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Date : 20250922


Dossier : T-2236-24

Référence : 2025 CF 1552

Ottawa (Ontario), le 22 septembre 2025

En présence de l'honorable madame la juge Ngo

ENTRE :

PRINCE BONG MATHAMONYELE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Contexte

[1] M. Prince Bong Mathamonyele [demandeur] recherche le contrôle judiciaire de la deuxième révision d’une décision de l’Agence du revenu du Canada [ARC] datée du 24 juillet 2024, le trouvant non admissible à recevoir la Prestation canadienne de la relance économique [PCRE]. Par ce fait, l’ARC demande le remboursement des sommes payées. L’ARC a jugé que le demandeur n’était pas admissible à la PCRE puisqu’il ne travaillait pas pour une raison autre que la COVID-19 et qu’il était capable de travailler, mais ne cherchait pas d’emploi. Le demandeur soumet que la décision est déraisonnable parce que l’ARC a erré en arrivant à la conclusion d’inadmissibilité.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Faits pertinents et décision sous contrôle

[3] La PCRE fait partie d’un ensemble de mesures introduites par le gouvernement du Canada en réponse aux répercussions de la pandémie de la COVID-19. Les prestations ont été payées initialement sans examen, mais dans le cadre de l’administration de la PCRE par l’ARC, certaines demandes sont examinées avant ou après le paiement de ces prestations.

[4] Le 27 septembre 2020, le demandeur fait une demande de PCRE pour un total de 27 périodes, terminant en octobre 2021. Il commence à recevoir la prestation à partir de septembre 2020 jusqu’au 11 septembre 2021 lorsque l’ARC met en suspens les paiements. En 2021, l’ARC s’enquiert à l’admissibilité du demandeur à recevoir la PCRE. Les 22 décembre 2021 et 27 janvier 2022, un agent appelle le demandeur pour lui donner l’opportunité d’expliquer son admissibilité à recevoir la prestation. Le 14 février 2022, l’ARC informe le demandeur qu’il ne remplit pas les critères pour recevoir la PCRE. Le 30 juin 2023, le demandeur demande un second examen de cette première décision, contestant la demande de remboursement.

[5] Les 17 juin 2024 et 12 juillet 2024, l’agent de second examen invite le demandeur à lui fournir des documents prouvant son admissibilité lors de deux appels. Y donnant suite, le demandeur partage avec l’agent plusieurs documents dans les jours suivants. Le 24 juillet 2024, l’ARC conclut que le demandeur n’est pas admissible à recevoir la PCRE [Décision].

[6] Seulement la Décision de l’agent en deuxième examen fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[7] La question en litige dans cette affaire est de savoir si la Décision concluant à l’inadmissibilité du demandeur à la PCRE était raisonnable.

[8] Quoique le demandeur a formulé la question en litige comme suit : « Pourquoi l’agente de validation des prestations de l’ARC qui a rendu la Décision du 24 juillet 2024 n’a pas déterminé que le demandeur était admissible pour bénéficier du PCRE? », cette question n’identifie pas les enjeux pertinents à considérer en contrôle judiciaire.

[9] Je suis d’accord avec les parties que la norme de contrôle applicable aux mérites de la Décision est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16-17 [Vavilov]; Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 aux para 15-16 [Aryan]). La norme de la décision raisonnable s’applique dans le contexte d’un contrôle judiciaire d’une décision prise par l’ARC portant sur, entre autres, l’octroi de la PCRE (He c Canada (Procureur général), 2022 CF 1503 au para 20).

[10] Dans le cadre d'un contrôle judiciaire, la Cour ne peut pas déterminer l’admissibilité du demandeur à la PCRE. La Cour en contrôle judiciaire cherche ni à déterminer l'éventail des conclusions possibles qui auraient pu être tirées par le décideur, ni à effectuer une nouvelle analyse, ni à identifier la bonne solution au problème (Vavilov au para 83).

[11] Une décision raisonnable est une décision fondée sur une chaîne d'analyse cohérente et rationnelle, et qui est justifiée par rapport aux faits et au droit qui contraint le décideur (Vavilov au para 85). Il incombe à la partie qui conteste la décision de démontrer que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne puisse pas dire que la décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov au para 100).

[12] Je note également que la décision en contrôle judiciaire comprend à la fois les motifs énoncés dans les lettres envoyées au demandeur ainsi que les notes des agents de l’ARC, celles-ci faisant partie intégrante de la décision rendue (Aryan au para 22). En l’espèce, la révision de la Cour en contrôle judiciaire doit inclure ces notes.

IV. Analyse

A. Question d’ordre préliminaire : admissibilité de nouvelle preuve

[13] Dans un ordre préliminaire, le défendeur s’oppose à l’admission en preuve de nouvelles pièces jointes à l’affidavit du demandeur, daté du 10 octobre 2024, qui se trouve dans le dossier du demandeur, et d’allégations de faits nouveaux, qui n’étaient pas devant le décideur [Nouvelle preuve]. Cette Nouvelle preuve s’agit de douze (12) pièces (les pièces A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K et M), et de nouvelles allégations ou informations décrites dans l’affidavit du demandeur et dans son Mémoire de faits et du droit. Le défendeur fait valoir que cette Nouvelle preuve ne se prête pas aux exceptions spécifiées dans la jurisprudence (citant Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 20 [Access Copyright]).

[14] Le défendeur a fourni un affidavit rédigé par l’agent de deuxième examen qui a rendu la Décision contestée. L’agent confirme que la Nouvelle preuve n’était pas devant lui lorsqu’il avait entamé l’étude du dossier du demandeur. Sans décrire de façon exhaustive chacune des 12 pièces, je confirme que ces documents comprennent des publications décrivant la pandémie et les difficultés de retrouver un emploi, et généralement, des copies de courriels relatifs à des recherches ou offres d’emploi. Les nouvelles allégations de faits et d’information soumettent, entre autres, que le demandeur avait conclu des contrats pour l’installation d’un bureau, afin d’offrir des sessions d’accompagnement professionnel, avant le décret du confinement par le gouvernement, et qu’il faisait des efforts quant aux recherches de travail, incluant des entrevues qui n’ont pas mené à un emploi.

[15] La Nouvelle preuve soumise par le demandeur, en particulier les courriels, ne concerne pas les périodes pertinentes pour la question d’admissibilité à la PCRE. En effet, le défendeur a identifié que tous les courriels soumis dans la Nouvelle preuve postdatent la fin des périodes de prestation en question (c.-à-d. après septembre 2021 lorsque les paiements de la PCRE au demandeur ont été arrêtés par l’ARC). Les documents figurant aux pièces A, B, D, et F de l’affidavit sont antérieurs à la période pertinente. Les notes des agents de l’ARC confirment également que les informations décrites dans la Nouvelle preuve, portant sur les efforts du demandeur de se trouver un emploi, ne figurent pas dans ses communications avec le décideur.

[16] Le demandeur a également confirmé à l’audience que toute la Nouvelle preuve dans les pièces jointes à son affidavit et les nouveaux faits et informations dans son affidavit et mémoire n’étaient pas devant le décideur administratif. Il soutient que l’ajout de ces documents a pour but d’expliquer à la Cour qu’il y a eu un manque d’équité procédurale, soit une des exceptions permises sous les principes énoncés dans Access Copyright. Le demandeur a mis de l’avant qu’il ne comprenait pas la procédure, qu’il avait expliqué sa confusion lors de son premier examen, et que l’agent en deuxième examen n’avait pas précisé la nature de la preuve qu’il devait soumettre afin de satisfaire les critères d’admissibilité. De plus, le demandeur fait valoir qu’à la suite de ces erreurs de procédure, il n’a pas pu fournir les documents, comme la Nouvelle preuve, qu’il aurait pu introduire lors du deuxième examen.

[17] Or, lorsque la Cour a demandé si le demandeur avait plaidé un manque d’équité procédurale dans sa demande de contrôle judiciaire ou s’il avait identifié et précisé les motifs de cet argument dans son mémoire de faits et de droit, le demandeur a concédé qu’il ne l’avait pas. Ses arguments quant à l’équité procédurale ont été présentés pour la première fois en audience. Ainsi, je n’ai rien dans la plaidoirie qu’identifierait comment je pourrais considérer cette Nouvelle preuve lors du contrôle judiciaire dans le contexte d’un manquement à l’équité procédurale.

[18] Le rôle de la Cour en contrôle judiciaire est d’examiner la décision du décideur administratif dans le contexte juridique et factuel présenté à ce dernier. En fonction de ce rôle, le dossier de preuve devant la Cour, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, se limite généralement au dossier dont disposait le décideur.

[19] La Nouvelle preuve ne rencontre aucune des exceptions énoncées dans Access Copyright et n’a pas été présentée à l’agent de deuxième examen. Ces documents et ces informations ne sont donc pas admissibles en l’espèce. La Cour, dans son exercice de contrôle judiciaire, ne peut pas les examiner ou les considérer pour déterminer le caractère raisonnable ou la légalité de la Décision.

B. Est-ce que la Décision est déraisonnable?

[20] La PCRE découle de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12 [LPCRE]. Les critères d’admissibilité à la PCRE, énoncés à l’article 3 de la LPCRE, sont cumulatifs. Si le demandeur ne satisfait pas à l’un des critères, cela suffirait pour confirmer son inadmissibilité à la PCRE (Grandmont c Canada (Procureur général), 2023 CF 1765 au para 37).

[21] Le juge Roy a résumé les critères d’admissibilité pertinents de la PCRE dans Roussel c Canada (Procureur général), 2024 CF 809 au paragraphe 23 [Roussel] : « L’alinéa 3(1)f) de la LPCRE exige qu’un demandeur n’ait pas exercé un emploi, ou ait vu une réduction de son travail d’au moins 50%, pour des raisons liées à la COVID-19. De plus, l’alinéa 3(1)i) de la LPCRE exige qu’un demandeur ait fait des recherches pour trouver un emploi au cours de la période pour laquelle les prestations sont demandées. Ce sont là les exigences légales, qui n’ont rien à voir avec une discrétion quelconque. »

[22] Dans le cas du demandeur, la période pertinente était entre le 27 septembre 2020 et le 11 septembre 2021.

[23] Le rôle de agent de l'ARC, lors d'un deuxième examen, consiste à déterminer si l'admissibilité d'un demandeur aux prestations demandées est suffisamment étayée par les preuves soumises.

[24] La question devant la Cour est de déterminer, en considérant la loi applicable et les faits, s’il était raisonnable pour l’ARC de conclure que le demandeur n’était pas admissible aux prestations. En contrôle judiciaire, la Cour doit considérer la question du caractère raisonnable de la Décision contestée – ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu (Vavilov au para 83). Le rôle de la Cour n’est pas de savoir si les interprétations proposées par le demandeur pourraient être défendables, acceptables ou raisonnables.

[25] En considérant les réponses du demandeur lors des entretiens téléphoniques et les documents partagés, l’agente conclut que le demandeur n’a pas arrêté de travailler à cause de la COVID-19 et ne cherchait pas activement du travail, bien qu’il pût travailler. La preuve devant le décideur démontre que :

  1. Le demandeur a cessé de travailler en 2019 pour prendre soin de sa fille pendant que sa femme travaillait;

  2. Le demandeur est resté à la maison pendant la COVID-19 par peur de contracter le virus et pour prendre soin de son autre enfant qui venait de naître en mai 2020;

  3. Il n’y a aucune preuve soutenant que l’entreprise du demandeur était active lors de la période en question, ou que le demandeur cherchait activement des clients;

  4. Le demandeur a soumis des factures reliées à son entreprise. Toutefois, ces factures postdatent la période des prestations;

  5. Selon les courriels partagés, le demandeur a postulé à des emplois qu’après la période pertinente;

  6. Le demandeur a déclaré qu’il n’a commencé à chercher un emploi qu’en octobre, novembre, et décembre 2021, soit après la fin des prestations.

[26] Dans le cas en l’espèce, les conclusions de l’ARC que le demandeur n’a pas satisfait les critères d’admissibilité de la PCRE sont appuyées par la preuve. Considérant l’ensemble de la preuve devant l’agent, il était loisible à l’agent de conclure que le demandeur n’a pas arrêté de travailler pour des raisons liées à la COVID-19 et était capable de travailler, mais ne cherchait pas d’emploi.

[27] De plus, le critère de recherche d’emploi exige une preuve que le demandeur cherchait continuellement du travail pour la période de septembre 2020 à septembre 2021. Le demandeur avait affirmé verbalement à l’agent qu’il avait mis des efforts à trouver un emploi. L’agent avait clairement souligné lors de l’appel avec le demandeur que « nous allons attendre la preuve selon son attestation verbale sur la recherche de travail » avec un échéancier. À la suite de cet appel, le demandeur n’a pas fourni de preuve de concomitance entre la recherche d’emploi et la période pour laquelle la prestation de relance économique était demandée. Les documents que le demandeur a soumis pour étayer ses efforts de recherche de travail à l’agent étaient postérieurs à la période pertinente.

[28] En l’absence d’une preuve suffisante pour étayer les propos du demandeur qu’il était à la recherche continue d’un emploi pendant la période des prestations, la conclusion de l’agent que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il cherchait activement un emploi est forcément raisonnable (Roussel aux para 35 et 37).

[29] Les arguments du demandeur quant aux deux critères de la LPCRE demandent à la Cour de considérer la même preuve qui était devant l’agent et d’en tirer une conclusion différente, qui a pour effet de soupeser la preuve. La Cour ne peut soupeser ni réévaluer les preuves examinées par le décideur (Vavilov au para 125).

[30] Eu égard l’ensemble de la preuve devant l’ARC, je ne peux conclure que la Décision est déraisonnable. La Décision constitue une issue raisonnable et en appliquant la norme de la décision raisonnable, je conclus que la Décision a satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85).

[31] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[32] Les parties se sont entendues à une somme forfaitaire de $500 quant aux dépens. Dans les circonstances, cette somme est raisonnable et la Cour accorde au défendeur la somme de $500 en dépens.


JUGEMENT dans le dossier T-2236-24

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. La Cour accorde au défendeur la somme de $500 en dépens.

« Phuong T.V. Ngo »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2236-24

INTITULÉ :

PRINCE BONG MATHAMONYELE c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 SEPTEMBRE 2025

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE NGO

DATE DES MOTIFS :

LE 22 SEPTEMBRE 2025

COMPARUTIONS :

Sékou Michel Loua

Pour le demandeur

Helli Raptis

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Centre Francophone du Grand Toronto

Service d’aide juridique

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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