preuve en soi, et il serait sage pour quiconque qui renonce à un contre-interrogatoire pour quelque raison que ce soit de s’interroger sur les conséquences d’un tel choix (c’est-à-dire que la preuve par affidavit peut être incontestée, selon les circonstances). Il en est ainsi parce qu’« il convient d’examiner la question de savoir si l’exception s’applique ou non en tenant compte de la nature des renseignements et de la preuve au dossier » (soulignement ajouté) : Merck Frosst, au para 142.

2) Renseignements confidentiels

[37] Les parties ne contestent pas que les trois éléments requis pour établir la confidentialité des renseignements sont les suivants :

  • a)le contenu du document est tel que les renseignements qu’il contient ne peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès, ou ne peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef;

  • b)les renseignements doivent avoir été transmis confidentiellement avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seront pas divulgués;

  • c)les renseignements doivent être communiqués, que ce soit parce que la loi l’exige ou parce qu’ils sont fournis gratuitement, dans le cadre d’une relation de confiance entre l’administration et la personne qui les fournit ou dans le cadre d’une relation qui n’est pas contraire à l’intérêt public, et la communication des renseignements doit favoriser cette relation dans l’intérêt du public.

Voir, par exemple, Fermes Burnbrae Limitée c Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2014 CF 957 [Fermes Burnbrae] au paragraphe 74, citant Air Atonabee, à la page 202, et à Merck Frosst, au paragraphe 133, qui semble retenir le critère ci-dessus.

[38] J’examine ces éléments l’un après l’autre.

a) Présence des renseignements dans des sources accessibles au public

[39] Le ministre fait valoir que les consultants de Cache qui travaillent au titre d’un contrat avec le gouvernement fédéral se font attribuer des comptes de courriel du gouvernement du Canada et que leurs noms et titres de poste figurent dans le SAGE. Le ministre soutient que, pour cette raison, leurs noms font partie du domaine public et que le public peut connaître leur association avec Cache par une recherche en ligne ou que leurs noms pourraient être associés à Cache sur d’autres plateformes publiques.

[40] Cache soutient que, bien que le public puisse constater l’affiliation d’une personne avec le gouvernement du Canada par son adresse de courriel ou la présence de son nom dans le SAGE, aucun renseignement accessible au public ne relie un consultant en particulier à Cache. Le ministre soutient que Cache n’a pas produit de preuve démontrant que pas un seul des noms de ses consultants n’est associé à elle sur une plateforme accessible au public. Selon moi, ce dernier argument ne peut être défendu parce qu’il revient à exiger indûment de Cache qu’elle prouve l’inexistence d’un fait, à savoir que pas un seul des noms de ses consultants n’est associé à elle sur une plateforme accessible au public, ce qui est difficile, voire impossible ou presque, à accomplir.

[41] De plus, j’estime que les arguments du ministre sont largement hypothétiques et n’expliquent pas, par exemple, comment un membre du public peut constater l’association d’un consultant avec Cache ou faire des recherches sur cette association. Au contraire, Mme Fisher explique en détail les efforts déployés par Cache pour préserver la confidentialité de sa liste de consultants choisis.

[42] Aux dires de Mme Fisher, la liste de consultants et les formules exclusives utilisées pour établir les propositions et les tarifs journaliers et horaires constituent les trois éléments d’information les plus précieux de Cache. Cette dernière a donc toujours traité ces renseignements comme des secrets, selon Mme Fisher. Cela comprend, à son avis, le fait de ne jamais communiquer la liste hors de l’organisation et de n’y accorder accès à l’interne qu’à cinq employés en ayant besoin pour exercer leurs fonctions.

[43] Mme Fisher soutient également que, lorsque Cache s’associe à un concurrent ou à une autre société pour une DP, elle ne lui communique jamais sa liste des consultants. Elle explique que la liste n’est communiquée qu’à l’institution fédérale dans le cadre de la DP et du travail que Cache effectue avec elle. Dans de très rares cas, précise Mme Fisher, certains noms, mais jamais la liste complète, peuvent être divulgués à un partenaire, et seulement aux employés de celui-ci ayant besoin de connaître ces renseignements pour la prestation des services prévus au contrat. De plus, quand Cache fait affaire avec un partenaire, elle conclut une entente de partenariat contenant des clauses de confidentialité et de non-concurrence et stipulant que Cache est l’entité responsable de fournir des consultants à l’institution fédérale pour la réalisation des travaux. Un exemple d’entente est inclus en pièce jointe à l’affidavit de Mme Fisher.

[44] Même si certains noms de consultants se trouvent dans le SAGE, ce qui exclut ces renseignements de la proposition générale selon laquelle ils ne sont pas confidentiels vu qu’ils sont accessibles au public par le biais d’une autre source (Merck Frosst, au para 146), c’est l’évaluation effectuée par Cache des qualifications des consultants et le fait qu’elle s’y fie pour leur attribuer une cote et proposer les consultants pour le travail à effectuer, au titre d’un contrat, pour l’institution fédérale (Merck Frosst, au para 148). Je juge que le fait que Cache se fonde sur son analyse de ses consultants n’est pas un renseignement accessible au public, mais bien un renseignement confidentiel (Merck Frosst, au para 147, citant Janssen-Ortho Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1633 au para 39, conf par Janssen-Ortho). Si, comme l’envisage le ministre, les noms étaient divulgués dans le contexte de factures et de feuilles de temps, qui sont des pièces jointes à l’affidavit de Mme Fisher, cette confidentialité serait compromise, voire éliminée, alors que la présence de certains noms dans le SAGE ou l’attribution d’une adresse de courriel et d’un numéro de téléphone du gouvernement du Canada à des consultants n’auraient pas cet effet. Dans le premier cas de figure, l’association de chaque consultant avec Cache serait révélée, mais pas dans le second.

[45] Cache a contre-interrogé le déposant du ministre sur ce dernier point. La preuve du ministre comprend l’affidavit de Dominique Bernier, chef d’équipe par intérim au sein de l’équipe d’Accès à l’information et protection des renseignements personnels du ministère des Services publics et de l’Approvisionnement Canada [SPAC-AIPRP].

[46] Dans son affidavit, M. Bernier fournit des renseignements généraux concernant les interactions entre les parties qui ont abouti à la décision de ne pas caviarder les noms. Lorsqu’il a été contre-interrogé par Cache au sujet des renseignements qu’une adresse de courriel et un numéro de téléphone du gouvernement du Canada pourraient révéler au sujet d’une personne, M. Bernier a confirmé qu’ils ne révèlent pas si la personne est un consultant travaillant au titre d’un contrat ou autrement que dans ses tâches quotidiennes.

[47] La preuve de Cache comprend également l’affidavit de Kaitlyn Moar, une coordonnatrice administrative chez Cache. L’affidavit porte sur l’argument du ministre dans le dossier du défendeur selon lequel il était possible de trouver des renseignements sur des consultants de Cache dans le SAGE. Je note que, comme pour l’affidavit de Mme Fisher, le ministre n’a pas contre-interrogé Mme Moar. Par conséquent, la preuve de celle-ci est elle aussi incontestée.

[48] Mme Moar démontre que la base de données du SAGE est incomplète et n’est sans doute pas à jour. Les recherches qu’elle y a menées révèlent qu’environ 25 % seulement (30 sur 122) des consultants de Cache dont les noms figurent dans les documents que le ministre propose de communiquer se trouvent dans le système. De ce nombre, seulement huit comportaient la mention « sous-traitant » ou « consultant ». Je suis prête à déduire de cette preuve que 75 % (c’est-à-dire 92 sur 122, soit une grande majorité) des noms des consultants de Cache en question ne se trouvaient pas dans le SAGE au moment où Mme Moar a mené ses recherches.

[49] De plus, même si le SAGE affichait le nom de 30 consultants, pour certains il n’affichait pas leur titre, leur adresse de courriel, ni leur numéro de téléphone. Certains des consultants étaient affiliés à un ministère pour lequel Cache ne leur avait pas confié de travail. Un exemple de ce cas de figure est présenté en pièce jointe à l’affidavit de Mme Moar. Plus précisément, les entrées dans le SAGE des 30 consultants ne contiennent aucune mention de Cache et, par conséquent, ne révèlent pas qu’ils ont travaillé au titre d’un contrat pour Cache.

[50] En résumé, je suis convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l’association entre les consultants et Cache, que leur évaluation et cotation par Cache et que le fait que celle-ci se fonde sur eux pour effectuer le travail à l’issue d’une proposition retenue ne sont pas des renseignements pouvant être obtenus de sources auxquelles le public a autrement accès et ne pourraient pas être obtenus par observation (même avec plus d’efforts, selon la décision HJ Heinz, au para 34, citant Air Atonabee, à la p 199) ou par une étude indépendante par un membre du public agissant de son propre chef. De plus, le contexte est important en l’espèce. Le ministre ne propose pas de divulguer seulement les noms, mais de les divulguer dans des documents, comme des factures et des feuilles de temps, qui révèlent l’association des consultants avec Cache.

b) Attente raisonnable de confidentialité

[51] Puisque Cache protège les noms de ses consultants, comme je l’ai mentionné plus haut, et compte tenu des sept demandes d’accès à l’information antérieures pour lesquelles Cache a demandé le caviardage des noms et des tarifs de ses consultants, caviardage auquel SPAC-AIPRP a procédé, je conclus, sur le fondement de la preuve par affidavit incontestée de Mme Fisher, que les renseignements en cause ont été transmis confidentiellement avec l’assurance raisonnable qu’ils ne seraient pas divulgués.

[52] À mon avis, la thèse du ministre selon laquelle Cache ne peut pas se fonder sur la façon dont SPAC-AIPRP a traité les demandes d’accès à l’information antérieures aurait été plus convaincante s’il n’y en avait eu qu’une ou deux. Le ministre n’a pas explicitement affirmé que, s’il y avait eu moins de demandes où les noms de consultants avaient été caviardés, l’argument des pratiques antérieures de SPAC-AIPRP aurait été moins solide pour Cache, mais je ne suis pas d’accord que l’on puisse faire abstraction des sept demandes antérieures.

[53] Je suis d’avis que la preuve par affidavit incontestée de Mme Fisher selon laquelle il y a eu sept demandes d’accès à l’information antérieures pour lesquelles les noms des consultants ont été caviardés donne lieu à une attente raisonnable de confidentialité et c’est comme si le « personnel du Ministère [l’avait assurée] que les renseignements demeureraient confidentiels » (Air Atonabee, à la p 203).

[54] J’ajoute que, bien qu’il n’y ait pas d’entente de confidentialité expresse entre Cache et le gouvernement du Canada, M. Bernier a admis en contre-interrogatoire que, si la nature confidentielle des renseignements était établie, SPAC-AIPRP appliquerait l’exception prévue au paragraphe 20(1) malgré l’absence d’entente de confidentialité entre SPAC et le tiers.

c) Relation non contraire à l’intérêt public et communication qui favorise cette relation

[55] Le ministre soutient qu’il est dans l’intérêt public de savoir qui effectue des travaux grâce aux fonds publics et qu’un tiers ne peut pas raisonnablement s’attendre à ce que les sommes qui lui seront versées à même ces fonds au titre d’un contrat gouvernemental demeurent confidentielles. Je ne suis pas en désaccord.

[56] Cela dit, la relation contractuelle directe est entre Cache et le gouvernement du Canada, qui paie Cache pour les services fournis par les consultants. Cache est responsable de la rémunération de ses consultants qui sont sous contrat direct avec elle. Je suis d’accord avec Cache que la non-divulgation des noms des consultants n’empêcherait pas le public de comprendre la relation contractuelle entre le gouvernement du Canada et elle.

[57] De plus, cette relation sera vraisemblablement favorisée par la non-divulgation des noms des consultants puisque, selon Mme Fisher, la formule exclusive de Cache pour évaluer et coter ses consultants, à laquelle Cache a consacré d’importantes ressources, lui a permis de constituer au fil des ans une liste de consultants hautement compétents (c’est-à-dire [traduction] « seulement des niveaux 2 et 3 »).

[58] En ce qui concerne le deuxième volet du critère visant à déterminer si les renseignements à divulguer sont visés par l’exception prévue à l’alinéa 20(1)b), je conclus que Cache a démontré que ces renseignements – les noms des consultants dans les documents en cause, soit des factures et des feuilles de temps – sont confidentiels.

3) Renseignements fournis à l’institution fédérale par un tiers

[59] Il ne fait aucun doute que les noms des consultants ont été fournis par Cache au gouvernement du Canada.

4) Renseignements traités de façon constante comme étant confidentiels par le tiers

[60] Cette question est examinée plus haut dans l’analyse du deuxième volet du critère applicable, sous la rubrique « a) Présence des renseignements dans des sources accessibles au public ». Inutile de me pencher davantage sur la question.

[61] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que Cache a satisfait au critère et a établi que les noms de ses consultants sont visés par l’exception à la divulgation énoncée à l’alinéa 20(1)b) de la LAI, en ce qui concerne les documents que le ministre propose de communiquer au demandeur des renseignements.

[62] Bien que cette conclusion suffise à trancher la demande de Cache présentée au titre de l’article 44, j’examine les deux autres questions qui restent, par souci d’exhaustivité.

C. Alinéa 20(1)c) de la LAI – Renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes financières ou de nuire à la compétitivité

[63] J’estime que Cache a démontré qu’elle s’attendait raisonnablement à ce que la divulgation des noms de ses consultants à tout le moins nuise à sa compétitivité.

[64] Contrairement à l’alinéa 20(1)b), qui prévoit une exception fondée sur le type de renseignements, l’alinéa 20(1)c) prévoit une exception fondée sur le préjudice découlant de la divulgation des renseignements, plus précisément le degré de probabilité qu’un préjudice soit causé, ainsi que le type de préjudice : Porter Airlines Inc c Canada (Procureur général), 2014 CF 392 au para 79. Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada, « la divulgation de renseignements qui n’ont pas déjà été rendus publics et dont on démontre la longueur d’avance qu’ils confèrent à la concurrence dans le développement de produits concurrents, ou l’avantage concurrentiel qu’ils offrent à cette dernière en ce qui concerne des opérations à venir, peut, en principe, satisfaire aux conditions prévues à l’al. 20(1)c) » : Merck Frosst, au para 219.

[65] Le tiers invoquant l’exception prévue à l’alinéa 20(1)c) doit démontrer qu’il existe beaucoup plus qu’une simple possibilité qu’un préjudice soit causé, mais il n’est pas tenu d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice se produira effectivement : Merck Frosst, aux para 199, 206.

[66] Notre Cour a déjà examiné des facteurs, dont la liste n’est pas exhaustive, pouvant servir à déterminer si la divulgation dans une situation donnée risque vraisemblablement de causer un préjudice probable, notamment :

  • a)la présomption que les renseignements divulgués seront utilisés;

  • b)la possibilité d’obtenir les renseignements par d’autres sources ou par observation ou étude indépendante;

  • c)la couverture par la presse d’un renseignement confidentiel;

  • d)l’intervalle séparant la date du renseignement confidentiel et celle de sa divulgation;

  • e)les conséquences de la divulgation de chaque document et les conséquences de la divulgation de l’ensemble des documents;

  • f)la possibilité de séparer dans un document les renseignements pouvant être divulgués de ceux qui sont protégés par une exception au titre de l’article 25 de la LAI.

Voir Canada (Commissaire à l’information) c Canada (Premier ministre), 1992 CanLII 2414 (CF), [1993] 1 CF 427 [Calamai (il s’agit de l’un des demandeurs des quatre affaires entendues ensemble)] aux pp 444-445.

[67] Cache fait valoir que, même si les facteurs énumérés ne constituent pas une liste de contrôle, leur prise en compte va dans le sens de la non-divulgation. Je suis d’accord.

[68] Le ministre soutient que la preuve de Cache est largement hypothétique et que son dossier de preuve ne comporte ni preuve d’expert, ni preuve de traitement d’éléments de preuve semblables ou de situations semblables, ni preuve de pressions exercées par des concurrents. Je conclus que les observations du ministre au sujet de cette exception sont peu étoffées et reposent essentiellement sur l’opinion voulant que les déclarations dans l’affidavit soient insuffisantes en l’absence de corroboration. Cependant, le ministre n’a renvoyé à aucune déclaration précise qui, selon lui, aurait dû être étayée par des éléments de preuve corroborants.

[69] À mon avis, les arguments du ministre semblent faire abstraction du fait que Mme Fisher a acheté Cache en 2009 avec trois partenaires d’affaires et qu’elle occupe le poste de cheffe de la direction depuis 2017. Autrement dit, son rôle chez Cache n’est ni récent ni subalterne. Son affidavit témoigne d’une profonde connaissance des activités de l’entreprise et de sa position dans un marché de services-conseils relativement petit (de 5 à 10 concurrents directs), mais concurrentiel. Selon Mme Fisher, dans ce marché, l’avantage concurrentiel d’une entreprise dépend de la force de son équipe de consultants. Étant donné que la crédibilité de Mme Fisher n’est pas remise en question et que sa preuve n’est pas contestée, je suis prête à y souscrire.

[70] En ce qui concerne les facteurs qui précèdent, je note qu’il n’y a aucune preuve de l’identité du demandeur des renseignements. Néanmoins, compte tenu des indications que donne la décision Calamai, je présume que les renseignements concernant les noms des consultants de Cache seront utilisés.

[71] J’ai examiné plus haut si les renseignements sont accessibles dans d’autres sources ou pourraient être obtenus par observation ou par une étude indépendante, et j’ai déterminé que ce n’est pas le cas en ce qui concerne l’association avec Cache dans le contexte des documents que le ministre propose de communiquer, comme des factures et des feuilles de temps qui révèlent cette association. Bien que la communication envisagée ne révélera pas les formules exclusives de Cache utilisées pour établir ses propositions et ses tarifs journaliers et horaires pour chaque consultant, je déduis qu’un concurrent pourrait facilement présumer que Cache donne une cote élevée à ses consultants (niveau 2 ou 3, comme l’atteste Mme Fisher) et vouloir les débaucher.

[72] Quant à la question d’une possible couverture par la presse, je comprends l’inquiétude de Cache, mais j’estime que ses observations sur cette question sont conjecturales et non étayées par la preuve.

[73] Bien que l’intervalle entre la date des documents confidentiels et celle de leur communication soit d’environ quatre ou cinq ans à l’heure actuelle, Cache, selon sa preuve, continue d’utiliser la même liste de consultants, modulée en fonction des exigences contractuelles.

[74] À elle seule, la divulgation d’un seul nom, ou même des trente noms, figurant dans le SAGE ne causerait vraisemblablement pas de préjudice, mais le ministre propose de divulguer les noms dans des documents révélant une association avec Cache, ce qui constituerait essentiellement l’ensemble de la liste de consultants de Cache (soit environ 122 noms). Autrement dit, j’estime que le contexte dans lequel le ministre propose de divulguer les renseignements est un facteur favorable à Cache.

[75] Concernant la question de savoir si les renseignements peuvent raisonnablement être séparés du reste des documents, Cache a seulement demandé au titre de l’article 44 que les noms soient caviardés, à l’instar d’autres renseignements que le ministre est déjà disposé à caviarder dans les documents à communiquer.

[76] Ainsi, je juge que Cache a démontré que la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire à sa compétitivité, mais la preuve ne permet pas de juger le risque de pertes financières.

D. Alinéa 20(1)d) de la LAI – Risque vraisemblable d’entraver des négociations menées en vue de contrats ou à d’autres fins

[77] J’estime que Cache n’a pas démontré que la divulgation des noms de ses consultants risquerait vraisemblablement d’entraver des négociations menées en vue de contrats ou à d’autres fins.

[78] Je suis d’accord avec Cache qu’il n’est pas nécessaire de prouver que le préjudice se produira effectivement et que la Cour doit généralement formuler des hypothèses. Toutefois, je ne suis pas convaincue de l’utilité en l’espèce de la décision de notre Cour Calian Ltd c Canada (Procureur général), 2015 CF 1392 [Calian], infirmée en partie par 2017 CAF 135, invoquée par Cache.

[79] Dans cette affaire, les renseignements en cause étaient « les taux relatifs au personnel ou prix unitaires [les taux relatifs au personnel] pour chaque catégorie de main-d’œuvre ou type de spécialiste qu’ils fourniraient » : Calian, au para 4. Selon la preuve présentée au juge Brown, si d’autres clients venaient à connaître les tarifs facturés, ils pourraient chercher à payer moins cher et, inversement, les consultants et les sous-traitants pourraient tenter d’être rémunérés à un taux supérieur : Calian, aux para 81-83. Toutefois, les pressions à la hausse et à la baisse sur les coûts ne jouent pas dans la situation de Cache, puisque le ministre a déjà accepté de caviarder sur chaque facture les tarifs journaliers et horaires facturés par chaque consultant ainsi que le nombre de jours travaillés. Les faits en l’espère semblent donc différer de ceux dans l’affaire dont était saisi le juge Brown, car les autres clients de Cache ne connaîtront pas les tarifs facturés pour chacun de ses consultants et, par conséquent, ne seront pas en mesure d’exiger de payer moins cher. De même, les consultants de Cache ne pourront pas non plus comparer leurs tarifs et exiger d’être rémunérés à un taux supérieur parce que chacun d’eux est lié par une obligation de confidentialité dans son entente de sous-traitance avec Cache, dont un exemple est inclus en pièce jointe à l’affidavit de Mme Fisher.

[80] À mon avis, le reste de la preuve de Cache ne démontre rien de plus qu’une simple possibilité de préjudice. Je comprends à la lecture de l’affidavit de Mme Fisher que c’est la divulgation des noms des consultants avec leurs cotations numériques qui risquerait d’entraver les négociations menées par Cache en vue de contrats. Toutefois, dans les documents dont on propose la communication, il ne semble y avoir aucune mention des cotations numériques de chacun des consultants de Cache, ce que confirme l’affidavit de Mme Fisher.

[81] Bien que je sois d’accord avec Cache qu’inclure les noms des consultants dans les documents à communiquer révélerait que les consultants ont travaillé pour divers ministères du gouvernement du Canada au titre de contrats obtenus par Cache (et donc l’association entre eux et Cache), je ne suis pas convaincue que cela engendrerait le genre de pressions financières décrites par le juge Brown dans la décision Calian.

[82] Je conclus plutôt que l’inquiétude de Cache est de la nature d’une « concurrence plus vive » pour les talents. De même, mon interprétation de la preuve par affidavit de Cache n’a pas révélé que « la divulgation ferait obstacle à un contrat particulier ou à des négociations particulières » au-delà des futures DP auxquelles Cache pourrait vouloir soumissionner : Fermes Burnbrae, au para 125; voir aussi Compagnie américaine de fer et métaux inc. c Administration portuaire de Saint John et Société Radio-Canada, 2023 CF 1267 au para 71.

V. Conclusion

[83] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que Cache a établi que les exceptions prévues aux alinéas 20(1)b) et c) de la LAI s’appliquent. La demande est donc accueillie sur ce fondement, et il sera ordonné au ministre, en vertu de l’article 51 de la LAI, de caviarder les noms des consultants de Cache dans les documents à communiquer en réponse à la demande d’accès à l’information. Cache aura la possibilité d’examiner tous les caviardages proposés et ordonnés avant que le ministre ne communique les documents.

VI. Dépens

[84] Au début de l’audience, les parties ont informé la Cour qu’elles s’étaient entendues sur la somme de 2 250 $ en faveur de la partie qui obtiendrait gain de cause. À mon avis, cette somme est raisonnable. J’adjuge donc en faveur de Cache la somme globale de 2 500 $ en dépens, honoraires et débours compris, à payer par le ministre.


JUGEMENT dans le dossier T-1176-23

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de la demanderesse, Cache Computer Consulting Corp., présentée au titre de l’article 44 de la Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A-1 [la LAI], est accueillie en partie, sur le fondement des alinéas 20(1)b) et c) de la LAI.

  2. Il est ordonné au défendeur, le ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, en vertu de l’article 51 de la LAI, de caviarder les noms des consultants de la demanderesse dans les documents dont la communication est envisagée, essentiellement de la même façon que cela a été fait dans la pièce G de l’affidavit de Victoria Fisher daté du 30 octobre 2023.

  3. Le défendeur doit fournir les documents caviardés, y compris le caviardage fait conformément au présent jugement, à la demanderesse pour examen avant leur communication. À la réception des documents caviardés, la demanderesse disposera de 20 jours pour présenter au défendeur des observations concernant toute omission ou tout caviardage incomplet des noms de ses consultants.

  4. La demanderesse obtient la somme globale de 2 500 $ en dépens, honoraires et débours compris, à payer par le défendeur.

« Janet M. Fuhrer »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste principale


Annexe A : Dispositions législatives applicables

Loi sur l’accès à l’information, LRC 1985, c A-1

Access to Information Act, RSC 1985, c A-1

Objet de la loi

Purpose of Act

Objets spécifiques : parties 1 et 2

Specific purposes of Parts 1 and 2

(2) À cet égard :

(2) In furtherance of that purpose,

a) la partie 1 élargit l’accès aux documents de l’administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif;

(a) Part 1 extends the present laws of Canada to provide a right of access to information in records under the control of a government institution in accordance with the principles that government information should be available to the public, that necessary exceptions to the right of access should be limited and specific and that decisions on the disclosure of government information should be reviewed independently of government; and

[…]

[…]

Définitions

Definitions

3 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

3 In this Act,

[…]

[…]

renseignements personnels S’entend au sens de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. (personal information)

personal information has the same meaning as in section 3 of the Privacy Act; (renseignements personnels)

Renseignements personnels

Personal information

19 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication de documents contenant des renseignements personnels.

19 (1) Subject to subsection (2), the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Part that contains personal information.

Cas où la divulgation est autorisée

Where disclosure authorized

(2) Le responsable d’une institution fédérale peut donner communication de documents contenant des renseignements personnels dans les cas où :

(2) The head of a government institution may disclose any record requested under this Part that contains personal information if

a) l’individu qu’ils concernent y consent;

(a) the individual to whom it relates consents to the disclosure;

b) le public y a accès;

(b) the information is publicly available; or

c) la communication est conforme à l’article 8 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

(c) the disclosure is in accordance with section 8 of the Privacy Act.

Renseignements de tiers

Third party information

20 (1) Le responsable d’une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

20 (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Part that contains

[…]

[…]

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

[…]

[…]

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; or

d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d’autres fins.

(d) information the disclosure of which could reasonably be expected to interfere with contractual or other negotiations of a third party.

Avis aux tiers

Notice to third parties

27 (1) Le responsable d’une institution fédérale qui a l’intention de communiquer un document fait tous les efforts raisonnables pour donner au tiers intéressé, dans les trente jours suivant la réception de la demande, avis écrit de celle-ci ainsi que de son intention, si le document contient ou s’il est, selon lui, susceptible de contenir des secrets industriels du tiers, des renseignements visés aux alinéas 20(1)b) ou b.1) qui ont été fournis par le tiers ou des renseignements dont la communication risquerait vraisemblablement, selon lui, d’entraîner pour le tiers les conséquences visées aux alinéas 20(1)c) ou d).

27 (1) If the head of a government institution intends to disclose a record requested under this Part that contains or that the head has reason to believe might contain trade secrets of a third party, information described in paragraph 20(1)(b) or (b.1) that was supplied by a third party, or information the disclosure of which the head can reasonably foresee might effect a result described in paragraph 20(1)(c) or (d) in respect of a third party, the head shall make every reasonable effort to give the third party written notice of the request and of the head’s intention to disclose within 30 days after the request is received.

Recours en révision du tiers

Third party may apply for review

44 (1) Le tiers que le responsable d’une institution fédérale est tenu, en application de l’alinéa 28(1)b), d’aviser de la décision de donner communication totale ou partielle d’un document peut, dans les vingt jours suivant la transmission de l’avis, exercer un recours en révision devant la Cour.

44 (1) Any third party to whom the head of a government institution is required under paragraph 28(1)(b) to give notice of a decision to disclose a record or a part of a record under this Part may, within 20 days after the notice is given, apply to the Court for a review of the matter.

Révision de novo

De novo review

44.1 Il est entendu que les recours prévus aux articles 41 et 44 sont entendus et jugés comme une nouvelle affaire.

44.1 For greater certainty, an application under section 41 or 44 is to be heard and determined as a new proceeding.

Ordonnance de la Cour obligeant au refus

Order of Court not to disclose record

51 La Cour, dans les cas où elle conclut, lors d’un recours exercé en vertu de l’article 44, que le responsable d’une institution fédérale est tenu de refuser la communication totale ou partielle d’un document, lui ordonne de refuser cette communication; elle rend une autre ordonnance si elle l’estime indiqué.

51 Where the Court determines, after considering an application under section 44, that the head of a government institution is required to refuse to disclose a record or part of a record, the Court shall order the head of the institution not to disclose the record or part thereof or shall make such other order as the Court deems appropriate.

Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21
Privacy Act, RSC 1985, c P-21

Définitions

Definitions

3 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

3 In this Act,

[…]

[…]

renseignements personnels Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable, notamment :

personal information means information about an identifiable individual that is recorded in any form including, without restricting the generality of the foregoing,

[…]

[…]

i) son nom lorsque celui-ci est mentionné avec d’autres renseignements personnels le concernant ou lorsque la seule divulgation du nom révélerait des renseignements à son sujet;

(i) the name of the individual where it appears with other personal information relating to the individual or where the disclosure of the name itself would reveal information about the individual,

toutefois, il demeure entendu que, pour l’application des articles 7, 8 et 26, et de l’article 19 de la Loi sur l’accès à l’information, les renseignements personnels ne comprennent pas les renseignements concernant :

but, for the purposes of sections 7, 8 and 26 and section 19 of the Access to Information Act, does not include

j) un cadre ou employé, actuel ou ancien, d’une institution fédérale et portant sur son poste ou ses fonctions, notamment :

(j) information about an individual who is or was an officer or employee of a government institution that relates to the position or functions of the individual including,

[…]

[…]

k) un individu qui, au titre d’un contrat, assure ou a assuré la prestation de services à une institution fédérale et portant sur la nature de la prestation, notamment les conditions du contrat, le nom de l’individu ainsi que les idées et opinions personnelles qu’il a exprimées au cours de la prestation;

(k) information about an individual who is or was performing services under contract for a government institution that relates to the services performed, including the terms of the contract, the name of the individual and the opinions or views of the individual given in the course of the performance of those services,


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1175-23

 

INTITULÉ :

CACHE COMPUTER CONSULTING CORP. c LE MINISTRE DES SERVICES PUBLICS ET DE L’APPROVISIONNEMENT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 MARS 2025

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE FUHRER

 

Date d’émission du jugement et des motifs confidentiels :

LE 12 septembre 2025

 

Date d’émission du jugement et des motifs PUBLIC :

LE 29 septembre 2025

 

COMPARUTIONS :

Hunter Fox

Michael Walsh

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sheldon Leung

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling WLG (Canada) LLP

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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