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Date : 20250923


Dossier : IMM-2204-24

Référence : 2025 CF 1555

Ottawa (Ontario), le 23 septembre 2025

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

YOUNES EL WARD

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] En 2019, la Section d’appel de l’immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [CISR] a accordé un sursis d’une mesure de renvoi prise contre Younes El Ward en raison d’une interdiction de territoire pour grande criminalité. Quatre ans plus tard, après une audience de réexamen, la SAI a révoqué le sursis. Après avoir examiné les nombreuses condamnations criminelles de M. El Ward, ses manquements aux conditions du sursis de 2019, son faible potentiel de réadaptation, son faible établissement au Canada, sa situation familiale et les bouleversements anticipés advenant son retour au Maroc, la SAI a conclu qu’il n’existe pas de motifs d’ordre humanitaire suffisants qui justifient la continuation d’un sursis.

[2] M. El Ward sollicite le contrôle judiciaire du réexamen de la SAI. Il prétend que la SAI n’a pas raisonnablement tenu compte des difficultés qu’il subirait advenant son renvoi et qu’elle a ignoré ou minimisé la preuve pertinente à cet égard.

[3] Pour les motifs suivants, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La SAI a raisonnablement examiné la preuve et a considéré les facteurs pertinents pour conclure que la continuation du sursis n’était pas justifiée. Puisque la SAI a raisonnablement considéré les circonstances de M. EL Ward et qu’elle a motivé sa décision de manière transparente, intelligible et justifiée, il n’y a aucune raison valable qui justifierait l’intervention de cette Cour.

II. La norme de contrôle et la question en litige

[4] La décision de la SAI rejetant l’appel d’une mesure de renvoi et révoquant le sursis est sujette à la norme de contrôle de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16–17, 23–25; Yang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CF 329 aux para 47–51; Koné c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2024 CF 2039 au para 21.

[5] Lorsque la Cour révise une décision selon cette norme, elle n’entreprend pas sa propre analyse des faits ou des facteurs pertinents pour en tirer ses propres conclusions. Plutôt, le rôle de la Cour n’est que de réviser la décision et le raisonnement du tribunal afin de déterminer si la décision est raisonnable. Une décision est raisonnable si elle est fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent et si elle est transparente, intelligible et justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles pertinentes : Vavilov aux para 83–86, 91–95, 99–107.

[6] La seule question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est donc de savoir si la décision de la SAI rejetant l’appel de M. El Ward et révoquant le sursis est raisonnable.

III. Analyse

A. Le contexte factuel : l’inadmissibilité, l’appel et le sursis de 2019

[7] M. El Ward a acquis la résidence permanente au Canada en 1999 à l’âge de deux ans. La preuve établit que son enfance et son adolescence furent difficiles, marquées par la violence familiale, des interventions de la Direction de la protection de la jeunesse, du racisme et de l’intimidation, des difficultés d’apprentissage et des problèmes de drogue et d’alcool. Comme le soulève M. El Ward, ces faits contextualisent, dans une certaine mesure, ses nombreux démêlés avec la justice.

[8] M. El Ward possède de nombreuses condamnations criminelles datant de 2014 à 2019, énumérées dans la décision de la SAI. Celles-ci comprennent plusieurs condamnations pour vol qualifié, une condamnation pour fraude et de nombreuses condamnations pour des bris de peine, de condition et de probation.

[9] En 2016, à la suite de deux condamnations pour vol qualifié, un agent rédige un rapport aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Ledit rapport est déféré à la Section de l’immigration [SI] de la CISR qui, le 21 février 2017, conclut que M. El Ward est inadmissible au Canada pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR et qu’une mesure d’expulsion devait être prise contre lui.

[10] M. El Ward porte la mesure d’expulsion en appel à la SAI en vertu du paragraphe 63(3) de la LIPR. Devant la SAI, M. El Ward ne conteste pas la validité juridique de la mesure d’expulsion. Plutôt, il invoque la compétence discrétionnaire de la SAI d’accorder un appel ou de surseoir à une mesure de renvoi « [s’]il y a – compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché – des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales » : LIPR, arts 67(1)c), 68(1).

[11] Après avoir considéré les circonstances, y compris le statut de résident permanent du Canada que M El Ward retient depuis l’âge de 2 ans et qu’il « est un produit de la société canadienne », la SAI accorde un sursis de la mesure d’expulsion pour une période de quatre ans sous réserve de certaines conditions. Ces conditions comprennent, entre autres, de ne pas commettre d’infraction à une loi fédérale et d’informer l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] de toute accusation portée contre lui pour une infraction à une loi fédérale et de toute condamnation pour une telle infraction. Il est également tenu de faire des efforts raisonnables pour trouver un emploi et de se présenter à l’ASFC tous les trois mois avec un rapport écrit exposant les informations énumérées sur ses circonstances de vie, d’éducation, de psychothérapie et d’emploi. La SAI confirme qu’elle réexaminera le cas dans quatre ans.

B. Le réexamen par la SAI et sa décision

[12] En octobre et décembre 2023, après quatre années de sursis, la SAI réexamine le dossier de M El Ward. Dans le cadre du réexamen, M. El Ward et le ministre déposent des preuves additionnelles et M. El Ward et son père témoignent devant la SAI lors de l’audience.

[13] Le 19 janvier 2024, la SAI rend sa décision révoquant le sursis et rejetant l’appel. Dans ses motifs détaillés, la SAI examine les facteurs pertinents, commençant par la criminalité de M. El Ward, qu’elle décrit comme étant « étendue et violente ». Elle note la gravité des infractions et les nouvelles condamnations qui ont eu lieu après l’émission de la mesure de renvoi en 2017.

[14] La SAI constate également que M. El Ward n’a pas respecté les conditions du sursis de 2019. En particulier, il a omis de signaler ses nouvelles accusations de bris de ses conditions pénales à l’ASFC. La SAI ne croit pas le témoignage de M. El Ward selon lequel il ignorait devoir divulguer les nouvelles accusations, croyant qu’il ne devait signaler que les nouvelles condamnations. La SAI conclut que le bris de ces conditions, malgré plusieurs opportunités de s’y conformer, dénote un faible potentiel de réadaptation. La SAI note aussi le non-respect des conditions de se présenter à l’ASFC avec un rapport écrit de ses circonstances, d’effectuer des efforts raisonnables pour obtenir et retenir un emploi, et de participer à un programme de réadaptation pour les alcooliques ou les toxicomanes.

[15] La SAI conclut que M. El Ward a peu démontré son potentiel de réadaptation. Elle note qu’il a complété une thérapie en 2019, qu’il ne consomme plus d’alcool ou de cannabis et qu’il semble avoir maintenant une excellente relation avec son père. Cependant, la SAI estime que M. El Ward est peu crédible quant à ses antécédents d’emplois et ses efforts de continuer son suivi psychologique, faisant référence à des incohérences dans son témoignage et dans la preuve. Bien qu’elle tienne compte du rapport psychologique de 2023 soumis par M. El Ward, la SAI souligne que son rôle diffère de celui du psychologue, et que sa conclusion sur le potentiel de réadaptation repose plutôt sur la documentation, les heures d’audience et le témoignage du père de M El Ward. La SAI observe que même si le père semble avoir « tout tenté pour motiver » son fils, ce dernier ne s’est pas démontré capable de « voler de ses propres ailes » malgré des années pour se prendre en main.

[16] Quant à l’établissement de M. El Ward au Canada, la SAI estime qu’il est faible, et ce, malgré qu’il ait vécu presque toute sa vie au Canada. Elle note en particulier son manquement d’emploi pendant des années, ses efforts abandonnés de reprendre sa scolarité, et le fait qu’il ne sort plus de la maison.

[17] La SAI considère que la présence de sa famille au Canada, en particulier ses parents, sa sœur et son frère, milite en faveur de l’appel. L’intérêt supérieur des enfants de la famille ne milite qu’« un peu » en faveur de l’appel, puisque M El Ward a un lien avec les enfants mineurs, mais est peu impliqué dans leur vie.

[18] La SAI termine son analyse en considérant les difficultés que M. El Ward subirait advenant son retour au Maroc, pays où la SAI reconnaît qu’il a peu vécu. Elle analyse les scénarios possibles en cas de renvoi, notamment son départ seul avec l’aide de ses parents et son départ avec un ou deux parents, et considère les répercussions sur M. El Ward et les membres de sa famille. La SAI prend aussi en compte les taux de chômage au Maroc et la possibilité d’emploi, son diagnostic de trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité [TDAH] et la présence de ses tantes et ses cousins au Maroc. Elle conclut que malgré l’impact de l’éloignement, M. El Ward n’a pas démontré qu’il ferait face à des difficultés importantes en cas de renvoi au vu de sa jeunesse, ses connaissances linguistiques, son réseau familial et l’appui financier familial dont il peut bénéficier.

[19] Tous ces facteurs mènent donc la SAI à conclure que les motifs d’ordre humanitaire ne justifient pas la continuation du sursis. Elle souligne que le premier sursis a été accordé dans l’optique que M. El Ward puisse démontrer qu’il ne récidiverait pas criminellement et qu’il se réadapterait à la vie en société, alors que les manquements aux conditions du sursis témoignent d’un faible potentiel d’assurer sa réadaptation. En somme, la SAI estime que les facteurs qui militent en faveur de l’appel, notamment la présence de sa famille au Canada et l’impact du renvoi, ne contrebalancent pas les facteurs qui s’y opposent.

C. La décision de la SAI est raisonnable

[20] M. El Ward soutient que la décision de la SAI, et en particulier l’analyse des répercussions advenant son renvoi au Maroc, ne satisfait pas aux exigences d’une décision raisonnable. Il soulève trois catégories d’erreurs : (1) les erreurs de fait que la SAI a commises; (2) le manque de considération de la preuve objective documentaire qui contredit les conclusions de la SAI; et (3) la minimisation d’un rapport psychologique qui témoigne des difficultés du demandeur.

[21] Pour les motifs qui suivent, la Cour n’est pas convaincue que M. El Ward ait rencontré son fardeau de soulever des erreurs ou des déficiences suffisamment centrales ou importantes pour rendre la décision déraisonnable : Vavilov au para 100.

(1) Erreurs de fait

[22] M. El Ward prétend que la SAI a tiré des conclusions erronées sur ses connaissances de la langue arabe, la possibilité d’emploi dans un centre d’appel comme ses cousins, et la disponibilité d’aide de sa parenté au Maroc. Il allègue que les conclusions de la SAI s’opposent à la preuve et aux conclusions de la SAI en 2019.

[23] Il convient de rappeler qu’en appliquant la norme de la décision raisonnable, la Cour ne modifie des conclusions de fait d’un tribunal administratif que dans des circonstances exceptionnelles : Vavilov au para 125. La Cour peut tout de même conclure que le tribunal a tiré une conclusion factuelle déraisonnable lorsque celui-ci s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte : Vavilov au para 126.

a) Niveau de maîtrise en langue arabe

[24] M. El Ward prétend que la conclusion de la SAI selon laquelle il « se débrouille tout de même en langue arabe » et qu’il est donc « assez habile en trois langues » n’est pas appuyée par la preuve. Il soutient qu’il ne parle pas convenablement l’arabe, et surtout l’arabe classique. La Cour n’est toutefois pas satisfaite que la conclusion de la SAI soit déraisonnable.

[25] La conclusion de la SAI se fonde sur le témoignage de M. El Ward lors de l’audience. M. El Ward n’a pas produit une transcription de l’audience devant la SAI permettant à la Cour de conclure qu’il s’agit d’une conclusion déraisonnable à la lumière de la preuve : voir Mubengayi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1324 au para 34; Zararsiz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 692 aux para 63–64. À cet égard, M. El Ward fait référence à son propre affidavit, déposé au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, dans lequel il déclare qu’il « ne parle pas la langue ». La Cour ne peut pas tenir compte de cette nouvelle preuve, qui n’était pas devant la SAI.

[26] De ce fait, la Cour ne peut pas accepter qu’il y ait réellement une incohérence entre la conclusion de la SAI et celle de 2019 que M. El Ward « parle un peu le dialecte local, mais […] ne parle pas et est analphabète en arabe classique, ce qui […] est nécessaire pour obtenir un emploi ». Même en laissant de côté la possibilité que le témoignage devant la SAI ait pu être différent en 2023 et en 2019, la conclusion de la SAI que M. El Ward « se débrouille » en arabe et qu’il peut « parler un dialecte arabe marocain “de baseˮ » ne contredit pas significativement la conclusion de 2019. Il est à noter que la SAI n’a fait aucune constatation concernant la connaissance de M. El Ward d’arabe classique qui pourrait être contradictoire aux conclusions en 2019, et n’a pas tiré de lien direct entre sa connaissance du dialecte local et la possibilité de trouver un emploi.

b) Possibilité d’emploi dans un centre d’appel

[26] À cet égard, M. El Ward critique l’observation de la SAI qu’il pourrait envisager un emploi dans un centre d’appel, comme ses cousins du même âge qui n’ont pas de formation particulière. L’observation serait déraisonnable puisqu’elle ne tient pas compte du fait que ses cousins parlent couramment l’arabe et qu’ils ont vécu toute leur vie au Maroc. Cette critique ne peut toutefois pas rendre la décision de la SAI déraisonnable. Même si un emploi dans un centre d’appel lui est complètement fermé, ce qui est loin d’être certain étant donné ses connaissances en anglais et en français, la SAI n’a soulevé cette idée que comme une possibilité parmi d’autres. En effet, la SAI a noté expressément qu’elle « ne spéculera pas sur les chances de M. El Ward de trouver aisément un emploi au Maroc ». L’observation de la SAI au sujet des centres d’appel n’est pas centrale à ses conclusions, et même si la SAI avait commis une erreur à cet effet, elle n’affecte pas la raisonnabilité de ses conclusions principales.

c) Disponibilité d’aide de la parenté marocaine

[27] Finalement, M. El Ward prétend que la SAI a erré en estimant que sa parenté au Maroc pourrait l’aider à s’intégrer. Il se fonde sur son témoignage et celui de son père à l’effet que les membres de sa famille au Maroc ne peuvent pas l’héberger. Il ajoute également qu’il n’y avait aucune raison de douter de ces témoignages et que les conclusions contraires de la SAI ne sont que de la spéculation. Il demeure néanmoins difficile, voire impossible, pour la Cour de déterminer qu’une conclusion factuelle s’oppose à la preuve, ou qu’il s’agit de spéculation, alors qu’une transcription n’est pas devant la Cour en guise de preuve.

[28] De toute façon, M. El Ward ne nie pas qu’il a des tantes et des cousins au Maroc, qu’il a séjourné chez des membres de sa famille au Maroc pendant quelques semaines en 2010, 2011 et 2013 et que sa sœur et son frère y ont été hébergés lors de visites dans les dernières années. Il conteste l’utilisation par la SAI des mots « plusieurs fois » pour décrire les trois visites, mais ces mots importent peu. Les conclusions de la SAI à cet égard ne sont donc pas spéculatives, et les inférences qu’en a tirées la SAI sont raisonnables. La SAI n’est pas tenue d’accepter les déclarations d’un demandeur sans considérer les autres éléments de preuve qui affaiblissent ces déclarations. La SAI a tenu compte des témoignages de M. El Ward et de son père et en a tiré des conclusions raisonnables. Il ne revient pas à cette Cour en contrôle judiciaire d’entreprendre sa propre analyse de la preuve, même si cette preuve était devant la Cour : Vavilov aux para 125–126.

[29] La Cour n’est donc pas convaincue que la SAI se soit fondamentalement méprise sur la preuve ou n’en a pas tenu compte en l’espèce.

(2) Éléments de preuve sur la situation au Maroc

[30] M. El Ward prétend que la SAI a écarté les éléments de preuve dans le cartable national de documentation [CND] publié par la CISR sur les conditions au Maroc. En particulier, il fait référence aux extraits du CND qui décrivent les difficultés auxquelles confrontent les migrants de retour forcé et le taux de chômage élevé de ces migrants comparé à ceux qui ont choisi de rentrer au pays. Il prétend que l’omission de référer à ces extraits du CND révèle un déficit dans l’analyse, ce qui mine la raisonnabilité de la décision. M. El Ward ajoute que cet argument est renforcé par le « scepticisme » dont a fait preuve la SAI envers un article de 2018 qu’il a déposé au sujet des taux de chômage.

[31] La Cour n’accepte pas cet argument. Comme l’a admis M. El Ward dans ses soumissions orales, les extraits du CND auxquels il fait référence n’ont pas été cités ou mis en preuve devant la SAI. La jurisprudence de cette Cour, ainsi que celle de la SAI, confirme qu’il n’y a pas d’obligation générale de la part de la SAI de considérer les extraits du CND qui ne sont pas mis en preuve par une des parties, étant donné le processus contradictoire devant ce tribunal : Budhram c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1185 au para 19; Issa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CanLII 83194 (CA CISR) aux para 9–13; Sivalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CanLII 139091 (CA CISR) au para 53. La SAI a analysé la preuve que M. El Ward a mise devant elle au sujet des conditions au Maroc. La Cour n’est pas convaincue que la décision de la SAI soit déraisonnable compte tenu de l’absence d’une analyse de preuve que M. El Ward n’a pas jugé bon de présenter devant la SAI.

(3) Lettre de la psychologue

[32] M. El Ward a déposé devant la SAI la lettre d’une psychologue intitulée « Compte rendu psychologique ». Cette lettre résume son trajet difficile, son diagnostic de TDAH et les efforts qu’il a déployés, y compris une thérapie de plusieurs mois. La psychologue estime que son renvoi bouleverserait M. El Ward et sa famille. M. El Ward prétend que la SAI a déraisonnablement écarté cette preuve et n’a pas adéquatement considéré sa vulnérabilité psychologique causée par les difficultés qu’il a vécues lors de son enfance et son adolescence.

[33] La SAI a entrepris une analyse détaillée de cette lettre et du profil psychologique de M. El Ward en considérant son potentiel de réadaptation. Elle a raisonnablement décrit la lettre comme étant « laconique » et a noté qu’elle ressemble beaucoup à la lettre de la même psychologue qui a été déposée en 2019. La SAI a constaté que le témoignage de M. El Ward au sujet de son suivi psychologique pendant le sursis était contradictoire et, de tout façon, n’était pas validement corroboré. Après avoir reproduit des passages de la lettre, la SAI explique pourquoi elle ne partage pas l’entièreté de l’analyse de la psychologue. Entre autres, la SAI note que l’avis de la psychologue est en partie une confirmation des affirmations de M. El Ward, dont plusieurs n’ont pas été démontrées devant la SAI. M. El Ward n’a pas établi en quoi l’analyse de la SAI est déraisonnable.

[34] En particulier, la Cour ne souscrit pas aux prétentions de M. El Ward que la SAI aurait dû retourner à la preuve psychologique dans son analyse des difficultés auxquelles il ferait face advenant son retour au Maroc. Selon M. El Ward, la lettre de la psychologue traite de sa vulnérabilité particulière, qui a une incidence sur sa capacité d’intégration au Maroc. Cependant, le compte rendu psychologique ne révèle pas une telle vulnérabilité et ne soulève les difficultés d’intégration que dans ce bref passage : « [s]on renvoi va bouleverser sa famille, sa [fratrie] et ce jeune homme qui a grandi au Canada ». Étant donné l’absence de preuve psychologique sur la question particulière des difficultés qu’il confrontera au Maroc, l’analyse de la SAI ne peut être caractérisée comme étant déraisonnable.

IV. Conclusion

[35] Pour ces motifs, M. El Ward n’a pas rempli son fardeau d’établir que la décision de la SAI est déraisonnable. La Cour reconnait que M. El Ward « est un véritable produit du système canadien ». Cela dit, la question devant cette Cour n’est pas, comme le prétend M. El Ward, de savoir s’il est « propice de parler d’un retour ». Le Parlement a accordé à la SAI le pouvoir discrétionnaire de déterminer si les circonstances et les motifs d’ordre humanitaire justifient la prise de mesures spéciales. Le contrôle devant cette Cour se limite donc à savoir si la SAI a raisonnablement considéré les facteurs pertinents dans l’exercice de ce pouvoir.

[36] M. El Ward a bénéficié d’un sursis de quatre ans pour démontrer sa capacité et sa volonté de se réadapter malgré son inadmissibilité pour grande criminalité. La SAI a examiné la preuve concernant les efforts et la conduite de M. El Ward pendant cette période de sursis et les difficultés auxquelles il ferait face au Maroc, et elle a conclu qu’il n’existait plus de motifs d’ordre humanitaire justifiant la continuité du sursis. Cette conclusion et la justification qui l’accompagne sont raisonnables. La demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

[37] Aucune des parties n’a demandé qu’une question soit certifiée, et la Cour convient que l’affaire n’en soulève aucune.

[38] Enfin, par souci d’uniformité et conformément au paragraphe 4(1) de la LIPR et au paragraphe 5(2) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, l’intitulé est modifié pour désigner le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à titre de défendeur.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2204‑24

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé de la cause est corrigé afin d’identifier le défendeur comme le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2204-24

 

INTITULÉ :

YOUNES EL WARD c le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 mars 2025

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 Septembre 2025

 

COMPARUTIONS :

Me Mohamed Amine Semrouni

 

Pour LE DEMANDEUR

 

Me Larissa Foucault

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour lE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour lE DÉFENDEUR

 

 

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