Date : 20250815
Dossier : T-1257-22
Référence : 2025 CF 1378
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 15 août 2025
En présence de monsieur le juge en chef
ENTRE : |
BELL MÉDIA INC. ROGERS MEDIA INC. COLUMBIA PICTURES INDUSTRIES, INC. DISNEY ENTERPRISES, INC. PARAMOUNT PICTURES CORPORATION UNIVERSAL CITY STUDIOS LLC UNIVERSAL CITY STUDIOS PRODUCTIONS LLP WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC. |
demanderesses |
et |
MARSHALL MACCIACCHERA faisant affaire sous le nom de SMOOTHSTREAMS.TV ANTONIO MACCIACCHERA faisant affaire sous le nom de SMOOTHSTREAMS.TV ARM HOSTING INC. STAR HOSTING LIMITED (HONG KONG) ROMA WORKS LIMITED (HONG KONG) ROMA WORKS SA (PANAMA) |
défendeurs |
ORDONNANCE ET MOTIFS
I. Introduction
[1] Il semblerait que certains pirates de droits d’auteur prennent délibérément la décision d’enfreindre les ordonnances des tribunaux après avoir évalué les avantages et les inconvénients d’une telle conduite. Certains d’entre eux ont même l’impudence de continuer à commettre leurs actes après avoir été reconnus coupables d’outrage au tribunal. Devant un tel mépris de ses ordonnances, la Cour se doit d’imposer des sanctions susceptibles de faire respecter le plus possible ses ordonnances et de l’état de droit.
[2] Les présents motifs portent sur la sanction à imposer aux défendeurs, Marshall Macciacchera et son père Antonio Macciacchera, pour leur outrage au tribunal commis relativement à certaines dispositions de l’ordonnance de type Anton Piller rendue par la juge Rochester le 28 juin 2022 (l’ordonnance provisoire). Compte tenu du lien de parenté qui unit les deux défendeurs, sans vouloir leur manquer de respect d’une quelconque façon, je les désigne ci-après uniquement par leur prénom.
[3] Les parties s’entendent pour dire qu’une peine d’emprisonnement est de mise. Ainsi, la principale question en litige en l’espèce concerne la durée et les paramètres d’une telle peine.
[4] En résumé, les demanderesses demandent à la Cour d’ordonner l’incarcération de Marshall et Antonio jusqu’à ce qu’ils se conforment à certaines dispositions de l’ordonnance provisoire, prorogées par l’ordonnance rendue par le juge Lafrenière le 22 novembre 2022 : Bell Media Inc v Macciacchera (Smoothstreams.tv), 2022 FC 1602 (l’ordonnance interlocutoire). En tout état de cause, les demanderesses demandent également à la Cour d’imposer une peine d’emprisonnement minimale de six mois à Marshall et à Antonio.
[5] Marshall soutient qu’il ne devrait être incarcéré qu’une semaine pour chacun des [traduction] « manquements manifestes »
aux dispositions de l’ordonnance provisoire. Il affirme qu’il n’y a eu que trois manquements de ce genre, à savoir son refus de fournir le mot de passe de son ordinateur personnel, son refus d’autoriser l’accès aux comptes bancaires à Hong Kong de deux des sociétés défenderesses et son refus de communiquer certains renseignements aux demanderesses. Antonio soutient qu’il ne devrait être incarcéré que pour 30 jours de détention à domicile, ou 30 jours à purger les fins de semaine, pour son refus d’autoriser deux banques canadiennes à communiquer aux demanderesses l’historique des opérations des comptes qu’il possède dans ces institutions.
[6] Marshall et Antonio soutiennent en outre qu’ils devraient être autorisés à purger leurs peines respectives sans risquer d’autres conséquences liées à leur outrage continu.
[7] Pour les motifs qui suivent, j’ordonne ci-après que Marshall soit incarcéré pour une période initiale de six mois pour sanctionner son défaut irrémédiable de se conformer aux dispositions de l’ordonnance provisoire à l’égard desquelles il a été déclaré coupable d’outrage au tribunal, notamment le paragraphe 20 de celle-ci, prorogé par le paragraphe 5 de l’ordonnance interlocutoire. De plus, j’ordonne ci-après que Marshall soit incarcéré pour une période supplémentaire maximale de cinq ans moins un jour ou jusqu’à ce qu’il se conforme à l’ordonnance provisoire (prorogée par l’ordonnance interlocutoire), selon la première éventualité, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il communique (i) le mot de passe de l’ordinateur qui a été copié lors de l’exécution de l’ordonnance provisoire au 259, rue Dunlop, appartement 202, Barrie (Ontario); (ii) tout autre moyen d’accéder au contenu de cet ordinateur; et (iii) tous les renseignements concernant ses actifs, comme il est indiqué ci-après. Il est entendu que la période maximale susmentionnée de cinq ans moins un jour comprend la période initiale d’emprisonnement de six mois.
[8] De même, j’ordonne ci-après qu’Antonio soit incarcéré pour une période initiale de quatre mois pour sanctionner son défaut irrémédiable de se conformer aux paragraphes 30 et 37 de l’ordonnance provisoire, c’est-à-dire qu’il (i) a refusé de laisser entrer les personnes chargées de l’exécution de l’ordonnance provisoire dans sa résidence alors qu’elles avaient des motifs raisonnables de croire qu’elles y trouveraient les éléments de preuve mentionnés dans l’ordonnance; et (ii) a refusé d’aider les personnes qui tentaient d’exécuter l’ordonnance et de coopérer avec elles. De plus, j’ordonnerai qu’Antonio soit incarcéré pour une période supplémentaire de cinq ans moins un jour ou jusqu’à ce qu’il se conforme aux dispositions de l’ordonnance provisoire mentionnées ci-dessus, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il communique tous les renseignements relatifs à ses actifs, comme il est indiqué ci-après. Précisons également que cette période maximale de cinq ans moins un jour comprend la période initiale de quatre mois d’emprisonnement.
[9] En ne se conformant pas aux dispositions de l’ordonnance provisoire à l’égard desquelles ils ont été reconnus coupables d’outrage au tribunal, Marshall et Antonio ont manifestement fait fi de l’ordonnance et en ont contrecarré l’objectif principal, à savoir empêcher la destruction ou l’enlèvement d’éléments de preuve ou le transfert de fonds pour les soustraire à la compétence de la Cour. En ne mettant pas fin à leur outrage, Marshall et Antonio ont fait preuve d’un mépris flagrant à l’égard des ordonnances de la Cour et ont empêché les demanderesses de faire instruire leur action principale pour violation du droit d’auteur. Cette situation justifie une peine qui encourage fortement Marshall et Antonio à mettre fin à l’outrage continu et qui favorise la réalisation des objectifs de la Cour, à savoir la dénonciation et la dissuasion d’une telle conduite, particulièrement vu l’absence de facteurs atténuants qui pourraient autrement se voir accorder une grande importance dans les circonstances.
II. Les parties
[10] Les demanderesses Bell Média Inc. et Rogers Media Inc. sont des sociétés de radiodiffusion canadiennes qui possèdent et exploitent des stations de télévision par l’intermédiaire desquelles elles diffusent de nombreuses émissions. Elles diffusent également des émissions de télévision sur Internet, par l’intermédiaire de leurs services respectifs de diffusion en continu sur demande par abonnement. Les demanderesses Columbia Pictures Industries, Inc., Disney Enterprises, Inc., Paramount Pictures Corporation, Universal City Studios LLC, Universal City Studios Productions LLLP et Warner Bros. Entertainment Inc. sont des sociétés de production et de distribution de films et de contenu télévisuel.
[11] Les demanderesses allèguent que Marshall et Antonio sont les têtes dirigeantes derrière l’exploitation du réseau de services de télévision par IP [IPTV] Smoothstreams.tv, y compris les sites smoothstreams.tv, live247.tv, streamtvnow.tv et starstreams.tv (collectivement désignés les services SSTV).
[12] Les demanderesses affirment également que les sociétés défenderesses suivantes traitent les paiements des services IPTV, comme il est indiqué ci-dessous :
Défenderesse |
Traitement de paiement |
Président et administrateur unique |
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Arm Hosting Inc. |
live247.tv |
Marshall |
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Star Hosting Limited (Hong Kong) |
streamtvnow.tv |
Marshall |
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Roma Works Limited (Hong Kong) |
starstreams.tv |
Marshall |
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[13] Antonio a établi la société défenderesse Roma Works SA (Panama) (Roma Works Panama
) à des fins n’ayant rien à voir avec la présente instance. Nul ne semble contester que Roma Works Panama soit l’unique actionnaire de la société défenderesse Star Hosting Limited (Hong Kong). Toutefois, la preuve ne permet pas de dire si elle est toujours contrôlée par Antonio ou si elle maintenant contrôlée par Marshall. Contrairement aux autres défenderesses, Roma Works Panama n’a pas été reconnue coupable d’outrage au tribunal.
III. Genèse de l’instance
[14] L’historique procédural de la présente instance de détermination de la peine est complexe. Le juge Lafrenière en décrit une première partie de façon détaillée dans son examen d’une partie de la requête présentée par les demanderesses visant à faire constater l’inexécution de l’ordonnance provisoire et à démontrer pourquoi Marshall et les sociétés défenderesses devraient être accusés d’outrage au tribunal pour violation de l’ordonnance de type Anton Piller : Bell Media Inc c Macciacchera (Smoothstreams.tv), 2022 CF 1139 [Macciacchera 1]. Par la suite, aux paragraphes 5 à 13 de la décision Bell Media Inc c Macciacchera (Smoothstreams.tv), 2023 CF 801 [Macciacchera 2], je présente ensuite un résumé et une mise à jour des faits. Puis, la juge Rochester, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, refait une mise à jour aux paragraphes 6 à 13 de la décision Bell Media Inc c Marshall Macciacchera (Smoothstreams.tv), 2024 FC 1292 [Macciacchera 3].
[15] Pour les fins qui nous occupent, le bref résumé qui suit suffit.
[16] Le 17 juin 2022, les demanderesses ont intenté une action pour violation de leurs droits d’auteur dans un grand nombre d’œuvres de divertissement. De façon générale, les demanderesses allèguent que les services SSTV fournissent aux abonnés un accès non autorisé à un grand nombre d’œuvres cinématographiques et de chaînes de télévision en direct qui diffusent des programmes télévisés dont les droits d’auteur au Canada sont détenus par divers titulaires de droits, dont elles-mêmes.
[17] Le 28 juin 2022, la juge Rochester a rendu l’ordonnance provisoire, qui comprenait une ordonnance de type Anton Piller et une variété d’injonctions et d’autres réparations connexes sollicitées par les demanderesses.
[18] Entre autres choses, l’ordonnance de type Anton Piller comportait des dispositions exhaustives concernant la perquisition, la saisie et la conservation d’éléments de preuve et d’équipements liés aux services SSTV. Cette ordonnance enjoignait également aux défendeurs de communiquer des renseignements relatifs aux services SSTV, ainsi que leurs actifs financiers et autres. En outre, l’ordonnance provisoire enjoignait aux demanderesses de désigner un avocat-superviseur indépendant (l’ASI) responsable de superviser la signification et l’exécution de l’ordonnance de type Anton Piller. Les services de Me Daniel Drapeau, un avocat exerçant seul chez DrapeauLex Inc., ont donc été retenus à titre d’ASI pour la supervision de la signification de l’ordonnance à Marshall et de l’exécution de cette dernière. De même, Me Mark Davis, associé au cabinet Cassels Brock & Blackwell LLP, était l’ASI lors de la tentative d’exécution de l’ordonnance visant Antonio.
[19] Le 14 juillet 2022 (la date de la tentative d’exécution), l’ordonnance provisoire a été signifiée à Marshall et à Antonio à deux endroits distincts. Antonio a refusé de donner accès à sa résidence et, de façon générale, de coopérer à l’exécution. Marshall n’a coopéré qu’en partie.
[20] Le 21 juillet 2022, le protonotaire Benoit Duchesne[1] (maintenant juge adjoint) a rendu une ordonnance enjoignant à Antonio d’assister à une audience sur la preuve relative à dix actes d’outrage au tribunal qui lui sont reprochés et pour présenter toute défense qu’il pourrait faire valoir contre ces accusations.
[21] La semaine suivante, dans la décision Macciacchera 1, le juge Lafrenière a rendu une ordonnance semblable par laquelle il enjoignait notamment à Marshall et aux sociétés défenderesses (sauf Roma Works Panama) d’assister à une audience sur la preuve relative à plusieurs actes d’outrage au tribunal qui lui sont reprochés[2] et pour présenter toute défense qu’ils pourraient faire valoir contre ces accusations.
[22] Dans l’ordonnance interlocutoire rendue le 22 novembre 2022, le juge Lafrenière déclare que l’exécution de l’ordonnance provisoire était conforme à la loi.
[23] Les défendeurs ont interjeté appel de cet élément de l’ordonnance interlocutoire, mais l’appel est rejeté : Macciacchera (Smoothstreams.tv) c Bell Media Inc, 2024 CAF 138.
IV. Conclusions d’outrage au tribunal
[24] Dans la décision Macciacchera 2, j’ai déclaré Antonio coupable de quatre chefs d’accusation d’outrage au tribunal, car il avait délibérément désobéi à l’alinéa 24b) et aux paragraphes 25, 30 et 37 de l’ordonnance provisoire. Toutefois, j’ai rejeté les six autres chefs d’accusation pour outrage au tribunal contre lui.
[25] Dans la décision Macciacchera 3, la juge Rochester a déclaré la société Arm Hosting Inc. coupable d’outrage pour avoir délibérément désobéi au paragraphe 20 de l’ordonnance provisoire. Elle a également déclaré Star Hosting Limited et Roma Works Limited (Hong Kong) (Roma Works Limited
) coupables de trois chefs d’accusation d’outrage pour avoir délibérément désobéi aux paragraphes 20, 24 et 25 de l’ordonnance provisoire. Elle a également déclaré Marshall coupable de quatre chefs d’accusation d’outrage pour avoir délibérément désobéi aux paragraphes 20, 24, 25 et 30 de l’ordonnance provisoire. Tous les actes d’outrage dont Marshall et les sociétés défenderesses ont été accusés sont recensés plus haut.
[26] Les parties s’entendent pour dire qu’Antonio et Marshall ne peuvent remédier à certains actes d’outrage. En particulier, Antonio ne peut remédier à son refus de permettre à l’ASI Davis l’accès à sa résidence, à ses renseignements, à ses documents et à son équipement le jour de l’exécution de l’ordonnance provisoire prévu par le paragraphe 30 de l’ordonnance. Il en va de même pour le manquement à son obligation de [traduction] « collaborer avec les personnes chargées de l’exécution de l’ordonnance »
prévue par le paragraphe 37 de l’ordonnance. De même, Marshall ne peut remédier à son refus de transférer à l’ASI Drapeau, comme l’exige le paragraphe 20 de l’ordonnance provisoire, le contrôle de l’infrastructure des services SSTV.
[27] Voilà qui semble expliquer pourquoi les avis de peine dont il est question ci-dessous ne concernent que deux des quatre dispositions de l’ordonnance provisoire à l’égard desquelles Antonio a été déclaré coupable (alinéa 24b) et paragraphe 25), et trois des quatre dispositions à l’égard desquelles Marshall a été déclaré coupable (paragraphes 24, 25 et 30).
[28] En ce qui a trait aux paragraphes 24 et 25, les demanderesses sollicitent l’imposition d’une sanction contre Marshall en sa qualité personnelle et en sa qualité d’administrateur unique et d’âme dirigeante des sociétés défenderesses Star Hosting Limited et Roma Works Limited.
V. Les avis de peine pour outrage au tribunal recommandée à l’encontre de Marshall et d’Antonio
[29] Dans l’avis de peine pour outrage au tribunal recommandée à l’encontre de Marshall, il est demandé ce qui suit :
[traduction]
1. L’incarcération en tout état de cause pour une période d’au moins six (6) mois, puis jusqu’à ce que vous vous conformiez aux paragraphes suivants de l’ordonnance provisoire, prorogée par l’[ordonnance interlocutoire] :
a) le paragraphe 30 de l’ordonnance provisoire et le paragraphe 13 de l’ordonnance interlocutoire : fournir le mot de passe ou tout autre moyen d’accéder au contenu de l’ordinateur qui a été copié lors de l’exécution de l’ordonnance provisoire au 259, rue Dunlop, appartement 202, Barrie (Ontario), Canada;
b) les paragraphes 24 et 25 de l’ordonnance provisoire et les paragraphes 10 et 11 de l’ordonnance interlocutoire : communiquer tous les renseignements relatifs à vos actifs, notamment fournir un consentement écrit sous la forme de l’annexe III de l’ordonnance provisoire et de l’ordonnance interlocutoire visant le(s) compte(s) bancaire(s) de la HSBC associé(s) aux documents se trouvant à la pièce DSD-18 jointe à l’affidavit souscrit par Me Daniel S. Drapeau le 22 juillet 2022;
c) le paiement des dépens pour la partie de l’instance portant sur la détermination de la peine pour outrage au tribunal, qui doivent être payés aux demanderesses, établis sur une base avocat-client, y compris les honoraires et les débours.
[30] Dans l’avis de peine pour outrage au tribunal recommandée à l’encontre d’Antonio, il est demandé ce qui suit :
1. L’incarcération en tout état de cause pour une période d’au moins six (6) mois, puis jusqu’à ce que vous vous conformiez aux paragraphes suivants de l’ordonnance provisoire, prorogée par l’[ordonnance interlocutoire] :
a) l’alinéa 24b) et le paragraphe 25 de l’ordonnance provisoire et l’alinéa 10b) et le paragraphe 11 de l’ordonnance interlocutoire : communiquer tous les renseignements relatifs à vos actifs, notamment fournir un consentement écrit sous la forme de l’annexe III de l’ordonnance provisoire et de l’ordonnance interlocutoire visant le compte bancaire de la Banque TD no 508 502268 et pour le compte la Banque Royale du Canada no 0015-5167283.
b) le paiement des dépens pour la partie de l’instance portant sur la détermination de la peine pour outrage au tribunal, qui doivent être payés aux demanderesses, établis sur une base avocat-client, y compris les honoraires et les débours.
[31] À l’audience de détermination de la peine tenue devant moi, les demanderesses ont expliqué qu’elles demandaient à l’égard de Marshall et Antonio une peine d’incarcération d’au moins six mois sanctionnant les actes d’outrage au tribunal auxquels ils ne peuvent remédier ainsi qu’une peine d’incarcération à purger jusqu’à ce qu’ils se conforment aux dispositions de l’ordonnance, sanctionnant les actes d’outrage auxquels ils peuvent remédier : transcription de l’audience, 17 juin 2025 [transcription, jour 2] à la p 12. Les demanderesses ont en outre expliqué qu’une peine minimale de six mois était justifiée par l’impudence des actes d’outrage : transcription, jour 2, p 161.
VI. Dispositions législatives applicables
[32] L’article 472 des Règles des cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), libellé ainsi, s’applique en l’espèce :
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VII. Aperçu de la preuve
[33] À l’audience de détermination de la peine, M. Branko Vranesh, M. Andrew McGuigan et Antonio ont été contre-interrogés sur leurs affidavits. Les demanderesses ont également déposé la transcription du contre-interrogatoire de Me Davis, mené hors cours par Marshall, ainsi que les transcriptions des interrogatoires préalables de Marshall et Antonio.
[34] M. Vranesh est analyste principal au sein de MT>3, une division du cabinet d’avocats McCarthy Tétrault qui se spécialise dans la prestation de conseils et de services liés à la preuve électronique, à la gouvernance de l’information et à la criminalistique numérique. Dans son témoignage, M. Vranesh a entre autres affirmé ne pas savoir si les serveurs saisis pendant l’exécution de l’ordonnance provisoire avaient fait l’objet d’une surveillance depuis leur saisie. Il a également reconnu que Marshall lui avait fourni les données d’accès au domaine de la société défenderesse Arm Hosting Inc. Il a ajouté qu’on ne lui avait pas demandé d’analyser les disques durs ou les serveurs qui avaient été saisis au cours de l’exécution. De plus, il a confirmé que, pendant l’exécution de l’ordonnance, il avait été témoin de l’accès à distance par un tiers à l’ordinateur de Marshall. Dans l’ensemble, M. Vranesh m’a paru être un témoin franc et crédible.
[35] J’ouvre ici une parenthèse pour faire remarquer que les parties ont convenu, au cours d’un échange qui a suivi le contre-interrogatoire de M. Varnesh, que ce dernier n’avait pas commencé à analyser les disques durs ou les serveurs des ordinateurs parce qu’il n’avait pas encore obtenu les mots clés de la part des défendeurs et que, par conséquent, il ne pouvait pas suivre le protocole visant à purger les renseignements confidentiels de ces appareils.[3] Les demanderesses ajoutent qu’il ne sert à rien ou qu’il serait contreproductif d’entreprendre une analyse judiciaire de ces appareils avant d’avoir obtenu le mot de passe de l’ordinateur de Marshall : transcription de l’audience, le 16 juin 2025 [transcription, jour 1] à la p 73.
[36] M. McGuigan est un membre du conseil d’administration du service mondial de la protection du contenu de l’Association cinématographique du Canada (l’ACC). Il a été contre-interrogé au sujet d’affidavits qu’il a souscrits le 3 juin 2002 (le premier affidavit de M. McGuigan) et le 12 décembre 2024 (le deuxième affidavit de M. McGuigan).[4] Il a notamment précisé que la description qu’il a faite au paragraphe 130 de son premier affidavit des méthodes utilisées par les fournisseurs de services d’abonnement non autorisés pour garder l’anonymat ou éviter des poursuites judiciaires ne visait pas expressément l’un ou l’autre des défendeurs. M. McGuigan a également été interrogé au sujet des divers fournisseurs de service Internet étrangers qui, comme il l’indique au paragraphe 122 de son premier affidavit, sont des fournisseurs de services d’hébergement de serveurs pour la diffusion de contenu en continu aux abonnés de Live247. Il a affirmé qu’à sa connaissance, ni lui ni personne à l’ACC n’avait communiqué avec l’une ou l’autre de ces entités dans le cadre de l’enquête sur les activités contestées des défendeurs.
[37] M. McGuigan a également confirmé que, dans une autre affaire sans lien avec l’espèce, l’ACC avait envoyé une mise en demeure pour la violation alléguée de droits d’auteur. En outre, il a reconnu qu’en l’espèce, l’ACC avait décidé d’intenter des poursuites contre les défendeurs, plutôt que de leur envoyer une mise en demeure. Selon lui, ce genre de décision est prise au cas par cas. Qui plus est, il a reconnu que l’ACC n’avait communiqué avec aucun des défendeurs avant que les demanderesses n’intentent leur action pour violation des droits d’auteur. Il a également déclaré que, lors de la dernière vérification des services des défendeurs, [traduction] « plusieurs domaines étaient encore actifs, alors que plusieurs autres étaient hors service »
: transcription, jour 1, p 109-110.
[38] M. McGuigan m’a paru être un témoin franc et crédible.
[39] En ce qui concerne Antonio, il a admis savoir que l’ordonnance provisoire l’obligeait à communiquer ses renseignements financiers et il n’a pas fourni le relevé des opérations des deux comptes bancaires canadiens décrits ci-après. Lorsqu’on lui a demandé s’il autoriserait ses banques à communiquer aux demanderesses les renseignements énumérés dans le formulaire qui figure à l’annexe III de l’ordonnance provisoire, comme l’exigeait cette dernière, il a répondu [traduction] « non »
: transcription, jour 1, p 121.
[40] Antonio a également expliqué que les deux comptes bancaires en question étaient détenus conjointement par lui et son épouse, que celle-ci n’avait pas consenti à signer l’annexe III et qu’elle était alors [traduction] « allée fermer les comptes »
: transcription, jour 1, p 123. Selon lui, elle avait fait cela pour les raisons qu’il a données dans ses remarques préliminaires. Dans ces remarques, il a expliqué que, lorsqu’il avait fourni aux demanderesses les formulaires de consentement joints à l’annexe III pour ses deux comptes bancaires, il avait omis le relevé des opérations après avoir été informé que les droits à la vie privée de son épouse et d’autres tiers ne pouvaient être garantis. Il a ajouté que la communication de tels relevés aurait [traduction] « des conséquences dévastatrices sur le plan personnel, la confiance, le divorce, étant donné la confiance conjugale, le mariage et d’autres conséquences juridiques potentielles »
: ibid, p 44. Il a ajouté que son épouse était enseignante depuis 50 ans, qu’elle [traduction] « était grandement impliquée dans sa communauté religieuse dans Peel [et qu’elle] dirigeait une grande partie du travail pour le département de théologie des églises »
: ibid.
[41] Antonio a en outre confirmé qu’il se fait parfois appeler « Tony Roma »
, ce qui figure dans plusieurs documents déposés par les demanderesses. Il a également soutenu qu’il ne connaissait pas grand-chose à l’informatique. Après avoir refusé de dire si le site Web TonyRoma.biz lui appartenait, il a concédé qu’il l’utilisait pour envoyer des courriels. À l’audience, lorsqu’on lui a présenté un document particulier faisant état d’un paiement versé à ce site Web, il a déclaré qu’il ne savait pas de quoi il s’agissait.
[42] En réponse à l’affirmation des demanderesses selon laquelle il n’avait pas présenté ses excuses pour son mépris de l’ordonnance provisoire, Antonio a déclaré qu’il [traduction] « ne savait pas que c’était quelque chose qu’il devait faire »
dans le cadre de la présente instance et que c’était au juge, et non aux demanderesses, qu’il appartenait de lui enjoindre de présenter des excuses : transcription, jour 1, p 137-138. Il a également insisté pour direque ce sont plutôt les demanderesses qui devraient s’excuser pour certaines de leurs prétentions à son sujet. Quoi qu’il en soit, il a poursuivi en déclarant qu’il était [traduction] « profondément désolé de toute cette situation »
: ibid, p 137. Il a ensuite répété : « Je suis vraiment désolé de la situation »
: ibid, p 138. Il ressort du contexte qu’Antonio était désolé d’être poursuivi devant la Cour au lieu d’être contraint de répondre à une mise en demeure des demanderesses. Plus tard au cours de l’audience, il a répété : « Je suis désolé […] Je ne voulais pas être entraîné dans toute cette affaire, mais je suis là et je fais de mon mieux »
: transcription, jour 2, p 90.
[43] À certains moments, Antonio a usé de faux-fuyants; à d’autres, il semblait sincèrement essayer de répondre aux questions du mieux qu’il pouvait.
[44] Quant à Marshall, il a contre-interrogé Me Mark Davis hors cours. Ce faisant, il a surtout demandé des précisions sur (i) les questions liées à l’exécution de l’ordonnance provisoire; (ii) la possibilité que Me Davis soit en conflit d’intérêts; et (iii) la participation de Me Davis à l’exécution d’autres ordonnances de type Anton Piller dans le passé. Puisque Marshall n’a posé aucune question liée aux conclusions d’outrage au tribunal contre lui et Antonio, je n’examine pas davantage ce contre-interrogatoire.
[45] En ce qui concerne les transcriptions des interrogatoires préalables de Marshall et d’Antonio, il suffit, pour les besoins de l’espèce, et pour illustrer le contexte, de constater qu’il en ressort une tendance de leur part à user de faux-fuyants, voire à mentir. De plus, leur ancien avocat, Me Lomic, s’est vivement opposé aux demandes de réponses et d’engagements. Les défendeurs ont finalement pris cinq engagements et ont soulevé 105 objections. Cette situation a incité les demanderesses à présenter une requête visant à obtenir des réponses aux questions visées par les objections et aux engagements non respectés, requête à laquelle le juge Duchesne a fait droit le 29 avril 2024. Malgré cette ordonnance, Marshall et Antonio ont continué à refuser impudemment de fournir de nombreux renseignements, ce qui a gravement contrecarré l’objet de l’interrogatoire préalable.
VIII. Analyse
A. Principes généraux
[46] Les règles de droit civil régissant l’outrage ont pour principal objet de favoriser la conformité aux ordonnances judiciaires : Carey c Laiken, 2015 CSC 17 [Carey] au para 30; Bell Canada c Adwokat, 2023 CAF 106 [Adwokat] au para 18. C’est essentiel pour assurer la confiance du public dans l’administration de la justice et la primauté du droit et garantir que « l’ordre social prime sur le chaos »
: Morasse c Nadeau-Dubois, 2016 CSC 44 [Morasse] au para 81, sous la plume du juge Wagner (maintenant juge en chef du Canada) (dissident pour d’autres motifs); Canada (Revenu national) c Bjornstad, 2006 CF 818 au para 4; voir également Canada (Commission des droits de la personne) c Canadian Liberty Net (CA), [1996] 1 CF 787 à la p 796 (CA); United Nurses of Alberta c Alberta (Procureur général), 1992 CanLII 99 (CSC), [1992] 1 RCS 901 [United Nurses] à la p 931. Il en est ainsi parce que l’outrage au tribunal est « une constestation de l’autorité judiciaire qui mine sa crédibilité et son efficacité ainsi que celles de l’administration de la justice »
: 9038-3746 Québec Inc c Microsoft Corporation, 2010 CAF 151 au para 18.
[47] Même si les procès civils pour outrage ont pour objet de forcer une partie à se conformer à une ordonnance, « la condamnation à des sanctions dans les cas d’outrage civil a notamment pour objectif de punir la violation d’une ordonnance judiciaire »
: Carey au para 31, citant Chiang (Trustee of) v Chiang, 2009 ONCA 3, 305 DLR (4th) 655 au para 117; voir également United Nurses à la p 931; Echostar Communications Corp v Rodgers, 2010 ONSC 2164 [Echostar] au para 37, Canadian Standards Association v PS Knight Co Ltd, 2021 FC 1346 (CanLII) [PS Knight] au para 13. Il se peut qu’un effet punitif convienne tout à fait pour sanctionner un outrage en cours : Dish Network LLC et al v Butt et al, 2022 ONSC 1710 au para 24, PS Knight au para 25.
[48] En matière d’outrage civil, les principes ordinaires sur les peines élaborées à l’égard de l’outrage criminel s’appliquent : Tremaine c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), 2014 CAF 192 [Tremaine] au para 19; Institut professionnel de la fonction publique du Canada c Bremsak, 2013 CAF 214 [Bremsak] au para 35.
[49] Parmi ces principes on compte la parité, qui oblige la Cour à tenir compte de l’échelle des peines infligées pour sanctionner des infractions similaires dans la jurisprudence. En outre, la Cour devrait veiller à ce que la peine soit proportionnelle à la gravité de l’outrage et ajuster la peine en fonction de toute circonstance aggravante ou atténuante : Tremaine aux para 21–22; Bremsak au para 35; Bell Canada c Red Rhino Entertainment Inc, 2021 CF 895 [Red Rhino] aux paras 10–12, conf. dans Adwokat.
[50] Pour déterminer la gravité de l’outrage, la Cour doit apprécier « la gravité objective du comportement constituant un outrage au tribunal [et] la gravité subjective de ce comportement (à savoir si le comportement constitue un manquement de forme ou si le contrevenant a agi de façon flagrante en sachant bien que ses actions étaient illégales) »
: Tremaine au para 23, citant Canada (Revenu national) c Marshall, 2006 CF 788 [Marshall] au para 16 et Bremsak au para 35.
[51] Si certains des objectifs de la détermination de la peine énoncés à l’article 718 du Code criminel, LRC 1985 c C‑46, ne s’appliquent pas en matière civile, les objectifs de dissuasion et de dénonciation importent en l’espèce : Tremaine au para 22; Red Rhino aux para 11–12.
[52] En matière commerciale, la rentabilité de la conduite fautive est également un facteur pertinent : Red Rhino au para 14.
[53] Les principes qui précèdent doivent être appliqués à la lumière du principe de la retenue, suivant lequel, avant d’envisager une privation de liberté, il convient d’examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient : Code criminel, al 718.2d); Red Rhino au para 12.
[54] Au nombre des circonstances aggravantes, mentionnons la durée de la conduite, la portée ou l’importance de celle-ci, le degré de préméditation et le caractère plus ou moins délibéré des actes. On peut également demander si la conduite était motivée par l’appât du gain, si elle s’est poursuivie même après qu’il a été conclu qu’elle constituait un outrage, si le délinquant a déjà été déclaré coupable d’outrage, si l’outrage était flagrant, si le délinquant a exprimé des remords, s’il a menti, s’il a profité de l’occasion pour détruire des éléments de preuve ou mettre des fonds ou des éléments de preuve à l’abri du système judiciaire et s’il a fait preuve d’un profond mépris pour la primauté du droit : Bremsak au para 35; Tremaine au para 25; Red Rhino au para 13; Warner Bros Entertainment Inc c White (Beast IPTV), 2023 CF 907 [Beast IPTV] aux paras 95,114–117; Echostar aux para 54–57.
[55] Quant aux circonstances atténuantes, mentionnons les éléments suivants : s’il s’agit d’une première infraction, si le délinquant s’est excusé, s’il a admis sa responsabilité, s’il a fait des efforts de bonne foi pour se conformer à l’ordonnance et s’il a pris des mesures en vue de sa réadaptation : Bremsak au para 35; Tremaine au para 24; Beast IPTV au para 96.
[56] La Cour dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’elle applique ces principes et évalue les circonstances aggravantes et atténuantes : Tremaine au para 26, Beast IPTV au para 93, Red Rhino au para 9.
B. Appréciation
(1) L’échelle des peines appliquées dans des affaires semblables
[57] La jurisprudence portant sur les peines infligées en cas de conduite semblable n’est pas abondante.
[58] Dans l’affaire Adwokat, la Cour d’appel fédérale (CAF) examine la fourchette des peines infligées par notre Cour pour sanctionner le non-respect d’injonctions qu’elle avait prononcées pour protéger les droits de propriété intellectuelle revendiqués par les demanderesses. La CAF fait observer que les amendes infligées dans ce contexte vont, « en dollars de 2023, d’un peu plus de 1 500 $ à environ 190 000 $ »
: Adwokat au para 24. La CAF précise ensuite que : « [l]a majorité des amendes imposées par la Cour fédérale se trouvent dans le bas de la fourchette »
: Adwokat au para 24. Par conséquent, les juges majoritaires de la CAF refusent d’augmenter l’amende de 40 000 $ imposée en première instance, estimant que cette amende « n’est pas manifestement disproportionnée par rapport aux amendes imposées dans d’autres affaires lorsque l’on évalue les faits dont avait connaissance la Cour fédérale en l’espèce »
: Adwokat au para 26. Notamment, dans cette affaire, M. Wesley, un autre particulier, est condamné à des amendes de 15 000 $ et 30 000 S dans deux instances consécutives pour outrage à l’égard d’une injonction de même nature que celles que les intimées avaient enfreintes dans l’affaire Adwokat : Adwokat au para 21. Même si M. Wesley a aussi commis deux infractions successives en faisant fi de l’ordonnance de la Cour, la CAF, dans l’arrêt Adwokat, inflige une amende plus élevée, à savoir 40 000 $, en raison de la nature plus sophistiquée et commerciale de l’entreprise des intimés en question : Adwokat au para 22.
[59] Or, la juge Gleason, au nom des juges majoritaires, affirme que, « si les éléments de preuve supplémentaires que les appelantes voulaient produire en appel avaient été présentés devant la Cour fédérale, une pénalité plus sévère aurait pu être indiquée et aurait pu comprendre une incarcération ou une amende d’un montant beaucoup plus élevé »
: Adwokat au para 27. Selon la preuve en question, l’entreprise de M. Adwokat, Red Rhino Entertainment Inc., avait généré des ventes lucratives en continuant de ne pas se conformer à l’injonction.
[60] La juge Goyette, dans ses motifs dissidents, fait remarquer que l’amende de 40 000 $ infligée par notre Cour « n’est manifestement pas indiquée »
et est assimilée à « une simple redevance de licence »
: Adwokat aux para 63–64. Toutefois, elle ajoute que la preuve ne permet pas de déterminer une amende dissuasive. Par conséquent, elle aurait infligé une peine d’emprisonnement de 15 jours, comme le demandaient les appelantes dans l’avis de requête présenté à notre Cour, et ce même si elles avaient abandonné cette réparation dans l’appel : Adwokat au para 66.
[61] Dans son raisonnement, la juge Goyette précise qu’à sa connaissance, les Cours fédérales ont ordonné l’emprisonnement dans seulement trois instances en matière d’outrage civil concernant le droit d’auteur, et seulement s’il n’était pas satisfait à certaines conditions : Adwokat au para 58. C’est à dire que, dans chaque cas, il était sursis à la peine d’incarcération si la contrefaçon cessait dans le délai fixé d’un certain nombre de jours. En l’espèce, il suffit de résumer ces trois affaires ci-après.
[62] Dans l’arrêt Lari c Canadian Copyright Licensing Agency, 2007 CAF 127 [Lari], la CAF confirme une peine de six mois d’emprisonnement et de 400 heures de services communautaires sur une période de 13 mois. La peine résultait d’une troisième déclaration de culpabilité pour outrage, le délinquant ayant poursuivi sans autorisation la copie et la vente à grande échelle de manuels. En outre, l’un des actes sanctionnés visait « le refus de donner accès aux locaux conformément à l’ordonnance, empêchant ainsi l’exécution de l’ordonnance et la confiscation des copies non autorisées des manuels »
: Lari au para 6. Qui plus est, « la dissuasion particulière demeure un objectif difficile à atteindre »
, le particulier n’ayant pas mis fin à l’outrage, et ce même après avoir été préalablement condamné à des amendes, à des dommages-intérêts préétablis et punitifs et à payer les dépens avocat-client : Lari aux para 32–33.
[63] Dans la décision PS Knight, la juge Pallotta condamne les défendeurs à une amende de 100 000 $ et à une peine d’emprisonnement d’au moins six mois et d’au plus cinq ans moins un jour jusqu’à ce qu’ils (i) démontrent qu’ils se conforment aux conditions du jugement de la Cour, tant l’injonction que les conditions impératives et (ii) acquittent intégralement les dommages-intérêts, amendes et dépens prévus dans le jugement initial et l’ordonnance visant la peine. Dans le raisonnement fondant ces peines, la juge Pallotta souligne la gravité de l’infraction, le fait que les défendeurs ont fait fi, ouvertement et publiquement, de l’ordonnance de la Cour pendant plus d’un an et le fait que les actes d’outrage ont empiré après qu’ils ont été déclarés coupable d’outrage : PS Knight au para 25. Elle précise que ces peines [traduction] sont « nécessaires pour obliger les parties à s’acquitter de leurs obligations juridiques »
: PS Knight au para 25. Comme M. Knight n’a pas comparu à l’audience de détermination de la peine, dans l’ordonnance, la juge Pallotta lui a donné une dernière possibilité, à son arrestation, de contester son incarcération pendant la période indiquée.
[64] Dans la décision Telewizja Polsat SA c Radiopol Inc, 2006 CF 137 [Polsat], le juge Lemieux condamne la société défenderesse à une amende de 25 000 $ et l’autre défendeur, un particulier, à une amende de 10 000 $ et à une peine d’emprisonnement de six mois au motif qu’ils n’avaient pas cessé de décoder et de diffuser, sans autorisation, les signaux d’abonnement des demanderesses. Le juge Lemieux fait observer que les défendeurs (i) n’ont comparu à aucune étape de l’instance devant la Cour; (ii) ont sciemment contrevenu à l’injonction de la Cour, notamment en élargissant leurs opérations de contrefaçon après l’injonction; (iii) n’ont exprimé aucun regret ni aucune excuse; et (iv) n’ont pas répondu aux maintes communications des demanderesses qui voulaient régler le différend : Polsat aux para 32, 40–42.
[65] La juge Goyette, dans son résumé de ces trois affaires, fait remarquer que les Cours fédérales, « se montrent beaucoup plus indulgentes »
que les tribunaux ontariens, qui, selon toute vraisemblance, auraient infligé une peine d’incarcération à M. Adwokat si l’affaire leur avait été soumise : Adwokat au para 58. Pour fonder sa conclusion, la juge Goyette renvoie aux affaires Dish Network LLC v Gill (27 avril 2018) Hamilton CV-13-40368 (Ont SC) [Dish Network] (emprisonnement de quatre mois pour manquement à une injonction permanente) et DIRECTV Inc v Boudreau, 2005 CarswellOnt 7026 (Ont SC) [DIRECTV], modifiée dans 2006 CanLII 12962 (ON CA) [DIRECTV ONCA] (emprisonnement de trois mois pour manquement à une ordonnance de type Anton Piller et à une injonction).
[66] Mentionnons qu’un manquement à une injonction n’est pas comparable au manquement à une ordonnance de type Anton Piller, qui « doit, de par sa nature même, être exécutée sans délai pour porter fruit »
: Beast IPTV au para 145.
[67] Par suite de l’arrêt Adwokat, le juge Lafrenière fait remarquer, « l’absence de jugements sur ce point rendus par notre Cour »
au regard d’ordonnances de type Anton Piller. Par conséquent, il examine les peines infligées par les tribunaux ontariens en cas de manquement à une ordonnance de type Anton Piller dans des affaires intéressant les services de télévision IP : Beast IPTV au para 158. Il s’intéresse tout particulièrement aux affaires DIRECTV, Echostar et Bell Expressvu Limited Partnership v Rodgers, Court No. 06-CL-6574, (motifs inédits de la juge Mesbur, rendus le 18 septembre 2006) [Rodgers].[5] Les demanderesses en l’espèce invoquent également cette jurisprudence.
[68] L’affaire Echostar concerne la peine à infliger pour sanctionner deux particuliers ayant sciemment et délibérément fait obstacle à une ordonnance de type Anton Piller, car ils ont refusé l’accès à leur résidence : Echostar aux para 32, 36, 44, 57 et 68. Les défendeurs ont également fait preuve d’un mépris flagrant à l’égard des ordonnances du tribunal : Echostar aux para 53 et 62. Comme il n’était pas possible de remédier à un tel outrage, le tribunal a opté pour une peine de nature punitive plutôt que de nature coercitive. Le juge Cameron, à la lumière des peines d’emprisonnement infligées dans plusieurs affaires, variant de trois à quinze mois, a condamné les défendeurs, un couple marié, à quatre mois d’emprisonnement chacun. Ils devaient purger leur peine respective consécutivement, de sorte que leur fille puisse poursuivre ses études et qu’ils soient en mesure de continuer à exploiter leur restaurant avec l’aide de leurs enfants : Echostar au para 71. Mentionnons que le mépris des défendeurs dans cette affaire à l’égard du tribunal était bien pire que dans le cas d’Antonio et de Marshall.
[69] L’affaire Rodgers intéresse la détermination de la peine du fils des défendeurs dans la décision Echostar. Il avait été déclaré coupable d’outrage pour (i) n’avoir pas donné accès immédiatement à des locaux et à plusieurs sites Web, en contravention à une ordonnance de type Anton Piller antérieure, et (ii) avoir conçu un stratagème complexe visant à camoufler ses activités : Echostar au para 67. Dans la décision Rodgers, le tribunal inflige une peine d’emprisonnement de quatre mois. Il s’agit d’une décision inédite qui ne figure pas dans le cahier des lois, règlements, jurisprudence et doctrine des demanderesses, mais on peut déduire de l’analyse de cette affaire qui figure dans la décision Echostar que la juge Mesbur est troublée par les conséquences de l’outrage subies par la demanderesse et estime qu’il importe que la peine ait un effet dissuasif général et particulier : Echostar aux para 56 et 61; citant Rodgers aux para 91–92, 107. C’est particulièrement le cas en raison [traduction] : « d’éléments de preuve démontrant l’existence d’un réseau de piratage de satellites et d’une communication constante entre ses membres par divers “forums” sur des sites Web, notamment sur anton-piller.com » :
Echostar au para 61, citant Rodgers au para 91.
[70] L’affaire DIRECTV concerne la détermination de la peine d’un particulier déclaré coupable d’outrage au tribunal pour avoir refusé de fournir les mots de passe permettant l’accès à un site Web de piratage de satellite en contravention à une ordonnance de type Anton Piller et pour avoir poursuivi l’exploitation du site Web en contravention à une injonction. Le contrevenant s’est vu infliger une peine d’emprisonnement de trois mois pour l’outrage et une peine distincte d’emprisonnement de six mois pour le préjudice grave qu’avait causé aux demanderesses et à l’administration de la justice la destruction des éléments de preuve. Le tribunal, dans ses motifs, souligne la gravité [traduction] « extraordinaire »
de l’outrage, dont sa nature intentionnelle et la connaissance qu’avait le défendeur des conséquences pour les demanderesses : DIRECTV au para 4. Le tribunal ajoute que le défendeur n’exprimait aucun remords, n’a pas dit la vérité et n’a pas comparu à l’audience de détermination de la peine : DIRECTV au para 6. En outre, le tribunal signale l’importance de la dissuasion générale et particulière, renvoyant à [traduction] « des éléments démontrant l’existence d’un réseau de piratage dont les membres sont en communication constante à propos de l’évolution de la situation, de sorte que, dans un tel cas, la nouvelle de la peine est susceptible de se répandre comme une traînée de poudre »
: DIRECTV au para 7.
[71] La Cour d’appel de l’Ontario confirme la peine d’une durée de trois mois infligée dans l’affaire DIRECTV, estimant que le comportement était [traduction] « grave et délibéré »
. Toutefois, elle infirme la peine supplémentaire d’une durée de six mois au motif qu’elle n’est pas fondée en droit. Elle sanctionne le préjudice subi, plutôt que l’outrage : DIRECTV ONCA.
[72] Comme le fait remarquer le juge Lafrenière dans la décision Beast IPTV, il se dégage de la jurisprudence ontarienne résumée plus haut un seul et même thème, à savoir que la peine imposée devrait dissuader les membres du réseau de piratage de services de télévision IP d’imiter l’auteur de l’outrage : Beast IPTV au para 162. Il s’agit d’une considération importante en l’espèce, et ce pour les deux raisons suivantes. Tout d’abord, la jurisprudence révèle l’existence d’un réseau de piratage de services de télévision IP dont les membres suivent de près les affaires de type Anton Piller et, sur le fondement de leur évaluation de la situation, prennent des risques calculés : Beast IPTV au para 152; Echostar aux para 61–63; DIRECTV au para 7. Deuxièmement, les sanctions antérieures imposées pour outrage découlant du non-respect d’ordonnances de type Anton Piller à l’égard de services de télévision IP n’ont manifestement pas dissuadé Antonio et Marshall de mettre fin à leurs actes d’outrage.
[73] Dans la décision Beast IPTV, dans des motifs axés surtout sur la dissuasion, le juge Lafrenière accepte la recommandation des demanderesses, à savoir une peine d’emprisonnement de deux mois, et ce même s’il est d’avis qu’une telle peine se trouve à l’extrémité inférieure de la fourchette : Beast IPTV aux para 150, 162. Il opte pour un objectif de dissuasion au motif que « M. White ne peut pas remédier à son outrage »
: Beast IPTV au para 149. Il précise que, si le défendeur n’avait pas plaidé coupable, il l’aurait condamné à une peine plus longue : Beast IPTV au para 168. Il rejette la proposition de M. White, qui souhaitait plutôt se voir condamné à des services communautaires, et affirme qu’il y a lieu de « lancer un message clair à quiconque pourrait envisager d’entraver l’exécution d’une ordonnance de la Cour : une peine d’emprisonnement est non seulement possible, elle est même probable »
: Beast IPTV au para 167.
[74] Les demanderesses invoquent également l’affaire Sussex v Sylvester, 2002 CarswellOnt 3893, [2002] OJ No 4350 [Sylvester], qui s’est soldée par une peine d’emprisonnement de six mois pour M. Sylvester, qui n’avait pas respecté une ordonnance judiciaire l’obligeant à produire ses dossiers d’entreprise et à en établir un inventaire. Le tribunal a jugé nécessaire d’infliger à M. Sylvester une peine carcérale, étant donné [traduction] « l’outrage continu et délibéré »
, le préjudice grave causé par l’outrage à la demanderesse et la nécessité d’un effet dissuasif spécifique et général : Sylvester aux para 83–84. Le tribunal reconnaît que, si M. Sylvester a fini par obtempérer un tant soit peu, c’était seulement en apparance : Sylvester aux para 67–68. Le tribunal rejette également la possibilité d’ordonner une peine conditionnelle d’assignation à résidence au lieu de l’emprisonnement pour permettre à M. Sylvester de continuer ses traitements médicaux. Le tribunal dit avoir [traduction] « la quasi-certitude qu’il ne va pas obtempérer de plein gré »
: Sylvester aux paras 86–96.
[75] En somme, la peine minimale de six mois souhaitée par les demanderesses en l’espèce se situe grosso modo dans la fourchette des peines sanctionnant l’outrage lorsqu’un défendeur ne se conforme pas à une ordonnance judiciaire concernant la violation du droit d’auteur. Qui plus est, la décision PS Knight, un précédent issu de notre Cour, prévoit une peine supplémentaire d’au plus cinq ans moins un jour s’appliquant tant que le défaut subsiste. Il serait sursis à la peine dès lors que les défendeurs (i) mettent fin à l’outrage en démontrant qu’ils se conforment aux conditions du jugement de la Cour, tant l’injonction que les conditions impératives et (ii) acquittent intégralement les dommages-intérêts, amendes et dépens prévus dans le jugement initial et l’ordonnance visant la peine rendue par la juge Pallotta.
[76] La Cour ordonne une peine supplémentaire d’emprisonnement, outre la peine minimale précisée, pour forcer la conformité à une ordonnance de la Cour, notamment dans d’autres affaires de droit de la propriété intellectuelle comme Trans-High Corporation c Hightimes Smokeshop and Gifts Inc, 2015 CF 919 au para 38 et Dursol-Fabrik Otto Durst GmbH & Co c Dursol North America Inc, 2006 CF 1115 au para 112, ou dans d’autres domaines : voir p. ex., Warman c Canada (Commission des droits de la personne), 2012 CF 1296 aux para 35–36, conf. par Tremaine. La Cour a parfois opté tout simplement pour l’incarcération d’une durée maximale précisée pour forcer une partie à se conformer à une ordonnance : voir p. ex., Canada (Revenu national) c Vallelonga, 2013 CF 1155; Canada (Revenu national) c Money Stop Ltd, 2013 CF 133; Canada (Revenu national) c Bélanger, 2015 CF 35.
[77] À la lumière de ce qui précède, je suis d’avis que les peines souhaitées par les demanderesses sont conformes au principe de la parité. Or, la durée indéterminée de l’incarcération sollicitée semble contraire à l’article 472 des Règles. Nous y revenons ci-après.
(2) La gravité de la conduite
[78] Pour déterminer la gravité de l’outrage, la Cour doit apprécier « la gravité objective du comportement constituant un outrage au tribunal [et] la gravité subjective de ce comportement (à savoir si le comportement constitue un manquement de forme ou si le contrevenant a agi de façon flagrante en sachant bien que ses actions étaient illégales) »
: voir le para 50 des présents motifs.
[79] Quant à la gravité objective, en refusant catégoriquement de collaborer avec l’ASI Davis, Antonio « a entièrement empêché l’exécution de l’ordonnance »
, ce qui « n’était rien de moins qu’une contestation de la Cour »
: Macciacchera 2 aux para 117, 123. Il a refusé à l’ASI Davis l’accès à son domicile en exécution de l’ordonnance provisoire, a fermé la porte de son domicile, et ce même s’il avait été informé que l’ordonnance provisoire l’interdisait et a refusé de se conformer aux paragraphes 24(b) et 25 de cette ordonnance, notamment en refusant de communiquer ses renseignements bancaires. Ce refus se poursuit.
[80] En refusant l’accès à son domicile, Antonio a contrecarré les activités de l’ASI Davis visant à empêcher la destruction ou l’enlèvement éventuel d’éléments de preuve et le transfert de fonds pour les soustraire à la compétence de la Cour. Il s’agit de l’un des principaux objectifs de l’ordonnance provisoire : Macciacchera 2 aux para 110–111, 114; Macciacchera 3 aux para 55, 81.
[81] De même, en continuant de refuser de fournir le mot de passe permettant l’accès à son ordinateur personnel et de produire les renseignements relatifs à ses actifs, Marshall a complètement contrecarré la réalisation de l’un des principaux objectifs de l’ordonnance provisoire, ce qui représente une contestation directe des pouvoirs de la Cour.
[82] À mon avis, le comportement d’Antonio et de Marshall à cet égard se situe à l’extrémité supérieure de la fourchette d’évaluation de la gravité objective.
[83] Quant à l’évaluation de la gravité subjective, dans la décision Macciacchera 2, je suis d’avis qu’Antonio « a intentionnellement omis de prendre les mesures que lui imposait l’ordonnance provisoire »,
dont les mesures visées aux paragraphes 24(b) et 25 de cette ordonnance : Macciacchera 2 au para 89. J’ajoute qu’il « avait l’intention d’omettre de s’y conformer »
et a fait preuve d’un « mépris flagrant à l’égard de l’ordonnance provisoire »
: Macciacchera 2 aux para 99, 121.
[84] Quant à Marshall, la juge Rochester (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) est d’avis qu’il comprenait que les renseignements sur son ordinateur étaient visés par le libellé de l’ordonnance provisoire et qu’il avait l’obligation de les communiquer : Macciacchera 3 au para 122. Toutefois, il a refusé de fournir son mot de passe au motif que [traduction] « Il y a des éléments de preuve contre moi [dans l’ordinateur]. Je ne veux pas ouvrir une session et vous permettre de recueillir des renseignements contre moi »
: Macciacchera 3 au para 122. La juge Rochester en conclut que Marshall, Star Hosting Limited et Roma Works Limited ont délibérément désobéi aux paragraphes 24, 25 et 30 de l’ordonnance provisoire : Macciacchera 3 aux para 134, 150, 159, 167, 174.
[85] À mon avis, le refus délibéré d’Antonio et de Marshall de se conformer à l’ordonnance provisoire se situe à l’extrémité supérieure de la fourchette d’évaluation de la gravité subjective.
(3) Dissuasion générale et spécifique
[86] Lorsqu’il évalue l’importance de la dissuasion, le tribunal qui détermine la peine devrait examiner tant la dissuasion générale que la dissuasion spécifique : Tremaine au para 22.
[87] Il ressort de la jurisprudence sur le piratage de services de télévision IP que la dissuasion générale constitue un facteur particulièrement important dans ce contexte. En effet, la preuve révèle l’existence d’un réseau de piratage qui surveille de près les affaires portant sur l’exécution d’ordonnances de type Anton Piller. À la lumière de ces renseignements, les membres de ce réseau prennent des décisions fondées sur leur pondération des risques et avantages des activités de piratage au regard de la possibilité d’une condamnation pour outrage au tribunal : voir les para [69–70 et 72] des présents motifs.
[88] La possibilité que des pirates de services de télévision IP génèrent des gains élevés en méprisant des ordonnances de type Anton Piller milite en faveur de peines suffisamment élevées pour faire en sorte que les contrevenants s’attendent à ce qu’un tel mépris leur cause des pertes, compte tenu du risque faible de détection, de poursuite et de déclaration de culpabilité : voir, en matière de fixation des prix, Canada c Maxzone Auto Parts (Canada) Corp, 2012 CF 1117 aux para 61, 67.
[89] Comme le piratage de services de télévision IP se poursuit malgré les nombreuses sanctions visant à y mettre fin, des peines plus élevées que celles qui ont été imposées auparavant sont justifiées.
[90] C’est particulièrement le cas pour les peines infligées par notre Cour. Je conviens avec le juge Lafrenière qu’« [i]l est important de déboulonner l’idée préconçue suivant laquelle la Cour, qui est le tribunal de référence pour les litiges en matière de propritété intellectuelle, serait plus clémente que les cours supérieures provinciales »
(Beast IPTV au para 165). Je suis également d’accord avec la juge Goyette selon qui « [l]a Cour fédérale ne doit pas être un refuge pour les personnes coupables d’outrage au tribunal »
: Adwokat au para 58.
[91] Quant à la dissuasion spécifique, signalons que Marshall et Antonio continuent de mépriser impudemment l’ordonnance provisoire. Cet outrage est tel qu’il contrecarre complètement l’exécution d’éléments importants de cette ordonnance. La situation appelle une peine suffisamment grave pour encourager le plus possible l’exécution intégrale par Marshall et Antonio des éléments remédiables de l’ordonnance provisoire et dont je suis saisi et pour dissuader de comportements irrémédiables de la nature de ceux à l’égard desquels ils ont été déclarés coupables d’outrage pour non-respect de l’ordonnance provisoire.
(4) Dénonciation et sanction
[92] Si les peines imposées pour outrage civil visent la conformité, elles ont aussi d’autres objectifs importants, dont la dénonciation et la sanction des comportements : Bremsak au para 66; Red Rhino aux para 6–7 et 11.
[93] C’est tout particulièrement le cas de l’outrage qui contrecarre complètement ou substantiellement l’exécution d’une ordonnance judiciaire et qui défie l’autorité de la Cour. Le mépris délibéré d’Antonio à l’égard notamment des paragraphes 24(b) et 25 de l’ordonnance provisoire appartient à cette catégorie. Il en va de même du mépris de Marshall à l’égard notamment des paragraphes 24, 25 et 30 de cette ordonnance.
(5) Profitabilité du comportement
[94] Selon l’estimation prudente de M. McGuigan, les services SSTV des défendeurs ont généré environ 1,517 millions de dollars américains par année. Il est arrivé à ce chiffre en estimant la clientèle des services SSTV à environ 10 500 abonnements à 12 $ US par mois. M. McGuigan est arrivé à 10 500 en tenant compte de chaque visiteur unique[6] à Live247, StreamTVNow et Starstreams.tv depuis les trois appareils permis. Il a ensuite déduit de ce chiffre le nombre approximatif de visiteurs temporaires aux sites web en question (ce qu’on appelle dans le milieu le bounce rate) : premier affidavit de M. McGuigan aux para 124, 127.
[95] M. McGuigan n’a pas été contre-interrogé sur ces estimations.
[96] Les demanderesses ajoutent que leur estimation des revenus des défendeurs a été compliquée davantage par la possibilité réaliste qu’une partie de ces revenus soit cachée à Hong Kong, au Panama ou en Thaïlande en cryptomonnaies.
[97] Même s’il n’a pas contre-interrogé M. McGuigan sur ces estimations, Marshall a affirmé à l’audience qu’elles étaient erronées.
[98] Quoi qu’il en soit, à défaut d’avoir pu obtenir les renseignements que Marshall et Antonio ont refusé de communiquer, les demanderesses ne disposent d’aucun élément de preuve sur les dépenses d’exploitation des services SSTV. Par conséquent, il est impossible d’estimer la profitabilité du refus continu d’Antonio et de Marshall de se conformer à l’ordonnance provisoire.
(6) Circonstances aggravantes
[99] Comme je l’indique plus haut, les circonstances aggravantes incluent notamment la durée de la conduite, la portée ou l’importance de celle-ci, le degré de préméditation et le caractère plus ou moins délibéré des actes. On peut également demander si la conduite était motivée par l’appât du gain, si elle s’est poursuivie même après qu’il a été conclu qu’elle constituait un outrage, si le délinquant a déjà été déclaré coupable d’outrage, si l’outrage était flagrant, si le délinquant a exprimé des remords, s’il a menti, s’il a profité de l’occasion pour détruire des éléments de preuve ou mettre des fonds ou des éléments de preuve à l’abri du système judiciaire et s’il a fait preuve d’un profond mépris pour la primauté du droit : voir le paragraphe [54] des présents motifs.
[100] Sauf en ce qui concerne les conclusions antérieures quant à l’outrage, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable que toutes les circonstances énumérées plus haut sont présentes en l’espèce, tant dans le cas de Marshall que de celui d’Antonio.
[101] En ce qui concerne la durée de la conduite emportant l’outrage, Marshall et Antonio ont admis de vive voix à l’audience sur la détermination de la peine qu’ils sont en défaut de l’ordonnance provisoire en question en l’espèce depuis son prononcé en juin 2022, c’est-à-dire plus de trois ans. Ils ont affirmé n’avoir aucunement l’intention de remédier à l’outrage, qu’ils souhaitaient purger simplement leur peine et tourner la page pour de bon : transcription, jour 1, p 47–48, 75–76, 121 et 124; transcription, jour 2, p 107, 131–134, 140, 145, 148–149, 156.
[102] Quant à la préméditation et au caractère délibéré de l’acte d’outrage, soulignons que le refus de Marshall et d’Antonio de se conformer aux dispositions en cause de l’ordonnance provisoire se poursuit et qu’il est continu et impudent à un point tel qu’il constitue de l’outrage. Comme il est indiqué plus haut, ils ne s’en cachent pas. En outre, comme il ressort de l’instance pour outrage ayant précédé la présente instance de détermination de la peine, l’outrage est délibéré : voir les paragraphes [83–85] des présents motifs.
[103] Quant à la portée et à l’importance de l’outrage, signalons que le manquement continu d’Antonio aux paragraphes 24(b) et 25 de l’ordonnance provisoire et le manquement continu de Marshall aux paragraphes 24, 25 et 30 touchent au cœur de cette dernière. À défaut d’obtenir les renseignements sur les opérations effectuées dans les deux comptes d’Antonio à des banques canadiennes, le mot de passe pour accéder à l’ordinateur personnel de Marshall et les détails sur les deux comptes bancaires situés à Hong Kong dont il est question dans la présente instance sur la détermination de la peine, les demanderesses sont absolument incapables de faire avancer le règlement du litige sur le fond. Je tiens également compte de la portée et de l’importance des services SSTV dans l’examen de la portée et de l’importance de l’outrage par Marshall et Antonio. Précisons que Marshall et Antonio étaient impliqués dans ce que le juge Lafrenière décrit comme une « opération complexe »
mettant en jeu « des dizaines de récepteurs de télévision, d’encodeurs et de serveurs prétendumment responsables de la capture et de la redistribution à grande échelle de contenu télévisuel illicite par l’intermédiaire des services SSTV »
: Macciacchera 1 au para 46. Je suis convaincu hors de tout doute raisonnable qu’il s’agit d’une description fidèle de la portée et de l’importance des services SSTV.
[104] Outre ce qui précède, et comme je l’indique plus haut, j’estime qu’Antonio a fait preuve d’un mépris flagrant et intentionnel dans l’exécution partielle de l’ordonnance provisoire : voir les paragraphes [24 et 83] des présents motifs. Je suis convaincu que le mépris continu de l’ordonnance démontré par Marshall appelle la même conclusion.
[105] De plus, Marshall n’a jamais présenté d’excuses ni fait preuve de remords pour son comportement. Pour sa part, Antonio s’est excusé d’avoir été mis en cause dans la présente instance : voir le paragraphe [42] des présents motifs. À mon avis, il ne s’agit pas d’une excuse pour avoir refusé de se conformer à l’ordonnance provisoire et de communiquer les renseignements sur les opérations dans les deux comptes de banques canadiennes aux demanderesses.
[106] Qui plus est, Marshall n’a pas dit la vérité dès les premières tentatives des demanderesses pour faire exécuter l’ordonnance provisoire : Macciacchera 3 aux para 138, 147–148, 158. De même, Antonio a toujours cherché à dissimuler son implication dans les services SSTV.
[107] N’oublions pas, comme je l’indique plus haut, qu’Antonio et Marshall, de par cet outrage, avaient toute latitude pour détruire des éléments de preuve ou les transférer, de même que des fonds, pour les soustraire à l’autorité de la Cour : voir les paragraphes [9 et 80–81] des présents motifs ainsi que le paragraphe 146 ci-après.
[108] Antonio a également reconnu à l’audience de détermination de la peine que l’appât du gain motive le piratage de services de télévision IP : transcription, jour 2, p 90-91.
[109] Enfin, il convient de rappeler qu’Antonio et Marshall ont fait preuve d’un profond mépris pour la primauté du droit et notre Cour. Dès la date de la tentative d’exécution de l’ordonnance provisoire, ils ont fait à leur tête en décidant si, quand et comment ils allaient se conformer aux diverses dispositions de l’ordonnance provisoire.
(7) Circonstances atténuantes
[110] Parmi les circonstances atténuantes, mentionnons les éléments suivants : s’il s’agit d’une première infraction, si le délinquant s’est excusé, s’il a admis sa responsabilité, s’il a fait des efforts de bonne foi pour se conformer à l’ordonnance et s’il a pris des mesures en vue de sa réadaptation : voir le paragraphe [55] des présents motifs.
[111] Il semble que c’est la première fois que Marshall ou Antonio aient été déclarés coupables d’outrage. Toutefois, vu les considérations examinées plus haut aux rubriques VII.B. (2) – (6) des présents motifs, je suis d’avis que ce fait pèse peu dans mon analyse servant à déterminer les peines indiquées à leur infliger.
[112] Quant aux autres circonstances mentionnées au paragraphe [110] des présents motifs, mentionnons que Marshall n’a pas présenté d’excuses. Toutefois, maintenant qu’il a été déclaré coupable de quatre chefs d’outrage au tribunal, il a plus ou moins admis sa responsabilité à l’égard de cette conduite. C’est ce que l’on peut conclure du fait qu’il reconnaît l’opportunité d’une peine d’incarcération dans les circonstances. Je suis disposé à croire que la peine qu’il recommande constitue en quelque sorte une admission de responsabilité et un premier pas, quoique minime, vers la réadaptation. Néanmoins, étant donné la peine relativement clémente qu’il recommande (à savoir une semaine pour chacune des trois instances de non-respect de l’ordonnance qu’il est disposé à reconnaître), ces facteurs pèsent peu dans mon analyse globale. Il en va de même de l’exécution partielle de l’ordonnance provisoire par Marshall à la date de l’exécution. Cette exécution partielle est éclipsée par son refus continu de fournir (i) le mot de passe donnant l’accès à son ordinateur personnel et (ii) l’autorisation à deux banques de Hong Kong où les sociétés défenderesses ont des comptes de communiquer les renseignements relatifs à ces comptes aux demanderesses. Par conséquent, l’exécution partielle pèse très peu dans mon analyse globale.
[113] Marshall allègue comme circonstance atténuante le fait qu’il était client de l’une des demanderesses, à savoir Rogers Media Inc. (Rogers
) et que Rogers aurait dû savoir que son compte Internet servait à certaines des activités en cause dans l’action sur le fond. Selon Marshall, le fait que Rogers n’a pas bloqué ou sectionné le lien entre son compte Internet et les serveurs des tierces parties impliquées dans les services de diffusion en continu non autorisés devrait compter comme circonstance atténuante. À mon avis, il ne s’agit pas en l’espèce d’une circonstance atténuante. Il était loisible à Rogers de poursuivre Marshall en participant à l’action au fond, plutôt qu’en prenant l’une ou l’autre des mesures suggérées par Marshall.
[114] Marshall allègue également une autre circonstance atténuante. Il n’a pas pu produire d’éléments de preuve disculpatoires parce que les demanderesses n’ont pas fouillé à fond les lecteurs et serveurs informatiques saisis pendant l’exécution de l’ordonnance provisoire. Or, j’accepte l’explication des demanderesses suivant laquelle, tant qu’elles n’ont pas le mot de passe donnant accès à l’ordinateur de Marshall, il ne sert à rien ou il serait contre-productif de procéder à une analyse judiciaire de ces appareils. En outre, sans les mots de passe des défendeurs, les demanderesses ne peuvent suivre le protocole permettant de purger les renseignements confidentiels des appareils : voir le paragraphe [35] des présents motifs. Si Marshall a éventuellement été privé d’éléments de preuve disculpatoires, la situation lui est entièrement imputable. Par conséquent, cette considération ne joue pas dans mon analyse globale me permettant de déterminer la peine qu’il convient d’imposer à Marshall pour sanctionner son mépris passé et présent de l’ordonnance provisoire.
[115] Marshall et Antonio affirment que la Cour devrait reconnaître qu’ils ont fourni certains de leurs renseignements bancaires : voir Macciacchera 2 aux para 113-114 et Macciacchera 3 aux para 156-157 et 166. Toutefois, sans les renseignements bancaires qu’ils refusent toujours de fournir, les renseignements fournis n’ont guère de valeur. Par conséquent, ce facteur ne pèse guère dans mon analyse globale.
[116] Antonio excipe également de son âge et de ses troubles de santé. Toutefois, les éléments de preuve faisant état de ses [traduction] « troubles de santé »
sont trop vagues pour entrer en ligne de compte dans mon analyse globale. J’y reviens aux paragraphes [128-129] des présents motifs. J’accepte que l’âge d’Antonio (il a 73 ans) constitue une circonstance atténuante. Dans les circonstances de l’espèce, je suis d’avis que ce facteur, conjugué au fait qu’Antonio semble avoir joué un rôle moins important que Marshall, milite en faveur d’une peine initiale moins longue que celle qui convient dans le cas de Marshall. Plus particulièrement, ces considérations justifient une peine initiale de quatre mois d’incarcération pour Antonio. Dans le cas de Marshall, j’estime qu’une peine de six mois convient.
[117] En outre, Antonio allègue également, parmi les circonstances atténuantes, que son épouse était titulaire avec lui des deux comptes de banque situés au Canada, pour lesquels il refuse toujours de fournir des relevés d’opérations. Elle a depuis fermé ces deux comptes. Il affirme refuser de fournir des relevés d’opérations pour éviter [traduction] « des conséquences dévastatrices sur le plan personnel »
, dont le divorce, l’effritement de la confiance conjugale et « d’autres conséquences juridiques potentielles »
: transcription, jour 1, p 44; voir également le para [40] des présents motifs. À son dire, les relevés d’opérations révèleraient des transactions de nature personnelle et privée et il n’est pas convaincu que la vie privée de son épouse serait protégée : transcription, jour 1, p 43.
[118] Dans son affidavit souscrit le 10 février 2024, Antonio explique que les avocats représentant son épouse lui [traduction] « ont fortement suggéré de retirer du dossier tous les comptes conjoints et les renseignements où figurait son nom »
. Son épouse est donc « allée fermer les comptes, hors de mon contrôle »
. Interrogé sur la raison pour laquelle il n’avait pas simplement fait caviarder les renseignements confidentiels, il m’a répondu qu’on l’avait avisé que des honoraires de 30 000 $ à 50 000 $ lui auraient alors été facturés.
[119] Ce ne sont pas là des raisons acceptables de refuser de se conformer à une ordonnance judiciaire. En outre, il ne s’agit pas de considérations atténuantes dans l’analyse de la peine qui doit sanctionner un tel refus. Comme il est expliqué dans la décision Macciacchera 2, au para 119, s’il y a des renseignements personnels ou privés dans les données sur les opérations concernant les deux comptes bancaires dont Antonio et son épouse étaient titulaires, la marche à suivre consiste à caviarder ces renseignements sous la supervision de la Cour. On ne peut exciper de frais élevés pour justifier le refus de se conformer à une ordonnance judiciaire. La Cour est généralement disposée à voir s’il est possible de réduire ces frais.
[120] Par souci d’exhaustivité, j’ouvre une parenthèse pour faire remarquer que, dans l’affidavit mentionné plus haut, Antonio renvoie à une communication écrite entre son avocate de l’époque, Me Tanya Gulati, et l’avocat des demanderesses. Cependant, l’avocat des demanderesses a confirmé à l’audience que la lettre concernait la demande présentée par ces dernières, qui souhaitaient qu’Antonio acquitte les dépens auxquels il avait été condamné : transcription, jour 2, p 165. Par conséquent, je conviens avec les demanderesses que le renvoi à cette lettre n’est pas pertinent pour les fins qui nous occupent.
[121] Selon Antonio, il y avait une autre circonstance atténuante : il était abasourdi, troublé et en pyjama quand l’ASI Davis a frappé à sa porte en compagnie d’autres personnes chargées d’exécuter l’ordonnance provisoire. Cependant, ce facteur ne justifie aucunement son mépris continu et impudent des paragraphes 24(b) et 25 de l’ordonnance provisoire. Je suis également d’avis que ce facteur ne justifie guère l’outrage irrémédiable dont je l’ai déclaré coupable, tout particulièrement compte tenu du fait que la tentative d’exécution de l’ordonnance provisoire a duré pendant plusieurs heures : voir Macciacchera 2 aux paras 120-123.
[122] Enfin, Marshall soutient que je devrais tenir compte, dans mon analyse sur les peines à imposer pour leur mépris de l’ordonnance provisoire, des dépens payables auxquels Antonio et lui ont déjà été respectivement condamnés dans la présente instance pour outrage. À cet égard, la juge Rochester avait ordonné à Marshall et aux sociétés défenderesses (à l’exception de Roma Works Panama) de verser aux demanderesses des dépens de 375 312,93 $, y compris les frais juridiques, les débours et les taxes : Macciacchera 3 au para 6 de l’ordonnance. En outre, j’ai condamné Antonio aux dépens de 91 742,86 $, y compris les frais juridiques, les débours et les taxes : Bell Media Inc. c Macciacchera (Smoothstreams.tv), 2023 CF 1698 [Macciacchera 4] au para 1 de l’ordonnance. Même si les dépens prévus dans ces deux ordonnances étaient payables sans délai, ils sont toujours impayés. Ce simple fait justifie que l’on ne tienne pas compte de ces condamnations aux dépens comme circonstances atténuantes. En outre, ce facteur ne pèse pas dans mon analyse parce que ces ordonnances visent seulement les dépens découlant de l’instruction de l’instance pour outrage. En l’espèce, j’estime qu’il n’est pas dans l’intérêt de la justice d’attribuer à Marshall et Antonio quelque mérite que ce soit pour ces dépens dans l’analyse visant à déterminer les peines qu’il convient de leur imposer pour sanctionner leur outrage continu et impudent. Précisons que les demanderesses ne sollicitent pas de peines pécuniaires; la faculté de payer des défendeurs ne joue donc pas.
(8) Peines adéquates dans les circonstances
[123] Dans l’analyse visant à déterminer les peines qu’il convient d’imposer à Marshall et Antonio, il importe de ne pas oublier que le principal objectif des règles de droit civil en matière d’outrage consiste à favoriser la conformité aux ordonnances judiciaires. Soulignons que cet objectif est essentiel à la confiance du public dans l’administration de la justice, pour assurer la primauté du droit et pour assurer que « l’ordre social règne prime sur le chaos » :
Morasse au para 81, le juge Wagner (maintenant juge en chef) (dissident pour d’autres motifs) : voir le para [46] des présents motifs.
[124] La confiance du public dans l’administration de la justice et le respect des ordonnances judiciaires appellent une peine d’emprisonnement dans certaines circonstances, notamment [traduction] « lorsque le refus de se conformer à une ordonnance contrecarre la collecte de renseignements nécessaires au règlement d’une situation complexe et qu’il en résulte un préjudice pour le demandeur »
: Echostar au para 55. Une peine d’emprisonnement d’une durée non négligeable permet également de dissuader les défendeurs et d’autres personnes de poser des actes semblables à l’avenir et de dénoncer ces actes : Echostar aux para 58–63. En outre, une telle peine est parfois la seule source d’espoir qu’un délinquant récalcitrant finisse par se conformer à une ordonnance judiciaire.
[125] Au vu des facteurs analysés dans les rubriques précédentes, je suis d’avis que des peines se situant à l’extrémité supérieure de la fourchette s’imposent. Plus précisément, j’estime que des peines plus lourdes que celles recommandées par Marshall et Antonio, mais différentes à deux égards de celles sollicitées par les demanderesses, conviendraient.
[126] Bref, les actes d’outrage de Marshall et Antonio se situent à l’extrémité supérieure de la fourchette d’évaluation de la gravité objective et subjective. Une telle conduite appelle une peine supérieure aux peines infligées pour outrage de sorte que son effet de dissuasion générale soit plus important que l’effet de ces autres peines semble avoir eu dans le réseau de piratage de services de télévision IP. Il faut aussi que la peine soit assez lourde pour forcer Marshall et Antonio à remédier à leur mépris continu des paragraphes 24, 25 et 30 de l’ordonnance provisoire. Qui plus est, il faut que la peine traduise un effet dissuasif important et comporte un élément de sanction pour le mépris flagrant et impudent que Marshall et Antonio ont démontré à l’égard de notre Cour. Enfin, la peine doit tenir compte des nombreuses circonstances aggravantes dont l’existence est démontrée hors de tout doute raisonnable. Elle doit également tenir compte des circonstances atténuantes minimes indiquées plus haut.
[127] À mon avis, les peines recommandées par Antonio et Marshall, qui sont résumées aux paragraphes [5 et 6] des présents motifs, nient la gravité de leur outrage antérieur et présent et des autres facteurs résumés aux paragraphes précédents. Elles ne reconnaissent pas non plus l’outrage continu de la part des deux défendeurs. Elles ne seraient pas conformes au principal objectif des règles de droit civil régissant l’outrage, à savoir qu’elles favorisent la conformité aux ordonnances judiciaires : voir le para [46] des présents motifs.
[128] Antonio, au soutien de la peine d’emprisonnement discontinue qu’il propose, invoque son [traduction] « âge (73 ans) et ses troubles de santé »
. Or, le seul élément de preuve qu’il a produit à ce sujet consiste en une lettre du Dr Micheal Kogon en date du 12 juin 2025. Dans cette lettre, le Dr Kogon indique simplement avoir ausculté Antonio le jour même par suite d’une intervention non précisée ayant eu lieu la semaine précédente et qu’il [traduction] « pourrait nécessiter d’autres rendez-vous, interventions ou évaluations au cours des prochains mois visant le traitement de ses troubles de santé ».
[129] À mon avis, cet élément de preuve est trop vague pour justifier une peine d’emprisonnement discontinue dans les circonstances, où la gravité de l’outrage milite fortement en faveur d’une peine continue. De même, l’âge et les « troubles de santé »
non précisés, pris ensemble, ne justifient pas une peine discontinue. Comme il est indiqué au paragraphe [116] des présents motifs, ces considérations appellent dans le cas d’Antonio une peine initiale d’emprisonnement d’une durée inférieure à celle sollicitée par les demanderesses.
[130] Sous réserve d’un tel ajustement et d’un second ajustement visant à limiter à cinq ans moins un jour la période maximale d’emprisonnement, je conviens que les peines recommandées par les demanderesses conviendraient beaucoup mieux que celles recommandées par Antonio et Marshall.
[131] Les peines recommandées par les demanderesses sont résumées aux paragraphes [29–30] des présents motifs. En somme, les demanderesses recommandent que Marshall et Antonio soient incarcérés (a) jusqu’à ce qu’ils se conforment à certaines dispositions de l’ordonnance provisoire, qui a été prorogée par l’ordonnance interlocutoire, et en tout état de cause (b) pendant une période d’au moins six mois. Dans le cas de Marshall, il s’agit des paragraphes 24, 25 et 30 de l’ordonnance provisoire. Ces dispositions concernent la communication du mot de passe de son ordinateur personnel et tous les renseignements relatifs à ses actifs. Dans le cas d’Antonio, il s’agit des paragraphes 24(b) et 25 de l’ordonnance provisoire. Ces dispositions concernent la communication des renseignements relatifs à ses actifs, dont les données sur les opérations effectuées dans les deux comptes bancaires mentionnés au paragraphe [30] des présents motifs.
[132] Les demanderesses m’ont expliqué à l’audience de détermination de la peine qu’elles sollicitent une peine d’emprisonnement minimale de six mois à l’égard de Marshall et d’Antonio pour sanctionner l’outrage irrémédiable et une peine d’emprisonnement d’une durée indéterminée, à savoir jusqu’à ce qu’ils se conforment à l’ordonnance provisoire, pour sanctionner l’outrage remédiable : transcription, jour 2, p 12. Les demanderesses expliquent également qu’elles sollicitent une peine d’incarcération d’au moins six mois en raison de la nature impudente de l’outrage : transcription, jour 2, p 161.
[133] Les demanderesses affirment que la peine de six mois sanctionnant les éléments irrémédiables de l’outrage tombe sous le coup de l’alinéa 472b) des Règles et que la peine d’emprisonnement jusqu’à ce que Marshall et Antonio se conforment aux paragraphes 24, 25 et 30 de l’ordonnance provisoire est visée par l’alinéa 472a) : transcription, jour 2, p 160.
[134] Par souci de commodité, je reproduis à nouveau ci-après l’article 472 des Règles :
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[135] Si le libellé de l’alinéa 472a) est quelque peu maladroit, une interprétation globale et contextuelle de l’article 472 ne permet pas de conclure que cette disposition permet une peine d’une durée indéterminée de plus de cinq ans : PS Knight au para 24; Canada (Revenu national) c Bosnjak, 2013 CF 399 au para 20. En outre, la peine d’une durée indéterminée que les demanderesses souhaitent voir imposer à Antonio et Marshall pour sanctionner l’élément remédiable de l’outrage ne semble pas être conforme aux règles de common law régissant l’outrage : voir Jeffrey Miller, The Law of Contempt in Canada, 3e éd (Toronto : Thompson Reuters, 2023) p 363. Qui plus est, à l’audience de détermination de la peine, les demanderesses ont laissé entendre qu’une peine d’une durée indéterminée ne serait pas conforme à la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c 11 (R.-U.) : transcription, jour 2, p 15 : mais voir Réception de Zenda Glenhill Holdings Corporation, 2022 QCCA 270 (CanLII) [Zenda Glenhill] au para 20.
[136] Les demanderesses affirment que la peine qu’elles sollicitent est [traduction] « exactement la même que celle que la juge Palotta [
sic
] a imposée dans l’affaire
P.S. Knight
»
(transcription, jour 2, p 160), mais ce n’est pas le cas. Dans sa décision, la juge Pallotta indique expressément que [traduction] « l’article 472 des Règles de la CF autorise la Cour à imposer une peine de moins de cinq ans à la personne déclarée coupable d’outrage au tribunal »
: PS Knight au para 24. Elle ordonne l’emprisonnement de M. Knight « jusqu’à ce que les parties Knight aient remédié à l’outrage ou jusqu’à concurrence de cinq ans moins un jour ».
Comme je le signale plus haut, l’ordonnance rendue dans cette affaire prévoit également le sursis à la peine d’emprisonnement si les parties Knight remédient à l’outrage dans les dix jours de la date de l’ordonnance.
[137] Un examen de l’alinéa 472b) des Règles révèle que l’expression « si elle ne se conforme pas à l’ordonnance »
est prospective en ce sens que la peine d’emprisonnement d’une durée de moins de cinq ans ne s’applique que dans le cas d’un manquement futur à l’ordonnance. Par conséquent, la peine minimale d’une durée de six mois que sollicitent les demanderesses pour sanctionner l’outrage irrémédiable passé ne semble pas tomber sous le coup de l’alinéa 472b) des Règles.
[138] En outre, vu le principal objectif des règles régissant l’outrage, qui consiste à favoriser la conformité aux ordonnances judiciaires, il serait incongru que l’outrage continu emporte une peine maximale de moins de cinq ans, en application de l’alinéa 472b) des Règles, tandis que l’outrage irrémédiable passé emporterait une peine maximale de plus de cinq ans en application de l’alinéa 472a).
[139] Vu tout ce qui précède, j’estime qu’il faut modifier la peine sollicitée par les demanderesses pour faire en sorte que la durée maximale d’emprisonnement imposée pour forcer Marshall et Antonio à remédier à leur outrage continu (à l’égard des paragraphes 24, 25 et 30 de l’ordonnance provisoire dans le cas de Marshall et des paragraphes 24b) et 25 dans le cas d’Antonio) n’excède pas cinq ans moins un jour.
[140] J’ouvre une parenthèse pour signaler qu’à l’audience, les avocats des demanderesses ont reconnu avoir affirmé aux défendeurs que la peine [traduction] « maximale serait de cinq ans »
et qu’ils « ne se batt[ai]ent pas pour un emprisonnement d’une durée indéterminée »
: transcription, jour 2, p 15.
[141] À mon avis, l’alinéa 472a) est suffisamment large pour s’appliquer tant aux aspects remédiables qu’aux aspects irrémédiables de l’outrage. Comme aucune autre disposition de l’article 472 ne s’applique à l’outrage irrémédiable, il serait incongru de donner à l’alinéa 472a) une interprétation qui ne permettrait pas l’imposition d’une peine sanctionnant un tel outrage. En l’espèce, une telle interprétation empêcherait la Cour de sanctionner (i) le refus par Antonio d’ouvrir la porte de son domicile pour permettre l’exécution de l’ordonnance provisoire ou (ii) le refus par Marshall de fournir le mot de passe de son ordinateur notamment pour que l’ASI Drapeau prenne le contrôle de l’infrastructure des services SSTV et préserve les éléments de preuve sur ces services.
[142] Vu ce qui précède, je suis d’avis que le libellé de l’alinéa 472a) des Règles est suffisamment général pour permettre l’imposition (a) d’une peine initiale d’emprisonnement d’une durée de six mois sanctionnant les aspects tant remédiables qu’irrémédiables de l’outrage passé de Marshall et d’Antonio; et (b) d’une autre peine d’emprisonnement d’une durée maximale de cinq ans moins un jour sanctionnant l’outrage continu en vue d’y mettre fin. Dans les affaires PS Knight et Tremaine, une solution semblable avait été adoptée. Toutefois, dans ces affaires, les cours n’indiquent pas précisément qu’elles imposent les peines sous le régime de l’alinéa 472a) ni ne distinguent entre les aspects remédiables et irrémédiables de l’outrage.
[143] Il est entendu que, selon moi, une peine d’emprisonnement d’une durée déterminée, par exemple quatre ou six mois, sanctionnant l’outrage irrémédiable passé tombe sous le coup de la première des peines visées à l’alinéa 472a), c’est-à-dire « pour une période de moins de cinq ans »
. Quant à l’outrage remédiable continu, une peine d’emprisonnement de cinq ans moins un jour tombe sous le coup de la seconde peine possible, à savoir « jusqu’à ce qu[e la personne reconnue coupable d’outrage] se conforme à l’ordonnance ».
[144] S’il paraît à la lumière d’une interprétation littérale de l’article 472 que l’article défini dans l’expression « se conforme à l’ordonnance »
renvoie à l’ordonnance prévoyant une peine mentionnée dans la phrase liminaire de la disposition, notre Cour, suivant la jurisprudence qui en est issue, estime généralement qu’il est plutôt question de l’ordonnance à laquelle le défendeur ne s’est pas conformé et qui a donné lieu à une déclaration de culpabilité pour outrage. Toutefois, comme la question laisse toujours planer un doute, j’ordonne à Antonio, Marshall, Star Hosting Limited et Roma Works Limited, de se conformer chacun aux paragraphes 24, 25 et 30 de l’ordonnance provisoire, de sorte qu’un manquement constituera également un manquement à la présente ordonnance prévoyant la peine.
[145] Certes, Antonio et Marshall semblent en être à leur première infraction, et la cour doit faire particulièrement attention avant d’ordonner une peine d’emprisonnement dans le cas d’une première infraction : Winnicki c Canada (Commission des droits de la personne), 2007 CAF 52 au para 20. Toutefois, « il n’existe aucune règle ferme portant qu’une première infraction d’outrage au tribunal ne peut faire l’objet d’une peine d’emprisonnement »
: Microsoft au para 10. L’opportunité d’une telle peine dépend des circonstances de l’espèce et notamment de la nature continue et flagrante de l’outrage : The Law of Contempt in Canada, p 363-364. À mon avis, une peine d’emprisonnement continue convient tout à fait dans les circonstances.
[146] Bref, selon mon analyse précédente, j’estime qu’il convient d’imposer à Marshall, pour sanctionner les manquements irrémédiables et remédiables aux paragraphes 24, 25 et 30 de l’ordonnance provisoire, une peine d’emprisonnement de six mois et, pour sanctionner l’outrage continu, une peine d’emprisonnement jusqu’à ce qu’il se conforme à l’ordonnance ou jusqu’à concurrence de cinq ans moins un jour, selon la première éventualité. Il est entendu que cette peine maximale inclut les six mois de la peine initiale. Selon moi, la peine initiale est indiquée vu le mépris flagrant du paragraphe 20 de l’ordonnance provisoire dont Marshall a fait preuve, ce qui a empêché l’ASI Drapeau de prendre le contrôle de l’infrastructure des services SSTV.
[147] Quant à Antonio, une peine d’emprisonnement d’une durée de quatre mois est indiquée pour sanctionner le manquement antérieur aux paragraphes 24(b) et 25 de l’ordonnance provisoire et, pour sanctionner le manquement continu à ces dispositions, une peine d’emprisonnement d’une durée maximale de cinq ans moins un jour ou jusqu’à ce qu’il se conforme à l’ordonnance, selon la première éventualité. Il est entendu que cette peine maximale inclut les quatre mois de la peine initiale. Selon moi, la peine initiale est indiquée vu le mépris flagrant dont Antonio a fait preuve à l’égard des paragraphes 30 et 37 de l’ordonnance provisoire et de l’aspect irrémédiable de ce manquement.
IX. Conclusion
[148] Pour les motifs qui précèdent, j’estime que les peines recommandées par Marshall et Antonio ne représentent pas la nature très grave, flagrante et continue de leur outrage. J’estime que les peines recommandées par les demanderesses conviendraient mieux, sous réserve de deux modifications. La première consiste à réduire la peine d’emprisonnement initiale recommandée dans le cas d’Antonio de six mois à quatre. La seconde consiste à limiter la peine d’emprisonnement maximale à cinq ans moins un jour dans le cas de Marshall et d’Antonio. Par cette modification, on évite d’imposer des peines à durée indéterminée, ce que souhaitent les demanderesses, à savoir que Marshall et Antonio restent en prison [traduction] « jusqu’à ce qu’ils se conforment »
à l’ordonnance provisoire.
[149] Par conséquent, j’ordonne, dans le cas de Marshall, une peine d’emprisonnement initiale d’une durée de six mois pour sanctionner son manquement antérieur aux paragraphes 24, 25 et 30 de l’ordonnance provisoire et une peine maximale de cinq ans moins un jour ou jusqu’à ce qu’il se conforme à ces dispositions, selon la première éventualité. Il est entendu que cette peine maximale inclut la peine d’emprisonnement initiale de six mois. Pour déterminer la peine initiale de six mois, je tiens également compte du mépris flagrant dont Marshall a fait preuve à l’égard du paragraphe 20 de l’ordonnance provisoire, car l’ASI Drapeau a été ainsi empêché de prendre le contrôle de l’infrastructure des services SSTV, ce qui était prévu par cette disposition. Marshall a également eu la possibilité de supprimer des éléments de preuve et soustraire des éléments de preuve ou des fonds à la compétence de la Cour.
[150] Quant à Antonio, j’ordonne une peine d’emprisonnement initiale d’une durée de quatre mois pour sanctionner son manquement antérieur aux paragraphes 24(b) et 25 de l’ordonnance provisoire et une peine maximale de cinq ans moins un jour ou jusqu’à ce qu’il se conforme à ces dispositions, selon la première éventualité. Il est entendu que cette peine maximale inclut la peine d’emprisonnement initiale de quatre mois. Pour déterminer la peine d’emprisonnement initiale, je tiens également compte du mépris flagrant dont Antonio a fait preuve à l’égard notamment des paragraphes 30 et 37 de l’ordonnance provisoire. Antonio a ainsi eu la possibilité de supprimer des éléments de preuve et de soustraire des éléments de preuve ou des fonds à la compétence de la Cour.
[151] Je sursois à la délivrance d’un mandat d’incarcération pendant une quinzaine pour donner l’occasion à Marshall et à Antonio de mettre leurs affaires en ordre avant d’être écroués.
[152] Si Marshall et Antonio finissent par se conformer aux dispositions de l’ordonnance provisoire (prorogée par l’ordonnance interlocutoire) dans la quinzaine, ils n’auront qu’à purger la peine initiale d’emprisonnement décrite plus haut, à savoir six mois dans le cas de Marshall et quatre mois dans le cas d’Antonio.
[153] À l’audience, Marshall a demandé que la peine imposée par la Cour permette la [traduction] « finalité »
, de sorte qu’ils ne soient pas continuellement exposés à un tel « cycle perpétuel de, vous savez, “Quand allez-vous nous donner le mot de passe?” Vous savez, allez un mois en prison, puis ensuite prenez une pause, puis un autre mois. Je crois que nous serions mieux servis par une certaine finalité d’une certaine manière »
: transcription, jour 1, p 76.
[154] Dans ses observations finales, Marshall explique ce qui suit :
Je crois que, selon le droit, si quelqu’un reçoit une peine pour n’avoir pas fourni le mot de passe de l’ordinateur, comme dans notre exemple, comme moi, alors je ne crois pas que les demanderesses devraient avoir le beurre et l’argent du beurre en pénalisant le défendeur et en profitant des renseignements qui pourraient sortir des années plus tard.
[Transcription, jour 2, p 133-134]
[155] Il ajoute ce qui suit :
Alors il serait attendu que n’importe quelle décision que vous rendrez serait de nature finale, ne serait-il pas comme de passer une semaine en prison, en sortir, comment vous sentez-vous, allez-vous vous conformer, alors une autre semaine en prison au lieu de, non, c’est deux semaines en prison et c’est tout, par exemple. Je verrais cela comme être accusé deux fois pour la même chose – plus d’une fois.
Alors nous vous demandons de toute évidence de rendre une décision qui – qui ne nous obligera pas à vous revoir pour les mêmes choses.
[Transcription, jour 2, p 145]
[156] Essentiellement, Marshall aimerait purger une seule peine pour l’outrage antérieur et l’outrage continu dont ils ont été déclarés coupables pour ensuite tourner la page une fois pour toutes sur ce chapitre, sans n’être jamais contraint de se conformer.
[157] Une telle issue permettrait aux défendeurs d’empêcher complètement les demanderesses d’obtenir les renseignements dont elles ont besoin pour faire instruire leur action pour violation du droit d’auteur. Elle irait également à l’encontre de l’objectif principal des règles de droit régissant l’outrage civil, à savoir favoriser la conformité aux ordonnances judiciaires : voir le para [46] des présents motifs et Zenda Glenhill au para 25. Pour citer la Cour d’appel de l’Ontario :
[traduction]
[44] … Permettre une seule sanction pénale à l’encontre d’un manquement continu à une ordonnance prive le tribunal de la faculté d’ordonner d’autres sanctions mesurées, mais graduelles, pour obtenir la conformité à l’ordonnance. Autrement dit, si le tribunal ne peut imposer qu’une seule période d’incarcération pour sanctionner un outrage civil, il ne peut véritablement parer au mépris continu de l’auteur de l’outrage. Si la répétition de sanctions pénales est permise, le tribunal peut alors réagir en cas de préoccupations à l’égard de sanctions éventuellement oppressives.
Chiang (Re), 2009 ONCA 3 (CanLII) [Chiang]
[158] La Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt Chiang, ne tranche pas la question. Dans cette affaire, les parties avaient conclu une entente qui prévoyait expressément une période supplémentaire d’incarcération si les défendeurs ne se conformaient pas à l’engagement qu’ils avaient pris de mettre fin à l’outrage : Chiang au para 47. Cette cour établit également une distinction entre l’instance dont elle est saisie et l’affaire Braun (Re), 2006 ABCA 23 (CanLII) aux para 18-28, dans laquelle la Cour d’appel de l’Alberta rejette la thèse selon laquelle l’outrage civil peut justifier l’imposition de sanctions pénales graduelles. Dans l’arrêt Braun, cette cour conclut que, dès lors que la conduite ayant mené à l’outrage est punie, même s’il s’agit d’un outrage continu, [traduction] « il ne convient pas d’ordonner une autre sanction à l’égard de ce qui constitue essentiellement le même outrage »
, Braun aux paras 21-23, citant Enfield London Borough Council v Mahoney, [1983] 2 All ER 901 p 908 (CA) : mais voir Doobay v Diamond, 2012 ONCA 580 (CanLIi) aux para 35-37, autorisation de pourvoi refusée 2013 CanLII 18850 (CSC) et Zenda Glenhill aux para 30-34. Or, la cour dans l’arrêt Braun précise que, [traduction] « si l’outrage continu nuit au règlement de l’instance [au fond], des sanctions de nature non pénale peuvent être imposées »
: Braun au para 28.
[159] Comme il n’est pas nécessaire de trancher la question à l’heure actuelle, j’estime qu’il convient de s’abstenir de se prononcer, tout particulièrement étant donné que la jurisprudence en la matière est contradictoire et que la question n’a pas été débattue devant moi. Si, à la fin des périodes d’emprisonnement prévues dans l’ordonnance ci-après, Marshall et Antonio ne se sont toujours pas conformés aux dispositions de l’ordonnance provisoire ayant mené à leurs condamnations respectives pour outrage, on pourra alors trancher la question de savoir si la Cour peut ordonner d’autres sanctions à l’égard de leur outrage continu.
[160] À l’audience de détermination de la peine, Marshall a également demandé que la Cour ordonne une interruption de son incarcération entre le 12 et le 26 septembre 2025 pour lui permettre de se rendre à une conférence à l’étranger. Il a expliqué qu’il avait pris ses arrangements [traduction] « plusieurs années à l’avance »
: transcription, jour 2, p 157.
[161] Vu le mépris continu et impudent dont Marshall fait preuve, je refuse d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui m’habilite à ordonner une telle mesure. Essentiellement, Marshall demande à la Cour de faire preuve de clémence alors qu’il continue d’en défier les ordonnances avec impudence. Son comportement ne justifie pas pareille clémence. Qui plus est, vu la durée éventuelle de la peine d’emprisonnement que j’ordonne dans son cas, j’estime qu’il y a un risque non négligeable qu’il ne rentre pas au Canada.
[162] Dans la même veine, Marshall a également demandé que son passeport et celui d’Antonio leur soient restitués [traduction] « dans les meilleurs délais »
: transcription, jour 2, p 98. Le juge Duchesne avait ordonné à Marshall et à Antonio de remettre leur passeport à la Cour avant le début de l’audience de détermination de la peine sur requête des demanderesses, qui avaient également sollicité d’autres mesures connexes dont le juge Duchesne a refusé l’octroi. Au soutien de leur requête, les demanderesses ont invoqué le risque que Marshall et Antonio tentent de se soustraire à l’incarcération en fuyant le Canada : Bell Media Inc v Macciacchera (Smoothstreams.tv), 2025 FC 461, aux paras 41-45. Le juge Duchesne a fini par ordonner aux défendeurs de déposer leur passeport sous scellé auprès du greffe, qui les conservera jusqu’au prononcé du jugement sur la peine et l’instruction de tout appel. J’ordonne ci-après que les passeports de Marshall et Antonio demeurent sous scellé au greffe jusqu’à ce qu’ils aient complètement purgé leurs peines, sous réserve de toute modification issue d’un appel ou d’une autre ordonnance visant l’outrage continu de Marshall et Antonio.
[163] Enfin, dans leurs observations écrites et orales, les demanderesses ont attiré l’attention de la Cour sur le fait qu’elles avaient caviardé davantage que nécessaire certains documents par précaution dans le dossier public de requête déposé avant l’audience de détermination de la peine. Les demanderesses ont expliqué que les éléments caviardés concernent généralement la preuve recueillie pendant l’exécution de l’ordonnance provisoire et la transcription de l’interrogatoire préalable de Marshall et Antonio par les demanderesses : transcription, jour 1, p 142-143. Toutefois, le dossier public de requête déposé par les demanderesses semble comprendre beaucoup plus de passages caviardés que ce que la Cour avait ordonné.
[164] À l’audience, les demanderesses ont expliqué qu’elles ne savaient pas ce que les défendeurs considèrent comme confidentiel dans ces documents. J’ai indiqué que la question devait être tranchée, car la Cour n’accepte pas le caviardage excessif par précaution : transcription, jour 1, p 82. Aux termes du paragraphe 151(2) des Règles, la Cour doit être convaincue de la nécessité de considérer les éléments comme confidentiels avant de rendre une ordonnance de confidentialité. Par conséquent, la partie qui sollicite une telle ordonnance doit satisfaire au critère établi dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 RCS 522 [Sierra Club], p 543-544; Sherman (Succession) c Donovan, 2021 CSC 25 aux para 7-8 et 37-43 et 86-103; 9219-1568 Quebec Inc c Canada (Commissaire à la protection de la vie privée du Canada), 2024 CAF 38 au para 16.
[165] Vu ce qui précède, j’ai donné aux défendeurs deux semaines après la date de l’audience de détermination de la peine pour (i) prendre connaissance du dossier de requête des demanderesses, (ii) signaler les éléments qui devraient être visés par une ordonnance de confidentialité et (iii) en informer les demanderesses. Répétons que j’ai indiqué la nécessité de tenir compte de l’arrêt Sierra Club : transcription, jour 1, p 144-145. Or, comme les parties n’ont pas répondu à cette question, j’ordonne ci-après aux défendeurs de déposer leurs observations sur les éléments caviardés du dossier public de requête des demanderesses qui devraient demeurer confidentiels, dans les quatorze jours suivant la date de l’ordonnance, après avoir consulté les demanderesses à ce sujet. Ces observations fonderont alors la décision à l’égard du caviardage de chaque élément visé. Il est entendu que les défendeurs n’ont pas besoin de présenter des observations sur les éléments déjà visés par une ordonnance de confidentialité de la Cour, à savoir les éléments caviardés dans les affidavits de M. Guigan. Les demanderesses sont appelées à expliquer les raisons justifiant le caviardage d’autres éléments que ceux décrits plus haut ou déjà visés par une ordonnance de confidentialité.
X. Dépens
[166] Dans les affaires d’outrage, il est courant d’ordonner le versement de dépens avocat-client : Lari au para 38, citant Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, [1998] CanLII 8951 au para 8; Beast IPTV at para 172; Macciacchera 4 au para 17. À mon avis, rien ne justifie que l’on s’écarte de ce principe en l’espèce.
[167] À l’audience de détermination de la peine, j’ai accepté que les demanderesses présentent leurs observations sur les dépens à une date ultérieure. Par conséquent, j’ordonne ci-après que les demanderesses présentent leurs observations au plus tard 14 jours après le prononcé de la présente ordonnance. Comme une ordonnance a déjà été rendue quant aux dépens relatifs à l’instance pour outrage contre Marshall et Antonio, les dépens adjugés par la présente ordonnance concernent seulement les frais relatifs à la détermination de la peine.
ORDONNANCE dans le dossier T-1257-22 (peine pour outrage au tribunal)
LA COUR REND L’ORDONNANCE suivante :
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Le défendeur Marshall Macciacchera est condamné à une peine d’emprisonnement d’une durée initiale de six mois et demeurera incarcéré pour une période totale maximale de cinq ans moins un jour ou jusqu’à ce qu’il se conforme aux paragraphes 24, 25 et 30 de l’ordonnance de type Anton Piller rendue par la juge Rochester (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) le 28 juin 2022 (l’ordonnance provisoire), prorogés par les paragraphes 10, 11 et 13 de l’ordonnance rendue par le juge Roger Lafrenière le 22 novembre 2022 (l’ordonnance interlocutoire), selon la première éventualité.Il est entendu que la période totale maximale de cinq ans moins un jour susmentionnée comprend la période initiale d’emprisonnement de six mois. Pour remédier à l’outrage au tribunal qu’il continue de commettre, Marshall doit notamment communiquer les renseignements suivants :
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le mot de passe ou tout autre moyen d’accéder au contenu de l’ordinateur copié pendant l’exécution de l’ordonnance provisoire au 259, rue Dunlop, appartement 202, Barrie (Ontario), Canada;
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tous les renseignements relatifs à ses actifs, dont un consentement écrit sous la forme de l’annexe III de l’ordonnance provisoire visant le(s) compte(s) bancaire(s) de la HSBC en lien avec les documents se trouvant à la pièce DSD-18 jointe à l’affidavit souscrit par Me Daniel S. Drapeau le 22 juillet 2022.
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Le défendeur Antonio Macciacchera est condamné à une peine d’emprisonnement d’une durée initiale de quatre mois et restera incarcéré pour une période totale maximale de cinq ans moins un jour ou jusqu’à ce qu’il se conforme à l’alinéa 24b) et au paragraphe 25 de l’ordonnance provisoire (prorogés par l’alinéa 10b) et le paragraphe 11 de l’ordonnance interlocutoire), selon la première éventualité. Il est entendu que la période totale maximale de cinq ans moins un jour susmentionnée comprend la période initiale d’emprisonnement de quatre mois. Pour remédier à l’outrage au tribunal qu’il continue de commettre, Antonio doit notamment communiquer tous les renseignements relatifs à ses actifs, dont un consentement écrit sous la forme de l’annexe III de l’ordonnance provisoire visant le compte bancaire no 508502269 de la Banque TD et le compte bancaire no 0015-5167283 de la Banque Royale du Canada.
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Tant que Marshall et Antonio ne se seront pas conformés à l’ordonnance provisoire, ils seront considérés comme étant en contravention de la présente ordonnance. Il est entendu que Marshall doit cesser immédiation tout acte d’outrage au tribunal à l’égard des paragraphes 24, 25 et 30 de l’ordonnance provisoire, prorogés par l’ordonnance interlocutoire; et Antonio doit cesser immédiatement tout acte d’outrage au tribunal à l’égard de l’alinéa 24b) et du paragraphe 25 de l’ordonnance provisoire, prorogés par l’ordonnance interlocutoire.
-
Les demanderesses doivent justifier de leurs dépens, établis sur la base avocat-client, dans les 14 jours suivant la date de la présente ordonnance. Ces dépens sont limités à ceux engagés à l’étape de la détermination de la peine dans le cadre de la présente instance pour outrage au tribunal.
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Sous réserve de toute autre ordonnance qui pourrait être rendue pour sanctionner l’outrage au tribunal continu par les défendeurs Marshall Macciacchera et Antonio Macciacchera, leurs passeports resteront sous scellé au greffe de la Cour jusqu’à ce que leurs peines respectives, qui pourraient être modifiées en appel, soient entièrement purgées.
-
Dans les 14 jours suivant la date de la présente ordonnance, les défendeurs Marshall Macciacchera et Antonio Macciacchera déposeront auprès de la Cour leurs observations sur les éléments caviardés dans le dossier de requête des demanderesses devant demeurer confidentiels, après consultation des demanderesses à ce sujet. Dans leurs observations, les défendeurs devraient justifier chaque élément dont le caviardage est demandé. Les demanderesses doivent expliquer les motifs justifiant le caviardage d’éléments supplémentaires qui n’étaient pas visés dans une ordonnance de confidentialité. Il est entendu que les parties n’ont pas à fournir d’explication pour le caviardage des éléments à l’égard desquels la Cour a déjà rendu une ordonnance de confidentialité.
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Le greffe délivrera le mandat d’incarcération figurant à l’annexe 1 ci-jointe 14 jours après la date de la présente ordonnance.
-
Dès lors que le défendeur Marshall Macciacchera ou le défendeur Antonio Macciacchera se conforment à l’ordonnance provisoire dans le délai de 14 jours susmentionné, ils n’auront qu’à purger leur peine d’emprisonnement initiale, à savoir six mois dans le cas de Marshall et quatre mois dans le cas d’Antonio. Il est entendu que, si Marshall se conforme à l’ordonnance provisoire (prorogée par l’ordonnance interlocutoire) dans les 14 jours suivant la date de la présente ordonnance, il sera sursis à la deuxième partie de sa peine, qui prévoit une période d’incarcération au-delà de la période initiale de six mois. De même, dans l’éventualité où Antonio se conformerait à l’ordonnance provisoire (prorogée par l’ordonnance interlocutoire) dans les 14 jours suivant la date de la présente ordonnance, il sera sursis à la deuxième partie de sa peine, qui prévoit une période d’incarcération au-delà de la période initiale de quatre mois.
« Paul S. Crampton »
juge en chef
Traduction certifiée conforme
Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste principale
Date : 20250815 |
Dossier : T-1257-22 |
Référence : 2025 CF 1378 |
Ottawa (Ontario), le 15 août 2025 |
En présence de monsieur le juge en chef Paul Crampton |
ENTRE : |
BELL MÉDIA INC. ROGERS MEDIA INC. COLUMBIA PICTURES INDUSTRIES, INC. DISNEY ENTERPRISES, INC. PARAMOUNT PICTURES CORPORATION UNIVERSAL CITY STUDIOS LLC UNIVERSAL CITY STUDIOS PRODUCTIONS LLP WARNER BROS. ENTERTAINMENT INC. |
demanderesses |
et |
MARSHALL MACCIACCHERA faisant affaire sous le nom SMOOTHSTREAMS.TV ANTONIO MACCIACCHERA faisant affaire sous le nom SMOOTHSTREAMS.TV ARM HOSTING INC. STAR HOSTING LIMITED (HONG KONG) ROMA WORKS LIMITED (HONG KONG) ROMA WORKS SA (PANAMA) |
défendeurs |
MANDAT D’INCARCÉRATION |
ET À TOUS LES AGENTS DE LA PAIX ET À TOUS LES AGENTS DE POLICE :
ET À TOUS LES AGENTS DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA :
ATTENDU QUE la juge Rochester (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a rendu une ordonnance le 21 août 2024 dans laquelle elle déclare le défendeur Marshall Macciacchera (Marshall) coupable d’outrage au tribunal au motif qu’il a désobéi à plusieurs dispositions d’une ordonnance qu’elle a rendue le 28 juin 2022 (l’ordonnance provisoire), notamment aux paragraphes 24, 25 et 30, prorogés par les paragraphes 10, 11 et 13 de l’ordonnance rendue le 22 novembre 2022 par le juge Lafrenière (l’ordonnance interlocutoire);
ET ATTENDU QUE j’ai rendu une ordonnance le 7 juin 2023 dans laquelle j’ai déclaré le défendeur Antonio Macciacchera (Antonio
) coupable d’outrage au tribunal au motif qu’il a désobéi à plusieurs dispositions de l’ordonnance provisoire, notamment à l’alinéa 24b) et au paragraphe 25, prorogés par l’alinéa 10b) et le paragraphe 11 de l’ordonnance interlocutoire;
ET ATTENDU QUE, dans une ordonnance datée du 15 août 2025 (l’ordonnance visant la peine), je condamne Marshall à une peine d’emprisonnement pour outrage au tribunal selon les modalités suivantes :
Le défendeur Marshall Macciacchera est condamné à une peine d’emprisonnement d’une durée initiale de six mois et restera incarcéré pour une période totale maximale de cinq ans moins un jour ou jusqu’à ce qu’il se conforme aux paragraphes 24, 25 et 30 de l’ordonnance provisoire, dont l’exécution a été prorogée par les paragraphes 10, 11 et 13 de l’ordonnance interlocutoire, respectivement, selon la première éventualité. Il est entendu que la période totale d’au plus cinq ans moins un jour susmentionnée comprend la période initiale d’emprisonnement de six mois. Pour remédier à l’outrage au tribunal qu’il continue de commettre, il doit notamment communiquer les renseignements suivants :
-
le mot de passe ou tout autre moyen d’accéder au contenu de l’ordinateur copié pendant l’exécution de l’ordonnance provisoire au 259, rue Dunlop, appartement 202, Barrie (Ontario), Canada;
-
tous les renseignements relatifs à ses actifs, notamment fournir un consentement écrit sous la forme de l’annexe III de l’ordonnance provisoire visant le(s) compte(s) bancaire(s) de la HSBC en lien avec les documents se trouvant à la pièce DSD-18 jointe de l’affidavit souscrit par Me Daniel S. Drapeau le 22 juillet 2022.
ET ATTENDU QUE, dans l’ordonnance visant la peine, je condamne aussi Antonio à une peine d’emprisonnement pour outrage au tribunal selon les modalités suivantes :
Le défendeur Antonio Macciacchera est condamné à une peine d’emprisonnement d’une durée initiale de quatre mois et restera incarcéré pour une période totale maximale de cinq ans moins un jour ou jusqu’à ce qu’il se conforme à l’alinéa 24b) et au paragraphe 25 de l’ordonnance provisoire, prorogés par l’alinéa 10b) et le paragraphe 11 de l’ordonnance interlocutoire, selon la première éventualité. Il est entendu que la période totale maximale de cinq ans moins un jour susmentionnée comprend la période initiale d’emprisonnement de quatre mois. Pour remédier à l’outrage au tribunal qu’il continue de commettre, il doit communiquer tous les renseignements relatifs à ses biens, et notamment fournir un consentement écrit sous la forme de l’annexe III de l’ordonnance provisoire pour le compte no 508502269 de la Banque TD et pour le compte no 0015-5167283 de la Banque Royale du Canada.
ET ATTENDU QUE, dans l’ordonnance visant la peine, je déclare également ce qui suit :
Dès lors que le défendeur Marshall Macciacchera ou le défendeur Antonio Macciacchera se conforment à l’ordonnance provisoire dans le délai de 14 jours susmentionné, ils n’auront qu’à purger leur peine d’emprisonnement initiale, à savoir six mois dans le cas de Marshall et quatre mois dans le cas d’Antonio. Il est entendu que, si Marshall se conforme à l’ordonnance provisoire (prorogée par l’ordonnance interlocutoire) dans les 14 jours suivant la date de la présente ordonnance, il sera sursis à la deuxième partie de sa peine, qui prévoit une période d’incarcération au-delà de la période initiale de six mois. De même, dans l’éventualité où Antonio se conformerait à l’ordonnance provisoire (prorogée par l’ordonnance interlocutoire) dans les 14 jours suivant la date de la présente ordonnance, il sera sursis à la deuxième partie de sa peine, qui prévoit une période d’incarcération au-delà de la période initiale de quatre mois.
Il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES :
-
d’arrêter Marshall Macciacchera, dont la dernière adresse connue est le 313-3651, promenade Major Mackenzie, Woodbridge (Ontario) L4H 0A2, si sa détention le requiert;
-
de livrer Marshall Macciacchera à l’établissement correctionnel ou à l’établissement de détention le plus proche, pour qu’il soit écroué afin de purger la totalité de la peine qui a été ordonnée contre lui, décrite plus haut;
-
d’arrêter Antonio Macciacchera, dont la dernière adresse connue est le 32, avenue Brownlee, Woodbridge (Ontario) L4L 8H4, si sa détention le requiert;
-
de livrer Antonio Macciacchera l’établissement correctionnel ou à l’établissement de détention le plus proche, pour qu’il soit écroué afin de purger la totalité de la peine qui a été ordonnée contre lui, décrite plus haut;
CE MANDAT N’A PAS DE DATE D’EXPIRATION.
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« Paul S. Crampton » |
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juge en chef |
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
T-1257-22 |
INTITULÉ : |
BELL MEDIA INC. ET AL c MARSHALL MACCIACCHERA ET AL |
LIEU DE L’AUDIENCE : |
TORONTO (ONTARIO) |
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 16 JUIN 2025 |
ORDONNANCE ET MOTIFS : |
LE JUGE EN CHEF CRAMPTON |
DATE DES MOTIFS : |
LE 15 AOÛT 2025 |
COMPARUTIONS
Guillaume Lavoie Ste-Marie Christopher Guaiani |
POUR LES DEMANDERESSES |
Marshall Macciacchera Antonio Macciacchera |
POUR LES DÉFENDEURS EN LEUR PROPRE NOM |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Smart & Biggar LLP, s.e.n.c.r.l. Montréal (Québec) |
POUR LES DEMANDERESSES |
[1] À ce moment-là, le titre des juges adjoints de la Cour était « protonotaire ».
[2] Marshall et les sociétés défenderesses (sauf Roma Works Panama) étaient accusés d’avoir omis de se conformer au paragraphe 20 de l’ordonnance provisoire; Marshall, Star Hosting Limited (Hong Kong) et Roma Works Limited (Hong Kong) étaient accusés d’avoir omis de se conformer aux alinéas 24a), 24b), 24c) et au paragraphe 25 de cette ordonnance. Marshall était également accusé d’avoir omis de se conformer au paragraphe 30 de l’ordonnance.
[3] Plus tard pendant l’audience, Marshall a expliqué qu’il croyait que son ancien avocat, Me Paul Lomic, était en possession de la liste de mots clés et qu’il l’avait communiquée à l’ASI Drapeau. Pour les fins des présents motifs, cette question n’est pas déterminante.
[4] Manifestement, la date de 2022 qui apparaît sur la page signature de cet affidavit est une erreur typographique.
[5] Dans sa décision, le juge Lafrenière précise que la décision inédite qui correspond à la référence No. 06-CL-6574 a été rendue le 18 mai 2010. Toutefois, les motifs rendus ce jour-là sont rédigés par le juge Cameron et concernent deux défendeurs distincts dans l’affaire. Le résumé fourni au paragraphe 161 de la décision Beast TV semble provenir d’un passage des motifs inédits de la juge Mesbur, datés du 19 septembre 2006 et cités à l’alinéa 67(c) des motifs du juge Cameron.
[6] Selon l’enquête de M. McGuigan, dans les douze mois s’étant terminés en janvier 2022, le portail web de Live247 (live247.tv) a reçu 72 276 visites par mois (18 883 de visiteurs uniques), le domaine StreamTVNow (streamtvnow.tv) a reçu 92 904 visites par mois (24 718 de visiteurs uniques) et le domaine StarStreamsTV (starstreams.tv) a reçu 24 588 visites par mois (7 390 de visiteurs uniques). Le taux de visites temporaires (bounce
rate
)
pour chacun des services était de 25 % pour Live247, 48 % pour StreamTVNow et 38 % pour Starstreams.tv.