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Date : 20250911


Dossier : IMM-3717-24

Référence : 2025 CF 1505

Ottawa (Ontario), le 11 septembre 2025

En présence de l’honorable madame la juge Saint-Fleur

ENTRE :

RUTH GARDUZA FLORES

EVELYN SOSA GARDUZA

MARIEMM SOSA GARDUZA

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demanderesses, Ruth Garduza Flores [demanderesse principale], Evelyn Sosa Garduza et Mariemm Sosa Garduza [demanderesses] sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue à leur encontre le 6 février 2024 par la Section d’appel des réfugiés [SAR] [Décision] rejetant leur appel de la décision du 8 novembre 2023 de la Section de protection des réfugiés [SPR] qui a rejeté leur demande d’asile.

[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Contexte

[3] Les demanderesses sont citoyennes du Mexique. Dans leur demande d’asile, elles disent craindre le Cartel Jalisco Nueva Generacion [CJNG] et de manière générale la violence envers les femmes.

[4] En juin 2019, alors qu’il se rendait à son travail, l’époux de la demanderesse principale a été arrêté et détenu par des membres du CJNG. Quelques jours plus tard, il a été libéré après qu’elle eût payé une somme d’argent à titre de rançon. Au courant du mois d’août 2021, la demanderesse principale a reçu des appels téléphoniques menaçants, notamment à l’endroit de sa fille adulte Evelyn.

[5] La demanderesse Evelyn est arrivée au Canada en novembre 2021 et les deux autres demanderesses l’ont rejoint en mars 2022.

[6] Le 6 février 2024, à l’instar de la SPR, la SAR a rejeté la demande d’asile des demanderesses estimant qu’elles ne sont pas crédibles et qu’elles n’ont pas démontré l’existence d’un risque prospectif pour elles au Mexique.

III. Questions en litige et norme de contrôle

[7] La demande de contrôle judiciaire soulève les questions en litige suivantes :

  1. La décision de la SAR relativement à la crédibilité des demanderesses est-elle raisonnable?

  2. La décision de la SAR relativement l’absence de risque prospectif de retour pour les demanderesses au Mexique est-elle raisonnable?

[8] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, telle qu’établi dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux paragraphes 23, 25, 86 et 99 [Vavilov].

[9] Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). Avant de pouvoir infirmer la décision pour ce motif, la cour de révision doit être convaincue qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov, au para 100). La norme de la décision raisonnable exige de la cour de justice qu’elle fasse preuve de déférence envers une telle décision (Vavilov, au para 85).

IV. Analyse

[10] Les demanderesses font valoir que la SAR a erré en confirmant l'analyse de la SPR relativement à leur crédibilité et en concluant qu’elles ne risquent pas sérieusement d'être persécutées advenant un retour au Mexique et que par conséquent, sa décision n’est pas raisonnable.

[11] Le défendeur soutient que la SAR a mené une analyse indépendante de tous les éléments de preuve au dossier afin de conclure que le témoignage des demanderesses n’est pas crédible et que la décision de la SAR est raisonnable.

A. L’analyse de SAR de la crédibilité des demanderesses est raisonnable

[12] Dans un premier temps, les demanderesses reprochent à la SAR son analyse effectuée quant à la photo de menaces sous la forme de graffitis peints sur le muret de la maison des demanderesses. La SAR a trouvé que la photographie du muret de leur maison sur lequel des menaces avaient été inscrites présentait plusieurs anomalies et avait vraisemblablement été truquée et que cela nuit à la crédibilité des demanderesses. Ces dernières font valoir que la photo leur a été transmise par un tiers. Elles estiment que conséquemment, la SAR n’aurait pas dû conclure qu’elles avaient l’intention de tromper le tribunal en soumettant cette photo et qu’il n'était pas raisonnable pour la SAR de conclure que leur crédibilité en est affectée.

[13] Je note que la SAR a estimé que la conclusion de la SPR selon laquelle les demanderesses auraient délibérément tenté de tromper le tribunal n’est pas correcte, car cette intention n’a pas été établie. Cela dit, la SAR a fait sa propre analyse de la photo et a elle-même noté plusieurs anomalies, dont le fait que la structure de grain est prononcée et distinctive partout sur la photo sauf dans la portion du muret contenant le graffiti, que la portion du muret où est le graffiti est considérablement plus nette que tout le reste de la photo et est découpée d'une façon nette et inorganique. De plus, la SAR a évalué l’explication offerte par les demanderesses pour expliquer ces anomalies; soit qu’il s'agit d'un muret rustique ayant des imperfections avec une texture poreuse.

[14] Qui plus est, la SAR a remarqué que l’ex-conjoint de la demanderesse principale, qui est celui ayant transmis la photo, ne mentionne pas ce graffiti menaçant dans son témoignage écrit. Leur voisin n’en fait pas non plus état alors que c’est lui qui les aurait informées de l’existence de ce graffiti. Dans ces circonstances, j’estime que la conclusion de la SAR à l’égard de cette photo et de son effet sur la crédibilité des demanderesses est raisonnable.

[15] Dans un deuxième temps, les demanderesses font l’argument que la SAR a fait preuve de zèle excessif en tenant compte de fait qu’elles ont omis de mentionner dans leur récit initial les menaces reçues du CJNG. Il s’agit de menaces reçues par la demanderesse Evelyn en novembre 2021 via WhatsApp et en janvier 2022 via Messenger alors qu’elle se trouvait au Canada. Il est également question d’appels provenant de numéros inconnus du Mexique à la demanderesse principale en avril 2022, d’un message WhatsApp audio. Il s’agit également de menaces laissées dans une voiture en mai 2022, d’hommes suspects interrogeant une amie et des voisins en juillet 2022, de menaces par WhatsApp en septembre 2022 et d’un courriel de menaces en mars 2023. La SAR a tenu compte des explications offertes par la demanderesse principale pour expliquer ces omissions, soit qu'au moment de rédiger son narratif initial, elle n'avait pas une idée claire sur ce qu'elle devait écrire et qu’elle a voulu faire un résumé. La SAR a également pris en considération l’explication de la demanderesse Evelyn voulant qu’elle croyait devoir mentionner les menaces reçues au Mexique.

[16] Considérant que les menaces omises sont au cœur de la demande d’asile, qu’il s’agit de plusieurs menaces proférées par les agents du préjudice que craignent les demanderesses, il était raisonnable pour la SAR de considérer que ces omissions altèrent leur crédibilité. Je n’y vois pas de zèle excessif.

[17] Le constat fait par la SAR que les demanderesses étaient accompagnées d’un avocat et d’un interprète lorsqu’elles ont rempli leur formulaire Fondement de la demande d’asile [FDA] est pertinent.

[18] Comme le souligne à juste titre le défendeur, cette Cour a déjà confirmé que des modifications à un FDA, où doivent figurer les informations importantes, peuvent nuire à la crédibilité d’un demandeur lorsqu’aucune explication raisonnable n’a été fournie quant aux omissions dans le narratif initial, comme c’est le cas en l’espèce (Onwuasoanya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1765).

[19] Les demanderesses trouvent également déraisonnable l’analyse des autres éléments de preuve qu’a faite la SAR. Elles lui reprochent de les avoir rejetés en bloc étant donné la présomption de véracité des allégations d’un demandeur d’asile. Plus précisément, elles estiment que la SAR a erré en n’accordant pas de poids une capture d’écran de deux messages de menaces datant de novembre 2021, de janvier 2022, ni de celle de l’historique d’appel. Considérant que concernant la première capture d’écran montre un numéro de téléphone non identifié et que l’auteur ne l’est pas non plus et que la deuxième ne fait aucune référence aux demanderesses, il était raisonnable pour la SAR de conclure que ces captures d’écran et cette liste d’appels ne permettent pas d’établir que les appels provenaient du CJNG.

[20] Quant aux lettres de l’ex-conjoint de la demanderesse principale, d’une amie et d’un voisin, contrairement aux prétentions des demanderesses ce n’est pas simplement le fait qu’elles manquaient de précision qui fait que la SAR leur a accordé peu de poids. La SAR a en effet constaté que l’amie supposait l’identité des personnes qui ont trouvé les demanderesses, que l’ex-conjoint ne fait aucun état des menaces contre les demanderesses et que le CJNG ne l’aurait pas harcelé après qu’il soit relâché après le paiement de la rançon, ce qui contredit les prétentions des demanderesses. Quant à la lettre du voisin, la SAR a constaté qu’elle ne contient pas des renseignements rudimentaires comme combien de personnes se sont présentées pour s’enquérir de la localisation des demanderesses ni de la date à laquelle cela s’est produit et que l’identité de ces personnes relève d'une supposition. Considérant, les allégations des demanderesses, je trouve l’analyse de la SAR est raisonnable.

B. L’analyse de la SAR quant à l’absence de risque prospectif de retour est raisonnable

[21] Les demanderesses soutiennent que les conclusions de la SAR sur le risque prospectif sont fondées sur ces conclusions quant à leur manque de crédibilité. Elles lui reprochent également d’avoir considéré le fait que la demanderesse principale soit restée chez elle pendant plusieurs mois soit jusqu’en mars 2022 sans être importunée par le CJNG.

[22] Les conclusions de la SAR sur l’absence de risque prospectif s’appuient sur le manque de crédibilité des demanderesses et sur sa détermination que les menaces postérieures à octobre 2021 n’ont pas été établies. La SAR a également pris en considération le fait que le cartel aurait dit à la demanderesse principale qu’elle avait 24 heures pour leur payer un million de pesos et qu’elle soit, après cet appel, restée chez elle pendant près de cinq mois sans avoir reçu aucune autre menace. Il était raisonnable pour la SAR de le faire.

[23] Je souscris aux observations du demandeur qui soulignent que cette Cour a confirmé que la crédibilité du récit d’un demandeur d’asile peut être prise en considération dans l’évaluation du risque et qu’une absence de crédibilité peut raisonnablement mener à la conclusion que le risque n’était pas établi. (De Hernandez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 517; Turetken c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 357, au para 22; Louis c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 355, au para 19).

[24] À mon avis, la conclusion de la SAR voulant que les demanderesses n’ont pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elles seraient exposées à un risque advenant leur retour au Mexique est raisonnable.

[25] La SAR a fourni des motifs qui possèdent les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité.

V. Conclusion

[26] Les demanderesses n’ont pas démontré que la décision de la SAR est déraisonnable. Je rejette la demande de contrôle judiciaire.

[27] Les parties ne soulèvent pas de question certifiée et je conviens qu’aucune ne se pose.


JUGEMENT dans IMM-3717-24

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« L. Saint-Fleur »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3717-24

INTITULÉ :

RUTH GARDUZA FLORES, ET AL. c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 JUIN 2025

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SAINT-FLEUR

DATE DES MOTIFS :

LE 11 SEPTEMBRE 2025

COMPARUTIONS :

Me Julien Saint-Amour Lavigne

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Sarah Sbeiti

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Julien Saint-Amour Lavigne Avocat

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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